Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, à Europe 1 le 17 septembre 1998, sur l'éventuelle candidature de son épouse pour les élections européennes de 1999 dans le cas où son inéligibilité serait maintenue dans son procès en appel, sur les sans-papiers et sur les relations entre la droite et le Front national.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.P. Elkabbach :
Comment va Mme Le Pen ?

J. M. Le Pen :
« Elle se porte bien, merci ».

J.P. Elkabbach :
C’est vrai que, donc, Jany va conduire la liste du Front national aux européennes. Vous ne le dites plus, M. Le Pen pour rire.

J. M. Le Pen :
« Non, je ne l’avais jamais dit pour rire ; c’était une hypothèse que j’avais soulevé, au moment où on envisageait – on envisage encore – la condamnation en appel d’un, d’une – comment dirais-je ? – de façon aussi infâme qu’en première instance, ce que je n’arrive pas à imaginer, d’ailleurs, je dois le dire. Et j’ai imaginé une riposte à cela, et j’ai pensé que, à la même manière de B. Mégret, à Vitrolles, et de J.M. Le Chevalier à Toulon, on pouvait faire la même chose, parce que, personne ne peut mieux qu’une épouse, porter le drapeau de l’indignation quand son mari est attaqué injustement ».

J.P. Elkabbach :
Et vous pensez que Jany Le Pen a les qualités et les dimensions pour cela ?

J. M. Le Pen :
« Tout à fait. Elle a… Ce n’est pas une professionnelle de la politique, mais comme elle le dit, eh bien « au Parlement européen, sur les 20 ou 25 députés du Front national, je représenterai les 50 millions de Français qui ne sont pas des professionnels de la politique ».

J.P. Elkabbach :
En tout cas c’est nouveau. Je ne sais pas si c’est drôle, mais ce sera nouveau.

J. M. Le Pen :
« Cela sera nouveau, oui. Et je crois, et j’espère, très efficace. Parce que chez nous, nous avons une culture de couple : quand le mari va à la guerre ou qu’il est malade, c’est la femme qui prend les mancherons de la charrue ».

J.P. Elkabbach :
Sans vouloir comparer, c’est vrai que Caligula avait imposé son cheval comme sénateur…

J. M. Le Pen :
« Oui, c’est vrai. Mais ce n’est pas au Front national que l’on fera cela ».

J.P. Elkabbach :
Le chef du Front national peut-il, aujourd’hui, imposer sa femme sans consulter ?

J. M. Le Pen :
« Bien sûr que si, il consulte. La marche du Front national est basée sur un système qui est, somme toute, le système présidentiel – qui est somme toute l’atmosphère du temps -, et élu à l’unanimité au congrès, en congrès national, le président, évidemment, a une autorité que personne ne discute. Mais il a cette autorité justement parce qu’il prend la précaution, en toutes circonstances, de s’entourer de l’opinion de tous ».

J.P. Elkabbach :
Cela s’appelle du népotisme ou du matriarcat ?

J. M. Le Pen :
« Pas du tout, non, non. Népotisme c’est la désignation de ces enfants ou de ces… comment dirais-je ?... »

J.P. Elkabbach :
De sa femme…

J. M. Le Pen :
« …De ses préférés, dans un poste qu’ils ne méritent pas d’occuper. C’est tout à fait différent ».

J.P. Elkabbach :
Et matriarcat ?

J. M. Le Pen :
« Ce n’est pas le matriarcat, non, non. C’est… Mme Le Pen, Jany Le Pen, est un citoyen comme les autres. C’est une électrice et sa désignation aurait, en plus, des significations importantes, puisqu’elle est d’origine – c’est une Française, née Française -, mais d’origine européenne, à destination des Italiens, des Espagnols, des Portugais, des Polonais, de tous ces Français d’origine européenne, qui, parfois, sont trompés sur l’opinion que le Front national a sur eux ».

J.P. Elkabbach :
Et vous la préparez déjà pour 1999, sans doute ?

J. M. Le Pen :
« Je ne la prépare pas ».

J.P. Elkabbach :
Vous l’entraîner…

J. M. Le Pen :
« Elle est préparée depuis longtemps. C’est une femme intelligente et cultivée. Et elle s’adaptera au combat qu’on lui demandera de mener ».

J.P. Elkabbach :
Et vous ferez combien ensemble, ou elle fera ?

J. M. Le Pen :
« Moi je considère que le Front national peut légitimement espérer au moins 20%. »

J.P. Elkabbach :
Avec elle ?

J. M. Le Pen :
« Et peut-être plus, oui. Et je pense qu’elle serait même à la limite, meilleure candidate que moi-même. Surtout, surtout, si je suis condamné bien sûr ».

J.P. Elkabbach :
C’est-à-dire qu’aux présidentielles on peut même imaginer Mme Le Pen ?

J. M. Le Pen :
« Non, c’est un peu différent ».

J.P. Elkabbach :
Si elle fait un meilleur score que vous ?

J. M. Le Pen :
« C’est un peu différent, parce que Mme Le Pen ne serait que l’un des députés, l’un des 20 ou 25 députés du Front national au Parlement européen. Tandis que le président a d’autres fonction, d’autres responsabilités ».

