Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, et interviews accordées à la presse et à France 3 le 11 janvier 1995, sur le bilan de l'année diplomatique, les perspectives pour 1995 dans le cadre de la présidence de l'Union européenne et le conflit en Tchétchénie.

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Circonstance : Voeux de M. Juppé à la presse, Paris le 11 janvier 1995

Média : France 3

Texte intégral

Vœux du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à la presse – Extraits – (Paris, 11 janvier 1995)

Mesdames et Messieurs

Vous avez sans doute reçu d'ores et déjà beaucoup de vœux. Permettez-moi d'ajouter les miens à tous ceux qui vous ont déjà été adressés. Je souhaite que 1995 soit pour chacun, chacune d'entre vous, vos familles, tous ceux qui vous sont chers, une bonne année. Et je souhaite que tout au long de cette année, nous puissions, vous et nous, vous la presse diplomatique ou la presse en général, et nous ici, au ministère des affaires étrangères, continuer à travailler dans le climat de confiance et de disponibilité réciproques qui ont prévalu en 1994. Je n'ai eu qu'à me louer des contacts que j'ai pu avoir avec vous ici ou ailleurs. Et sachez que la maison est à votre disposition pour répondre à vos interrogations et faire circuler l'information, puisque c'est votre tâche. M. Lamassoure, moi-même, nos cabinets, la direction de la presse, de l'information et de la communication, continuerons le travail qui a été fait je crois, dans un très bon esprit au cours des derniers mois.

Vous comprendrez que, m'exprimant dans cette maison, j'élargisse un peu le champ de mes réflexions et que j'aille au-delà des vœux personnels que je viens de vous adresser.

Je vais commencer par formuler des vœux pour la paix.

En ce début de 1995, le monde reste un monde en guerre ou un monde de guerre, et je sais que votre profession a payé un lourd tribut à la violence, puisqu'on a recensé, je crois, 115 journalistes tués en 1994. Je voudrais avoir une pensée particulière pour nos deux compatriotes journalistes qui ont été tués au cours de ces mois, M. Olivier Quemener à Alger, et Madame Yasmina Drici, correctrice du journal, algérien également, Le Soir.

Dans ce climat de violence, et de guerre, peut-on espérer déceler quelques coins de ciel bleu ? Je ne voudrais pas faire preuve d'un optimisme prématuré, mais peut-être a-t-on ici ou là quelques lueurs d'espérance en ce début de 1995. Il y a, bien sûr, le Proche-Orient. J'ai eu l'occasion ce matin de m'entretenir longuement avec mon amis Shimon Peres. Nous savons que le processus de paix reste fragile, que des blocages apparaissent à tout moment. Mais j'ai retiré de cet entretien la conviction que le processus était irréversible et que la volonté d'aller de l'avant aussi bien du côté israélien que palestinien, était entière. Et la France, bien sûr, comme l'Union européenne, feront tout pour favoriser ce processus.

Dans l'ex-Yougoslavie, l'année a mieux commencé qu'elle ne s'était achevée, puisque l'accord de cessation des hostilités semble à peu près respecté. Le temps est revenu à la négociation. Le groupe de contact a repris le chemin de Belgrade, de Sarajevo, de Pale. Là encore, nous allons tout faire pour que 1995 soit peut-être – je l'espère de tout cœur – cette fois-ci l'année du bon cycle de négociations. Peut-être faudra-t-il d'ailleurs, dans les semaines qui viennent, prendre de nouvelles initiatives pour assurer à ce processus encore plus d'efficacité.

En Algérie, la violence reste extrême. La diplomatie française rappelle avec constance, depuis maintenant pratiquement deux ans, que c'est aux Algériens, bien sûr, de choisir leur destin, que la communauté internationale doit continuer à aider le peuple algérien à réformer son économie et à retrouver le chemin de la croissance et que seul le dialogue peut permettre de sortir de la confrontation. Un certain nombre d'initiatives ont été prises au cours des semaines récentes, en ce moment-même, et nous les considérons avec intérêt dans la mesure où elles permettent, ou permettront, de réamorcer la discussion et d'évoluer vers des élections qui sont le seul moyen de donner la parole au peuple algérien.

En revanche, quand je me tourne vers la Tchétchénie, le ciel semble moins en mesure de se dégager à court terme. J'ai eu hier une longue conversation avec mon collègue Andreï Kozyrev et j'ai eu, certes, l'assurance que l'on recherchait le cessez-le-feu et que l'on était prêt à engager, là encore, un processus de discussion. Mais je constate, au cours des dernières heures, que les faits ne corroborent pas tout à fait ces assurances. En tout cas, sachez-le bien, la France, tout au long de l'année 1995, agira avec tout son enthousiasme, avec tout le crédit qu'elle a sur la scène internationale, avec toute sa capacité d'initiative, pour la paix, comme elle l'a fait en 1994 au Rwanda ou ailleurs.

