Déclaration de M. Jacques Chirac, président du RPR, maire de Paris et candidat à l'élection présidentielle, dans "La Voix du Nord" et communiqué à l'AFP le 4 novembre 1994 (communiqué publié dans "Le Monde" du 7 novembre), sur l'annonce officielle de sa candidature à l'élection présidentielle 1995 et sur ses propositions en matière de santé, de protection sociale et d'accès aux soins.

Prononcé le

Circonstance : Déplacement à Lille et visite du CHRU de Lille, le 4 novembre 1994

Média : Emission la politique de la France dans le monde - La Voix du Nord - Le Monde - Presse régionale

Texte intégral

POLITIQUE
Pour deux jours dans le Nord-Pas-de-Calais et en exclusivité à « La Voix du Nord »

Jacques Chirac : « Je suis candidat »


Le sort en est jeté ! Alors que toute une partie de la majorité continue à s’agiter autour du thème des « primaires », J. Chirac choisit l’occasion que lui offre une interview exclusive accordée à notre journal pour affirmer haut et clair sa candidature lors de la prochaine élection à la présidence de la République.

L’ancien Premier ministre n’a sûrement pas choisi par hasard de s’engager ainsi, dès à présent, dans la bataille présidentielle le jour même où il rend visite à notre région qu’il sait être une terre de vieille tradition gaulliste et à laquelle le fondateur de la Ve République qui resta toute sa vie attaché par le double lien de la naissance et de l’affection. Il faut donc voir là une évidente recherche du symbole…

De toute façon, dans la réponse sans ambiguïté qu’il a apportée à notre question et qui le prive désormais de toute possibilité de recul, c’est manifestement d’une démarche gaullienne, se situant résolument en dehors et au-dessus des partis, qu’a souhaité s’inspirer Jacques Chirac. Et il bouscule ainsi les prévisions de toute la classe politique, persuadée que les deux principaux candidats potentiels de la majorité allaient continuer à s’observer au moins jusqu’au début de l’an prochain avant de se déclarer officiellement.

A un moment où les derniers sondages ne lui sont pas vraiment favorables, il y a assurément une bonne part de défi dans l’initiative du maire de Paris. Mais en retrouvant l’esprit de décision et les réflexes foudroyants de l’époque où il était le « hussard » préféré de Pompidou, il espère redistribuer d’un coup toutes les cartes du jeu politique et placer Edouard Balladur sur la défensive.

J. Chirac ne se montre d’ailleurs pas tendre pour un Premier ministre auquel il fait, entre les lignes, le double reproche de l’hypocrisie et de l’immobilisme politique et social. Par son acte de candidature, il entend en tout cas contraindre le chef du gouvernement à se dévoiler plus vite que ne le souhaitait ce dernier et bouleverser ainsi toute sa stratégie. Soudain, par une simple déclaration, tout change. La bataille présidentielle vient déjà de commencer. 

Marcel Marsal


EXCLUSIF

Q. Votre voyage de travail dans la région préfigure une autre campagne… Que pensez-vous du débat pour l’élection présidentielle qui n’ose pas s’afficher, avec des candidats masqués ?

R. Les Français vont effectivement bientôt élire un nouveau président de la République. Ils ont le droit de savoir qui orientera leur destin et vers quels horizons.

L’hypocrisie, qui affecte le débat politique actuel, offense leur civisme et entretient un climat malsain.
J’ai donc décidé de clarifier la situation en annonçant dès aujourd’hui que je suis candidat lors de la prochaine élection présidentielle. Personne n’en doutait vraiment mais je pense que les choses doivent être dites nettement.

« Restaurer l’espérance »

Le choix de nos compatriotes sera décisif : dans un monde aux équilibres bouleversés, le retour de la croissance ne résoudra pas le problème de l’emploi qui menace la société de désagrégation.

Entre les risques d’une politique de rupture qui sèmerait le désordre et le confort d’une tiédeur qui enliserait notre pays dans un déclin léthargique, la nécessité du changement s’impose à la raison.

Armés d’une éthique rigoureuse, nous devrons d’abord conduire en quelques mois les réformes les plus urgentes, celles que les Français attendent avec impatience et pour lesquelles le temps nous sera compté. Nous devrons ensuite, par la concertation, adapter notre pays aux transformations que connaît le monde contemporain.

A ce prix seulement, l’Etat républicain pourra relever les défis et restaurer l’espérance.

Santé : deux jours pour tâter le pouls de la région
UNE INTERVIEW A LA VOIX DU NORD
Recueillie par J.-F. PEUMERY et C. ROY

Deux jours dans la région pour en tâter le pouls médical et rencontrer les professionnels sur le terrain : M. Jacques Chirac a un programme chargé, ces vendredi et samedi. Il rencontrera les « hospitalo-universitaires » au CHRU de Lille, cet après-midi, les représentants des professions paramédicales, samedi matin à Roubaix, et les responsables du centre hospitalier d’Arras, samedi après-midi, sa visite dans le Nord étant également ponctuée de rencontres de parlementaires, conseillers régionaux et généraux. Fort de son expérience de maire de Paris où il a, la crise aidant, dû faire face aux problèmes on ne peut plus cruciaux, le « présidentiable » a des propositions à faire. Et, surtout, il veut affirmer ses convictions.

