Article de M. Jean-Louis Debré, secrétaire général adjoint du RPR, dans "Le Figaro" du 22 novembre 1994, sur le bilan de l'action de M. Jacques Delors en France et à la Commission européenne, intitulé "Où situer Jacques Delors ?"

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Candidat "par hasard" ? – Candidat "par devoir" ? – Dans le vent comme une feuille morte ? Où sont les convictions de M. Delors ?

Jacques Delors apparaît aujourd'hui comme "espoir suprême et suprême pensée" des socialistes paralysés dans le tiraillement de leurs nombreux courants, incapables de proposer des candidats crédibles, partageant réellement leurs propres valeurs.

Par Jean-Louis Debré, député de l'Eure, Premier secrétaire général adjoint du RPR.

Pourquoi ? Parce que la majorité des Français a constaté le désastreux bilan de deux législatures socialistes et de 14 ans de "mitterrandolâtrie".

Parce que, après avoir vidé les caisses de l'État, doublé la dette publique en 5 ans, porté le nombre des chômeurs à trois millions de personnes et trompé leurs électeurs, les socialistes représentent le vide, vide que Jacques Delors essaye de combler.

Où situer Jacques Delors ? Cet éventuel candidat à la présidence de la République française, qui n'est pour les socialistes, ni réellement virtuel, ni légitime, ni naturel, nous répond : "Si j'étais en Suède je serais social-démocrate." Mais cette espèce n'existe pas chez nous.

Jacques Delors sera-t-il candidat ? Il répond : "Si par hasard je n'étais pas candidat, je l'indiquerais avant Noël." (Ce serait effectivement pour les Français un beau cadeau de Noël). "Dans le cas contraire, je l'annoncerai fin janvier Il nous précise : "Si je suis candidat, ce sera par devoir."

Candidat "par hasard" ? "Par devoir" ? "Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole" ? Où se situent les convictions de M. Jacques Delors ?

Bilan du passé

Puisque nous ignorons l'avenir, penchons-nous sur le passé.

Tour à tour démocrate-chrétien avec le MRP, mendésiste avec Mendès, il approuve le retour du général de Gaulle, puis les gauchistes de mai 68, il se tourne vers Chaban, puis s'en détourne pour adhérer au Parti socialiste. C'est dire la force de ses convictions politiques ! Le voici l'un des architectes du programme commun et il combat Michel Rocard en signant un appel en 1978 en faveur de Mitterrand.

Pour le récompenser de ce parcours politique pour le moins fluctuant, il accède au comité directeur du Parti socialiste et devient député socialiste au Parlement européen, seul mandat qu'il exercera pendant deux ans, si on excepte les vingt mois pendant lesquels il fut maire de Clichy.

"Expert" désigné par F. Mitterrand pour collaborer à la définition des 110 propositions, il milite notamment pour la mise en œuvre des grands programmes d'investissement financés par le déficit budgétaire ministre des Finances et de l'Économie de 1981 à 1984, il illustrera une faillite exemplaire et sans précédent : par une relance massive de la consommation, il affaiblit l'industrie française en provoquant des importations massives de produits de consommation courante. "Les caisses sont pleines, déclare-t-il, nous avons les moyens de faire des choses efficaces." Les caisses, effectivement remplies par d'autres, se vident grâce à lui et, dès l'automne 1981, le cap des deux millions de chômeurs est franchi, l'inflation se monte à 14 %, le déficit de la balance commerciale s'élève à 100 milliards de francs.

Cela ne suffit pas à ce talentueux ministre socialiste : en trois ans, la dette extérieure de la France est multipliée par 2,5, passant de 28 milliards de francs en décembre 1980 à 70 milliards de francs en décembre 1983. Parallèlement, il établit un record historique en dévaluant le franc trois fois en un an et demi : 4 octobre 1981 : 3 %, 12 juin 1982 : 5,5 %, 21 mars 1983 2,5 %.

La dernière année, décrétant "une pause", il change à nouveau et se fait le champion d'une rigueur, en totale contradiction avec sa politique précédente (constant M. Delors ?). Le pyromane devient pompier.

À son départ, la France connait malgré tout un déficit budgétaire jamais observé, et compte 2,5 millions de chômeurs.

Le vent de la "réussite" le pousse alors à Bruxelles. Il y restera 10 ans, se battant pour une Europe fédérale et dirigiste, laissant la technocratie se développer, sans se soucier des intérêts propres des nations européennes et de celui de la France en particulier.

C'est ainsi qu'il permet à deux de ses commissaires de signer le préaccord de Blair House, au seul profit des intérêts américains.

C'est ainsi qu'il n'hésite pas à dénigrer et à entraver l'action du gouvernement français au moment des négociations du GATT : "La France est en train de se faire une mauvaise réputation dans le monde", déclare-t-il en décembre 1993. Celle de M. Delors n’est plus à faire.

Il est vrai que, pour lui, les intérêts français sont sans doute secondaires, puisqu'il définit ainsi le socialisme : "Quand on est socialiste, on est internationaliste pour rester dans le droit fil de la tradition."

Aujourd'hui, la mode n'est plus au socialisme, M. Delors est donc social-démocrate, n'en déplaise à M. Emmanuelli.

Aujourd'hui, la mode est à l'ouverture, et M. Delors parle de façon bonhomme de tolérance, alors que, naguère, il se montrait pour le moins sectaire. Au moment du référendum sur Maastricht, il déclarait : "Ceux qui sont contre feraient mieux d'arrêter la politique." Il incitera d'ailleurs les Danois, dont le premier vote lui avait déplu, à revoter.

Aujourd'hui, être "dans le vent" c'est être candidat sans se déclarer, M. Delors est donc, lui aussi, un "vrai faux" candidat, par hasard ou par devoir, pour expliquer que ce qu'il fera sera bien entendu différent de ce qu'il a fait. Cela dépendra du vent… ou des sondages. Mais la France a déjà donné…