Éditoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, dans "Lutte ouvrière" les 21 et 28 octobre 1994, sur la corruption et les relations entre le gouvernement et le patronat.

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

L'éditorial d'Arlette Laguiller

Pots-de-vin pour les uns profits pour les autres, austérité pour les travailleurs…

LE PATRONAT ARROSE LES POLITICIENS… PARCE QU'ILS SONT À SON SERVICE

Carignon avait démissionné juste à temps pour ne pas passer directement, de son bureau de ministre à sa cellule de prison. Longuet vient de démissionner à son tour… et l'on n'en finit pas de nous parler de ces "affaires" dans lesquelles le financement des grands parti et l'enrichissement personnel des hommes politiques, à partir de fonds provenant des grandes entreprises, sont inextricablement mêlés.

Il s'agit de "scandales", nous dit-on. Mais force est de constater que des "scandales" aussi fréquents, aussi réguliers, ne constituent pas des accidents dans le fonctionnement du système, mais qu'ils en sont au contraire l'une des caractéristiques.

Et ce n'est pas étonnant. Nous vivons dans une société dont la loi fondamentale n'est pas la recherche du bien public, mais celle du profit individuel. Les entreprises n'y sont pas considérées comme un moyen de produire ce qui est nécessaire à la population ni comme un moyen de permettre aux travailleurs de gagner leur vie. Leur finalité, tous les économistes et les hommes politiques de la bourgeoisie ne cessent de le répéter, c'est de "faire du profit". Et cela se fait au bénéfice exclusif des industriels et des banquiers.

C'est si vrai que face à l'existence de millions de chômeurs, la seule politique de tous les gouvernements qui se sont succédé depuis vingt ans a été de multiplier les cadeaux au patronat, prétendument pour "l'inciter" à créer des emplois. Car les décisions contraignantes sont des moyens que les gouvernants, quels qu'ils soient, n'emploient que contre les travailleurs, pour confirmer des licenciements collectifs, pour les jeter à la rue quand ils n'ont plus de quoi payer leur loyer. Pas contre les patrons afin de les obliger à créer des emplois.

Pour que fonctionne le système, les bourgeois ont besoin des partis politiques qui font profession de le défendre. Ils les financent, comme ils achètent les hommes politiques susceptibles de les faire profiter de tel ou tel marché, contre une bonne commission d'autres avantages.

Cela se passe quelquefois aux marges de la loi, et peut donner lieu à des poursuites quand les règles du jeu n'ont pas été respectées. D'autres fois cela se passe tout à fait légalement. Mais le résultat est le même, et un tripot reste un tripot, quel que soit le nombre de tricheurs qui y sévissent.

Le vrai scandale, ce n'est d'ailleurs pas seulement que des hommes politiques vénaux puissent gagner en quelques instants l'équivalent de plusieurs années de salaire d'un travailleur, en monnayant leurs interventions. Le vrai scandale c'est que les entreprises qui invoquent des difficultés de trésorerie pour licencier, pour refuser toute augmentation de salaire, puissent à pleines mains dans leurs caisses pour financer les partis politiques qui défendent leurs intérêts, et pour acheter députés et ministres.

On nous dit qu'il faut "moraliser" la vie politique, et que ce serait la volonté du gouvernement. Eh bien ce serait très simple, si les gens qui nous disent cela étaient vraiment sincères, s'ils ne participaient pas aussi à ce système. Il n'y aurait qu'à lever le secret sur les comptes des grandes entreprises. Qu'à permettre à tout citoyen de savoir quels marchés ont été conclus, à quel prix, à quelles conditions, quels bénéfices l'entreprise en a retiré, et comment ils ont été employés. Ni les' bourgeois ni leurs hommes politiques ne sont évidemment prêts à rendre tout cela public, parce que leur fameux "secret commercial" consiste d'abord à cacher à la grande masse de la population comment elle est exploitée, volée, au profit d'une petite minorité.

Mais les travailleurs sont partout dans la société, dans les sièges sociaux, les banques et las compagnies d'assurance comme à la production. S'ils le voulaient, ils auraient les moyens d'étaler tout cela en pleine lumière. Et il faudra bien le faire un jour, si nous voulons pour nous, et nos enfants, un autre avenir que celui d'être les spectateurs de plus en plus exsangues du bal des vampires.

