Texte intégral
POINT DE PRESSE DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGERES, M. HUBERT VEDRINE
(New York, 25 septembre 1998)
Q - Sur l'Iraq.
R - Le paragraphe 14 de la Déclaration des cinq membres permanents du Conseil de sécurité concerne l'Iraq. C'est un bon résumé. C'est une synthèse entre l'approche américaine disant : « les Iraqiens ont brisé la coopération avec l'UNSCOM, donc la seule chose à exiger c'est qu'ils reprennent la coopération », et nous qui disons : « il faut dire cela, naturellement, ils se sont mis dans leur tort complètement, une fois de plus, mais cela ne doit pas empêcher le Secrétaire général de pouvoir réfléchir à l'avenir et faire des propositions d'ensemble sur la façon dont nous pourrions reprendre le processus, dans l'hypothèse où l'Iraq redonnerait un signe de coopération avec l'UNSCOM ». Ils ne voulaient pas du tout de cette mention au début, et puis on est arrivés à un texte qui comprend les deux. A ce moment précis, il y a une position commune, en attendant la suite.
Mais évidemment Kofi Annan ne peut pas aller très loin. Il peut toujours faire du « brainstorming » sur la façon de reprendre les choses, l'avancée, la fameuse sortie du tunnel… si les iraqiens recommencent à coopérer. On croyait qu'on avait une base solide avec l'accord Kofi Annan-Tarek Aziz et puis à nouveau on a reculé.
Q - M. Kofi Annan ne vous a pas dit ce qu'il veut proposer ?
R - Il en a parlé avec les représentants permanents. Cela dépend s'il y a un signe iraquien ou pas. Il ne peut pas avancer si les iraquiens ne répondent pas. Il peut dire « voilà ce que l'on ferait si ». Cela permet de dire aux Iraquiens, si vous redevenez coopératifs. Voilà ce qui peut se poser.
Q - Les Iraquiens attendent les idées de M. Kofi Annan ?
R - Oui, mais les idées de M. Kofi Annan ne peuvent pas se concrétiser s'il n'y pas au départ un signe montrant que l'Iraq revient à la coopération avec l'UNSCOM.
Q - Tarek Aziz est à Paris aujourd'hui. Vous n'avez pas quelques échos, comme quoi il pourrait faire un peu comme les Iraniens par exemple. Un petit geste serait le bienvenu.
R - Non, ce n'est pas comparable. Il y a eu un changement politique relatif mais réel en Iran et on voit que les choses se développent.
Q - Mais il y a eu l'accord Kofi Annan-Tariq Aziz sur lequel ils avaient beaucoup travaillé avec les Français. Il vient à Paris, je ne pense pas que ce soit pour faire escale. Il y a certainement des idées pour l'amener à faire un geste, pour essayer de remonter le processus.
R - Cela dépend d'eux, on ne peut pas apporter d'élément nouveau à ce stade. On leur a dit depuis qu'ils ont rompu la coopération avec l'UNSCOM, que c'était une erreur et que, là-dessus, on ne pouvait pas les défendre, qu'il fallait qu'ils reprennent la coopération. Après, s'ils reprennent la coopération, naturellement nous reprenons notre position qu'ils connaissent, qui est de plaider pour une application loyale des résolutions, sans inventer des clauses qui n'existent pas. Avoir on connaît l'argument iraquien. Ils disent « oui, mais même si on fait cela les Américains bloqueront ». On leur dit « mais faites-le puisqu'on ne peut pas prouver qu'ils ne le feront pas tant que vous n'avez pas rempli les conditions ».
Q - Il n'y a pas une toute petite porte de sortie sur la reprise de la coopération ?
R - Cela dépend d'eux. Ce sont les Iraquiens qui ont créé un fait négatif en arrêtant la coopération avec l'UNSCOM. Maintenant ce n'est pas à nous à inventer des échappatoires. Il faut savoir ce que Tarek Aziz dit sur ce point central.
ENTRETIEN MINISTRE AFFAIRES ETRANGERES AVEC « AL-HAYAT » 25 septembre 1998
Q - Sur la demande d'enquête concernant le bombardement américain au Soudan.
R - Nous avons dit dans cette affaire que nous ne nous opposerons pas à une enquête si l'accord se fait au sein du Conseil de sécurité. En effet, ce serait une bonne chose d'y voir plus clair. Je note que la presse américaine elle-même est assez sceptique sur les explications qui ont été fournies jusqu'ici.
Q - Sur les résultats des tests sur les échantillons de missiles.
R - Nous ne commentons jamais ce genre de chose et les seuls commentaires autorisés viennent de l'UNSCOM.
Q - Sur l'attitude française à l'égard de l'Iraq.
