Texte intégral
Après avoir publié la semaine dernière les réponses de Michel Rocard, Francis Wurtz, Dominique Baudis et Brice Lalonde, nous vous présentons aujourd'hui celles des quatre autres têtes de liste interrogées.
1. – Quel est, selon vous, l'élément essentiel sur lequel doit se déterminer le vote du 12 juin ?
2. – Durant cette campagne 1994, le traité de Maastricht et sa ratification – question qu'on disait dépassée – était encore au coeur des débats. Considérez-vous qu'il s'agit d'une fracture durable entre deux conceptions opposées de la construction européenne ?
3. – Considérez-vous, même pour le regretter, que ce scrutin européen aura d'importantes conséquences pour les prochaines échéances de la politique française ?
Jean-Pierre Chevènement.
Tête de liste « l'autre politique ».
1. L'emploi : le drame du chômage est en train de déstabiliser toute la société. Le chômage détruit le lien social, creuse les inégalités, sape les solidarités, conduit au repli frileux des individus et des peuples. La recherche de boucs émissaires – les immigrés (retour au pays) et les femmes (retour au foyer) conduit à de véritables reculs de civilisations. La société toute entière a peur. Elle doute. Pour lui rendre l'espoir, il faut lui montrer qu'on peut changer de politique. « L'Autre politique », c'est d'abord l'emploi avant la finance, baisse des taux d'intérêt, renationalisation de la Banque de France pour que le gouvernement contrôle notre monnaie, relégitimation de l'intervention publique dans l'économie au travers d'une politique active de reconquête industrielle, défense du service public, création d'un secteur d'utilité sociale non soumis à la concurrence pour répondre aux besoins d'aujourd'hui (emplois de proximité, environnement, personnes âgées, etc.). Enfin, nous proposons un plan de retour à l'emploi volontariste financé en grande partie par l'assurance-chômage et les fonds consacrés à la formation professionnelle. 1,5 million de demandeurs d'emploi pourraient ainsi sur trois ans entrer dans les entreprises. Ils seraient payés par l'assurance-chômage. Dans le même temps, des postes de travailler seraient libérés par des salariés partant en formation continue. Il vaut mieux payer des gens à travailler financer des plans de formation que de les laisser rechercher désespérément un emploi.
2. Il faut rompre avec l'idée que l'Europe pourrait se construire par la monnaie, la convergence forcée et artificielle des économies, par la norme communautaire imposée au nom d'un libéralisme doctrinaire par la Commission et la Cour de justice européenne aux parlements nationaux élus par les peuples. Il faut faire la Grande Europe, celle de l'Après-mur de Berlin, celle de la géographie. L'Europe devra être sociale et porter les valeurs républicaines : laïcité, service public, droit du sol. Elle doit veiller à l'ouverture vers le Sud. C'est à la fois une exigence du point de vue moral et une nécessité pour éviter l'embrasement de la Méditerranée, menacée par l'intégrisme, fruit de la misère. De tels objectifs nous éloignent de Maastricht et de Schengen. La gauche devrait comprendre que rompre avec Maastricht est la condition pour offrir une alternative crédible et authentique à la droite. Pour appliquer Maastricht, la droite sera toujours la mieux placée : c'est son programme.
3. Il y a un réel enjeu, à gauche.
« L'Autre politique », seule liste pluraliste rassemblant toutes les composantes de gauche, changera le paysage politique.
Il faut troubler l'ordonnance stérile du face à face entre le parti du pouvoir (PS) et celui du parti pour le parti (PCF).
Le score de la liste « L'Autre politique » servira de levier à tous ceux qui souhaitent que ne se renouvellent pas demain les erreurs et les dérives d'hier…
Si Michel Rocard revenait au pouvoir, ce serait pour faire la même politique immobiliste qu'il a conduite hier. Et la crise morale du pays s'aggraverait encore.
La transformation sociale ne se réalisera pas en position assise.
Notre liste est composée d'hommes et de femmes qui ont su ces dernières années rester debout.
C'est une garantie pour ceux qui croient encore à la gauche.
Bernard Tapie.
