Texte intégral
Nous avons longuement parlé de la Yougoslavie. Plusieurs points méritent d'être soulignés : d'abord, tout le monde s'est félicité de l'existence du groupe de contact qui je le rappelle, réunit les américains, les russes et les européens : c'est une bonne formation qui a permis de beaucoup avancer depuis quelques semaines.
Deuxième point très important : les Douze et même les Douze plus quatre – puisque je le rappelle à ce sommet participaient également les 4 candidats à l'adhésion – ont approuvé les orientations qui ont été prises, et qui consistent à prendre en considération la nouvelle attitude de Belgrade. Milosevic ayant accepté le plan de paix, condamné la position des serbes de Palé en Bosnie, il faut tirer parti de cet élément nouveau. Nous avons donc approuvé l'idée de déployer à la frontière entre la Serbie et la Bosnie des observateurs qui pourront vérifier la réalité de l'embargo décrété par Belgrade.
Q. : Peut-on être certain de la parole de M. Milosevic ?
R. : Certain, non, l'expérience passée le montre, mais nous n'avons pas le droit de laisser passer cette occasion de mettre Milosevic au pied du mur. Il y a là, je le répète, un élément nouveau et on doit l'exploiter à fond, sinon on voit réapparaître la menace de la levée de l'embargo sur la fourniture des armes et là aussi, je voudrais souligner que les 12 pays membres de l'Union européenne et les 4 candidats considèrent que la levée de l'embargo est une mauvaise formule qui comporte beaucoup plus de dangers que d'avantages.
Q. : N'y a-t-il pas là de danger d'un différend important entre les États-Unis et l'Union européenne ?
R. : Je n'en suis pas sûr car je vois évoluer au fil des semaines les positions américaines sur ce sujet. Plus l'échéance se rapproche, plus chacun prend conscience des difficultés considérables qu'impliquerait le retrait de la FORPRONU qui constitue, aux yeux de la France et aux yeux de tous les pays contributeurs de troupes, un préalable absolu à toute levée de l'embargo sur la fourniture des armes.
Q. : Le commandant en chef des forces des Nations unies de la FORPRONU en Yougoslavie pense qu'une intervention à Bihac est peut-être imminentes, peut-être inévitable ?
R. : La situation à Bihac et à Sarajevo n'est pas acceptable. L'ONU et L'OTAN ont pris des décisions et ces décisions concernent les zones de sécurité et les zones d'exclusion. Les serbes et parfois aussi, il faut bien le dire, les troupes bosniaques violent régulièrement ces décisions. Il faut que la FORPRONU et L'OTAN réagissent dans le cadre des résolutions existantes, c'est-à-dire utilisent, le cas échéant la force aérienne pour faire cesser ces violations. J'approuve pleinement les orientations prises par le commandant de la FORPRONU et en particulier par le Général de Lapresle.
Q. : Au cours de cette réunion les ministres ont appris ce qui paraît être une tentative d'attentat contre l'administrateur de l'Union européenne en poste à Mostar. Quelle a été la réaction des ministres ?
R. : Une grande émotion bien sûr. Nous avons pris toutes les nouvelles sur la situation réelle à Mostar. M. Koschnick qui est l'administrateur de l'Union européenne est sain et sauf, c'est un homme courageux. Nous avons souhaité rendre hommage à son courage. Nous allons poursuivre bien entendu cette opération en améliorant les mesures de sécurité qui ont été prises et en particulier le déploiement de la police de l'Europe occidentale a accepté de déployer à Mostar.
Q. : Un autre thème a été abordé en marge de cette réunion informelle, c'est celui de l'Europe future à géométrie variable. Est-ce que c'est quelque chose qui est réservé aux seuls spécialistes, ou est-ce quelque chose qui peut être expliqué en termes facilement compréhensibles ?
R. : Il faut l'expliquer par que c'est un enjeu considérable. Je voudrais simplement souligner, avant d'essayer d'expliquer à mon tour, qu'il faut aborder ces questions mais il ne faut pas non plus aller plus vite que la musique. Le temps de la décision n'est pas venu, nous en sommes au temps de la réflexion. Nous avons devant nous deux ans avant la conférence intergouvernementale de 1996 pour mettre au clair nos, idées. De quoi s'agit-il en substance ? Nous avons décidé l'année dernière à Copenhague que nous allions continuer à élargir l'Europe. Nous serons vraisemblablement 16 le 1er janvier prochain, et nous avons promis à dix autres pays, les PECO, la Slovénie, les États baltes de les accepter au sein de la famille européenne dans les années qui viennent. Il faut nous y préparer. La question n'est plus de savoir si nous élargissons l'Europe, mais quand et comment nous l'élargirons. Que signifie l'élargissement ?
Cela signifie que, d'ici la fin du siècle, il est possible que nous soyons non plus 12, ni 16, mais 26, 27 ou 28. Eh bien, il faut nous y préparer, car à 28, on ne peut pas faire fonctionner l'Europe comme elle fonctionnait lorsque nous étions 6, 9 ou 12. C'est cela que le Premier ministre a en tête, lorsqu'il parle d'une Europe à plusieurs cercles. Il faut déterminer ce que j'appelle le "plus grand dénominateur commun" de tous les membres de l'Union européenne, ce que tout le monde doit faire pour pouvoir appartenir à l'Union, et je citerai la coopération politique, l'Union douanière, le grand marché. À l'intérieur de ce grand cercle, on peut imaginer des sous-ensembles où tout le monde ne ferait pas exactement la même chose au même moment. Cela existe d'ailleurs déjà dans le traité de Maastricht : l'Europe sociale, on l'a fait à 11 et non pas à 12. L'Union économique et monétaire ne concernera que les pays qui rempliront les critères fixés par le traité le moment venu. En matière de sécurité, l'Eurocorps est aussi un exemple de cette Europe à géométrie variable.
Voilà un peu les idées qui sont en l'air, elles méritent, je le répète d'être approfondies, et c'est le travail que nous avons devant nous dans les deux prochaines années.
Q. : Les Douze se sont également préoccupés de la situation en Algérie ?
R. : Oui, tous nos partenaires sont bien conscients de la gravité des enjeux, du risque de contagion que la déstabilisation de l'Algérie pourrait avoir sur le Maghreb et également sur les pays du nord de la Méditerranée ; des pays comme l'Espagne, l'Italie, évidemment la France sont évidemment concernés particulièrement. Ce qui mérite d'être souligné, c'est que les Douze ont maintenu leur cohésion et leur communauté de vues. Nous avons pris note du dialogue qui a commencé à s'engager entre les autorités algériennes et certains responsables du FIS qui parlent de trêve, nous pensons que cela va dans la bonne direction et nous avons donc confirmé notre détermination à aider l'Algérie dans sa réforme économique et dans la poursuite du dialogue politique. Il y a donc là une prise de position qui conforte, je crois, les analyses et les actes de la diplomatie française.