 

28 octobre 1994
Lutte Ouvrière

L'éditorial d'Arlette LAGUILLER

Des dessous-de-table du pont de Nantes aux pots-de-vin de la Générale des Eaux

LE VRAI SCANDALE C'EST LE POUVOIR DU CAPITAL !

À chaque jour son nouveau scandale, que ce soit pour la construction d'un pont, de stades et d'écoles, ou la privatisation de la distribution de l'eau dans une ou plusieurs grandes villes. Las juges n'en finissent pas de découvrir pots-de-vin de plusieurs millions, avantages en nature de toute sorte, allant d'appartements de dix pièces aux villas dans le midi offert par des entreprises, des industriels ou des grosses sociétés aux hommes politiques ou à leurs partis. Les entreprises s'achètent les hommes politiques, comme on achète un camembert au supermarché.

La pourriture atteint vraiment les sommets. Et que serait-ce si tous les juges s'y étaient mis !

Oui, il est scandaleux que des hommes politiques privilégient telle ou telle société dans telle ou telle affaire, avec l'argent de la collectivité.

Oui, il est scandaleux que des responsables de grandes villes, de départements, de régions ou des ministres échangent les fonds publics contre des avantages personnels. Comment s'étonner qu'en plus ils défendent les intérêts généraux de l'ensemble de la bourgeoisie et du patronat face aux autres catégories sociales ?

Mais ce n'est pourtant pas là le plus grand scandale.

Le plus grand scandale, c'est que ces grosses sociétés, ces grandes entreprises aient, grâce à leur argent la possibilité d'influencer la vie politique du pays, bien plus que les électeurs ne peuvent le faire.

Le plus grand scandale, c'est qu'elles dirigent l'économie. Que leurs conseils d'administration, sinon vraiment anonymes du moins inconnus du public, puissent décider de ce qu'il adviendra à des milliers, voire des dizaines ou des centaines de milliers de travailleurs du pays.

D'où vient cette crise ? À quoi est-ce due ? Est-ce que la bourgeoisie perd vraiment de l'argent ? Où passent les profits ? Est-il vrai que l'on produise trop, trop de voitures, trop de logements, trop d'écoles ? Qu'est-ce qui fait que le franc baisse ou monte par rapport aux autres monnaies ? Est-ce le dieu des juifs et des chrétiens ? Allah ? Bouddha° ?

Mais non tout cela se décide, tout simplement, dans le secret des conseils d'administration.

Le gouvernement, pour résorber le chômage dit-il, en est réduit à "inciter", par des avantages financiers, les entreprises à embaucher. Mais pourquoi le gouvernement ne les oblige-t-il pas, au lieu de les "inciter" ? Parce que les hommes du gouvernement sont à leur service.

Il faut vraiment un scandale, qu'un homme politique ait trafiqué avec l'argent public et que cela se sache, pour qu'un petit juge, français ou belge, s'en mêle. Mais pas toujours. Et le reste du temps, c'est en toute légalité que les ministres, les gouvernants prennent des mesures en faveur du patronat. En toute légalité parce que les députés font les lois, votent ces mesures et leur donnent force de loi.
Alors, il est bien temps que les travailleurs, les chômeurs et tous ceux qui souffrent de la crise jettent un coup d'œil dans les comptabilités de ces messieurs, officielles et clandestines. Les ouvriers, tous les travailleurs des entreprises, les employés de banque ou des services administratifs, ceux qui font tout, le peuvent. Ils peuvent contrôler les entrées de matières premières, les sorties de produits finis, les comptabilités, les correspondances commerciales les comptes en banque, ceux des grands patrons, ceux de leur famille, ceux de leurs prête-noms.

Oui, il faut rendre publics les comptes bancaires de tous ces gens-là, il faut recenser leurs avoirs, il faut publier la comptabilité des entreprises et savoir ce qu'ils payent et à qui, car il n'y aura jamais assez de juges pour tout vérifier.

Ce seraient des mesures exceptionnelles le chômage n'est-[illisible] social qui mériterait des mesures extrêmes et radicales plutôt que des bonnes paroles ?

Oui, il est temps que les travailleurs se fâchent et mettent le nez dans les comptes du grand patronat et la main sur ses richesses.