Interviews de M. François Périgot, président du CNPF, à France 3 et RTL les 13 et 29 avril 1994, sur la loi quinquennale sur l'emploi, l'aménagement du temps de travail, l'emploi des jeunes et la formation professionnelle.

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Média : France 3 - RTL

Texte intégral

France 3  : Mercredi 13 avril 1994

M. Autheman : Vous avez demandé une nouvelle concertation sur la loi quinquennale. On a l'impression que son impact est assez faible. Alors ne faudrait-il pas tout simplement la retirer et proposer un nouveau texte ?

F. Perigot : Non, je pense que notamment par rapport à l'aménagement du temps de travail qui est une possibilité d'être compétitif et d'éviter des licenciements voire d'embaucher, il y a dans la loi quinquennale et dans l'annualisation du temps de travail, des possibilités d'aller plus loin que ce qu'on fait aujourd'hui. Le but de notre réunion aujourd'hui était de voir ce qui est fait. Nous avons recensé de très nombreuses initiatives prises par les entreprises.

M. Autheman : Peut-on donner un exemple ?

F. Perigot : Annualiser le temps de travail, moduler les horaires de travail, faire des pré-retraites graduelles en utilisant les préretraités comme tuteur de jeunes. Il y a mille possibilités de moduler le travail. L'essentiel est que ça se fasse avec l'accord du personnel et de ses représentants. Et la possibilité que va donner la loi quinquennale, c'est que, justement, dans le cadre d'une annualisation du temps de travail, on pourra décider de la meilleure façon de répartir les heures de travail par rapport aux nécessités de la production. Un peu à la carte et en fonction des coups de feu. Il y a des moments où il faut que tout le monde soit là, d'autres où ce n'est pas nécessaire. L'expérience prouve que ça marche bien, que ça permet d'économiser, d'abord d'être plus compétitif, et deuxièmement de conserver l'emploi.

M. Autheman : E. Balladur affirme qu'il y aura d'autres réformes. N'avez-vous pas le sentiment que sa marge de manœuvre est tout de même assez étroite ?

F. Perigot : Pour l'instant, faisons avec ce que nous avons. La rencontre que nous avions aujourd'hui était vraiment destinée à voir que si l'on est déterminé à le faire. Entre partenaires sociaux, nous pouvons véritablement faire avancer l'aménagement du temps de travail et par conséquent donner de l'espoir vis-à-vis du chômage. Parce qu'aujourd'hui, ce que l'on constate en France c'est que, très légitimement, le chômage devient la hantise de tous. Nous avons atteint des niveaux insupportables. Il faut que nous soyons capables de donner des réponses positives aujourd'hui. C'est-à-dire, ce que nous avons fait aujourd'hui, ce que nous avons fait il y a quelques temps pour l'apprentissage qui est la meilleure forme d'insertion professionnelle des jeunes. Grâce aux efforts que nous avons fait l'apprentissage est passé, en un an, à 70 % de plus que l'an dernier. Avant de voir les grandes réformes, faisons avec ce que nous avons, mais faisons-le avec beaucoup d'énergie !

M. Autheman : La semaine dernière, le Premier ministre avait annoncé la fin de la crise. Les statistiques confirment cette tendance. Avez-vous le sentiment que l'économie française est en position pour accompagner cette reprise ?

F. Perigot : Je pense que l'économie française est sur la voie de la reprise. Depuis le mois de septembre, la récession s'est stabilisée. Donc l'assiette est bonne, et depuis, petit à petit, nous reprenons tous les indicateurs d'embauche, de reprise d'emploi, de compétitivité, de réinvestissement…

M. Autheman : Vous êtes optimiste ?

F. Perigot : Je suis raisonnablement optimiste parce que c'est le début d'un processus. Or, une reprise économique, ça suppose de la confiance. Et pourquoi est-ce que je me bats tellement ? Pour que les entreprises donnent des signes positifs vis-à-vis du chômage. Si on laisse les Français se désespérer, la confiance ne reviendra pas, et donc également la reprise économique. La reprise économique c'est quoi ? C'est des consommateurs qui consomment et des entreprises qui investissent. Donc, il faut que la confiance revienne pour que se confirme et se conforte la reprise économique qui se dessine aujourd'hui très nettement en Occident et en France.


