Interviews de M. François Léotard, ministre de la défense, à France-inter, RMC, France 2 et TF1 le 12 octobre 1994, dans "Armées d'Aujourd'hui" de novembre, sur sa proposition d'une revalorisation du service national, le refus d'une réduction de sa durée de six mois et l'accès des appelés à la formation professionnelle, en liaison avec AFPA et l'ANPE.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Communication de M. François Léotard en Conseil des ministres le 12 octobre 1994 sur la formation des jeunes au cours du service national

Média : Emission Forum RMC FR3 - France 2 - France Inter - RMC - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Date : 12 octobre 1994
Source :  France Inter

Service national (revalorisation)

La réforme présentée au conseil des ministres, c’est la possibilité, sous forme d’un volontariat, pour un jeune qui, au bout de dix mois a fini son temps de service, de prolonger pendant quatre mois ensuite pour bénéficier d’une formation professionnelle à notre charge. C’est un élément important. Sous un statut militaire, il sera nourri, logé et il aura la possibilité d’avoir une formation professionnelle pendant quatre mois, ce qui est considérable. C’est une des mesures.

Service national (formes civiles)

Par contre ce que vous évoquez, le service national en entreprise prévoit déjà un allongement de la durée, seize mois et ces jeunes-là, qui n’effectuent pas leur service militaire mais qui font un service civil, ont déjà, en quelque sorte, une forte « pénalisation », puisque le service dure plus longtemps. Les formes civiles, environnement, solidarité sociale, aide aux jeunes vont être augmentées dans les armées, – de l’ordre de 16 000 personnes – ce qui permettra de fournir des personnes, par exemple, au ministre de la ville. Au mois de décembre, je fournirai un peu plus de 1 000 appelés supplémentaires au ministère de la ville.

Service national (réduction de la durée)

La réduction du service à six mois n’est pas une mesure qui peut être prise. Il faut que ce soit clair, car en dessous de 10 mois on arrive plus à former ce dont les armées ont besoin. Donc là, il y a un élément de solidarité vis-à-vis du pays, un jeune doit aussi consacrer une partie de son temps à la défense des valeurs de son pays. Les jeunes n’ont pas que des droits, ils ont aussi des devoirs…


RMC - 12 octobre 1994

Service national

R. : Le gouvernement a voulu donner un contenu de formation professionnelle au service national en réaffirmant le principe du primat du service militaire à l’intérieur du service national. La fonction première du service national est la formation militaire, mais en faisant en sorte que les armées ne se mettent pas en dehors du grand combat national pour la formation professionnelle.

J’ai proposé ce matin au conseil des ministres toute une série de mesures permettant de mieux prendre en compte les besoins d’un jeune dans sa demande de formation professionnelle, d’augmenter pour ceux qui le désirent, sous forme de volontariat-service long, la durée du service national pour avoir une formation dans un cadre militaire en liaison avec l’ANPE et l’AFPA, pour faire en sorte que nous puissions mieux suivre son insertion professionnelle. J’ai préféré faire en sorte que nous puissions affecter davantage à des formes civiles les jeunes qui le désirent. Nous pourrons augmenter progressivement dans les formes civiles le volume des jeunes appelés, pour faire en sorte qu’à travers les officiers qui conseillent aujourd’hui les jeunes dans les unités, nous puissions mieux assurer leur orientation professionnelle. Ceci existe déjà actuellement, on appelle cela un volontariat service long. À la fin des deux mois, un jeune peut choisir aujourd’hui de rester un peu plus dans une formation militaire. Là, nous allons lui proposer la même chose mais dans une fonction de formation professionnelle. À la fin des dix mois, il lui sera proposé, s’il le désire, un cadre de trois, quatre ou cinq mois – qui lui permettra de suivre une formation professionnelle faite en liaison avec les outils de la formation professionnelle pour adultes.

Q. : Par qui sera faite cette formation ?

R. : Généralement des formateurs professionnels de l’AFPA. Nous avons commencé une opération expérimentale depuis le 1er octobre 1994.