Je voudrais aussi former des vœux pour l'Europe. Je ferai peut-être preuve d'originalité en vous disant qu'à mes yeux, 1994 a été une bonne année pour l'Europe. L'Union européenne a avancé, incontestablement. D'abord, elle s'est élargie, elle s'est dotée d'institutions renouvelées. La deuxième phase de l'Union économique et monétaire est entrée en vigueur, nous sommes sortis dans de bonnes conditions du cycle de l'Uruguay et nous avons concrétisé en 1994 un certain nombre de mesures d'application qui vont nous permettre maintenant de mettre en place l'Organisation mondiale du commerce dans les conditions que nous souhaitions. Bref, on avance. Et on va continuer à avancer en 1995. La Présidence française s'y emploiera avec toute son énergie. Alain Lamassoure et moi-même avons commencé nos tournées européennes. Nous étions avant-hier en Espagne, nous serons cette semaine à Bruxelles, à Luxembourg, à Helsinki à Stockholm et même à Oslo, puisqu'il faut, bien sûr, continuer à parler avec la Norvège.

Nous réaffirmerons les priorités de notre Présidence, que vous connaissez et qui sont bien ressenties partout où nous sommes déjà passés. Puis, là aussi au risque de surprendre, je dirais que même sur la suite, si l'on va plus loin que les six mois de notre présidence, même si l'on commence à réfléchir à la conférence intergouvernementale de 1996 et aux perspectives futures de l'architecture européenne, on commence à voir un certain nombre de points d'accord se dessiner. Tout le monde est d'accord aujourd'hui, ou presque, pour dire qu'il faut continuer l'élargissement de l'Union européenne, que c'est une nécessité historique et qu'il y va de notre intérêt. Ce n'était pas évident il y a encore quelques mois, notamment en France. Maintenant, je crois que la direction est clairement prise. Deuxième point d'accord : cette nouvelle Europe ainsi élargie, nous ne voulons pas qu'elle se dissolve en une zone de libre-échange qui diluerait toutes les solidarités construites au prix de tant d'efforts depuis tant d'années. Le chancelier Kohl, comme le Premier ministre français, l'ont dit, il faut que cette Europe reste une union avec des politiques communes, un grand marché, une union douanière.

Et puis, troisième point d'accord, même si les modalités sont plus difficiles à déterminer, mais là aussi les choses progressent, on se rend bien compte que dans cette Europe ainsi élargie, qui doit rester une véritable Union, originale, sur la scène internationale, certains pourront faire plus que d'autres, plus vite que d'autres. Qu'il ne faut pas, bien sûr, s'opposer à ces solidarités renforcées, à condition que chacun, quand il le veut et quand il le peut, puisse en être. Ce qui ne veut pas dire qu'il faille reconstituer au sein de la nouvelle Europe la vieille Europe dont certains ont gardé la nostalgie.

Voilà quelques perspectives rapidement tracées, et qu'il nous faudra concrétiser au cours des mois et des années qui viennent.

Et puis, je vaudrais aussi former des vœux pour la France. Je souhaite, et je pense, que 1995 sera l'année de la croissance, donc l'année de l'emploi. Ce qui a été fait par notre gouvernement, depuis maintenant pratiquement deux ans, a permis d'accompagner le mouvement de reprise générale. Cela a été bien fait, et il faudra bien sûr poursuivre les efforts ainsi entrepris.


Propos du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à l'issue de la présentation des vœux à la presse (Paris, 11 janvier 1995)

Q. : Allez-vous prendre, durant la présidence française des initiatives pour régler le problème avec Skopje ?

R. : Je l'espère, nous allons poursuivre les efforts que nous avions entrepris avec la présidence allemande. Je vois cet après-midi M. Kranidiotis qui vient à Paris, je vais lui en parler, j'espère que nous pourrons débloquer ce dossier.

Q. : Y-aura-t-il une initiative de la part de la France ?

R. : Nous verrons cela le moment venu.

Q. : S'agissant de la libération des prisonniers en Albanie, quel est votre point de vue ?

R. : Nous souhaitons qu'un geste de clémence permette de détendre encore un peu plus l'atmosphère ; il y a eu des progrès dans ce domaine.

