Interviews de M. Nicolas Sarkozy, ministre du budget et porte-parole du gouvernement chargé de la communication, à TF1 le 18 janvier 1995 et RTL le 19, sur la candidature d'Édouard Balladur à l'élection présidentielle et sur la polémique autour du "pacte" entre MM. Chirac et Balladur et à propos d'un débat "Chirac-Balladur" avant le 1er tour.

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Média : RTL - TF1

Texte intégral

TF1 : Je croyais que si E. Balladur était allé à l'Élysée (sic, Ndlr) sur le conseil de J. Chirac en 93, c'est qu'il y avait une sorte de pacte tacite entre les deux hommes : à toi Matignon pour 93-95 et à moi, si possible, l'Élysée à partir de 95 ?

N. Sarkozy : Y-a-t-il eu un pacte ? La réponse est non.

TF1 : Il n'y a pas eu du tout l'espoir pour J. Chirac que son Premier ministre ne se présenterait jamais ?

R. L'idée même d'un pacte pour se répartir l'Élysée et Matignon est une idée parfaitement incongrue et contraire à l'esprit de la Ve République, parce qu'elle reviendrait à priver les Français de la capacité de choisir librement celui ou celle qu'ils souhaitent pour être le prochain Président de la République. Je ne comprends pas très bien cette querelle. Parce que dans cette campagne qui s'ouvre – nous souhaitons tous qu'elle soit positive – il est naturel que chacun se batte pour faire valoir son candidat, que chacun d'entre nous souhaitions que la France ait le meilleur Président de la République. Cette idée, ce n'est pas une idée pour construire, c'est une idée pour détruire. Et chaque fois que la majorité s'est laissée à la destruction, mal lui en a pris.

TF1 : Si J. CHIRAC a pu penser cela – et avec lui beaucoup de monde, reconnaissez-le – c'est qu'en 1990 E. Balladur dans Le Monde avait écrit un article noir sur blanc que : choisir un Premier ministre de cohabitation ne soulèverait pas de gros problèmes du moment qu'il serait décidé dès le départ qu'il ne serait pas candidat à l'élection présidentielle. Et il devait confirmer ses propos quelques mois plus tard à 7/7. Il est revenu sur son intention ?

N. Sarkozy : En 1990, vous avez parfaitement raison, E. Balladur n'était pas candidat. Et qu'est-ce qui s'est passé ? En avril 93, il y avait bien peu de monde pour prendre la charge de Premier ministre. Pourquoi ? Parce que la France était confrontée à une crise internationale de première ampleur, celle de la négociation du GATT. Certains même dans la majorité ont refusé de prendre des postes ministériels parce qu'ils considéraient qu'on ne pouvait pas surmonter cette crise. La France était confrontée à une crise économique, la plus forte depuis 1945 : crise sociale, une crise morale, les affaires. E. Balladur y a été pour redresser la France, pendant deux ans. Et il se trouve que, pendant ces deux années, non seulement le soutien de nos compatriotes ne lui a jamais manqué, mais encore et c'est encore plus étonnant, que ce soutien s'est renforcé. Quoi de plus naturel que celui qui a entamé le redressement de la France depuis deux ans dans des conditions extrêmement difficiles souhaite poursuivre l'action engagée tant qu'il bénéficie, comme c'est le cas aujourd'hui, du soutien de nos compatriotes ? Y-a-t-il là quelque chose d'étonnant ou quelque chose de naturel ? Est-ce qu'il ne serait pas extraordinaire que celui qui, dans la majorité et de loin, a le plus grand crédit dans l'opinion, rassemble plus largement, serait donc le seul qui ne pourrait pas poursuivre l'action qu'il a engagée il y a deux ans ! Mais figurez-vous, nous sommes des millions à souhaiter que le Premier ministre puisse poursuivre son action.

TF1 : Est-ce qu'E. Balladur va accepter le duel télévisé que lui propose J. Chirac ?