Volontariat (service national)

Q. : Tout le monde n’y aura pas droit, est-ce que ce n’est pas une inégalité de plus ?

R. : Il faudra d’abord que les jeunes soient volontaires. La durée du service national n’a pas changé, elle était de dix mois, elle reste de dix mois et je peux vous dire que je n’ai pas l’intention de la faire diminuer, ni de l’augmenter. Et donc, il faut que le jeune puisse, s’il le désire et en fonction des contacts qu’il aura avec l’officier conseil dans son unité, suivre une formation professionnelle qui correspondra à ses besoins à lui.

Service national (durée)

Q. : Donc, dix mois, éventuellement quatorze, mais en aucun cas six mois ?

R. : Pourquoi suis-je hostile à cette réforme proposant l’évolution vers six mois de service ? C’est que je crois qu’on n’arrive plus avec six mois à fabriquer les gens dont nous avons besoin dans les armées, c’est-à-dire des citoyens aptes à défendre leur pays. Deuxième réflexion : cela suppose qu’on double actuellement la ressource, c’est-à-dire qu’on utilise la totalité de la ressource démographique, cela veut dire qu’on ne peut plus faire de forme civile. C’est un peu un contresens, car nous voulons développer modérément les formes civiles du service national. Nous allons, dans les cinq ans qui viennent – probablement autour de 16 000 personnes – augmenter la forme civile du service national : service ville, service pour la formation, par exemple des jeunes fils de harkis, service environnement, tous les protocoles qui ont permis à la défense de fournir un certain nombre de jeunes appelés à des fonctions sociales ou à des fonctions d’environnement.


 France 2 - 12 octobre 1994

Service national (revalorisation)

Q. : Avec votre casquette de ministre de la défense cette fois, vous avez présenté ce matin en conseil des ministres, une mise à jour du service militaire qui accroît la formation professionnelle des jeunes appelés mais sans toucher au sacro-saint principe de la conscription, ni à la durée du service, actuellement de 10 mois…

Si l’on croit la commission chargée de dépouiller les « questionnaires Balladur », les jeunes souhaitaient, apparemment, un service plutôt raccourci et surtout ce qu’on appelle un service optionnel, c’est-à-dire soit purement militaire, soit civil, manifestement, le gouvernement ne les a pas entendus.

Armée mixte

R. : Non, il faut bien que quelqu’un parle des devoirs dans cette société. Le service national, le service militaire, c’est un devoir, c’est un impôt du temps qu’un jeune doit fournir à son pays, que tout citoyen doit fournir à son pays. Que cela soit plus ou moins agréable, nous avons tous notre jugement là-dessus, en général, d’ailleurs, on trouve que cela a été bien après l’avoir fait, alors qu’avant on est un petit peu réticent. Ce qu’il est je crois important de souligner, c’est que les forces armées ont besoin des jeunes appelés aujourd’hui, que si nous n’avions pas cette ressource humaine, nous ne pourrions pas assumer nos missions, que ce soit en Yougoslavie actuellement où nous avons 40 % de jeunes appelés sur l’effectif total, que ce soit en Afrique, que ce soit dans les départements ou territoires d’outre-mer. En d’autres termes, nous sommes le seul pays européen à avoir des responsabilités mondiales, et pour cela, il faut que les jeunes Français y participent. Si on basculait vers l’armée de métier, ce que certains proposent, je peux vous dire qu’elle ne serait pas en mesure aujourd’hui d’assumer les responsabilités qui sont celles des armées françaises. Alors, ce que j’ai voulu, à la demande du Premier ministre, c’est mettre de la formation professionnelle et de la préparation au travail à l’intérieur du service national, donc aider les jeunes…

Capacité professionnelle (renforcement)