R - Notre critique porte sur une chose précise, c'est la décision de l'Iraq de cesser de coopérer avec l'UNSCOM. Donc, depuis que cette décision a été prise, nous avons dit à l'Iraq que c'était une mauvaise décision, que nous la regrettons, et nous leur demandons de revenir sur cette décision. Tout ce qui a été envisagé sur la possibilité de sortir progressivement de la situation actuelle, ce que l'on appelle la lumière au bout du tunnel, la réflexion que nous avons demandées au Secrétaire général de mener sur ce point, tout cela n'est concevable que si, au point de départ, les Iraquiens recommencent à coopérer.
Q - Sur ce qui pourrait amener les Iraquiens à reprendre la coopération, comme ils doivent.
R - De toutes façons indépendamment de l'examen global, l'Iraq aurait eu intérêt à s'en tenir à l'accord passé au printemps entre Tarek Aziz et Kofi Annan. Le déblocage ne dépend pas des propositions de Kofi Annan. Kofi Annan ne pourra presque rien faire si les Iraquiens ne reviennent pas sur les décisions qu'ils ont prises de cesser de coopérer. C'est à eux de réfléchir à la situation. J'espère qu'ils prendront la même ligne que quand ils avaient signé l'accord avec Kofi Annan. J'espère qu'ils reviendront sur cette ligne.
Q - Le message de la France à l'Iraq est-il de ne pas compter sur les divisions du Conseil ?
R - Sur ce point, la reprise de la coopération, tout le monde est d'accord au sein du Conseil.
Q - Sur le processus de paix et l'initiative franco-égyptienne.
R - Il y a plusieurs choses. Sur le processus de paix, nous espérons que les efforts américains vont finir par produire des résultats. S'il n'y a pas de résultats, nous verrons s'il faut relancer les choses avec notre initiative franco-égyptienne, qui n'est pas en compétition, comme vous disiez. Donc, d'ici là, dans cette phase, nous perfectionnons, nous enrichissons le franco-égyptien. Il y a l'autre volet, syrio-libanais, qui est un problème distinct en réalité. Si les négociations pouvaient redémarrer entre les Syriens et les Israéliens, ce serait une bonne chose. Mais comme vous le savez, ils ne sont pas d'accro sur le pont à partir duquel il faudrait reprendre la discussion. Là-dessus nous sommes disponibles, compte tenu de nos bons rapports avec Israël, la Syrie et le Liban. Si on peut aider à quelque chose on le fera, mais on ne peut pas se substituer aux intéressés.
Q - S'agit-il d'une disponibilité active ? Les Syriens demandent-ils vos bons offices ? Ou d'une disponibilité en sommeil ?
R - C'est entre les deux. On ne peut parler de bons offices parce que les choses ne bougent pas. Par contre, les contacts avec la France servent souvent à faire passer des messages. Mais cela ne va pas au-delà pour le moment, parce qu'eux-mêmes sont trop loin d'un accord pour que les négociations redémarrent.
Q - Vous êtes donc plus optimiste en ce qui concerne le volet palestinien qu'en ce qui concerne le volet syrien des négociations ?
R - Je ne suis optimiste, ni sur l'un, si sur l'autre. Mais j'espère me tromper.
Q - Sur l'Iran.
R - Les Européens ont déjà décidé de reprendre le dialogue avec l'Iran. Cela fait plusieurs mois. Je suis allé en Iran au mois d'août. Maintenant, rouvrir le dialogue, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de problèmes. Et parmi les problèmes sérieux, il y a cette fatwa. Le président iranien n'a pas dit qu'il annulait la fatwa. Il n'a pas les pouvoirs de le faire. Il a dit que tout serait fait pour qu'elle ne soit pas appliquée. Cela revient au même, c'est très positif, il a fait le plus possible, compte tenu de sa fonction. Donc pour nous c'est une très bonne chose. Cela confirme l'orientation nouvelle par rapport à l'Iran et nous espérons que cela sera suivi d'autres pas de la part de l'Iran, sur d'autres plans.
Q - Sur l'Iran et les Talibans.
R - La situation est globalement préoccupante. Mais j'ajouterais le Pakistan dans votre liste.
Q - Est-ce que la situation est explosive ?
R - Je pense que c'est une situation dangereuse. Pour qu'elle soit contenue, il faut qu'il y ait un minimum de bonne volonté de tous les pays autour, sans parler des factions à l'intérieur. Donc nous encourageons les efforts de l'ONU dans ce domaine.
Q - Le Pakistan semble avoir créé un monstre qui a échappé à son contrôle en Afghanistan. Partagez-vous cette opinion ?
R - C'est plus compliqué. Je pense que le Pakistan est les autres voisins doivent faire plus.
Q - Sur les récentes mesures prises par les Saoudiens à l'égard des Talibans.