Tête de liste d'« Énergie radicale »
1. La place de la France en Europe. Nous sommes favorables à une France qui gagne dans une Europe forte et ouverte. Cela signifie d'abord qu'il faut améliorer les chances de la France en commençant par une mobilisation générale contre le chômage et le chômage des jeunes en particulier ; quel que soit le prix à payer par la collectivité (nous l'avons chiffré à 66 milliards de francs par an). Il faut désamorcer cette bombe à retardement posée au coeur même de nos sociétés.
Ensuite, il convient de donner à l'Europe une dimension résolument fédérale dans quatre domaine clefs : politique économique et monnaie, défense, harmonisation sociale et protection de l'environnement. Dans ces quatre secteurs, l'Europe peut et doit faire mieux que les États membres pris individuellement. Pour le reste – tout le reste – laissons respirer la liberté des Nations, des collectivités locales et des gens.
2. Ce débat est dépassé. On pourrait aussi conduire la campagne sur le thème « pour ou contre la guerre de 1940 ? ». Le traité d'Union européenne est négocié, signé, ratifié. L'urgence est de l'appliquer notamment pour le calendrier de l'Union monétaire.
En outre, je ne crois pas que les deux lectures du traité de Maastricht offrent un clivage politique pertinent dans l'avenir. Je pense plus utile d'approfondir – pour les réduire – les contradictions entre pro-européens de gauche et anti-européens de gauche que de lancer la gauche européenne dans un vaste consensus avec la droite européenne. Le compromis « social-démocratie-chrétien » me paraît très préjudiciable à la maturation d'une Europe de gauche, sociale, solidaire, laïque et inspirée des principes républicains.
3. Le calendrier électoral et l'équilibre de nos institutions font de cette consultation le premier tour d'une élection présidentielle à trois tours. Il est certain que l'échec manifeste de la stratégie d'union RPR-UDF dans cette élection pèsera sur les prochaines consultations. Il est également acquis que les scores prévisibles des différentes listes de gauche vont accélérer la recomposition de celle-ci en débouchant sur la mise en cause personnelle de quelques-uns de ses dirigeants.
Pour leur part, les radicaux travaillent à la constitution d'un pôle de gauche radical, réformiste, écologiste et républicain que leur liste préfigure. Dès le 13 juin, ils seront disponibles pour toute forme de dialogue à gauche. A condition qu'il s'agisse d'un partenariat équilibré.
Marie-Anne Isler-Béguin.
« Union des écologistes pour l'Europe »
1. Deux conceptions de l'Europe s'affrontent : l'Europe réduite au libre-échange, chère aux britanniques, face à l'Europe politique dont nous voulons la forme la plus accomplie, l'Europe fédérale. Une fédération permet d'unir sans détruire. Une fédération préserve la vitalité des différentes cultures, des spécificités régionales, et maintient l'équilibre entre les grands et les petits pays. Une fédération permettra de se doter d'un exécutif suffisamment respecté pour veiller à l'intérêt collectif, pour promouvoir la citoyenneté européenne, pour diffuser les idéaux de justice sociale et de développement soutenable, bref pour construire une Europe écologique, démocratique, sociale, ouverte à l'est et solidaire du sud. Une telle Europe politique, ou non, voilà l'essentiel du choix le 12 juin.
2. Le traité de Maastricht est délicieusement ambigu : d'un côté, il renforce une construction européenne essentiellement économiste et monétariste, ce à quoi nous opposons ; d'un autre côté, il contient quelques avancées fédéralistes, ce qui nous agrée, mais… surtout dans le domaine monétaire ! Il nous paraît donc urgent de préparer son dépassement, en 1996, par une Constitution de l'Union qui clarifiera et restructurera l'Europe autour de cinq axes évoqués à la fin de la réponse précédente.
3. Les Verts ont présenté le programme politique, le plus précis, et le plus européen de ces élections. Malgré cet effort, les médias et le public semblent plus intéressés par la spéculation sur le retentissement présidentiel du scrutin du 12 juin. A droite, le programme et la tête de liste sont l'incarnation de la vacuité conservatrice qui se moque des élections européennes ; au PS, Michel Rocard cumule les fonctions et les risques de chef de parti, de présidentiable, et de tête de liste pour un Parlement où il ne siégera pas réellement. Quel mépris pour l'Europe dans tout cela ! Il en est d'ailleurs de même pour les voltigeurs Tapie, de Villiers ou Chevènement, qui cherchent aujourd'hui à anticiper leur cote de popularité pour un éventuel premier tour en mai 1995.