N. Sarkozy : Non, je ne le pense pas. Pacte de non-agression, bien sûr, pourquoi ? Parce que ce qui nous rassemble est beaucoup plus important que ce qui nous sépare, il faudra bien se retrouver au deuxième tour. Les Français ne nous ont quand même pas fait confiance pour qu'on se divise, que nous nous opposions et qu'il y ait des paroles qui laissent des traces. L'idée du Premier ministre c'est que la campagne doit être sereine, positive el en ce qui le concerne, il ne souhaite pas donner cette image de division. S'agissant des débats, en règle générale en tout cas – c'est la leçon de toutes les dernières élections présidentielles – c'est qu'ils ont lieu au deuxième tour.

TF1 : Vous pensez que J. Chirac sera présent encore au deuxième tour ?

N. Sarkozy : Je ne fais pas de pronostic.

TF1 : Il ira en tout cas jusqu'au terme de sa candidature ?

N. Sarkozy : Je ne sais pas. Ce que j'essaye de faire, c'est de participer avec beaucoup d'autres pour essayer d'expliquer aux Français qu'E. Balladur serait, me semble-t-il, le meilleur président pour la France des années qui viennent.

TF1 : Participer à quelle place ?

N. Sarkozy : Comme tous les autres ministres et d'abord comme le Premier ministre, notre première responsabilité au-delà de nos engagements politiques c'est de continuer l'action gouvernementale. On nous a fait confiance pour ça, c'est une priorité absolue. La France a la présidence européenne et nous devons faire face à ces obligations. S'agissant en quelque sorte de ma casquette de porte-parole du gouvernement, peut-être qu'il y aura dans les jours ou dans les heures qui viennent une adaptation, c'est le Premier ministre qui le décidera.

TF1 : Vous pourriez être remplacé à votre poste actuel de porte-parole du gouvernement par P. Douste-Blazy ?

N. Sarkozy : Disons qu'il y a des choses qui sont vraisemblables.

TF1 : Qu'est-ce qui peut se passer dans les semaines à venir ?

N. Sarkozy : D'abord, la conviction du Premier ministre c'est que rien n'est fait, rien n'est gagné, et il fera campagne. La deuxième conviction, c'est que sa première tâche est de conduire le gouvernement, c'est la raison pour laquelle il avait promis aux Français une réponse avant la fin du mois de janvier, il a tenu parole et la campagne de terrain commencera dans le courant du mois de février.

TF1 : L'ambiance au sein du gouvernement ?

N. Sarkozy : Si c'était facile d'être dans un gouvernement quel qu'il soit, ça se saurait. Et j'espère de tout cœur que nous ferons tout le nécessaire pour que la division ne l'emporte pas. Je soutiens E. Balladur, c'est pas pour ça que je fais campagne contre qui que ce soit et certainement pas contre quelqu'un du mouvement auquel j'appartiens.

TF1 : La division à gauche, ça vous réjouit ou ça vous démobilise ?

N. Sarkozy : Non, ça ne me réjouis en aucun cas parce que toute la classe politique est comptable des comportements des uns et des autres. Le fait qu'il y ait des difficultés, je ne suis pas forcément leur meilleur conseiller, en tout cas le conseiller le plus désintéressé.

 

Jeudi 19 janvier 1995
RTL

M. Cotta : Voilà donc E. Balladur candidat, "une candidature qui s'inscrit dans l'évidence" comme le dit Le Figaro ce matin. Du coup, on a peut-être ressenti, dans sa déclaration, davantage d'émotion que d'élan nouveau. Balladur candidat peut-il être plus exaltant que Balladur Premier ministre ?

N. Sarkozy : Je ne sais ce que vous entendez par "exaltant" et je serais heureux d'en connaître la définition. Si par "exaltant" vous entendez la poursuite de la confiance que lui témoignent nos compatriotes depuis deux ans qu'il est à Matignon, face à des épreuves très difficiles, après tout ce n'est pas un si mauvais objectif. J'ai ressenti deux sentiments : vous avez parlé d'émotion et vous avez parfaitement raison. Le Premier ministre était ému, c'est un acte grave.

M. Cotta : Même s'il était préparé ?

N. Sarkozy : Ça n'a rien à voir. Le passage à l'acte est quelque chose d'important et qui compte. Deuxième sentiment : l'impression d'une très grande force contenue et maîtrisée qu'il y avait dans ses propos. C'est peut-être ce que vous cherchez dans le mot "exaltant".

