Texte intégral
Q. : Monsieur le ministre, la France est-elle définitivement hostile à une levée de l'embargo contre la Serbie ?
R. : Nous avons toujours dit que la levée de l'embargo sur la fourniture des armes pourrait être la solution d'ultime recours et nous n'avons pas changé d'avis. Il faut donc essayer d'épuiser toutes les autres solutions. Or, nous avons aujourd'hui d'autres possibilités : il s'est passé des faits nouveaux depuis la fin du mois de juillet ; le principal est l'acceptation du plan de paix par les autorités de Belgrade et leur volonté d'isoler les Serbes de Bosnie. Je crois qu'il faut permettre à cette politique, qui est adoptée par l'ensemble des pays de l'Union européenne et également par les Russes et les Américains, de produire tous ses effets avant d'aller à la solution d'ultime recours que vous évoquiez.
Q. : Pour ce qui concerne l'Irak, est-ce qu'en décidant de rencontrer publiquement M. Tarek Aziz, la France dit : l'Irak est en règle avec les Nations unies ?
R. : Notre position, là aussi, est claire et connue de tout le monde : il faut que l'Irak applique toutes les résolutions du Conseil de sécurité. Quelles sont-elles ? Destruction des armes que l'Irak avait accumulées au fil des années, deuxièmement, reconnaissance du Koweït et de la frontière internationale entre l'Irak et le Koweït et troisièmement, respect des Droits de l'Homme et des minorités en Irak. La position de la France est donc parfaitement claire. Que se passe-t-il, donc ? Nous constatons – ce n'est pas la France qui constate, une Commission spéciale a été nommée à cet effet – que l'Irak a commencé à se mettre en conformité avec certaines de ces résolutions. Ainsi, l'Irak a accepté un système de contrôle de sa production d'armement. Ce système, nous dit-on, est quasiment opérationnel. Si tel est le cas, il faut en tenir compte, exiger de l'Irak qu'il progresse dans le respect des autres résolutions et réfléchir à la manière de concrétiser cela : les résolutions du Conseil de sécurité prévoient la levée partielle – sous réserve, je le répète, que ces conditions soient remplies – de certains aspects de l'embargo.
Q. : Voulez-vous dire que le moment est venu, presque venu, ou peut venir bientôt ?
R. : J'attends une réponse claire sur ce sujet de la Commission spéciale qui a été chargée par le Conseil de sécurité de mettre en place les plans de contrôle irakiens. Ces plans existent-ils, oui ou non ? Fonctionnent-ils, oui ou non ? Si c'est non, il n'y a pas de raison de bouger. Si oui, il faut en tenir compte.
Q. : Donc, en recevant Tarek Aziz vous voulez annoncer un changement ?
R. : Non. Je veux dire à M. Tarek Aziz ce que nous attendons de l'Irak. Si l'Irak change, alors il y aura changement.
Q. : Pour ce qui concerne Haïti, est-ce que vous êtes satisfait de la manière dont se passent actuellement le choses et est-ce que toute ambiguïté est levée quant au sort du futur gouvernement haïtien ?
R. : La France est l'un des pays "amis d'Haïti" et, donc nous avons suivi de très près tout ce qui s'est passé dans l'île, les souffrances de la population. Ce que nous voulons, c'est le départ des usurpateurs, le rétablissement du régime constitutionnel et l'organisation d'élections. Nous sommes sur tous ces points en parfaite harmonie avec nos amis, en particulier avec les États-Unis d'Amérique. On a évité le bain de sang – même s'il y a eu quelques incidents regrettables – et ceci a été joué intelligemment par la diplomatie américaine. Il faut maintenant que les objectifs que je viens de rappeler soient concrétisés. Si tel est le cas, si le Président Aristide peut revenir en Haïti, alors, il faut lever les sanctions là aussi et reprendre – la France y est prête – une coopération active pour permettre au peuple haïtien de sortir de l'état de misère où il se trouve aujourd'hui.
Q. : Donc, pour l'instant, jugement globalement positif sur l'opération des Nations unies et des États-Unis ?
R. : Les choses évoluent dans le bon sens et la France est prête, je vous le rappelle, à participer à la phase II de l'opération, c'est-à-dire à mettre en place sur le terrain des gendarmes et des policiers qui formeront des forces de police haïtiennes aguerries à la démocratie.