RTL  : Mercredi 13 avril 1994

J.-M. Lefebvre : Vous voulez relancer la politique contractuelle, le CNPF sort de sa torpeur ?

F. Perigot : Le CNPF n'a jamais cessé la politique contractuelle, notamment dans la formation professionnelle, notamment l'effort sur l'apprentissage. On n'est pas étranger au fait que le nombre d'apprentis a augmenté de 70 % d'une année sur l'autre. Le but de l'opération d'aujourd'hui était de généraliser toutes les expériences d'aménagement du temps de travail faites par les entreprises. Et cela pour résister à la crise, et éviter de licencier le personnel. La journée d'aujourd'hui était consacrée à l'examen de ces différentes solutions, et de voir comment on pouvait les généraliser. Il faut tenter de généraliser un moyen qui marche pour essayer de diminuer le chômage.

J.-M. Lefebvre : Vous avez affirmé qu'il ne fallait pas se laisser envahir par la désespérance sur la fatalité du chômage.

F. Perigot : C'est une note positive que j'ai voulu apporter. Il y a un traumatisme du chômage en France. Mais l'ensemble des pays européens sont logés à la même enseigne. Ce qui cause le chômage c'est une inadaptation à la concurrence internationale. La crise passera, il faut s'adapter. Des remèdes existent dès aujourd'hui. La formation professionnelle a été bien mise en route en direction de l'insertion des jeunes. Maintenant, il faut généraliser des expériences du type aménagement du temps de travail, annualisation, temps partiel, pré-retraite progressive. Il y a un tas de dispositifs que la loi quinquennale va permettre de « booster ». Le moment est venu de dire qu'il y a des solutions. Utilisons-les ! et que les entreprises fassent preuve de volontarisme, de dynamisme avec les partenaires sociaux.


RTL  : Vendredi 29 avril 1994

R. Artz : Que vous inspire comme réflexion le fait que ce soit un patron qui vient de prendre les commandes du gouvernement en Italie ?

F. Perigot : Que ce soit un patron, c'est une nouvelle intéressante et importante. Mais ce n'est pas la nouvelle la plus importante de cette affaire. Certes, il est bon que les patrons s'intéressent davantage à la vie politique et soient davantage élus. Cela serait bon qu'il y ait plus de patrons au Parlement, de façon à ce que la réalité vécue par les chefs d'entreprise soit mieux comprise et mieux répandue. Ce qui est intéressant, dans l'affaire de S. Berlusconi, c'est que c'est vraiment le résultat d'une prise de conscience extrêmement forte de la part des Italiens, qu'il faut changer quelque chose pour être dans le coup, pour se débarrasser de leurs rigidités structurelles et culturelles et pour devenir un pays en ordre, compétitif et moderne. Là, cela doit nous faire réfléchir.

R. Artz : Cela, c'est un patron qui peut l'incarner mieux qu'un politique ?

F. Perigot : Je ne le crois pas, je ne dis pas qu'un patron est un meilleur homme politique qu'un homme politique. Je crois que c'est une question d'homme, de volonté, de notoriété. Il faut faire bon usage de sa notoriété, mais ce qui est très important, c'est cette prise de conscience. S. Berlusconi ne serait pas arrivé là où il est si les Italiens ne se posaient pas des questions fondamentales sur la façon dont ils vivent, leurs structures et leur existence.

R. Artz : Que pensez-vous de l'arrivée de néofascistes au gouvernement ?

F. Perigot : Ce sont des problèmes qui ne sont pas de ma compétence, mais ce qui est important, c'est de savoir ce que S. Berlusconi va faire de ce gouvernement pour faire de l'Italie un pays démocratique, moderne et compétitif.

R. Artz : Quels résultats attendez-vous de votre nouvelle campagne pour faciliter l'embauche des jeunes ?

F. Perigot : Ce n'est pas tout à fait une nouvelle campagne, c'est une nouvelle étape dans une campagne qui a commencé au mois de juin de l'année dernière. L'objectif est d'arriver à avoir 200 000 jeunes en apprentissage et en formation en alternance. Nous avons déjà des résultats extrêmement satisfaisants. Cette campagne n'est pas du tout étrangère au fait que les chiffres de l'apprentissage ont extrêmement augmenté d'une année sur l'autre. C'est une opération qui vise à insérer dans la vie professionnelle par l'apprentissage et la formation en alternance 200 000 jeunes.