R - C'est très bien que les Saoudiens prennent des mesures dans ce sens. Et il faut le souhaiter de la part des autres pays qui ont de relations avec les Talibans. Les Saoudiens disent qu'ils ont simplement reconnu les Talibans mais qu'ils les soutiennent pas.
Q - Sur le Kosovo. Quel doit être, selon vous, le rôle de la Conférence islamique dans le conflit.
R - Je ne pense pas qu'il y ait une action à mener en tant que pays islamiques. Ce n'est pas une bonne base. Les autres pays qui s'en occupent n'agissent pas en tant que pays orthodoxes ou pays catholiques. Mais si l'Organisation de la Conférence islamique veut exercer une influence, cela pourrait être une influence sur les Kosovars. Cela renforcerait les Kosovars raisonnables contre ceux qui ne veulent employer que la force et qui veulent regrouper tous les Albanais qui sont à cheval sur quatre ou cinq pays, ce qui déclencherait une guerre dans toute la région. Pour qu'il y ait une solution au Kosovo, il faut faire pression des deux côtés. En tant que Groupe de contact, nous voulons une solution politique raisonnable. Mais ce n'est pas la position des autorités serbes et, du côté du Kosovo, c'est la position de M. Rugova, mais pas des autres. Donc il faut soutenir M. Rudoya. Si les pays islamiques doivent faire quelque chose, il faut qu'ils soutiennent M. Rugova.
Q - Les terroristes sont-ils les Serbes ou ceux qui les combattent ?
R - Ce que je dis, c'est ce qu'il y a dans tous les textes du Groupe de contact depuis le mois de mars. On a toujours parlé des deux. On dénonce la répression des forces serbes, c'est très clair. Et quand on parle d'actions terroristes, c'est celles de l'UCK. Mais ce n'est pas une position française, c'est une position de tout le Groupe de contact./.
ENTRETIEN MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES AVEC RFI - 25 septembre 1998
Q - Une résolution a été adoptée cette semaine sur le Kosovo. En quoi, sur le plan fonctionnel, va-t-elle changer quelque chose à la situation que nous connaissons aujourd'hui ?
R - Elle marque une détermination accrue des membres du Conseil de sécurité, je peux dire aussi de la communauté internationale. En effet cela a été fait en parfaite cohérence avec les membres du Groupe de contact. Elle marque une détermination à obtenir, à réaliser absolument, ce que nous cherchons à faire pour le Kosovo, c'est-à-dire une autonomie substantielle. C'est la seule façon de désamorcer cette situation extrêmement dangereuse. Nous sommes arc-boutés dans la recherche de cette solution depuis maintenant plusieurs mois et nous resterons mobilisés. Cette résolution comprend une référence au chapitre VII qui concerne le recours à la force légitime dont le Conseil de sécurité détient la clé. C'est extrêmement important pour cette raison.
Q - En clair, est-ce que cela veut dire que si l'on veut frapper dans les jours à venir ou les semaines à venir, il y en a maintenant juridiquement la possibilité ?
R - Cela veut dire que, du côté de Belgrade, notamment, mais aussi peut-être de certains Albanais du Kosovo qui combattent la solution politique, ils ne doivent avoir aucune espèce de doute sur la détermination du Conseil de sécurité, de la communauté internationale. Des propositions ont été faites sur ce que pourrait être ce statut d'autonomie. Il doit être discuté, justement. Il s'agit d'obtenir que la discussion s'enclenche.
Q - Vous avez rencontré hier le Premier ministre israélien, M. Netanyahou. Est-ce que vous avez senti dans son attitude un frémissement qui pourrait laisser espérer un déblocage des négociations au Proche-Orient ?
R - M. Netanyahou m'a parlé de façon fort cordiale est qui se voulait très convaincante, sur son action, son engagement. Il m'a dit qu'il était lui-même engagé dans la recherche d'une solution. Je lui ai dit que, du point de vue français, on ne comprenait pas très bien quels étaient les efforts en question. On ne comprenait pas très bien quelle solution il recherchait. En France, on avait accueilli les Accords d'Oslo et leur suite avec beaucoup d'espoir et on a le sentiment maintenant, très largement, que tout cela est en panne, pour parler simplement. Alors il m'a parlé du détail des discussions, des propositions, des dix pour cent, des trois pour cent, de la discussion avec les Palestiniens, toutes choses que nous connaissons, évidemment, puisque nous suivons tout cela. Nous appuyons le efforts américains et, pour être plus précis, les efforts du secrétaire d'Etat, Mme Albright, qui sont remarquables de ténacité et fort méritoires.