Q. : Pour éviter qu’ils aient le sentiment de perdre complètement leur temps ?

R. : Disons que certains ont ce sentiment. C’est injuste quelquefois. Quelquefois, c’est fondé, il faut regarder. Mais ce que je voudrais, c’est que les armées puissent contribuer à la lutte contre le chômage et à la lutte pour l’emploi des jeunes, et donc pendant ces dix mois – ce que nous faisons déjà contre l’illettrisme, par exemple – nous allons renforcer les capacités de formation professionnelle des armées. Ce n’est pas facile car la fonction première est la fonction militaire, former des combattants. Mais nous pouvons, je crois, arriver à donner, par toute une série de moyens que j’ai exposé ce matin au conseil des ministres, des outils de formation plus importants aux jeunes Français. Et je pense qu’ainsi, nous pourrons contribuer à cette lutte contre le chômage, et pour la formation professionnelle. Il reste bien évident, et je le redis devant les Français, que nous avons besoin des jeunes français pour protéger non seulement le territoire, qui n’est pas menacé aujourd’hui, mais les valeurs de la République. C’est une tradition qui a maintenant deux siècles, et je crois qu’il serait dommage de dire aux jeunes : « Vous avez des droits, vous n’avez que des droits, et vous n’avez aucun devoir ». Cela, ce n’est pas responsable, ils ont aussi des devoirs.

Irak

Q. : Pendant que Washington poursuit le déploiement militaire dans le Golfe, Paris semble quelque peu prendre ses distances. Alain Juppé a indiqué que la France n’est pas favorable à l’élargissement des zones d’exclusion imposées aux Irakiens à la frontière koweïtienne. François Léotard, est-ce que le gouvernement français est inquiet, est-ce que vous craignez un dérapage militaire éventuel sur le terrain ?

R. : Nous ne sommes pas dans une situation d’inquiétude à proprement parler, mais nous sommes très attentifs, nous avons eu, ce matin, une réunion avec le président de la République, le Premier ministre, le ministre des affaires étrangères, pour examiner cette situation. Ce mouvement militaire a eu lieu et il n’est pas en soi illégal par rapport aux résolutions de l’ONU, mais il a eu lieu ; il est en train de reculer maintenant, et c’est un fait positif. Nous regardons les choses, nous sommes en contact permanent avec nos alliés américains et britanniques et, bien sûr, avec les pays concernés, l’Arabie Saoudite notamment et le Koweït. Je voudrais simplement dire à nos amis américains que nous sommes avec eux dans beaucoup de domaines, nous l’avons été en 90-91, et si cela se reproduisait, nous serions à leurs côtés, mais il faut bien qu’ils comprennent qu’on ne s’appuie que sur ce qui résiste, et quelquefois, nous n’avons pas exactement la même analyse. Or, là, nous pensons que sur ce sujet-là, il y a, à l’heure qu’il est, beaucoup de raisons d’être attentif, mais aucune raison, de façon préventive, d’empêcher ces mouvements qui pour l’instant ne portent atteinte à aucune intégrité territoriale dans la région, à condition que l’Irak respecte un certain nombre des résolutions de l’ONU.

Q. : Il y a des élections très bientôt, le mois prochain, aux États-Unis. Est-ce que, selon vous, les Américains jouent un peu avec le feu pour de simples raisons électorales ?

R. : Cela n’est jamais exclu, dans une grande démocratie comme la démocratie américaine, où les mouvements intérieurs jouent un rôle considérable sur la politique étrangère. Il n’est pas exclu, bien entendu, qu’il y ait cette échéance qui domine le débat. Nous ne sommes pas dans cette échéance, nous ne votons pas pour les élections américaines, nous pensons néanmoins qu’il faut regarder les choses avec beaucoup de lucidité, nous avons exprimé quelques réserves sur cette idée de la zone d’exclusion qui serait étendue aux matériels terrestres, tout simplement parce qu’il faut que cela passe par l’ONU, et cela ne peut pas être une décision américaine. Si cela passe par l’ONU, nous sommes membre permanent du conseil de sécurité, nous en discuterons, mais nous ne voulons pas qu’il y ait ainsi une décision arbitraire qui soit imposée de cette manière à un État, d’autant plus que nous avions quelques informations – et c’est ce qui rend l’attitude de Saddam Hussein incompréhensible – sur des assouplissements de l’attitude irakienne, notamment dans le domaine des armements, et on voyait bien qu’ils étaient engagés dans un processus plutôt positif. Alors, nous sommes étonnés de cette attitude irakienne, mais nous sommes très attentifs, et nos amis saoudiens, koweïtis, les amis que nous avons dans le Golfe peuvent compter sur la loyauté française si jamais les événements de 1991 se reproduisaient.