J.P. Elkabbach :
Dans ce cas, M. Le Pen, est-ce que vous donnerez le numéro 2 ou le numéro 3 de la liste à B. Mégret ?

J. M. Le Pen :
« Mais bien sûr ! Pourquoi pas ? C’est un … B. Mégret… ».

J.P. Elkabbach :
Pourquoi pas ? Je ne sais pas…

J. M. Le Pen :
« B. Mégret est un cadre de très grande valeur, un des tout premier du Front national. Et évidemment, qu’il aura une place tout à fait d’honneur ».

J.P. Elkabbach :
Numéro 2 peut-être ?

J. M. Le Pen :
« Peut-être, pourquoi pas ?

J.P. Elkabbach :
Le week-end dernier, il paraît que les Le Pen ont invité, chez eux, tous les Mégret ?

J. M. Le Pen :
« Oui, c’est habituel, ce n’est pas banal puisque je suis le… C’est banal plutôt. Je suis le parrain de Audoin Mégret, du petit garçon. Nous avons des relations d’amitié ».

J.P. Elkabbach :
Cela ne vous choque pas de recevoir celui qui veut la peau du chef ?

J. M. Le Pen :
« Pas du tout ! D’abord je suis convaincu que B. Mégret ne veut pas la peau du chef ; B. Mégret défend sa conception de sa carrière personnelle. Il espère qu’on voit reconnus ses mérites ; mais il ne les a jamais imposés face au président ».

J.P. Elkabbach :
Et s’il y a une escalade de B. Mégret, s’il continue, par à-coups, est-ce que vous le garderez au Front national ou vous l’encouragerez à aller ailleurs et dehors ?

J. M. Le Pen :
« Je sais que c’est une hypothèse que caressent nos adversaires ; mais je suis au regret de leur dire qu’ils vont être déçus, une fois de plus. Et bien sûr, B. Mégret restera au Front national, et restera dans le poste de hautes responsabilités qui est le sien ».

J.P. Elkabbach :
Avec une autre stratégie que Le Pen ?

J. M. Le Pen :
« Je ne crois pas. Je crois qu’il a exactement la même stratégie. Mais parfois on l’exprime de façon différente. Et puis il faut bien un petit peu occuper les médias. Ils ne parlent jamais de nous. Je crois qu’on a eu, en un an, je crois 0,2% des émissions politiques. Par conséquent, eh bien là, voyez, grâce à cela, on va passer à 0,3 ».

J.P. Elkabbach :
Un vote-procès a lieu les 28 et 29 septembre. Est-ce que vous présenterez des excuses ou vos regrets à la candidate socialiste qui a été agressée et blessée ?

J. M. Le Pen :
« Bien sûr que non ! D’abord, parce qu’elle n’a pas été agressée et qu’elle n’a pas été blessée. Et que je… On le démontrera. Je pense qu’il va y avoir quelques rebondissements dans ce procès en appel, qui vont, je crois, intéresser l’opinion et peut-être même, après tout, les médias, qui avaient pris fait et cause pour la thèse de Mme Peulvast ».

J.P. Elkabbach :
Vous contestez les faits ?

J. M. Le Pen :
« Je conteste tout à fait les faits. Il n’y a pas un seul témoin de ces faits, même pas Mme Peulvast elle-même qui, dans sa première déclaration, avait dit : » Je ne dis pas que c’est M ; Le Pen qui m’a frappée ». Or comme il n’y avait que moi et deux policiers, si ce n’est pas moi, c’est que ce sont les policiers ».

J.P. Elkabbach :
Mais il y avait des images très nettes : elle, dans un recoin, et puis vous, avez un air menaçant sur elle…

J. M. Le Pen :
« Voilà, voilà, c’est ça ! Mais l’air menaçant ce n’est pas les coups. Ce n’est pas un air menaçant, c’est un air indigné ».

J.P. Elkabbach :
Mais qui les a donnés les coups ?

J. M. Le Pen :
« Je proteste en disant : « On en a marre d’être agressé par vos contre-manifestation ». »

J.P. Elkabbach :
C’est elle qui vous agressait. Mais alors qui les a donnés, les coups ?

J. M. Le Pen :
« Elles et les 150 personnes qui étaient là. Écoutez, justement, là, nous avons déposé une plainte pour faux témoignage et escroquerie au jugement. Parce qu’il va falloir que Mme Peulvast démontre, en effet, que les blessures dont elle parle, ont bien été causées ce jour-là ».

J.P. Elkabbach :
Ce n’est pas un procès politique, puisque la justice est indépendante ?

J. M. Le Pen :
« Bien sûr que non ! Elle ne l’est pas ! Tout à fait, évidemment pas ! »

J.P. Elkabbach :
Elle est indépendante.

J. M. Le Pen :
« Puisque Mme Martre a été candidate quelques semaines ou quelques mois plus tard, comme candidate du Syndicat de la magistrature – une organisation qui n’a pas caché qu’elle combattait le Front national. C’est d’ailleurs un vrai problème de la justice. Et au lieu de modifier les règles de – comment dirais-je ? – du juge d’instruction, Mme Guigou ferait mieux de supprimer la politisation de la justice et de soumettre des propositions pour que les conflits de personnels, soient soumis à des organisations, à des organismes d’arbitrages, plutôt qu’à des syndicats ».

