Texte intégral
M. Cotta : Hier, dans une sorte de rentrée politique, R. Barre a mis en garde les Français contre les promesses les plus variées et les surenchères les plus risquées de cette période électorale. Qu'est-ce-que vous en pensez ?
F. Léotard : Je crois qu'il a raison. Les périodes de cette nature sont toujours, hélas, porteuses de toutes sortes de démagogies. Il faut faire attention, ce n'est pas sur des promesses que les gens sont élus, c'est sur une crédibilité. Cela ne passe pas par la promesse, ça passe à la fois par un bilan, par le sérieux de l'attitude, la volonté de résoudre au fond des choses les questions qui se posent. Mais pas par des promesses Les Français, je crois, sont déçus des promesses qu'ils ont reçues dans le passé.
M. Cotta : Si vous êtes accord avec ce jugement de R. Barre, est-ce-que vous êtes aussi d'accord lorsqu'il dit que la stratégie de tous les gouvernements qui lui ont succédé a été celle de "l'attentisme, du contournement des obstacles, au mieux du colmatage épisodique" ?
F. Léotard : Je ne crois pas que ce soit la bonne façon d'approcher les choses. D'abord parce que c'est le fait ou l'expression d'un orgueil solitaire qui n'est pas une bonne attitude dans la vie publique et parce que je me méfie des lieux communs. J'ai vu, dans cette intervention, beaucoup de lieux communs, du genre "il faut faire de la formation professionnelle". Qui dit le contraire ? "Il faut qu'il y ait davantage de justice", qui dit le contraire ? "Il faut de la décentralisation". Qui dit le contraire ? J'ai peur qu'il y ait une sorte de langage convenu de l'élection présidentielle, fondé sur des "il faut" et sur des "il serait nécessaire de" qui ne correspondent pas en fait à la réalité de l'ampleur des problèmes qui se posent, et à des solutions concrètes. Ce que nous souhaitons, ce que je souhaite, ce que nous essayons de faire au gouvernement, c'est donner des solutions concrètes à des problèmes qui sont, pour quelques-uns, modestes et tous petits, mais qui irritent beaucoup nos concitoyens, et d'autres qui sont énormes, ceux de la formation professionnelle, pour lesquels il y a des solutions. Mais il faut les donner, il faut dire "voilà comment, par quel chemin je vais passer".
M. Cotta : Vous êtes en train de dire que R. Barre, à sa manière, est aussi un démagogue ?
F. Léotard : Je veux dire qu'on ne peut pas avoir un discours qui consiste à dire que "tous les autres sont des démagogues mais pas moi", et poursuivre la phrase en disant "il n'y a qu'à" ou "il faut qu'on". Ce n'est pas raisonnable et ce n'est pas sérieux. Je souhaite qu'en cette période, on essaie de ne pas écouter des gens qui vont vous emmener dans des pistes qui ne sont pas les bonnes.
M. Cotta : C'est une candidature à la présidentielle pour R. Barre ou vous n'y pensiez pas ?
F. Léotard : Je ne crois pas que ça soit le cas. En tous cas, ce n'est pas aujourd'hui ce qu'attendent j'imagine nos compatriotes.
M. Cotta : Ce n'est pas une candidature UDF en tout cas ?
F. Léotard : Non, je ne le pense pas. D'abord parce que R. Barre a toujours cultivé avec beaucoup de soin un éloignement vis-à-vis de l'UDF, avec beaucoup de soin et de constance. Je ne vois pas pourquoi et comment l'UDF pourrait ratifier une candidature de cette nature.
M. Cotta : P. Méhaignerie a dit hier qu'il n'était pas opposé à la création d'une commission d'enquête sur la lenteur des procédures suivies en matière de crime contre l'Humanité. Par exemple, il pense à M. Papon. Qu'est-ce-que vous en pensez ? Faut-il faire une commission d'enquête pour voir si, vraiment, on est allé trop lentement ?
F. Léotard : Je pense qu'il a sa responsabilité de Garde des Sceaux qui est de veiller au bon fonctionnement de la justice. Sur un sujet de cette nature, y a-t-il eu des pressions pour empêcher que soient condamnés des crimes contre l'Humanité ? C'est ça, la question, et il est tout à fait raisonnable de trouver les moyens de répondre à cette question. Est-ce la commission d'enquête, est-ce d'autres moyens ? C'est à lui d'en juger, il est le Garde des Sceaux. Mais effectivement, s'il y a eu des lenteurs qui ont été délibérées sur un sujet de cette mature, je crois qu'il a tout à fait raison de se poser la question.
M. Cotta : Vous aussi, vous dites oui à la commission d'enquête ?
F. Léotard : Le moyen : je ne veux pas trancher parce que ce n'est peut-être pas le meilleur – mais la volonté de résoudre cette lenteur tout à fait fâcheuse dans la vie nationale. Je crois qu'il a raison de mettre la question sur la table.
