Interview de M. Hervé de Charette, président du PPDF, dans "Le Figaro" du 19 août 1998, sur les moyens d'arrêter la "descente aux enfers" de l'opposition, la proposition de création d'une entente entre Démocratie libérale et l'UDF, la création de l'intergroupe parlementaire L'Alliance, l'élaboration d'un projet pour la société française de l'an 2000, la stratégie préconisée face au Front national.

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LE FIGARO. - L'opposition s'est promis de prendre un nouveau départ à la rentrée de septembre, mais les premiers craquements qu'elle laisse entendre en ce mois d'août ne laissent rien présager de bon. Personne ne supporte plus personne ?

Hervé de CHARETTE. - Il est grand temps d'arrêter la descente aux enfers de l'opposition. Les conflits, les ruptures, les rancunes, ça suffit ! Désormais l'urgence c'est de rassembler l'opposition.

LE FIGARO. - Mais cela fait des mois que l'on entend ces déclarations de bonnes intentions et... rien. Si ce n'est la création d'une Alliance qui peine à s'imposer. Est-ce elle qui va stopper cette « descente aux enfers » ?

Bien qu'elle ait été, au fond, une sorte de pochette surprise inventée par un petit nombre de responsables politiques, L'Alliance a suscité un grand espoir à sa création. Depuis, il ne s'est pas passé grand-chose, c'est vrai. Et l'on est revenu aux quolibets et aux sarcasmes. Maintenant, il faut réussir à faire de L'Alliance l'ébauche du grand rassemblement de l'opposition. Disons le mot, l'ébauche de la grande formation politique dont l'opposition a besoin.

LE FIGARO. - Comment ? On oublie tout, on repart à zéro... ?

- Il faut veiller à ne pas faire apparaître L'Alliance comme l'affaire de quelques-uns. Il faut travailler avec un esprit d'équipe, impliquer le maximum de dirigeants mais aussi de responsables locaux, départementaux, régionaux. Donnons-nous deux objectifs pour la rentrée : installer l'intergroupe de L'Alliance à l'Assemblée et créer une Alliance dans chaque département.

LE FIGARO. - Qui dit intergroupe, dit président et là rien ne va plus... Faut-il un président tournant ?

- Il ne faut pas être ridicule. On choisit un président, on lui donne un mandat d'un an. En espérant que ce président ne cherchera pas à tirer la couverture à lui puisque c'est cela - je le comprends très bien – qui inquiète un certain nombre de personnalités.

LE FIGARO. - Faut-il qu'il soit RPR, UDF ou peu importe ?

- Franchement, peu importe. Je crois ces frontières-là assez surannées pour ne pas dire franchement dépassées. Il faut aussi d'urgence constituer L'Alliance avec ce même esprit d'équipe dans les départements. J'entends dire qu'au RPR on n'y serait pas favorable. Mais si on ne fait pas L'Alliance dans les départements, si on ne propose pas à nos adhérents, à nos responsables locaux, de travailler ensemble, comment peut-on espérer que L'Alliance sortira de sa virtualité actuelle ?

Quand l'UDF a été créée, cela n'a pas toujours été facile de mettre autour de la même table, des gens qui avaient plutôt l'habitude de la compétition entre eux. Mais si cet effort est fait, assez vite, on s'aperçoit que les points de vue, les convictions, les idéaux sont assez proches et justifient ce travail en commun.

LE FIGARO. - L'UDF, aujourd'hui, c'est quoi ? Et qu'est-ce que cela peut devenir ?

- L'UDF a connu depuis un an un véritable chemin de croix : le départ de Charles Millon et ses initiatives qui ont provoqué une fracture au sein de l'UDF ; la décision d'Alain Madelin de quitter l'UDF ; et maintenant les tensions internes chez les libéraux. Franchement il faut qu'on essaye de travailler différemment.

LE FIGARO. - On exclut les râleurs ? Mais il ne restera plus personne !