Q. : Avez-vous évoqué avec M. Pères le traité de non-prolifération des armes nucléaires ?

R. : Nous avons évoqué cette question et M. Pères a rappelé sa position tout à l'heure en sortant de mon bureau.

Q. : Avez-vous rappelé la position de la France ?

R. : Je souhaite que tout le monde puisse adhérer au traité de non-prolifération et que ce traité soit reconduit de manière inconditionnelle et universelle. Qui dit universelle dit pour tout le monde.

Q. : Avant vous disiez « mon ami Kozyrev » ! Maintenant vous avez dit « mon collègue »...

R. : Je veux bien dire « mon collègue et ami Kozyrev » ! Vous voyez comme l'on voit tout de suite des changements.

Non, j'ai toujours les meilleures relations du monde avec Andrei Kozyrev et je lui ai dit qu'il pouvait compter sur notre soutien à l'action personnelle qu'il mène, mais cela dit, il y a une situation qui reste préoccupante.

Q. : Y-a-t-il des conséquences sur les relations franco-russes ?

R. : Nous avons dit ce que nous avions à dire, il faut voir maintenant comment tournent les choses. Si on continuait à voir autant de morts, autant de réfugiés, autant de violations des Droits de l'Homme, qui ont été dénoncées en Russie même, cela poserait un problème, bien entendu.

Q. : Concernant vos entretiens avec M. Peres ce matin, il vous a dit qu'il y avait une volonté palestinienne et israélienne d'évoluer et de régler les problèmes ? Que vous a-t-il dit sur les entretiens avec la Syrie ?

R. : Là, les choses sont plus difficiles. Vous savez que Shimon Peres, pour qui j'ai beaucoup d'admiration et de sympathie, est un homme inébranlablement confiant et optimiste. Son optimisme est communicatif. Ce qu'il m'a dit sur son dialogue avec Yasser Arafat montre que les difficultés actuelles pourront être surmontées. Du côté syrien, c'est plus difficile.

Q. : Pour les Algériens, outre l'intérêt que vous avez manifesté tout à l'heure, vous voyez cela comment ?

R. : Ce n'est pas fini, il ne faut pas se faire trop d'illusions, cela prendra du temps, mais enfin, le fait que l'on se parle mérite, comme je l'ai dit déjà, en soi un intérêt.

Q. : Sans gouvernement ?

R. : Il semblait que l'on était prêt à parler au gouvernement, il ne faut pas anticiper sur les conclusions, on verra.

Q. : Quelles sont pour vous les priorités de la présidence française ?

R. : Je voudrais d'abord préciser que ce n'est pas simplement pour moi, ce sont les priorités du gouvernement français, telles qu'elles ont été arrêtées, et telles que le Président de la République les exprimera le 17 janvier prochain à Strasbourg. Je les rappelle très brièvement. La croissance et l'emploi : il faudra à cet titre concrétiser les projets d'infrastructures qui ont été décidés dans leur principe à Essen ; c'est ensuite la sécurité de l'Europe : il faudra achever la conférence sur la stabilité qui a été engagée l'an dernier ; c'est, en troisième lieu, tout ce qui concerne la réorientation des relations extérieures de l'Union européenne : il faut poursuivre l'ouverture à l'Est bien entendu, mais il ne faut pas oublier le Sud. Il faut aussi avoir une politique méditerranéenne. C'est, en quatrième lieu, la dimension sociale : nous allons organiser à Paris un certain nombre de rencontres qui permettront de confronter les expériences des pays européens dans ce domaine-là. Et puis enfin, c'est le volet culturel et audiovisuel, vous savez l'importance que nous y attachons. J'ajoute qu'il nous faut commencer à amorcer le processus de préparation de la conférence intergouvernementale de 1996. Tout cela vous montre que nous n'aurons pas le temps de flâner.

Q. : Croyez-vous que les directions de l'Europe aient changé dans les derniers deux ans ?

R. : Non, je pense que l'Europe a fait des progrès, le traité de Maastricht est entré en vigueur, l'Europe s'est élargie, une nouvelle commission est en place, la deuxième phase de l'Union économique et monétaire est entrée en vigueur. Vous voyez je ne suis ni euro-pessimiste ni euro-sceptique.

Q. : Est-ce que le dossier turc et spécialement la question douanière vont être évoqués avec M Kranidiotis ?

R. : C'est une des questions. Vous savez que, finalement, je n'irai pas à Athènes parce que nos emplois du temps n'ont pas pu coïncider, c'est M. Kranidiotis qui vient à Paris. Nous parlerons des priorités de la présidence française et parmi ces priorités, il y a effectivement notre souhait de débloquer le dossier de l'Union douanière, j'espère que nous y arriverons.