M. Cotta : Vous partez ce matin aux journées des parlementaires du Sénat sur la défense. Au menu de votre intervention, le service national. À ce propos, vous avez dit que vous n'envisagiez pas de supprimer la conscription. Comment allez-vous le rénover sans le changer ?
F. Léotard : Je crois d'abord que c'est nécessaire parce que, dans un pays qui doute un peu de son tissu social, de son identité, il est bon que des jeunes puissent passer par une école de civisme. On est plus citoyen quand on sort du service national que lorsqu'on y est rentré. Je crois aussi que les armées en ont besoin et je crois qu'on aurait tort de ne pas tenir aux jeunes Français un certain discours de devoir. C'est un peu l'impôt du temps, ce n'est pas toujours agréable mais c'est toujours nécessaire.
M. Cotta : Pourtant il y a eu une grande recherche sur le service civil ?
F. Léotard : Il se développe et à juste titre.
M. Cotta : Vous êtes accord avec son concept ?
F. Léotard : Oui, bien sûr et moi-même je l'ai développé puisque j'ai lancé le service environnement par exemple. C'est un service civil pour des jeunes Français qui veulent travailler pour l'environnement. Il y a d'autres pistes, la gendarmerie, l'armée bien entendu, la police nationale, la politique de la ville, la formation des jeunes Harkis. Il y a beaucoup de choses qui se développent dans ce domaine, il faut le faire mais il ne faut pas oublier que la défense du pays, ce n'est pas uniquement l'affaire des professionnels, fussent-ils excellents.
M. Cotta : Vous n'êtes pas pour l'armée de métier ?
F. Léotard : Je suis pour une armée mixte. Des professionnels, en nombre plus importants - c'est ce que nous faisons d‘ailleurs actuellement en France - et en même temps des jeunes Français qui acceptent de défendre leur pays, s'il est menacé. Vous l'avez vu en Bosnie, où ils sont 40 % des forces qui sont engagées, vous l'avez vu au Cambodge, en Somalie où là ils servent notre pays d'une façon extrêmement désintéressée et très belle pour le renom de la France.
M. Cotta : Est-ce-que l'armée peut prendre en charge, comme le Premier ministre l'a suggéré, l'apprentissage d'une catégorie de jeunes gens démunis ?
F. Léotard : Nous le faisons, l'armée le fait déjà. Bien sûr, cela passe après des jeunes Français en combattants ou en soutien des combattants. Mais c'est nécessaire de le faire. Par exemple, nous délivrons des milliers de permis de conduire chaque année. Je suis en train de travailler là-dessus, je ferai des propositions en octobre pour insérer davantage de formation professionnelle à l'intérieur du service national. Les armées ne peuvent pas s'exonérer d'une participation à l'effort national dans ce domaine de la formation professionnelle.
M. Cotta : Est-ce-que vous pouvez avoir des opposants au RPR là-dessus, à l'intérieur de la majorité. Le député Marsaud avait fait des propositions que vous n'avez pas retenues ?
F. Léotard : Non, très intéressantes, j'en ai retenu une grande partie et je ne crois pas que ça soit un clivage de cette nature : RPR d'un côté, UDF de l'autre. Je crois qu'il faut respecter ceux qui disent qu'on doit pouvoir modifier un certain nombre de choses. J'écoute et il y a des choses à modifier, il y a beaucoup de réformes à faire mais je ne veux pas aller dans le sens de la suppression du service national qui, à mon avis, est une fausse piste.
M. Cotta : Vous assisterez, également, le 29 et le 30 septembre, pour la première fois pour un ministre de la Défense, aux réunions de vos homologues à l'intérieur de l'OTAN. Est-ce que c'est un affaiblissement de la politique extérieure de la France ?
F. Léotard : Non. Ce n'est en tous cas, en aucune manière, une réintégration de la France dans le système intégré de l'OTAN. Nous avons pris cette décision, c'est le général De Gaulle qui a pris cette décision en 1966 : elle n'est pas remise en cause. Par contre, l'OTAN évolue, les crises se modifient et ne sont plus les mêmes que jadis, la France aussi évolue.
M. Cotta : Est-ce qu'il faut redéfinir les missions de l'OTAN pour vous ?
F. Léotard : Sans aucun doute. Depuis le sommet de Bruxelles au début de cette année 1994, nous avons insisté pour que l'OTAN modifie ses pratiques, ses modes d'organisation, la gestion des crises qu'elle a en face d'elle. La Bosnie est un bon exemple, nous ne gérons pas la Bosnie, fût-ce avec l'OTAN, de la même manière que nous aurions géré un éventuel conflit avec l'Union soviétique. C'est très différent et donc il faut que l'OTAN évolue, c'est en train de se faire. La France modifie aussi, d'une certaine manière, sa position.