- Ce que je suggère c'est qu'à l'UDF, telle qu'elle est aujourd'hui, c'est-à-dire sans Démocratie libérale malheureusement, on travaille, on se remette à aller de l'avant. Nous avons passé de longues semaines à tourner en rond autour d'éventuels projets de réformes de structures. Soit. Mais là n'est pas l'essentiel. L'essentiel c'est l'action. Nos électeurs se moquent éperdument de nos statuts. Ils attendent de savoir ce que nous avons à dire et ce que nous voulons faire.

Je crois aussi que l'on va vite s'apercevoir que l'oeuvre accomplie à l'initiative de Giscard au cours de ces 20 dernières années, ce rassemblement de diverses familles dans une famille politique nouvelle, l'UDF, était non seulement utile mais indispensable. C'est pourquoi je pense que, loin de créer ou d'entretenir une atmosphère conflictuelle, avec Démocratie libérale, nous devons avoir pour objectif de rétablir avec elle des liens de cordialité et de travail en commun. Je propose que l'on crée entre Démocratie libérale et les autres composantes de l'UDF, dont naturellement le PPDF, une entente dont l'objectif serait à la fois de travailler sur le débat des idées et de partager des objectifs électoraux.

LE FIGARO. - Encore une structure ! L'Alliance ne suffit pas ?

- Franchement je pense que cette entente serait bien utile pour préserver un équilibre face au RPR.

LE FIGARO. - Vous voulez dire que L'Alliance est trop marquée RPR à votre goût ?

- Non, j'essaye de tenir compte des réalités. J'espère que dans les mois et les années qui viennent, nous allons franchir des étapes vers la construction de ce grand rassemblement de l'opposition. Mais on n'y est pas. Donc prenons acte des réalités.

LE FIGARO. - Derrière la querelle entre libéraux, se cache-t-il un vrai débat sur la nature du libéralisme et son évolution ?

- L'opposition a certainement bien besoin de mettre au point un projet pour la société française des années 2000 ; projet dont elle ne dispose pas aujourd'hui. Mais le temps des idéologies est passé. L'idéologie socialiste n'est plus guère exprimée que par quelques ayatollahs du PS. Nous serions, me semble-t-il, bien excessifs d'enfermer notre message et nos propositions dans une contre-idéologie : l'idéologie libérale. Certes nous y souscrivons dans son ensemble, mais elle ne fournit pas, à mon avis, la réponse à toutes les questions qui se posent dans la société d'aujourd'hui.

LE FIGARO. - Donc arrêtons de brandir le libéralisme en étendard.

- Je ne crois pas que le débat demain sera libéral contre socialiste. Je crains même que si c'était le cas, nous pourrions bien perdre. Il faut construire un projet différent, porteur de la modernité française. J'ai décidé d'apporter ma contribution à cette entreprise nouvelle. À cette fin je réunis, depuis le mois de juin, des hommes et des femmes de la société civile venant de tous les horizons politiques. Nous nous sommes fixé un objectif : mettre à jour les chantiers de la modernité. Nous nous sommes également donné une méthode : identifier les questions concrètes et tenter d'y apporter des solutions dont chaque Français pourra bénéficier directement. Dès que ce travail sera achevé, nous en soumettrons les résultats au président de la République.

LE FIGARO. - C'est le président de la République qui donnera le « la » à la rentrée et c'est à partir de lui que l'opposition va réussir à se reconstruire ?

- Qu'on le veuille ou non, le président de la République est notre meilleur candidat pour la prochaine échéance présidentielle de 2002. Les écuries présidentielles que nous avons vu fleurir depuis deux ans sont intéressantes... pour 2009. C'est quand même assez loin ! Il y a de plus grandes urgences. Comme de montrer une cohérence entre l'opposition qui se rassemble et le président de la République. Autrement dit, je pense que la démarche de rassemblement de l'opposition a comme corollaire logique son organisation avec et autour du président de la République.

LE FIGARO. - L'opposition pourrait-elle avoir un projet européen commun ?

- Dans ce débat européen la bonne réponse sera celle qui nous permettra de nous rassembler autour du président de la République. C'est lui qui, par fonction en quelque sorte, défend une certaine idée de l'Europe en France aujourd'hui. Si l'opposition devait se déchirer avec les thèses restrictives des uns et les thèses pro-européennes des autres, elle donnerait un curieux spectacle.