 TF1 -  12 octobre 1994

« Questionnaire jeunesse » (Service national à six mois)

Q. : En conseil des ministres ce matin, François Léotard a présenté une réforme centrée sur l’insertion professionnelle des jeunes appelés, car apparemment, il n’est pas du tout question d’une réduction du service à 6 mois contrairement à ce que souhaitaient ceux qui dépouillèrent le questionnaire sur la jeunesse.

En présentant la mise à jour du service national, le ministre de la défense a d’abord fait un sort à la proposition de réduire ce service à 6 mois : c’est « non », d’autant que cette proposition ne vient pas d’une demande exprimée lors de la consultation de la jeunesse, comme on l’avait prétendu. François Léotard a reçu hier les adultes membres de la commission d’analyse des résultats, il leur a bien fait remarquer que seulement 0,37 % des jeunes avaient émis cette idée. Mais le propos ce matin était la rénovation du service national, avec une ambition : participer à l’insertion des jeunes dans la société et à leur formation professionnelle. Beaucoup de mesures présentées, très concrètes, deux exemples : les jeunes gens engagés dans un contrat d’apprentissage ou un contrat de qualification pourront bénéficier d’un report d’incorporation comme leurs camarades des universités jusqu’à 24 ans. Autre exemple, la création des volontariats service long de formation ; en clair, un jeune garçon qui arrive au régiment sans qualification et qui sert, supposons à la cantine comme cuisinier, pourra poursuivre cette spécialité jusqu’à l’obtention de son brevet professionnel.

Service national (revalorisation)

R. : C’est cela l’objectif, et cela veut dire que le jeune, après ses dix mois, pourra choisir – c’est un volontariat – il pourra choisir d’augmenter, de rester à un statut militaire, pendant quatre mois, par exemple pour acquérir une nouvelle formation professionnelle ; ceux qui l’ont déjà pourront alors la valoriser et obtenir le certificat d’aptitude professionnelle dont ils ont besoin ; ceux qui ne l’ont pas, les jeunes peu qualifiés, pourront, s’ils le désirent, rester encore pendant quelques mois pour acquérir une spécialité.

 

Date : Novembre 1994
Source : Armées d’aujourd’hui – n° 195

Armées d’aujourd’hui : Monsieur le ministre, pourquoi présenter aujourd’hui un projet pour le service national ?

M. François Léotard : Il faut replacer ce projet dans une double perspective. Le gouvernement a rédigé, après de nombreuses consultations, un livre blanc qui pose des principes. Pour le domaine qui nous intéresse, le principe de l’armée mixte, avec une professionnalisation accrue, n’est pas contradictoire avec le maintien de la conscription. La loi de programmation, approuvée très largement par le Parlement, entérine ce principe, mais demande au gouvernement de déposer, avant le 31 décembre 1996, un rapport sur le service national et sur un éventuel développement des formes civiles, dans le respect des règles d’égalité et d’universalité. À la suite de ces premières réflexions et des propositions contenues dans le rapport présenté par M. Marsaud sur les formes civiles, le Premier ministre a souhaité que je lui fasse, dès cet automne, des propositions sur ces différents sujets : contenu du service militaire-, redressement des dérives constatées dans les formes civiles, réponse aux aspirations des jeunes en matière de formation et d’insertion professionnelle.

Vous savez également que, dans le cadre de la consultation nationale des jeunes, ceux-ci ont exprimé un certain nombre de préoccupations auxquelles je souhaite pouvoir répondre. Le projet que j’ai présenté au gouvernement le 12 octobre est donc une étape destinée à réaliser, dès maintenant, les aménagements et les améliorations indispensables.

Armées d’aujourd’hui : Le service national a-t-il encore un sens en 1994 ?