R. Artz : Est-ce la même problématique que le CIP ?

F. Perigot : C'est très différent que le CIP, et grâce au ciel le fait que les jeunes acceptent d'entrer dans la vie active pour être formés à des niveaux de rémunération qui correspondent à leur compétence n'est pas mis en cause dans la formation professionnelle. C'est très important parce que premièrement, cela prouve que les jeunes peuvent s'insérer dans la vie active. Deuxièmement, un garçon ou une fille qui a fait deux ans d'apprentissage dans une entreprise à un moment où la croissance reprend à énormément de chances d'y rester. Troisièmement, il aura une qualification. Quatrièmement, c'est un message d'espoir extrêmement fort vis-à-vis des jeunes. De plus, c'est une réhabilitation de l'enseignement professionnel qui a été trop méprisé en France ces dernières années.

R. Artz : Voyez-vous venir une croissance économique qui s'accompagnera de création d'emplois ?

F. Perigot : Elle ne s'accompagnera pas d'une façon spectaculaire de création d'emplois, mais je crois qu'il ne faut pas s'obnubiler. Elle s'accompagnera de création d'emplois. C'est vrai que nous avons des rigidités qui font qu'il nous faut énormément de croissance pour créer beaucoup d'emplois, mais il n'y a aucune espèce de raison que la France, dont l'économie s'est vraiment stabilisée, ne trouve pas cette croissance, comme la retrouvent les autres pays. On s'aperçoit que la récession a été beaucoup plus sévère qu'on le croyait. La consommation s'est pratiquement arrêtée l'an dernier. Un pays dont la consommation s'arrête a du mal à redémarrer.

R. Artz : Pensez-vous qu'avec cette reprise, le projet de monnaie unique européenne pourra se réaliser en temps voulu ?

F. Perigot : Je pense effectivement que la récession des pays européens n'a pas été un élément favorable pour un grand élan de confiance vis-à-vis de l'Europe. Ce que nous avons vu l'été dernier au niveau monétaire a été le symbole d'un chacun pour soi qui n'est pas très propice à la construction européenne. Avec la reprise de la croissance, l'Europe peut se retrouver. Si l'Europe se donne comme elle fait, dans le Livre blanc, un objectif de rendre les économies européennes compétitives, car elles ne le sont plus dans le monde autant qu'elles l'étaient, cela reconstituera l'économie européenne. À travers cette reconstitution d'une convergence économique, l'Union monétaire retrouvera des chances qu'elle a un peu perdues aujourd'hui.

R. Artz : Êtes-vous tenté, en tant que CNPF, de donner votre point de vue dans le débat ?

F. Perigot : Sûrement, comme je l'ai fait la dernière fois. Un, il faut que la France fasse entendre sa voix dans la communauté et deux, il faut que les candidats arrivent avec des programmes économiques clairs et qu'ils nous disent ce qu'ils ont l'intention de faire.

R. Artz : Lequel est le programme le plus clair à vos yeux ?

F. Perigot : Pour l'instant ils sont en train de s'ébaucher, mais moi je ferai connaître le mien.

R. Artz : Êtes-vous candidat à l'organisation patronale européenne, l'UNIC ?

F. Perigot : Oui, je suis effectivement candidat à la présidence de l'UNIC. Cela se passera à Athènes dans 15 jours. Si mes collègues me portent à la présidence de cette institution, je pourrais être plus présent sur l'Europe directement.

R. Artz : Combien y aura-t-il de candidat pour vous succéder au CNPF en décembre ?

F. Perigot : Pour l'instant, il n'y en a que deux qui se sont déclarés. Un totalement, un partiellement. Il n'est pas impossible qu'il y ait d'autres. De toute façon, c'est en octobre que l'on devra choisir entre les différents candidats pour les désigner au suffrage de l'assemblée générale.