M. Cotta : E. Balladur avait écrit en 90 qu'"un Premier ministre n'avait pas la vocation à se présenter à l'élection présidentielle". Qu'est-ce qui l'a fait changer d'avis et selon vous quand ? Le 29 mars 93 ?

N. Sarkozy : En 1990, c'est exact, E. Balladur n'était pas candidat. Qu'est-ce qui l'a fait changer d'avis ? En avril 93, on ne se bousculait pas pour aller à Matignon. Pourquoi ? Il y avait une crise internationale de très grande ampleur avec l'affaire du GATT et certains même qui ont refusé d'exercer des fonctions ministérielles, pensaient qu'on ne pouvait pas sortir de celle situation. Il y avait une crise économique, politique, morale, sociale. E. Balladur a eu le courage d'aller à Matignon et de redresser la France. Ce qui est extraordinaire c'est que tout au long de ces deux années, non seulement le soutien des 
Français ne lui a jamais manqué, mais il a été bien souvent en augmentant. À partir de ce moment-là, il est assez naturel que celui qui a conduit le redressement de la France souhaite le poursuivre.

M. Cotta : Mais peut-on être candidat à la réconciliation, au rassemblement, si on commence par affronter une division dans son propre camp ?

N. Sarkozy : Qu'il y ait débat au premier tour, au sein du RPR, après tout pourquoi pas. Mais la question qui se pose : va-t-on priver les Français de leurs capacités de choix, est-ce que celui qui dirige la France aujourd'hui, comme Premier ministre, est-ce que celui qui a le plus grand soutien populaire n'avait pas le droit de se présenter ? Au nom de quelle logique ? Admettez que ça serait curieux.

M. Cotta : Nous n'allons pas reparler de pacte – car je pense qu'il n'y a pas de pacte écrit – mais il y avait peut-être un pacte implicite entre Balladur et Chirac, d'occuper l'un l'Élysée et l'autre Matignon.

N. Sarkozy : Heureusement que vous ne voulez pas en reparler, qu'est-ce que ça serait si vous en reparliez...

M. Cotta : Je ne parle pas de pacte mais de cet engagement...

N. Sarkozy : Mais parlons-en ! Qu'est-ce que c'est qu'une espèce d'engagement ? Je vous dis tout de suite que l'idée de pacte est une idée parfaitement incongrue. Parce qu'elle reviendrait il nier le droit des Français de choisir le candidat qu'ils souhaitent. Vous imaginez J. Chirac et E. Balladur dans l'arrière-boutique d'un parti politique en disant : "Ben ça c'est pour toi et ça c'est pour le reste". Mais qui peut penser à cela !

M. Cotta : C'est bien pour cela que les chiraquiens ne revendiquent plus ce pacte finalement…

N. Sarkozy : Alors pourquoi en parlons-nous ?

M. Cotta : Parce-que l'engagement tacite, peut-être, peut faire passer E. Balladur comme quelqu'un qui ne respecte pas cet engagement, même implicite.

N. Sarkozy : Je me suis engagé dans la campagne pour aider E. Balladur et pour essayer de convaincre qu'il sera le meilleur Président de la République pour la France. Mais si votre question est : est-ce qu'en matière d'homme de parole, E. Balladur a des leçons à recevoir ? Je crois que non.

M. Cotta : Sur quels points de la campagne, sur quels thèmes, les positions d'E. Balladur seront elles différentes de celles de J. Chirac ? Emploi, exclusion, protection sociale ? On n'a pas l'impression qu'il y a beaucoup de différences et donc la différence n'est-elle pas seulement celle de deux individus ?

N. Sarkozy : Ne soyons pas gênés sur le fond. Il est assez normal que nous ayons les mêmes convictions puisque nous habitons, en quelque sorte, dans la même formation politique depuis des années et des années. Qu'est-ce qui se joue ? Deux choses : 1. La capacité de rassemblement. Plus le prochain Président de la République aura rassemblé autour de lui, plus il pourra conduire de grandes réformes. 2. C'est la méthode de gouvernement. Je considère que la méthode de gouvernement d'E. Balladur est pour tout dire, la plus moderne et la mieux adaptée aux années 1995.

