Texte intégral
Q - L. Jospin vous a prévenu hier à Tours : le gouvernement pluriel entre dans l'étape numéro 2. Sentez-vous que cela bouge ?
- « En tous les cas, il y a eu une première étape de 16 mois. Cela a été une étape de plaine, peut-être une étape de grâce. Visiblement, nous attaquons une étape de montagne, et je pense que le braquet doit être modifié, qu'il faut accélérer un certain nombre de choses. »
Q - Reconnaissez-vous que dans l'équipe Jospin, il n'y a pas d'immobilisme, qu'il n'y a ni flemmard, ni lézard ?
- « Au niveau des hommes, de la majorité du Gouvernement, il y a beaucoup de dynamisme, des gens efficaces, compétents à bien des égards. Mais cela dit, ce qui compte, c'est ce qui se met en oeuvre au plan politique. Là, je pense qu'effectivement... L. Jospin a dit : « Il faut garder le cap » ; moi, je pense qu'il faut l'atteindre, le cap. Atteindre le cap, cela veut dire aller à une politique de gauche qui soit efficace pour les gens. Dans cette deuxième étape ; maintenant, il faut passer, à mon avis, à des réformes plus nettes de structures, qui permettent effectivement aux Français de voir que cela bouge dans leur vie quotidienne. Le problème, c'est que nous avons des hommes et des femmes qui font confiance - il y a un climat ouvert, satisfaisant - mais en même temps, ils disent : qu'est-ce qui change dans ma vie quotidienne ? »
Q - Le gouvernement de gauche n'est pas assez à gauche ?
- « Je pense qu'il y a beaucoup de réformes qui sont faites, qui s'inscrivent bien dans la politique de gauche. Mais il y en a d'autres qu'il faut davantage ancrer à gauche, et c'est le rôle du Parti communiste de contribuer positivement à les ancrer à gauche. »
Q - Vous dites qu'il faut atteindre le cap, mais c'est du travail pour le temps d'une législature, vous a bien dit L. Jospin. A ce rythme, cinq ans de législature, on ira en quatre ou cinq étapes.
- « Je pense que nous arrivons à une étape, précisément. Je suis content d'ailleurs que le Premier ministre parle d'étape ; pendant une période, il n'a pas voulu parler d'étape. Je dis que cette étape nouvelle arrive dans un moment beaucoup plus important que d'autres dans la législature : c'est le moment où si nous nous donnons les moyens financiers, par des réformes fiscales, du crédit, de manière significative, nous pouvons apporter des réponses en matière de chômage. Regardez : nous sommes arrivés aux affaires avec 3 millions de chômeurs ; il y a effectivement aujourd'hui des progrès, des emplois sont créés, mais c'est insuffisant. Les mesures qui sont prises en matière d'emplois-jeunes, au niveau des 35 heures, sont de bonnes mesures, mais il faut aller bien plus loin. Pour les 35 heures, je pense qu'il faut effectivement être beaucoup plus exigeant par rapport au patronat français ; il faut qu'il y ait un mouvement social qui porte davantage ces réformes. »
Q - Oui, mais cela ne se crée pas comme cela, un mouvement social, pas plus que les réformes ne se décrètent. Mais pourquoi à l'égard du gouvernement Jospin êtes-vous aujourd'hui plus casse-pieds que la droite ? Pourquoi ne laissez-vous pas Jospin gouverner ?
- « Parce que nous gouvernons ensemble, et que gouverner ensemble, c'est bien entendre aussi ce que dit le partenaire. Je n'ai pas à laisser gouverner Jospin : j'ai à gouverner avec lui - ce n'est pas pareil ! Donc, je pense qu'il faut entendre le partenaire ; nous n'avons pas le monopole de tout ce qu'il faut dire de bien et faire de bien dans le Gouvernement, mais nous, communistes, avec un apport significatif, que nous voulons concret dans le Gouvernement, nous voulons être entendus. »
Q - Pourquoi ne sont-ils pas aussi à gauche que vous le voulez ? Qu'y a-t-il derrière ?
- « Il y a des différences sensibles entre nous sur les réformes. »
Q - D'accord, mais pourquoi ?
- « Je pense qu'aujourd'hui, il faut orienter différemment un certain nombre de choses, fondamentalement Je pense notamment à tout ce qui concerne l'argent, la bataille du crédit, la bataille fiscale. Cela semble plus difficile à entreprendre pour un certain nombre de ministres du gouvernement Jospin. Par exemple, parce qu'il faut être concret : prenons la taxe professionnelle ; j'ai bien entendu les propositions de D. Strauss-Kahn visant à modifier la taxe professionnelle, à l'alléger concernant un certain nombre d'entreprises. Je suis pour alléger la taxe professionnelle pour les PME-PMI, pour les entreprises qui créent des emplois ; mais quel outil a-t-on mis en place visant à ce que cette taxe professionnelle soit, si on l'allège, créatrice d'emplois, concrètement ? Il n'y en a pas. Donc, c'est une mesure assez semblable à ce qu'aurait pu prendre un autre gouvernement qu'un gouvernement de gauche. Donc, je veux que ce soit plus à gauche. »
Q - Vous ne m'avez pas répondu : pourquoi le Gouvernement ou L. Jospin agissent-ils de cette façon ?
