Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à RTL et Radio France internationale, le 5 juin 1998, sur les essais nucléaires effectués en Inde et au Pakistan.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Radio France Internationale - RTL

Texte intégral

Q. - Que demandez-vous à l'Inde et au Pakistan ?

R. - Nous leur demandons d'arrêter l'escalade, nous leur demandons de ne pas procéder à de nouveaux essais, de ne pas déployer de missiles. Nous leur demandons de ne se livrer à aucune provocation en ce qui concerne les armements conventionnels. Nous leur demandons de réduire leur dispositif militaire susceptible de provoquer des incidents. Nous leur demandons d'appliquer tout ceci, à la fois à leurs frontières en général et au Cachemire en particulier et nous leur demandons d'ouvrir une négociation véritable sur le Cachemire.

En outre, ils ont fait part d'une disponibilité à adhérer par exemple au CTBT et là, nous disons « faites-le » puisque vous déclarez pouvoir le faire. D'autre part, j'ai personnellement lancé l'idée hier d'une accélération de la négociation « cut off » sur l'interdiction de la production d'utilisation de matières fissiles à usage nucléaire militaire et c'est une négociation qui est devant nous. Je crois que ce sera un signal important de vitalité, de dynamisme du régime mondial de lutte contre la prolifération.

Cela ne consisterait pas uniquement à préserver des traités existants, mais à préparer la suite. Qu'ils y viennent aussi.

Q. - Le consensus d'hier est un premier pas. En faudra-t-il à votre avis encore beaucoup pour arriver à une désescalade dans ce dossier ?

R. - Je ne sais pas. Je souhaite que la désescalade soit immédiate, y compris au niveau des déclarations. En tout cas, les cinq membres permanents, le P5 dans notre jargon, ont décidé de rester saisis, mobilisés et présents. Ils se reverront s'il le faut à ce niveau.

Q. - N'avez-vous pas déjà les premiers signes de la part des chancelleries indienne et pakistanaise concernées ?

R. - Non, pas encore. C'est trop tôt, c'est vraiment hier soir tard et je n'ai pas d'indication particulière. Ce qui m'a frappé à Genève, c'est le très grand sérieux de la réunion, la très grande convergence d'analyses, de vues et d'objectifs des cinq pays présents.

Q. - Que risquent les deux pays concernés si votre appel n'est pas entendu, selon vous ?

R. - Ce sont des pays qui ne vivent pas sur la planète Mars. Ils ne peuvent pas s'abstraire complètement des relations dont ils ont besoin sur tous les plans avec les autres pays du monde. Nous l'avons exprimé à travers le P5, mais on voit bien que c'est une réaction beaucoup plus large et que l'on peut vraiment parler de communauté internationale. Ils ont besoin de ces pays, ils ont besoin d'avoir des relations avec eux. Ils en attendent beaucoup et même s'ils sont soucieux de leur indépendance, de leur souveraineté, de leur fierté - ce que je comprends très bien -, même s'il sont soucieux de leur sécurité, là aussi on peut les comprendre, nous leur envoyons un message très clair en leur disant qu'ils se trompent de voie et que ce n'est pas, par ces moyens-là, dans le monde où nous sommes aujourd'hui que l'on se fait respecter et que l'on assure sa sécurité et sa souveraineté. Nous leur disons qu'ils se trompent et qu'ils sont à contre-courant. Il faut qu'ils changent de voies et ils retrouveront un esprit coopératif de la plupart de leurs grands partenaires.

Q. - Vous dites que c'est un propos beaucoup plus large. Hier l'avez-vous limité au dossier indo-pakistanais ou bien élargi, notamment aux autres pays du seuil tel qu'Israël ?

R. - Non, quand je parlais de réactions plus larges, je parlais d'un plus grand nombre de pays que les Cinq. Mais, hier nous nous sommes concentrés sur ce sujet, c'était un sujet urgent et c'était déjà compliqué et sérieux de traiter les deux volets : comment fait-on baisser la tension entre l'Inde et le Pakistan ? Comment consolide-t-on les régimes de non prolifération ?