Interview de M. Alain Bocquet, président du groupe parlementaire PCF à l'Assemblée nationale, à RTL le 31 août 1998, sur la situation en Russie due à la crise financière et sur les relations entre le gouvernement et le PCF notamment la volonté du PCF de "donner un rythme plus soutenu" aux réformes sociales et fiscales.

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Q - Comment le communiste français analyse les évènements qui se déroulent en Russie ? Est-ce que Boris Eltsine vous apparaît comme le principal responsable de la situation ?

« Boris Eltsine a mis en oeuvre des solutions ultralibérales. Force est de constater que les recettes qui ont été mises en oeuvre sont une faillite, un échec total avec les conséquences dramatiques pour le peuple russe comme la misère, le chômage, les salariés qui ne sont plus payés, et une mafia qui étend son pouvoir tentaculaire. Le désastre quoi. »

Q - Le retour en arrière avec V. Tchernomyrdine, c'est pour vous la solution ?

Il avait déjà fait ses preuves et mis en oeuvre les solutions ultralibérales que j'évoquais précédemment. Je crois que la question qui est posée c'est que, d'une part, on aille vers le dépassement du capitalisme – il avait présenté comme le fin du fin pour la Russie et on en voit aujourd'hui les dégâts et les résultats. Et c'est avant tout une question de l'intervention du peuple russe et que tout cela se fasse démocratiquement. Aujourd'hui, il s'agit d'un ballet de négociations politiciennes au sommet. Il apparaît très fortement que le peuple russe est mis hors jeu. Je crois que ça ne durera pas. »

Q - Quelle conclusion tirez-vous de l'avertissement du général Lebed qui estime que l'armée russe est d'humeur révolutionnaire ?

« Le général Lebed n'est pas connu pour ses idées progressistes et tout est à craindre si la situation se détériore en Russie. Moi je pense qu'il faut un sursaut démocratique. Il faut créer les conditions d'une véritable coopération, non pas avec les conditions du FMI, mais pour reconstruire une vraie économie, une économie réelle dans le domaine industriel, dans le domaine agricole, et mettre un coup d'arrêt à cette folle spéculation qui tue la Russie. Et pas seulement la Russie, on le voit au Japon, aussi avec les risques qui pèsent sur l'Amérique latine. Cette tourmente financière de la spéculation est une tourmente qui peut entraîner le monde on ne sait où. »

Q - Le peuple mis hors jeu, vous ne le souhaitez pas, vous n'attendez pas un nouveau grand soir en Russie ?

« Mais je ne suis pas un adepte du grand soir. Je dis que rien ne peut changer si le peuple ne s'en mêle pas, et qu'il le fasse avec force et avec une volonté démocratique. »

Q - Revenons sur les déclarations de Lionel Jospin hier : poursuite du mouvement de réforme sans pause ni accélération. Les militants communistes acceptent ce discours : pas de précipitation ?

« Je pense qu'il est temps au contraire de donner un nouveau souffle, un nouvel élan à la gauche qui est au pouvoir et qui est majoritaire à l'Assemblée nationale, et qu'il nous faut au contraire donner un rythme plus soutenu parce que certes des réformes ont été faites depuis un an – nous y avons participé, nous y avons contribué -, mais n'oublions jamais que nous sommes dans notre pays avec pas loin de 10 millions de personnes qui vivent ou le chômage ou la précarité, 7 millions qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, et que cela est incontournable. Il y a certes un intérêt pour ce qu'a fait la gauche, mais il y a maintenant des exigences fortes qui s'expriment, et il me semble que la politique mi-chèvre, mi-choux ne correspond pas à l'attente en cette rentrée.

Il me semble qu'il faut prendre des mesures plus concrètes, plus radicales mêmes. Nous avons regretté par exemple que n'ait pas été retenue cette proposition de mon ami Robert Hue d'introduire les biens professionnels dans l'impôt sur les grosses fortunes. Nous continuerons le combat à l'Assemblée nationale. Nous pensons aussi que la relance du pouvoir d'achat, l'augmentation du SMIC très légèrement en juillet est l'occasion de soutenir la relance, en même temps qu'il faut aussi mettre un coup d'arrêt par un moratoire contre les licenciements. Il y a une série de plans de licenciements qui ont été annoncées cet été dans des grandes entreprises. Toutes les bonnes mesures prises type emplois-jeunes d'un côté, risquent d'être versées dans un tonneau des danaïdes de l'emploi, c'est pourquoi nous pensons qu'on ne peut pas jouer l'équilibrisme. Il faut au contraire des mesures plus concrètes, allant plus de l'avant, parce que de l'autre côté, on ne reste pas les deux pieds dans le même sabot. On l'a vu notamment avec le patronat de la métallurgie qui a tordu cette loi des 35 heures pour contourner son objectif qui était de créer des emplois. »

Q - Mais vous faites finalement confiance à Lionel Jospin ?

« Nous sommes dans la majorité, il est le Premier ministre de cette majorité. Bien entendu, il ne met pas en application la politique du PCF. La gauche est plurielle. Nous avons des idées qui ne sont pas à prendre ou à laisser, mais qui ont quand même comme volonté de prendre en compte les urgences sociales dans notre pays. Ce sera le sens de la contribution que nous apporterons, nous les députés communistes, dans le prochain débat budgétaire. »