LE FIGARO. - Il faudra trouver un compromis quitte à affaiblir le message…

- Dans l'Europe d'aujourd'hui, ouverte à un grand nombre de pays, la question entre la nation et l'organisation fédérale européenne ne se pose pas tout à fait dans les mêmes termes qu'il y a encore une dizaine d'années. Nous avons à inventer la construction européenne du XXIe siècle. On ne se référera pas éternellement à Jean Monnet. C'est sur cette ligne-là, où l'identité nationale garde toute sa force d’entraînement, que devrait se trouver, me semble-t-il, le message cohérent, solide, à la fois raisonnable et ambitieux qui devrait accompagner la démarche du président de la République.

LE FIGARO. - Est-ce que, au fond d'elle-même, l'opposition ne compte pas sur tout sur les socialistes pour redevenir un jour attractif ?

- Non. Le gouvernement et la majorité socialiste ont sans doute mangé leur pain blanc et l'avenir montrera que les temps de ceux qui sont au pouvoir vont devenir plus difficiles. Mais c'est à nous de bouger. Il y a dans les rangs de l'opposition un certain défaitisme qui conduit à des attitudes très mauvaises. J'en cite deux. Se dire que l'on ne pourra gagner qu'avec le Front national. C'est une faute contre ses propres convictions et c'est une erreur stratégique lourde. Face au FN, il faut débattre, comme le propose Madelin, et, surtout, ne pas s'opposer à lui avec les arguments du Parti socialiste mais avec les nôtres. Et puis je ne crois pas que le FN soit appelé à une progression indéfinie. Si nous sommes combatifs, si nous avons des convictions, nous serons capables de le stopper.

LE FIGARO. - Exclu de l'UDF pour avoir été élu à la présidence de la région Languedoc-Roussillon avec les voix des élus FN, Jacques Blanc vient de rejoindre les députés de Démocratie libérale à l'Assemblée. Qui a eu tort ? L'UDF en l'excluant ou DL en le réintégrant ?

- Ma position n'a pas varié. Je n'approuve pas les choix faits par Jacques Blanc et Charles Millon. Le retour inopiné de Jacques Blanc à Démocratie libérale crée de toute évidence un trouble. Mais au point où en sont les choses, ce n'est pas en éliminant, en excluant, en condamnant à tour de bras que nous trouverons la juste voie. Je veux plutôt rassembler qu'ostraciser.

LE FIGARO. - Madelin a eu raison donc...

- L'altitude à adopter vis-à-vis de Jacques Blanc, de Charles Millon et d'autres devrait être délibérée collectivement plutôt qu'être décidée de façon isolée.

LE FIGARO. - Vous parliez du défaitisme de l'opposition qui la pousse à adopter de mauvaises attitudes...

- J'entends aussi murmurer ici et là que, tout compte fait, la droite n'aurait plus d'issue que d'aller un jour apporter son concours au Parti socialiste. J'entends revenir dans les conversations privées la référence aux grandes coalitions allemandes. Et si jamais, en Allemagne, après les élections, il y avait une coalition entre la CDU et le SPD je serais bien surpris que cette idée ne devienne pas à la mode à Paris. Ce serait pourtant une très mauvaise idée. Franchement. Ce n'est pas en se ralliant aux thèses des autres, même si l'on peut parfois obtenir un strapontin, que l'on peut conduire les affaires du pays comme nous en avons l'ambition et le désir légitime.

LE FIGARO. - L'optimisme pour règle…

Il faut trouver dans sa propre pensée, dans sa propre action des raisons d'espérer suffisamment fortes pour résister à la difficulté des temps. Un jour, un de ses disciples interrogea Confucius : « Maître est-ce qu'il arrive à un gentilhomme d'être dans une situation d'impasse ? » Confucius lui répondit : « Bien entendu, il arrive à un gentilhomme d'être dans une situation d'impasse, mais seul l'homme vulgaire est troublé. ». Ne nous laissons pas troubler !