- « Je n'ai pas à dire pourquoi il agit de cette façon ; ce que j'ai à dire, c'est comment je pense qu'il devrait agir. »
Q - Cela veut-il dire qu'après quatre-cinq étapes, il y a l'étape finale, l'Élysée, et qu'il vaut mieux y penser toujours en n'en parlant jamais ?
- « On ne va pas passer notre temps à parler de la stratégie présidentielle. L'élection présidentielle est une élection structurante de la vie politique française. Ceux qui disent qu'ils n'y pensent pas trompent un peu les gens. Il est clair que l'action gouvernementale immédiate ne doit pas être imprégnée de cette élection. Les réformes qui sont prises aujourd'hui ne s'inscrivent pas seulement dans la volonté d'avoir cela en perspective. »
Q - C'est votre ami A. Bocquet qui a inventé la formule, et qui a peut-être exagéré. Il n'était pas loin de la gaffe en disant cela, parce que ce n'était pas le problème, non ?
« Chacun s'exprime à sa façon. Il est bien clair qu'incontestablement, la question des questions, c'est concrètement quelles sont les réformes que nous pouvons prendre, sur lesquelles nous pouvons intervenir pour que les Françaises et les Français sentent que la politique de gauche est bien à gauche et que cela change pour eux. »
Q - Toutes les réformes annoncées hier par L. Jospin à Tours, est-ce que vous les voterez, avec les communistes ? Par exemple, la réforme du mode d'élection des sénateurs, c'est oui ou non ?
- « Nous prendrons nos décisions. Mais il est clair qu'il faut réformer effectivement le Sénat. Le mode d'élection au Sénat est tout à fait anti-démocratique. »
Q - Le Pacs ?
- « C'est un progrès social. Le Pacs n'est pas le mariage et ne le menace nullement. Nous sommes favorables à cette réforme. C'est incontestable. »
Q - La réforme de l'audiovisuel public ?
- « Je suis heureux que cette disposition d'un pôle public, que nous demandions depuis très longtemps, soit prise en compte. Nous verrons après le texte concrètement. »
Q - Faut-il renoncer au redéploiement police-gendarmerie, ou faut-il le faire ?
- « Dans ce domaine, il faut se donner des moyens supplémentaires, c'est incontestable. Mais les dispositions imaginées sont des dispositions intéressantes. Il reste que quand on fait ce catalogue - hier, les journalistes ont parlé de catalogue, c'est terrible ! On n'a pas tout dit. Cela, ce sont des réformes importantes, mais je pense que les réformes qui sont tout aussi importantes, voire décisives, sont celles qui touchent aux moyens à se donner pour mettre en oeuvre une politique qui fasse reculer le chômage. »
Q - G. Schröder est à Paris. Il voit le Président de la République, le Premier ministre. Quel message aimeriez-vous transmettre au futur Chancelier de Berlin ?
- « Je n'ai pas de conseil à donner, mais le message, il est clair. Je me réjouis d'abord du résultat de ces élections et qu'une page soit tournée. Il y a une très forte condamnation de la politique Kohl, donc une très forte condamnation d'une politique ultralibérale. Il faut aujourd'hui que G. Schröder satisfasse aux engagements qu'il a pris, c'est-à-dire une politique qui, réellement, apporte des réponses plus sociales en matière de chômage, en matière de transformations de la société allemande. »
Q - Il a été élu en se présentant comme l'homme du nouveau centre, je vous rappelle ?
- « En tous les cas, je ne pense pas que c'est une politique du nouveau centre qui correspondra à ce qu'attend la grande masse des Allemands aujourd'hui. Une politique du centre n'a jamais réglé le problème du chômage dans un pays. Donc, si on veut faire une politique du centre en Allemagne ou ailleurs, on se plante complètement Il faut une politique de gauche et j'attends qu'il y ait une politique de gauche de mise en oeuvre. »
Q - Dernière question. Démocratie libérale d'A. Madelin se plaint que dans l'élection législative partielle d'Aubagne, le PC ait fraudé. Alors on fraude, on triche au PC ? Certains disent que ce n'est pas nouveau. Qu'est-ce que vous en pensez ?
- « La déconfiture de la droite la rend mauvaise perdante. Elle fait diversion pour dissimuler une chose gravissime, là-bas dans le midi précisément, c'est les alliances qui ont été passées avec le Front national à propos des élections sénatoriales. C'est pour dissimuler tout cela qu'ils crient comme cela. Ils sont mauvais perdants et ils sont mal. C'est leur problème. »