Q. : Avez-vous parlé du Liban avec M. Peres ?

R. : J'ai rappelé qu'il y avait aussi la voie libanaise, et qu'il fallait aussi s'en préoccuper.

Q. : Lui, il a failli l'oublier...

R. : Non ce n'est pas ce que j'ai dit.

Q. : Pour le volet syrien, y-a-t-il un progrès ?

R. : C'est difficile. Pour l'instant, il semble que l'on n'ait pas beaucoup progressé.

Q. : Vous disiez que le processus était irréversible, vous en a-t-il donné l'assurance ?

R. : J'étais très inquiet de la dégradation de la situation vis-à-vis des palestiniens, Shimon Peres m'a expliqué que ces derniers contacts lui permettaient de penser que l'on était sorti du blocage.

Q. : Est-ce que les relations entre Israël et l'Irak ont été évoquées ?

R. : Oui, j'ai expliqué à Shimon Peres pourquoi et dans quel esprit j'avais reçu Tarek Aziz. Je pense que les choses ont été comprises. J'ai observé qu'à la suite de cet entretien, les réactions ont été tout à fait modérées au Koweït, en Arabie Saoudite. Il n'y a guère qu'à Washington que l'on s'est ému...

Q. : À propos de la Bosnie, vous pensez que l'on va avancer cette fois-ci ? Le groupe de contact est reparti ?

R. : Ils vont à Belgrade, Palé, Sarajevo. Il semble que, quand même, le climat ait un tout petit peu changé. Il faut s'interroger sur la méthode de négociation, c'est à cela que je pensais quand je parlais de nouvelles initiatives possibles.

Q. : Avez-vous parlé d'une date éventuelle pour Chypre ?

R. : Une date, et surtout pour voir comment on peut débloquer la question. J'ai clairement indiqué à nos partenaires grecs que nous souhaitions débloquer l'affaire de l'Union douanière avec la Turquie, c'est notre priorité.

Q. : À propos de l'Irak, comment jugez-vous la réaction de vos partenaires ? Allez-vous en parler M. Hurd ?

R. : L'attitude de nos partenaires a été très raisonnable et très compréhensive. La seule chose qui m'a surpris c'est la réaction américaine, et j'ai dit pourquoi. Cheikh Sabah sera à Paris la semaine prochaine, je crois qu'avec le Koweït, notre position a été parfaitement comprise.

Q. : Comment appréhendez-vous les entretiens de Rome ? Que pensez-vous qu'il va en sortir ?

R. : Je ne lis pas dans le marc de café. Les entretiens sont en cours, donc je n'ai pas de commentaire à faire. Nous avons simplement dit à plusieurs reprises que tout ce qui pouvait permettre de reprendre le dialogue entre les forces démocratiques algériennes et, aussi, le gouvernement algérien était le bienvenu. C'est la raison pour laquelle j'ai dit que nous considérions tout cela avec intérêt. Ce n'est pas à nous de nous immiscer dans la procédure.

Q. : Pensez-vous que, du côté algérien, il y a une volonté de dialoguer, ou est-ce qu'il y a une seule tendance qui est prête au dialogue ?

R. : Ce serait bien extraordinaire s'il n'y avait qu'une seule tendance. Dans tous les gouvernements du monde, dans tous les pays du monde, il y a toujours plusieurs tendances. Mon rôle, c'est de dire qu'on ne se sortira du drame actuel que par le dialogue et par la démocratie, c'est le discours que la France tient avec beaucoup de constance depuis deux ans.

Q. : La France et ses partenaires ont quand même un moyen de pression important, c'est la négociation sur le rééchelonnement de la dette qui va intervenir cette année ?

R. : Cette discussion a déjà eu lieu. Nous avons fixé un certain nombre de conditions de caractère économiques. Nous avons demandé des réformes en Algérie, elle a engagé des réformes. Je ne pense pas, pour ma part, que couper les vivres à l'Algérie ferait avancer les choses. Cela ne ferait qu'ajouter un chaos économique à des difficultés politiques.

Q. : Dans certains milieux algériens, on pense que l'on s'oriente vers une République des janissaires et que le Général Lamari pouvait renverser le Président Zéroual...

