Interview de M. Hervé de Charette, président du PPDF, à Europe 1 le 27 août 1998, sur l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris et l'éventualité de la mise en cause de Jacques Chirac, la proposition de Philippe Seguin de réformer la loi sur le financement des partis politiques, la coalition de l'opposition autour du chef de l'Etat et la situation internationale, notamment dans l'ex-Zaïre.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - A propos de l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, hier, P. Séguin a dit que pour lui le Président de la République n'était pas un justiciable comme les autres. Est-ce que c'est votre avis ?

- « C'est l'évidence. On voit bien par exemple ce qui se passe aux Etats-Unis. L'affaiblissement profond, durable de l'institution présidentielle américaine par le fait qu'on a laissé la possibilité à la justice de s'en prendre, dans des conditions d'ailleurs assez stupéfiantes, au président américain. Non, je ne crois pas du tout que ni le droit français ni la tradition, c'est-à-dire la jurisprudence française qui correspond aussi au droit, permet de quelque façon que ce soit de mettre en cause le Président de la République. Mais franchement, je ne vois pas d'ailleurs pourquoi on parle de tout cela parce que dieu merci, la justice qui se comporte, à mon humble avis, de façon déraisonnable depuis un certain temps, n'en parle pour autant pas. »

Q - Parce que tout simplement, il semblerait que certains de ces emplois aient servi à la campagne présidentielle du Président de la République, voilà une raison ?

- « Voulez-vous que nous parlions deux secondes de ces emplois fictifs ? Il y a actuellement plusieurs milliers, 4 000, 5 000, 6 000 peut-être emplois d'enseignants qui sont au service des syndicats d'enseignants ou de certaines organisations liées à des partis politiques, des organisations de jeunesse du genre les "Franca" ou telle ou telle autre organisation. »

Q - Vous voulez remettre en cause le droit syndical ?

- « Mais du tout, je vous dis simplement que ce sont des emplois d'enseignants qui sont payés par l'État et qui sont mis à la disposition d'organisations diverses. »

Q - Mais c'est légal.

- « Ah bon ? Qui est-ce qui vous dit que c'est légal ? Où est-ce que vous avez vu un texte qui l'autorise ? »

Q - C'est le droit syndical.

« Pas du tout, c'est la pratique de l'administration française. Voilà. Alors, est-ce que cette pratique qui est choquante dans la vie politique est normale dans la vie associative ou la vie syndicale ? Si on veut remettre cela en cause, très bien, regardons. Je ne conteste pas qu'il eut mieux valu, qu'il eut été préférable que les formations politiques ne fassent pas tout ce que l'on dit là. Chacun sait bien que ça s'est fait dans toutes les formations politiques. Mais faut-il exhumer cette affaire, en faire une affaire politique de premier plan, mettre en cause un ancien Premier ministre ? Faut-il vraiment en venir là et faire ça devant la presse, devant les médias avec cette justice-spectacle qu'on a vu dans le vélo, qu'on verra bientôt dans le foot ? Est-ce que c'est ça dont notre pays a besoin ? Franchement, je pense que notre pays a besoin de plus de confiance en lui, de plus de détermination, d'institutions auxquelles on croît, un peu de fierté, un peu moins, comment dire, de boue qu'on secoue tous les matins avec bonheur et plaisir sur tous les médias. »

Q - Dernier point, à votre avis, pour clarifier, il faudrait une nouvelle loi ? Vous êtes d'accord avec P. Séguin sur ce point aussi ?

« Oui, je pense que P. Séguin pose une question en effet... »

Q - C'est la quatrième en dix ans.

- « P. Séguin pose une question pratique. Il dit : puisqu'on en est là, tâchons de mettre un peu d'ordre et que la loi dise ce qui doit être réprimé et ce qui ne doit pas l'être. Je crois que c'est une contribution utile, il faut y réfléchir, il faut regarder. Mais je crois que c'est une contribution utile. »

Q - Votre famille politique est toujours l'UDF ? Que pensez-vous de la décrépitude de ce que l'on a appelé en particulier la bande à Léo ?

- « Moi, quand je vois l'opposition qui se déchire, je suis malheureux. Quand je la vois qui se décompose, je suis malheureux. Et à quoi j'ai envie de travailler et qu'est-ce que je vais faire dans les mois qui viennent ? C'est essayer de travailler à faire en sorte que l'opposition soit ensemble. Regardez, il y a des campagnes électorales dans le monde aujourd'hui. Je viens de Hongrie, il y a eu il y a quelques mois une campagne électorale. Eh bien, il y avait une coalition de gens qui se présentaient - c'était la droite en l'occurrence et le centre droit - pour battre la gauche qui était au pouvoir. Mais ils étaient ensemble. Comme ils étaient ensemble, qu'ils avaient un projet et un chef, ils ont gagné. »

Q - On va prendre des leçons d'organisation démocratique en Hongrie ?