M. Cotta : Quand on dit à E. Balladur qu'il a gouverné pendant deux ans et que peut-être il a endormi les Français, qu'il leur a dit : "Dormez je veille" que répondez-vous ?

N. Sarkozy : Je crois que tout ce qui est excessif ne compte pas.

M. Cotta : C'est excessif de dire qu'E. Balladur a voulu rassurer et peut-être que Chirac aujourd'hui inquiète ?

N. Sarkozy : Prenons un exemple : quand il a fallu convaincre les agriculteurs français de la nécessité de la ratification des accords du GATT alors qu'on parlait de risque de jacquerie, qui s'y est porté, qui a conduit la négociation, qui a obtenu ce qu'il a obtenu ? C'est E. Balladur ! Quand nous sommes arrivés, 30 à 40 000 chômeurs de plus par mois ! Qui a stabilisé le chômage, qui l'a fait ? Est-ce de l'endormissement ou est-ce de la détermination ? Moi je suis plutôt du côté de la détermination.

M. Cotta : Quand E. Balladur dit qu'il est "pour une société sans fracture, ni rupture, pour une campagne sans fractures ni rupture", n'est-ce pas une façon de dire pour Chirac qu'il fait le contraire et qu'il fait lui, campagne sur des thèmes rigoureusement opposés ?

N. Sarkozy : Moi je voudrais faire campagne pour Balladur, je n'ai pas à faire campagne pour qui que ce soit parce qu'il faudra qu'on se retrouve au deuxième tour. Jeter l'anathème ou prononcer la parole qui blesse c'est une grande erreur. Ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous divise et il faudra bien se retrouver.

M. Cotta : Vous jouez le deuxième tour déjà ?

N. Sarkozy : Je préfère jouer à ce que notre candidat gagne, plutôt que ça se passe comme en 1981 ou 1988 et que l'on perde, alors que nos idées étaient majoritaires. Il faut donc faire très attention à ce que l'expression des différences ne conduise pas à la division et donc à l'échec.

M. Cotta : Il n'y pas encore de candidat crédible à gauche face à vous. Ne le regrettez-vous pas ? Il serait plus facile de concentrer les coups contre un adversaire politique que contre un ancien ami.

N. Sarkozy : Honnêtement, je ne peux guère regretter que le PS soit tellement occupé avec lui-même qu'il oublie de s'occuper de nous. Je n'ai pas cette forme de masochisme. Quand à concentrer les coups, vous savez ce n'est pas ma conception de la vie politique. Nous souhaitons une campagne positive. On expliquera pourquoi E. Balladur est le meilleur candidat possible pour devenir Président de la République. Les autres font ce qu'ils veulent et y compris le PS.

M. Cotta : Votre diagnostic sur l'évolution du RPR ? On dit que deux parlementaires sur trois en ce moment, sont toujours du côté de Chirac. Voulez-vous faire changer les choses ?

N. Sarkozy : Nous avons l'occasion de faire les comptes très précisément, de voir les soutiens des uns et des autres et je peux d'ores et déjà vous indiquer qu'il y a plusieurs centaines de parlementaires du RPR et de l'UDF qui ont appelé à rejoindre E. Balladur. Mais nous ferons les comptes précisément, nous verrons la semaine prochaine la publication des comités de soutien.

M. Cotta : Y-aura-t-il un code de bonne conduite entre les deux candidats issus du RPR ? Le Premier ministre a paru un peu sceptique lors de ses vœux à la presse...

N. Sarkozy : Le Premier ministre n'aime pas trop quand on codifie ce qui doit être une évidence. Son idée est que s'il y a un code c'est qu'il y aurait des tentations d'agression. Et comme il n'y a aucune tentation d'agression de notre côté, ne vous inquiétez pas, nous veillerons à ce que la campagne se passe sereinement.

M. Cotta : Le gouvernement peut-il continuer à fonctionner comme il le fait, mis à part un léger remaniement puisque P. Douste-Blazy devrait vous remplacer à la Communication ?

N. Sarkozy : Pas à la Communication mais au Porte-parolat. Non seulement le gouvernement peut mais il doit continuer à gouverner la France. C'est notre devoir pour les trois mois et une semaine, c'est ce que nous ferons.