M. François Léotard : Le maintien de la conscription est fondé sur un principe de solidarité, un constat de nécessité, une volonté de cohésion nationale. Un principe de solidarité, en premier lieu : chaque citoyen consacre à son pays un temps qui traduit une forme de responsabilité à l’égard de sa défense, non seulement celle du territoire, mais aussi celle des valeurs de la République. C’est ce principe qui fonde en légitimité le service national sur le service militaire. Un constat de nécessité, ensuite : les armées françaises ont besoin d’un volume de forces, d’un format de 240 000 hommes pour l’armée de terre aujourd’hui (227 000 hommes à l’horizon de la fin du siècle), qui ne peut être obtenu que par la conscription. Une réduction forte de ce format par suppression de la conscription ne permettrait plus d’assurer les missions d’aujourd’hui, notamment la présence outre-mer ou la participation aux opérations de l’ONU. Une volonté de cohésion nationale, enfin : le service national, donc la fonction première est de nature militaire, permet – et doit permettre davantage à l’avenir – un brassage social, une formation civique assurant l’intégration des jeunes citoyens à des tâches collectives, au service de la nation tout entière.

Partant de ces principes, que je réaffirme fortement, l’étape de rénovation du service national que je propose se fonde sur trois orientations :
    – la réaffirmation de la priorité au service militaire, en raison du rôle essentiel des appelés dans notre dispositif de défense et de son apport irremplaçable en matière de cohésion et de brassage social ;
    – le redressement des dérives qui affectent aujourd’hui les formes civiles du service national, prélude indispensable à leur élargissement ;
    – la capacité des armées à répondre, à I occasion du service militaire, à l’attente des jeunes, en matière de formation et d’insertion professionnelle.

Armées d’aujourd’hui : Vous dites que le service militaire est le fondement de la conscription et un instrument de cohésion nationale. Que proposez-vous, exactement, pour le maintenir ?

M. François Léotard : La réaffirmation de ce principe suppose que, soit concrètement reconnue, la place essentielle des appelés dans notre système de défense et qu’une attention particulière soit portée au contenu du service militaire.

Il convient, d’abord, de vérifier attentivement les conditions d’emploi de tous les appelés : tous les emplois, dans les unités de combat ou dans l’environnement des forces, ont une égale dignité et utilité ; il faut donc veiller à la stricte adéquation entre les besoins et la ressource disponible.

Il faut aussi que les sujétions particulières aux activités opérationnelles soient mieux compensées par l’augmentation de la prime de service en campagne, cependant que des activités spécifiquement militaires doivent être proposées à ceux qui n’appartiennent pas directement à des unités de combat : l’augmentation de 30 % de la prime de service en campagne et la mise en place de 10 MF de crédits consacrés à des activités supplémentaires répondent à ces objectifs.

Le service militaire doit être l’école de l’effort, du dynamisme et de la responsabilité. Les appelés occupent, nombreux, des fonctions de responsabilité qui, sans être nécessairement des responsabilités d’encadrement, font, le plus souvent, appel à leur qualification professionnelle civile : l’ouverture en plus grand nombre de postes d’officiers et de sous-officiers permettra de reconnaître cette situation. Le développement des activités physiques constitue un autre axe d’effort, qui répond à une attente forte des appelés, quelle que soit leur affectation. Enfin, nos forces armées doivent être une école de civisme et développer le sentiment d’appartenance à la communauté nationale ; c’est à travers l’organisation des activités de la vie quotidienne, comme dans le rappel des faits marquants de l’histoire de notre pays et dans l’apprentissage concret de la vie civique, que cette action doit être conduite.

Armées d’aujourd’hui : Lors de la consultation nationale de cet été, 85 % des jeunes se sont prononcés pour une extension des formes civiles. Le plan que vous avez présenté ne semble pas aller dans ce sens. Qu’en est-il ?

M. François Léotard : Soyons précis et pragmatiques : il s’agit d’abord de corriger les dérives le plus fréquemment relevées. Le dispositif mis en place par une directive du Premier ministre reposera sur l’attribution aux préfets, de responsabilités propres en la matière. Ils devront identifier les besoins locaux et vérifier que les postes proposés correspondent bien aux finalités des formes civiles ; gérer les affectations en concertation avec les organismes bénéficiaires, afin de vérifier qu’elles respectent des règles minimum de transparence et que les appelés affectés dans ces formes civiles bénéficient d’une véritable formation ; faire procéder, enfin, à un suivi et à un contrôle des activités de ces appelés afin de s’assurer de leur conformité aux objectifs affichés. Pour aider les préfets dans cette tâche, des « comités départementaux des formes civiles » seront installés dans tous les départements de métropole et d’outre-mer, ainsi que dans les territoires d’outre-mer.