Je n'ai malheureusement pas le sentiment, compte tenu de ce que m'a dit M. Netanyahou, compte tenu e ce que je sais par Mme Albright, que l'on soit à la veille d'un accord réel. Mais j'espère beaucoup me tromper. Je serais extrêmement heureux si l'accord se réalisait malgré tout. Car c'est cela notre but. Il faut enrayer cette situation de dégénérescence du processus de paix et des espoirs qui l'avaient accompagné. Il faut relancer la mécanique pour qu'il y ait à nouveau un espoir au Proche Orient, un espoir de solution, même si cela doit passer par des négociations difficiles et nous sommes dans un moment très périlleux. Donc encore une fois, je souhaite qu'il y ait une percée, je souhaite qu'il y ait un accord.
Q - Jeudi, il y a eu une réunion du Conseil de sécurité sur l'Afrique. Vous avez évoqué une conférence des pays des Grands lacs. Est-ce qu'on peut imaginer que cette conférence ait lieu en marge du sommet franco-africain à Paris et qu'à cette occasion M. Kabila pourrait venir à Paris ?
R - J'ai rappelé une idée française à l'origine d'une conférence des pays des Grands lacs en partant d'une analyse extrêmement simple : c'est un conflit qui ne concerne pas un pays, la République démocratique du Congo, mais six ou sept pays. Ce sont des conflits enchevêtrés. Donc c'est impossible de trouver une solution séparée. D'autre part cette conférence devrait, pour être efficace et déboucher sur des résultats légitimes être placée certainement sous les auspices de l'OUA ou de l'ONU. Mais nous n'en sommes pas là. Il ne s'agit pas e mettre la charrue avant les boeufs. Il ne s'agit pas de proposer une conférence, ni un lieu, ni un environnement, ni un contexte. Vous en citez un, il peut y en avoir d'autres. Ce que nous avons voulu mettre en avant, c'est cette idée.
D'ailleurs il y a eu plusieurs initiatives africaines déjà, qui ont été prises dans ce sens, notamment des pays de la SADC, montrant bien que les intéressés eux-mêmes, c'est-à-dire les Etats africains qui sont engagés dans ces conflits, voient bien qu'ils ne trouveront une solution qu'ensemble. C'est cela que nous avons voulu dire. Il ne faut pas formaliser, parce que cela pourrait contrarier peut-être le mûrissement de cette idée. J'ai vu à New York, et notamment pendant ce débat utile du Conseil de sécurité, à partir d'un rapport très intéressant de Kofi Annan sur la situation africaine, que cette idée progressait. Et beaucoup de délégations y ont fait allusion. Donc nous allons encourager cette idée, mais encore une fois c'est aux premiers intéressés, aux Etats africains concernés, de se déterminer d'abord.
Q - Pendant toute cette session, est-ce que vous avez eu le sentiment que la situation du Président Clinton à l'intérieur de son propre pays suscite une inquiétude sur le règlement des grands dossiers internationaux ?
R - Non, je n'ai pas eu ce sentiment. J'étais présent dans la salle de l'Assemblée générale quand le Président Clinton a été applaudi debout avant son discours par tous les membres présents de l'Assemblée générale. Ils voulaient manifester leur sympathie sur un plan humain, compte tenu de la façon dont il est traqué, je dirais. Je n'ai pas senti de répercussion sur la politique américaine. Mme Albright qui était aussi à New York cette semaine m'a paru toujours aussi déterminée sur les sujets qui sont importants pour les Etats-Unis. Ils sont nombreux. Je n'ai pas senti de spéculation sur un éventuel affaiblissement ou changement de la politique américaine. Mais ce n'est pas représentatif de l'Amérique. Dans ce monde particulier qu'est l'ONU, cela ne se sentait pas particulièrement.
Q - Le ministre des affaires étrangères iranien a annoncé que l'Iran se désolidarisait de la fatwa contre Salman Rushdie. Quel est, selon vous, la portée de ce geste. Est-ce que c'est bon pour l'Iran ou bon pour Salma Rushdie ?
R - D'après ce que je sais de ce qu'est une fatwa, je crois que c'est le maximum que puisse faire un Gouvernement. Au-delà, cela relève de l'autorité des textes religieux et de l'autorité, donc, de ceux qui ont la capacité, dans l'islam iranien, d'émettre ce type de chose. Donc le président et le Gouvernement iranien ont fait le plus possible, en ce qui es les concerne. Je pense que c'est de toute façon une bonne nouvelle. Et il me semble que cela confirme la volonté d'ouverture que j'avais constatée à Téhéran en août, de la part du président et du gouvernement. C'est un pas de plus, je souhaite qu'il soit suivi d'autres. Naturellement, j'espère que cela pourra redonner à Salman Rushdie, et la liberté et la tranquillité. Mais il faut que l'Iran persévère dans une nouvelle voie.