Radios françaises (New York, 28 septembre 1994)
Q. : La position de la France sur la levée de l'embargo concernant les armes pour le gouvernement de Bosnie : un souhait apparemment exprimé par les Américains, même si le Président Clinton dit maintenant que c'est un débat académique ?
R. : La position de la France n'a pas varié. C'est celle de tous nos partenaires de l'Union européenne : la levée de l'embargo sur la fourniture des armes poserait beaucoup plus de problèmes qu'elle n'en réglerait. Ce ne peut être qu'une solution d'ultime recours, lorsqu'on aura épuisé toutes les autres. Or nous avons, à l'heure actuelle, d'autres solutions possibles. Il s'est passé quelque chose de nouveau en Bosnie Herzégovine depuis la fin du mois de juillet : le plan de paix a été accepté par Sarajevo, mais aussi par Belgrade. Il nous faut donc maintenant poursuivre notre politique d'isolement des Bosno-serbes qui sont les derniers récalcitrants à refuser le plan de paix et, pour cela, il nous faut quelques semaines ou quelques mois. Je crois qu'on n'est pas loin d'un accord possible et la France souhaite, avec d'autres, que les grands protagonistes de ce conflit, c'est-à-dire le Président Tudjman, qui a accepté le plan de paix, le Président Izetbegovic, qui l'a accepté, le Président Milosevic, qui l'a accepté, puissent se voir pour régler le problème d'ensemble, car il n'y a pas que la Bosnie.
Q. : Donc, vous croyez encore à la négociation ?
R. : Je crois toujours et inébranlablement à la négociation. Quelle est l'alternative ? C'est la guerre.
Q. : La France ne soutient pas une résolution américaine prévoyant automatiquement une levée de l'embargo ?
R. : Il n'y a pas de résolution américaine prévoyant automatiquement la levée de l'embargo. Le Secrétaire d'État, avec qui j'en ai parlé, m'a même dit que les États-Unis étaient hostiles à toute automaticité. Donc, quand on veut parler d'un différend entre France – ou l'Europe – et les États-Unis sur ce point, je ne le vois pas. En tout cas, pas dans les textes qui m'ont été montrés.
Q. : Bientôt une conférence internationale sur la Bosnie ? À Paris, pourquoi pas ?
R. : On l'a évoqué. Je pense que les conditions pourraient être réunies aujourd'hui pour laisser de côté ceux qui veulent absolument en découdre, c'est-à-dire les Bosno-Serbes de Pale, et réunir ceux qui sont prêts à avancer dans le cadre du plan de paix du groupe de contact.
Q. : En Haïti, il faut lever l'embargo ?
R. : En Haïti, il faut appliquer les résolutions du Conseil de sécurité, c'est-à-dire, dès lors que le Président Aristide est rétabli, lever l'embargo. La France y est tout à fait favorable.
France Inter (New York, 28 septembre 1994)
Q. : (Sur la levée de l'embargo et d'éventuelles ambiguïtés dans l'accord Carter-Jonassaint)
R. : Nous nous sommes réjouis de l'accord qui – hélas, malgré quelques incidents graves – a permis d'éviter l'effusion de sang en Haïti. Nous avons souhaité que toutes les ambigüités soient clarifiées, en particulier tout ce qui concerne le départ des militaires qui ont usurpé le pouvoir et le retour du Président Aristide qui est le seul à détenir la légitimité. Il semble que sur ces points, les choses se précisent et vont dans la bonne direction. Des résolutions du Conseil de sécurité ont prévu qu'au retour du Président Aristide, les sanctions seraient levées ; logiquement, donc, la France s'associera demain, devant le Conseil de sécurité, à une décision prise dans ce cadre-là.
Q. : Est-ce qu'il n'y a pas encore beaucoup d'incertitudes notamment sur le vote de l'amnistie, limitée ou large ?
Q. : Il y a des incertitudes. L'opération reste à haut risque, bien entendu, mais il faut aller de l'avant. Je le rappelle, la France est prête à participer, à la fois dans la phase II de l'opération pour former une police haïtienne qui respecte les règles de base de la démocratie, et aussi en reprenant une coopération qui a été très active dans le passé entre Haïti et notre pays.