J.P. Elkabbach :
Le Gouvernement ne va pas régulariser toutes les demandes des sans-papiers. Certains immigrés vont être en situation illégale. Cet été, un des vôtres, a proposé des rafles et des camps de concentration. Pourquoi vous ne l’avez ni condamné, ni désavoué ?

J. M. Le Pen :
« M. Pelletier est un journaliste comme vous ».

J.P. Elkabbach :
Oui, oui, National Hebdo, pas comme moi, non, non, pas comme moi.

J. M. Le Pen :
« Pour moi, c’est un rédacteur en chef, et… »

J.P. Elkabbach :
Non, mais d’accord. Mais vous ne l’avez ni désavoué, ni condamné !

J. M. Le Pen :
« Vous devez lui demander. Parce que ce sont des mots ».

J.P. Elkabbach :
Et tous les mots peuvent être dits ?

J. M. Le Pen :
« Non, bien sûr que… Les camps de concentration sont une technique de – comment dirais-je ? – de rétention, qi a malheureusement connu, malheureusement été illustrée de façon criminelle ; mais vous savez que ses inventeurs ont été les Anglais en Afrique du Sud, il y a déjà plus d’un siècle ».

J.P. Elkabbach :
Donc elle serait acceptable sur les immigrés en situation illégale pour M. Le Pen ?

J. M. Le Pen :
« Il s’agit d’expulser des gens pendant qu’ils sont…On doit les réunir pour les envoyer chez eux. Bon, à ce moment-là, comment fait-on cela ? On ne fait pas cela dans une boîte de nuit ; on ne fait pas cela sur un terrain de tennis ».

J.P. Elkabbach :
Donc, cela ne vous choque pas ?

J. M. Le Pen :
« Mais cela ne me choque pas… demandez-en compte à la personne qui a parlé de cela. Ce n’est pas moi qui ai parlé de cela ».

J.P. Elkabbach :
Mais vous êtes le chef de la tendance et de l’idéologie que représente M. pelletier.

J. M. Le Pen :
« Je sais que j’ai les épaules larges, mais on me fait souvent porter des chapeaux qui ne sont pas les miens »

J.P. Elkabbach :
F. Bayrou a été élu hier à la tête de l’UDF ; l’Alliance se prononce contre toute compromission de proximité avec le Front national et avec vous ; est-ce que la droite républicaine aujourd’hui vous semble claire et nette à votre égard ?

J. M. Le Pen :
« Ses chefs, en tout cas. Je crois que M. Seguin qui vient de réaffirmer cela ce matin va pouvoir rejoindre M. Léotard dans l’asile de vieillards de la politique française. Il n’y a pas beaucoup de chances que sans les voix du Front national on ne puisse jamais chasser les socialo-communistes du pouvoir. D’ailleurs, dans un article – M. Seguin a une page du Figaro tous les trois jours – il y a trois jours, il expliquait qu’il y avait un terrorisme ambiant et que c’était ce terrorisme ambiant médiatique qu’empêchait que l’on puisse considérer avec un certain calme les problèmes des relations entre le Front national et – je ne sais comme l’appeler ou comment s’appellera demain – le magma appelé aujourd’hui la droite ».

J.P. Elkabbach :
Mais pas pour annoncer qu’il avait la tentation de s’accorder avec le Front national, ni même de parler ! Or vous proposiez sur LCI il y a deux jours des accords électoraux. Qu’est-ce que vous voulez dire ?

J. M. Le Pen :
« Non, pas accords électoraux, mais l’application d’une règle qui est fondamentale quand on est en face d’un mode de scrutin majoritaire, à savoir la discipline républicaine, comme on disait à gauche, et discipline nationale à droite : que dans le désir d’avoir des élus – et le Front national a le désir légitime d’avoir des élus et des représentants de ses électeurs dans les assemblées – la droite puisse contre la gauche socialo-communiste faire soit des retraits, soit des désistements réciproques ».

J.P. Elkabbach :
Et pourtant, pas un chef de l’opposition, ni Bayrou, ni Juppé, ni Seguin, peut-être ni Madelin ne veulent de vous !

J. M. Le Pen :
« C’est pour cela que la droite est dans une situation pitoyable dans laquelle elle se trouve aujourd’hui. C’est de la faute de ses chefs. Quand la base s’en apercevra, ou bien elle chassera les chefs, ou bien elle viendra au Front national ».

J.P. Elkabbach :
N’avez-vous pas peur qu’un jour on dise que l’unique rôle de J. M. Le Pen et de son parti, ça a été de détruire, détruire, détruire ?

J. M. Le Pen :
« J’expliquerai tout ça dimanche prochain dans mon discours au BBR. Je ferai un grand discours. Vous verrez que je mettrai toutes ces choses-là au clair et je définirai qu’elle est l’attitude du Front national à l’égard des forces politiques françaises ».