L’efficacité de ce dispositif repose, à la fois, sur une déconcentration souple et sur une remontée des informations de terrain, propres à favoriser les adaptations nécessaires qui permettront au gouvernement de préparer, pour le Parlement, le rapport sur le service national, document qui doit être déposé, comme le prévoir la loi de programmation militaire, avant le 31 décembre 1996.

Enfin, je dois rappeler que je suis favorable, comme je l’ai déjà indiqué à plusieurs reprises, à un développement mesuré des formes civiles, sous réserve, comme l’a souhaité le Parlement, que cela ne se fasse pas au détriment de la nécessaire égalité ; je peux ainsi vous indiquer que j’ai décidé de détacher, dès le mois de décembre, 1 100 appelés supplémentaires dans le cadre du protocole-ville, soit un accroissement d’environ 25 % (aujourd’hui 4 500).

Armées d’aujourd’hui : Pourquoi êtes-vous réticent face à certaines propositions du comité national (libre choix entre les formes civiles et militaires, réduction de la durée à six mois, voire appel des jeunes dès seize ans ?)

M. François Léotard : Il faut d’abord rappeler que moins de 3 % des jeunes ont spontanément évoqué, dans le questionnaire, une éventuelle suppression du service ou une réduction de sa durée. Au-delà des trois propositions que chacun connaît, le comité a fourni un travail de fond qui figure dans le rapport et contient d’autres propositions, notamment en vue de l’orientation professionnelle des jeunes.

S’agissant du libre choix entre service militaire et service civil, il conduirait, à l’évidence, a une évasion massive vers les formes civiles. Je suis responsable de la défense, je ne peux donc prendre le risque de dégarnir nos forces par une décision hasardeuse qui les désorganiserait ; surtout, une telle option signerait la disparition du service militaire, ce qui poserait donc la question de l’armée de métier. C’est un vrai débat ; mais ce n’est pas le débat.

En matière de durée, de nombreuses raisons militent contre une réduction à six mois du service national. Cela demanderait une ressource démographique que nous n’aurons plus dans les années à venir : pour le même effectif budgétaire, il faudrait appeler deux fois plus de jeunes, soit la totalité de la ressource démographique, ce qui ne laisserait aucune place pour les formes civiles, puisque, dans les prochaines années, la ressource totale sera nettement inférieure à 400 000. Par ailleurs, en six mois, dans le concept français d’emploi des forces, on ne peut former des unités cohérentes et entraînées, puisque cela ne correspond qu’à un mois de formation de base plus cinq mois de formation collective.

Armées d’aujourd’hui : Un des aspects les plus originaux de votre plan concerne la formation et l’insertion professionnelle. Pourquoi ?

M. François Léotard : Le service militaire est trop souvent vécu, par nombre de jeunes, comme une rupture dans les itinéraires qui conditionnent leur insertion, notamment professionnelle, dans le monde des adultes ; pour d’autres, il constitue l’ultime chance de s’intégrer dans une société qui leur est progressivement devenue étrangère, sinon hostile. Il s’agit donc, compte tenu des contraintes propres au fonctionnement des forces armées, de situer autant que faire se peut le service militaire dans une continuité.

Afin de mieux insérer le service national dans les cursus actuels d’enseignement, les jeunes gens engagés dans des cycles de formation professionnelle par la voie d’un contrat d’apprentissage, d’orientation ou de qualification, pourront bénéficier, comme leurs camarades suivant des études plus traditionnelles, du report d’incorporation jusqu’à 24 ans, prévu par l’article L. 5 bis du code du Service national.

Les actons à conduire en matière d’insertion et de formation professionnelle s’articuleront autour de deux thèmes. Il s’agit, d’une part, d’accueillir, d’informer, d’orienter les jeunes, à l’occasion des différences phases du service national, et, d’autre part, de les former selon plusieurs méthodes originales, en portant une attention particulière aux jeunes en danger d’exclusion. Ces formules se développeront sur les cinq ans à venir.

L’action des six cents officiers-conseil en unité sera consolidée par une meilleure formation et une plus grande stabilité dans la fonction : la durée et le contenu de la formation seront révisés en liaison avec le service public de l’emploi ; la durée normale d’affectation dans cette fonction ne sera pas inférieure à quatre ans.

