Déclaration de M. Philippe Séguin, président de l'Assemblée nationale, sur la francophonie et l'histoire de l'AIPLF, Paris le 11 juillet 1994.

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Circonstance : XXème session de l'Assemblée internationale des parlementaires de langue française (AIPLF).

Texte intégral

Mesdames, Messieurs, 

L'Assemblée nationale française s'honore d'accueillir aujourd'hui l'une des plus importantes réunions de la communauté francophone. Cela est d'autant plus vrai que la session ouverte ce matin, on l'a justement souligné, marque une étape importante dans l'histoire de l'AIPLF. Et cela pour deux raisons : d'abord, parce qu'un nombre inégalé de sections se sont créées depuis l'année dernière – à ce propos, je voudrais saluer à mon tour les délégués du Burkina Faso, et de trois pays de la "Grande Europe", la Roumanie, la Hongrie et le Valais Suisse, qui nous rejoignent pour la première fois et nous apportent un appréciable renfort. Je crois savoir également que l'Albanie, le Burundi, le Niger et les Seychelles seront très prochainement des nôtres – et je m'en réjouis.

Étape importante, aussi, parce qu'après avoir changé de nom en 1989, notre Assemblée internationale a aussi, depuis le dernier sommet de Maurice, changé de statut pour devenir officiellement Assemblée consultative de la Francophonie, ce qui nous oblige à réfléchir à la véritable dimension que nous voulons désormais lui donner. 

C'est de cela que je voudrais vous entretenir quelques très courtes minutes, Mesdames et Messieurs, à l'issue de cet amical déjeuner. 

Pendant longtemps, la francophonie a semblé réservée à quelques pionniers, ainsi qu'à diverses institutions dont le zèle était hélas aussi grand qu'étaient maigres les moyens mis à leur disposition. En réalité, on semblait considérer que la francophonie devait se cantonner dans le pur domaine de quelques activités culturelles, activités sympathiques certes, et à l'occasion poétiques, mais non point politiques. C'est dire qu'elle demeurait marginale par rapport aux grands débats de ce monde. 

Puis vint, à partir de 1986, le 1er sommet de nos Chefs d'État et de gouvernement, qui donna à l'affaire un relief nouveau. Encore a-t-on parfois décrit cette réunion de Versailles, pour solennelle qu'elle fût, comme une mondanité internationale, une sorte de feu d'artifice sans lendemain. Et pourtant l'utilité de telles rencontres s'est peu à peu avérée, puisque quatre autres sommets ont été réunis depuis. Il reste que beaucoup de nos contemporains, et non des moindres, ne perçoivent toujours pas le véritable sens de la francophonie, qui est politique dans le sens fort de ce terme et qui, doit à ce titre – et cela nous intéresse au premier chef – engager les peuples. 

La francophonie est en effet l'un des mouvements qui aujourd'hui dépassent, ou plutôt déplacent, les frontières du monde. Elle est l'un des mouvements de fond qui préparent, pour le XXIe siècle, une société internationale au contenu nouveau. Ce n'est pas un hasard si le Secrétaire général des Nations Unies a tenu à assister avec 34 chefs d'État et de gouvernement l'an dernier au sommet de Maurice. À cette occasion, il a déclaré que la "francophonie est une subversion", et il a souhaité qu'elle subsiste longtemps, pour l'équilibre du monde. 

La Francophonie est donc bien d'abord ce message d'espoir donné à des nations, petites, isolées, menacées, soumises à la pression de voisins plus puissants qu'elles, message qui leur apprend qu'elles peuvent rester elles-mêmes, qu'elles peuvent garder leur identité. 

La Francophonie, est ainsi la preuve qu'on peut être moins nombreux, moins puissant, moins riche, mais qu'on peut rester debout. 

À une époque où ont éclaté tous les systèmes politiques rigides qui fondaient les solidarités traditionnelles, les nations aspirent aujourd'hui naturellement à développer des solidarités nouvelles, originales, qui fondent leur identité. 

La Francophonie est l'une de ces solidarités, qui permettent aux nations d'échapper à l'hégémonie des plus forts. 

C'est assez dire que nous avons à donner un contenu politique à notre Communauté. 

La Francophonie à la fin du XXème siècle sera politique ou ne sera pas. 

Mes chers Collègues, puisque la chose est politique, c'est bien à nous, représentants des peuples dans la diversité de leurs sensibilités, de leurs intérêts, de leurs traditions, c'est bien à nous de la prendre en mains. Les militants, les divers services gouvernementaux ont leurs rôles, d'aiguillons pour les uns, d'exécution pour les autres : mais pour l'essentiel c'est aux élus des différents Parlements qu'il incombe de tracer les orientations de la communauté francophone. 

Certes, vous pourriez m'opposer une objection : il faut encore que dans chaque pays membre, un parlement dynamique, à la fois libre de ses initiatives et doté de moyens suffisants, puisse participer réellement à la définition de ces orientations et aux coopérations régulières qu'elles supposent. Mais justement ! Voilà pour nous un premier objectif : aider chacune de nos sections à remplir pleinement son rôle, c'est-à-dire aller aussi loin que possible dans notre mission de coopération interparlementaire et de soutien à la démocratisation. C'est dans cet esprit que le sommet de Chaillot nous a confié en 1991 la mise en œuvre du programme PARDOC d'échange de documentation parlementaire, c'est dans cet esprit que nous contribuons, par des stages, à la formation des parlementaires et des fonctionnaires d'assemblée. C'est aussi dans cet esprit que nous participons à des missions d'observation de processus électoraux en liaison avec l'ONU. 

C'est toujours dans le même esprit que nous avons organisé en Centrafrique cette année un séminaire interparlementaire rassemblant une centaine de parlementaires africains, et que nous allons engager d'ici à la fin de l'année une expérience de mise en place de comptes rendus des débats. 

Peut-être, d'ailleurs, faudrait-il faire davantage et prendre des initiatives plus décisives encore. 

Mais je ne peux entrer dans les détails ; nos travaux de cet après-midi et de demain nous permettront de le faire ensemble. Mon seul propos est aujourd'hui simple : vous exhorter à ne pas voir petit mais au contraire à concevoir pour la francophonie un projet et une architecture qui soient larges, ambitieux, à la hauteur des enjeux qu'elle recèle. Lourde tâche, mais je sais qu'elle ne saurait effrayer ceux qui m'entourent et en particulier notre Président, Monsieur Jean-Pierre Saintonge, notre Premier Vice-Président Monsieur Adrien Houngbedji, le Président de la section Française, Monsieur Pierre-André Wiltzer, ainsi que notre Secrétaire général, Monsieur Franck Borotra ! 

Un long chemin a été parcouru par l'AIPLF depuis sa création en 1967 à Luxembourg. La voici Assemblée internationale, enfin promue au rang de véritable instance politique. Eh bien ! Il n'est pas d'entreprise qui, si elle épouse les mouvements profonds du monde, ne puisse être menée à bien par une pléiade d'esprits résolus. C'est pourquoi, permettez-moi de lever mon verre à la promesse que nous faisons tous de servir cette grande cause, qui est bien celle de la liberté des peuples.