Nous l’avons rencontré à la veille de son passage dans le Nord-Pas-de-Calais, une région dont les retards dans ce domaine sont régulièrement confirmés par les statistiques.

Q. Vous voici pour deux jours dans une région défavorisée sur le plan de la santé puisque l’espérance de vie y est largement inférieure à la moyenne nationale… Est-ce la raison de ce déplacement dans le Nord-Pas-de-Calais ?

R. Ce déplacement s’inscrit dans une longue série de déplacements en province sur les thèmes correspondant aux grandes préoccupations des Français. Ces déplacements participent donc de ma réflexion sur l’avenir de notre société.

Pourquoi le Nord-Pas-de-Calais pour évoquer les problèmes de santé ?

D’abord, pour la raison que vous soulignez : cette grande région présente une situation sanitaire inférieure à la moyenne nationale, qu’il s’agisse de l’offre de soins ou de l’état de santé de la population.

Ensuite, parce qu’il y a, à Lille, un CHU exemplaire qui a engagé depuis plusieurs années une démarche originale de modernisation, fondée sur des contrats d’objectifs, un partenariat avec les autres établissements hospitaliers de la région et des relations étroites entre les médecins de ville et d’hôpital.

C’est une démarche intelligente, qui produit de bons résultats. J’ai voulu venir sur place pour m’entretenir avec les responsables du CHU et recueillir le fruit de leur expérience.

Q. En dépit de la situation dans la région, le schéma sanitaire prévoit des suppressions de lits, voire d’hôpitaux. Que vous inspire cette politique ?

R. Je refuse de poser le problème de la carte hospitalière en termes de fermeture de lits. C’est une vision simpliste et réductrice. 

La seule question qui se pose est de savoir comment faire évoluer notre système hospitalier pour qu’il réponde, en toute sécurité, aux besoins des patients.

Selon les cas, il peut s’agir d’un hôpital avec un plateau technique très performant, d’une structure d’hospitalisation légère, d’une hospitalisation à domicile, de soins ambulatoires…

« Corriger les inégalités »

Ce qui compte, c’est la prise en charge des malades, le service qui leur est garanti, et non le nombre de lits qui ne sont que des moyens parmi d’autres. 

J’ajoute que la politique de restructuration hospitalière devra s’accompagner d’un effort particulier en faveur des petits établissements qui jouent un rôle clé dans l’accès aux soins et contribuent à l’aménagement du territoire. 

Il faut aussi, bien entendu, corriger les inégalités de la carte sanitaire actuelle et renforcer les moyens de régions comme le Nord-Pas-de-Calais.

Q. Quel système de protection sociale a votre préférence ? Comment harmoniser libéralisme et égalité devant la santé ? 

R. Il est vrai que notre système de protection sociale n’est plus aussi juste et facile d’accès que par le passé. Mais il serait paradoxal de vouloir opposer liberté de médecine et égalité d’accès aux soins : la médecine libérale est la meilleure garantie qui soit pour les patients.

La véritable priorité, aujourd’hui, consiste à distinguer, au sein des dépenses de santé, celles qui relèvent d’une logique d’assurance et doivent être financées par des cotisations sociales, de celles qui relèvent de la solidarité nationale et doivent être prises en charge par l’Etat. 

C’est le cas, par exemple, des moyens nécessaires pour aider les personnes âgées dépendantes, les toxicomanes, les malades du Sida…

Il faut aussi développer sensiblement la prévention sous toutes ses formes, en vertu du vieux principe selon lequel « mieux vaut prévenir que guérir » : éducation sanitaire, campagnes de prévention et de dépistage, médecine scolaire, médecine du travail… Ce sont d’évidentes priorités pour l’avenir.

« Rétablir de vraies solidarités de proximité »

Q. Toute une population qui a droit à l’aide médicale en est exclue… Comment lui en faciliter l’accès ?

R. Malgré la généralisation de la sécurité sociale, il y a 20 ans, un nombre croissant de Français ne parviennent plus à faire valoir leurs droits : sans domicile fixe, chômeurs de longue durée, familles désunies… 

Que faire ? D’abord, rétablir de vraies solidarités de proximité, en renforçant les moyens des associations à vocation sociale qui font un travail admirable. C’est une nécessité, il faut également imaginer des solutions « sur mesure » pour les plus démunis : le SAMU social que j’ai créé à Paris et que le gouvernement va étendre à trente villes de province est un progrès incontestable pour faire face aux situations de détresse. 

Je propose également de généraliser à l’ensemble du territoire le système de la carte Paris-santé, qui permet une affiliation automatique à la sécurité sociale et profite à 130 000 personnes dans la capitale. 