- « Je pense que la politique française devrait s'inspirer de ce qui se passe dans les autres pays du monde. Nous avons besoin, dans l'opposition, d'une coalition autour d'un chef. Ce chef, c'est nécessairement le Président de la République et la coalition, c'est forcément l'association des partis qui existent. Je suis plutôt pour, un grand rassemblement. C'est vrai. Je sais qu'il y a de la diversité dans l'opposition et je pense qu'il faut respecter cette diversité. Moi, j'appartiens à l'UDF, famille, disons plutôt libérale et centriste. Je suis plutôt dans les libéraux mais encore une fois, on ne va pas découper tout cela au millimètre près. Ce qui compte, c'est de travailler ensemble. »

Q - Le problème est que l'Alliance, qui est en quelque sorte celle coalition, excluait dès le départ ceux qui étaient partisans du rapprochement avec le Front national.

- « Ce n'est pas un problème. Je pense, en effet, que sur la ligne politique, il faut être clair. Je suis personnellement tout à fait hostile à toute idée de passer des accords avec le Front national mais en même temps, quand je vois, comment dire, qu'avec un peu d'excès là aussi, un goût de la politique-spectacle ou de se mettre en valeur personnellement, on prononce des excommunications, on déchire sa carte à la télévision, je dis que tout cela est un peu excessif. On a besoin plutôt de chercher comment se rassembler, comment travailler ensemble. Par exemple avec A. Madelin et Démocratie libérale, je suis très triste que ceux-là ne soient plus à l'UDF et je pense que nous devrions plutôt essayer de nous réunir pour travailler. »

Q - Ils n'en ont plus tellement envie, remarquez !

- « Oubliez un peu les querelles de personnes et regardez le fond et la masse des adhérents. Eux, ils ont envie. On devrait davantage travailler avec l'idée qu'il faut que l'on se retrouve, qu'on travaille ensemble. On a des objectifs, des projets communs, des idées communes, pour l'essentiel, et quelques différences. Et alors ? Cultivons ce qui nous rapproche. »

Q - Sur l'activité internationale. D'abord le Zaïre. On voit que le conflit est en train de s'internationaliser.

- « Au Zaïre, c'est simple : c'est un pays qui fait 2 000 kilomètres de largeur d'Est et en Ouest dans lequel il y a quatre-vingts ethnies différentes et qui est donc pratiquement ingouvernable. Il est riche par surcroît, peuplé de gens pauvres malheureusement mais son sous-sol est riche de produits divers. »

Q - Alors ils ne pourront plus vivre ensemble ?

- « Il y a très longtemps qu'il y a des tensions. Depuis l'origine, la création de ce pays par les Belges, il y a des tensions et des contradictions. En plus, ces voisins ont de l'appétit. Il y a actuellement quatre armées étrangères présentes au Zaïre. Ce à quoi on est en train d'assister, c'était une tentative d'éclatement du Zaïre. Les pays riverains de l'Est, l'Ouganda, le Rwanda, veulent mettre la main sur une partie du territoire. Il est clair que l'Angola veut s'assurer que désormais, le Zaïre ne servira plus de zone refuge pour les troupes rebelles de l'Unita et tout cela provoque l'éclatement. »

Q - Et la France ...

- « M. Kabila, c'est Mobutu 2, c'est-à-dire que c'est la corruption, la violence. Kabila est un des personnages les plus sinistres de toute l'Afrique, franchement. La médiocrité, la compromission, la confusion, tout y est. »

Q - Les Américains ont eu tort de le soutenir alors ?

- « Evidemment. »

Q - Et la France doit laisser ce pays éclater ?

- « Mais vous savez, la France n'est pas responsable, hélas, comme je le souhaiterais moi personnellement. J'aimerais que' la France soit la première puissance du monde mais elle ne l'est pas. Elle ne peut pas tout traiter, tout régler. Elle est disponible, elle a fait une proposition que nous avions déjà faite d'une conférence des Grands lacs, c'est-à-dire des pays de cette zone. Mais vous voyez bien ce qui se passe aujourd'hui en réalité. Ce sont les pays africains qui s'en occupent, c'est-à-dire les pays de la zone plus l'Afrique australe qui s'en occupent. »

Q - Elle a un peu levé le pied en Afrique depuis un moment déjà ?

- « Non, je ne crois pas qu'il faut que vous disiez ça. C'est une erreur d'interprétation et d'analyse. Il faut dire que la politique africaine française ne peut pas être, en 1998, ce qu'elle était en 1960, voilà. Et je me réjouis de ces changements, ils sont nécessaires, ils étaient urgents. Pour autant, ce n'est pas qu'on se désintéresse. Nous avons, là, beaucoup d'amis que nous protégeons et nous avons, là, beaucoup d'intérêts qui sont les nôtres. »

Q - Il reste peu de temps malheureusement pour parler du Kosovo. Là aussi, il y a une impuissance européenne encore peut-être plus inquiétante. Que pensez-vous, est-ce que l'impuissance, l'affaiblissement des grands de ce monde, que ce soit B. Eltsine ou B. Clinton, vous inquiètent ?

- « Nous sommes dans un monde nouveau, dans lequel il y a beaucoup de signes négatifs et positifs, mais dans lequel le fait majeur, me semble-t-il, c'est qu'il n'y a plus de leadership. Parce qu'en effet, les grands, Eltsine, Clinton, la Russie, les Etats-Unis, la Chine, ceux-là n'ont plus pouvoir d'influence et de domination qu'ils avaient autrefois. Pour l'Europe, pour la France, c'est un espace nouveau de responsabilité et de rayonnement. A nous de prendre notre place. »