D’ici cinq ans, tout appelé aura participé à un forum-emploi pendant son service national. Enfin, la détection des jeunes en difficulté sera améliorée, dès l’incorporation, par une coopération accrue entre les armées et le service public de l’emploi, dans le cadre des « espaces jeunes » ; des actions conjointes seront menées dans les unités dès les premiers jours du service militaire.

À la fin de leur service militaire, 50 000 appelés auront bénéficié, dans les cinq prochaines années, de « sessions d’orientation » et de « sessions de techniques de recherche d’emplois », réalisées par l’ANPE et financées, à part égale, par la défense et l’ANPE.

Le nombre des cellules-emplois implantées dans chaque département sera accru ; ces cellules, composées de trois aspirants et placées auprès des délégués militaires départementaux, ont vocation à assister des jeunes rendus à la vie civile, dans leurs démarches pour trouver un emploi, en liaison avec le service public de l’emploi ; dix cellules existent déjà ; sept seront créées en 1995 et autant chaque année pendant cinq ans. Pour cette tâche, la participation des cadres de réserve sera systématiquement recherchée.

Afin d’améliorer la liaison entre la défense et le service public de l’emploi, les « espace jeunes » bénéficieront de l’affectation de cent appelés du « service ville », dont les effectifs seront augmentés dans ce but.

Enfin, et il s’agit là d’une mesure tout à fait nouvelle, en direction d’une population particulièrement fragile et exposée, les jeunes en difficulté, exemptés du service national, bénéficieront d’une assistance particulière à l’occasion de leur passage en centre de sélection ; à cet effet, les missions locales assureront une permanence dans les onze centres de métropole. 100 000 jeunes seront concernés par cette mesure dans les cinq ans à venir. En matière de formation, l’un des deux dispositifs prévus a commencé à fonctionner dès le 1er octobre 1994.

Dans des spécialités pour lesquelles la fonction tenue au sein des armées correspond à un métier civil, des appelés volontaires se verront proposer la possibilité de parvenir à une qualification professionnelle, sanctionnée par un titre reconnu ; la formation nécessaire sera dispensée soit dans un cadre purement militaire, soit avec la participation de l’AFPA (Association pour la formation des adultes) ; des accords avec les branches professionnelles concernées favoriseront le recrutement ultérieur de ces jeunes dans les métiers considérés. Ce dispositif de volontariat service long (VSL) « spécialiste » devra concerner au moins 30 000 jeunes dans les cinq ans. Dans les cinq prochaines années, 20 000 jeunes en difficulté se verront proposer de souscrire, à l’issue de leur service militaire, un VSL, de quatre ou six mois, durant lequel, tout en conservant leur statut militaire, ils pourront bénéficier de formation pré-qualifiantes, qui, choisies en fonction des ressources locales, seront dispensées par l’AFPA ou d’autres opérateurs, dans le cadre et le respect des nouvelles compétences des conseils régionaux. Une expérimentation de ce VSL « pré-qualification » sera conduire dès 1995.

Enfin, s’adressant à des jeunes en grande difficulté, la lutte contre l’illettrisme sera amplifiée et devra être intégrée dans les programmes des unités.

Le dispositif sera étendu d’ici un an aux 4 000 appelés de niveau 1 à 3, c’est-à-dire, à ceux qui ne savent réellement ni lire, ni écrire, dès qu’une méthode adaptée aux problèmes spécifiques de ces jeunes aura été mise au point par le groupe permanent de lutte contre l’illettrisme.

Vous le voyez, nous avons bel et bien décidé de nous saisir de la question du service national. Nous le faisons sans dogmatisme, en sachant que bien des équilibres sont fragiles – comme l’est toute collectivité – et que seul un pragmatisme volontaire, fondé sur l’écoute de l’autre et l’échange, nous permettra d’avancer. Qu’on ne s’y trompe, cependant, pas : nous saisissons là une des dernières chances de préserver, en l’adaptant, un incomparable instrument militaire et de cohésion. C’est pourquoi, tous ceux qui y sont, comme moi, attachés, doivent se sentir mobilisés.