R. : Aucun commentaire.

Q. : Vous avez donné récemment 400 000 francs aux réfugiés sahraouis, comment peut-être ou interpréter ce geste ?

R. : C'est une aide de caractère humanitaire, comme nous en donnons à beaucoup de réfugiés.

Q. : Ne pensez-vous pas que, dans le contexte actuel, cela pourrait être interprété ?

R. : L'action humanitaire ne peut jamais être nuisible.

Q. : (Sur le volet syrien ?)

R. : Beaucoup de progrès à faire encore.


Interview du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à FR3 (Paris, 11 janvier 1995)

Q. : L'Occident a toujours considéré que le conflit en Tchétchénie était une affaire interne à la Russie. Est-ce que c'est, selon vous, toujours le cas, compte tenu notamment de tous ces morts civils ?

R. : Je crois que quand on veut citer les déclarations que nous avons faites les uns et les autres, il faut les citer jusqu'au bout. Nous avons dit : la Tchétchénie fait partie intégrante de la Russie, mais la Russie ne peut pas faire n'importe quoi en Tchétchénie, et nous l'avons dit dès le début. Pourquoi ? D'abord, parce qu'il y a un certain nombre de principes qui s'appliquent partout à travers la planète, notamment les Droits de l'Homme. Ensuite, parce que la Russie a souscrit des engagements dans le cadre d'une organisation qui s'appelle l'Organisation de Sécurité et de Coopération en Europe. On ne peut pas accepter qu'il y ait des centaines de milliers de réfugiés, des milliers de victimes et des violations très importantes des Droits de l'Homme. Nous l'avons dit avec beaucoup de vigueur à Moscou qui a accepté – ceci est un geste en soi – sinon une médiation, du moins une mission de l'OSCE qui est sur place à l'heure actuelle.

Q. : Peut-on faire une confiance aveugle à M Eltsine, comme on l'a fait jusqu'à présent, alors qu'il subit l'influence des durs de l'armée, du KGB, hostiles aux réformes démocratiques ? Est-ce que l'Europe, que la France préside, aura la force ou ne sera-t-elle pas amenée à réviser sa position vis-à-vis de M. Eltsine ?

R. : À qui peut-on faire une confiance aveugle ?

Q. : L'Occident fait une confiance aveugle à M Eltsine...

R. : Pas du tout. Nous avons toujours conditionné l'aide que nous apportions au respect des Droits de l'Homme. Aujourd'hui, les promesses qui ont été faites par le Président Eltsine et que M. Kozyrev, le ministre des affaires étrangères, me confirmait hier encore au téléphone – à savoir arrêter les bombardements, proposer un cessez-le-feu, être prêt à négocier – ne sont pas suivies d'effets. Nous venons de voir sur vos images que l'offensive continue et que même on en prépare une plus forte encore, peut-être pour demain. Cela, nous ne pouvons pas l'accepter. Nous devons dire très fermement aux Russes : « vous voulez appartenir désormais à la Communauté internationale, à la Communauté des démocraties ; il faut en tirer les conséquences, il faut ouvrir le dialogue ».

J'ai observé que le Général Doudaev était prêt à dialoguer. On nous disait hier que c'était aussi l'intention des autorités russes. Eh bien qu'on le fasse maintenant, que l'on arrête ces massacres car il y a eu des milliers de morts.

Q. : Pour l'Algérie, suite à cette prise d'otages récente, on a eu l'impression à un moment donné qu'il y avait deux politiques algériennes de la France, celle de M. Pasqua, la vôtre, on ne savait plus très bien où on était ; êtes-vous au diapason aujourd'hui, quelle est la ligne politique ?

R. : Tout à fait. Il faut se méfier des interprétations qui sont faites ici ou là. Charles Pasqua est en charge de la sécurité intérieure, il est donc normal que vis-à-vis du terrorisme, il ait des positions d'une totale détermination que je partage d'ailleurs. Le problème de la diplomatie, c'est autre chose et le Premier ministre a très clairement indiqué quelle est notre ligne. Je n'ai pas le temps de la développer, je voudrais simplement rappeler que nous avons toujours condamné la violence, d'où qu'elle vienne, et que nous avons toujours appelé au dialogue de façon à déboucher sur des élections aussi vite que possible.

Ce dialogue avait commencé à l'automne dernier, il avait échoué. J'observe qu'il recommence aujourd'hui et que des contacts sont pris, vous le savez. Eh bien, nous regardons cela avec beaucoup d'intérêt. C'est là qu'est la solution.

Q. : Faut-il continuer à soutenir à coup de millions de dollars ce régime en place et prôner le dialogue avec les intégristes en même temps ?

R. : Je crois en tout cas que personne n'a d'intérêt au chaos en Algérie et je pense que la Communauté internationale, parce que ce n'est pas la France seule, ce sont les membres de l'Union européenne, ce sont les pays industrialisés, c'est le FMI, doivent continuer à aider les réformes économiques en Algérie et le peuple algérien.