Des actions spécifiques doivent également être engagées dans le domaine de la toxicomanie, de l’aide aux personnes âgées, de l’assistance aux enfants défavorisés. D’une façon générale, nous devons faire un effort particulier en direction de ceux qui sont exclus de notre société.

Q. La révolte des infirmières persiste. Leurs revendications sont inchangées. Comment leur donner satisfaction ?

R. Il n’est pas tout à fait exact de dire que les revendications des infirmières n’ont pas changé. Plusieurs mesures de revalorisation sont intervenues dans les dernières années, permettant de mieux rémunérer les infirmières travaillant dans les hôpitaux. 

Pour autant, tout n’est pas réglé. A l’hôpital, les perspectives de carrières ne sont pas suffisantes et les règles d’avancement restent trop rigides. Les conditions de travail peuvent être encore améliorées et la place des infirmières dans les équipes soignantes doit être renforcée. 

J’ajoute que, dans le secteur libéral, plusieurs problèmes subsistent, comme la question du prix des actes ou du statut des étudiants en soins infirmiers. De façon générale, les infirmières souffrent d’un manque de considération. Leur rôle doit être mieux reconnu.

Q. Etes-vous pour ou contre le dossier médical remis à l’assuré pour le limiter dans ses démarches auprès des médecins ?

R. Le dossier médical n’a pas pour but de limiter le patient dans ses démarches auprès des médecins : le principe du libre choix du médecin ne saurait être remis en cause de quelque façon que ce soit. Le dossier médical n’est qu’un instrument parmi d’autres pour aider les praticiens à suivre leurs malades, éviter les examens inutiles, les aider dans leur diagnostic. 

Mais puisque vous évoquez le rôle des médecins, je voudrais dire que nous avons un important travail à faire pour obtenir leur confiance. Nous devons revaloriser leurs conditions d’exercice et faire en sorte que leur rémunération soit en rapport avec le temps qu’ils passent avec leurs malades, les responsabilités qu’ils assument et les études qu’ils ont effectuées. C’est dans cet esprit que je plaide pour une modernisation de la nomenclature médicale.


La déclaration communiquée à l’AFP

« Notre pays a besoin d’une véritable politique du changement »

Jacques Chirac a communiqué à l’Agence France-Presse, vendredi 4 novembre, la déclaration suivante :

La vie politique de notre pays est polarisée depuis plusieurs mois par les élections présidentielles, mais les Français ignorent qui sollicitera leurs suffrages et quelle sera la nature du débat. Ils déplorent les camouflages tactiques qu’ils perçoivent légitimement comme des offenses à leur civisme. Ils sont las de cette hypocrisie. 

Dans un climat aussi délétère, le désarroi tourne vite à l’aigreur, puis au ressentiment : les pires démagogies risquent d’y prospérer. Déjà, on observe la glaciation de toute initiative par le discrédit qui pèse sur l’ensemble de la classe politique. Je me refuse à contribuer à l’entretien d’un tel climat. C’est de l’avenir de la France qu’il s’agit : les Français ont le droit de savoir qui a l’ambition de le prendre en charge, dans quelles perspectives et vers quels horizons. Aussi ai-je décidé de clarifier la situation en annonçant aujourd’hui que je suis candidat lors de la prochaine élection présidentielle.

« Le monde cherche de nouveaux équilibres »

Le choix des électeurs sera décisif. Pourquoi brouiller leur esprit en esquivant les questions qu’ils se posent ? Le système économique et social bâti dès l’origine de la Ve République dans l’euphorie d’une France régénérée et d’une croissance soutenue est en cours d’implosion. Le monde cherche de nouveaux équilibres, non sans appréhensions. Les échanges de biens, de capitaux et d’informations se sont mondialisés, les pôles de puissance se sont déplacés, l’innovation technologique frappe de désuétude les modes de raisonnement et d’action hérités du passé. Partout s’est ouverte la plaie du chômage. Elle menace de désagréger les sociétés. Le retour attendu de la croissance ne suffira plus à résoudre le problème crucial de l’emploi.

Notre pays a besoin d’une véritable politique du changement. Entre les risques d’une rupture qui sèmerait le désordre et le confort d’une tiédeur qui enliserait notre pays dans un déclin léthargique, la nécessité du changement s’impose à la raison. Il doit intervenir en deux phases et à des rythmes différents. D’abord, la bataille contre le chômage et pour l’insertion des jeunes, la lutte contre l’exclusion, la juste répartition des fruits de la croissance, appellent des réformes dans un délai de six mois après l’élection du nouveau président de la République. Nous sommes là en état d’alerte et d’urgence, le temps nous sera compté. Ensuite, l’adaptation des structures aux mutations profondes que connaissent l’Europe et le monde fera l’objet de réformes programmées et concertées dans les domaines de l’éducation, de la fiscalité, de la protection sociale, de l’administration et de l’environnement.

Ainsi l’Etat républicain, armé de rigueur et de cohérence, pourra-t-il relever les défis du futur. Ainsi, nos compatriotes, confortés dans leur aspiration à une éthique nouvelle, retrouveront le goût de l’effort, le sens de la créativité et la voie de l’espérance.