Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur l'action économique et sociale et la société française à l'horizon de l'an 2000, à Paris le 3 novembre 1994.

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Circonstance : Remise du rapport de la commission "Les défis économiques et sociaux de l'an 2000", Paris le 3 novembre 1994

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs

Je souhaiterais tout d'abord vous remercier pour l'importance et la qualité du travail que vous avez réalisé. Le diagnostic et les recommandations, que monsieur Alain Minc vient de nous présenter, me semblent bien résumer les questions et les défis auxquels les prochaines années nous confronteront.

Lorsque nous nous étions réunis le 2 juin dernier, j'avais précisé, dans quel esprit je concevais l'exercice. Il s'inscrit dans la tradition de prospective à notre pays est si attaché. Indépendance, intelligence, imagination et courage, telles étaient les exigences de la démarche. Tels sont aussi les mérites de vos travaux et de vos conclusions.

Je remercie monsieur Alain Minc d'avoir présidé ces travaux qui ont permis de mettre en évidence les deux grands défis que nos sociétés doivent relever : l'impératif d'efficacité et le devoir d'équité.

Vous avez su exploiter la dialectique subtile qui lie ces deux termes pour nourrir vos propositions. Je ne reprendrais pas ces dernières en détail. Permettez-moi cependant de m'arrêter sur les principales d'entre elles ou, tout au moins, sur celles qui ont, dans un premier temps, retenu plus particulièrement mon attention.

C'est avec raison que vous soulignez l'intérêt économique et social du choix définitif de la stabilité monétaire, Notre pays a souffert de l'inflation et des dévaluations à répétition. Nous nous sommes donné les moyens d'une stabilité durable, en réformant le statut de la Banque de France, désormais indépendante, et en élaborant la loi quinquennale sur les finances publiques.

Il est clair que l'Europe a besoin de ce dessein renouvelé que vous appelez de vos vœux. Elle a été conçue et dessinée, jusqu'au traité de Maastricht inclus, dans les divisions de la guerre froide. Depuis la chute du mur de Berlin, la situation a radicalement changé. Pourtant des blessures demeurent, profondes, que l'Europe doit contribuer à soulager. Vos suggestions concernant la constitution d'un « noyau dur » mais ouvert et la négociation d'un acte additionnel au traité franco-allemand de l'Élysée devront faire l'objet d'un débat approfondi. Ce qui est en cause, avec l'effondrement de l'empire soviétique et l'élargissement actuel et futur de l'Union européenne, c'est le sens et la finalité même de la construction européenne.

Le choix d'une monnaie stable et le renouvellement du dessein européen nous imposent, comme vous le recommandez, de veiller à redéployer les compétences de l'État. Il faut être en mesure de satisfaire les besoins sociaux les plus légitimes. Vos recommandations en la matière seront étudiées avec attention et devront être largement discutées.

Votre commission insiste avec raison sur la primauté qui doit être donnée à l'équité. Elle affirme clairement l'impératif que doit constituer l'emploi. Vous proposez de jouer entre autres à la fois sur une réduction des cotisations patronales compatible avec la situation des finances publiques, une modération générale des salaires et la promotion du temps choisi. Ce sont, en effet, trois instruments pour l'action, autour desquels il nous faudra mobiliser l'ensemble des partenaires. L'objectif est d'aboutir, comme vous le souhaitez, à un véritable engagement de la société française en faveur de l'emploi.

Vous mettez en garde contre l'augmentation continue des prélèvements obligatoires et la remise en cause des acquis sociaux qui en résulteraient. Vous préconisez une progression moindre des prestations, à un rythme inférieur au PIB, grâce à la maîtrise des dépenses, en particulier d'assurance maladie. Ainsi nos acquis sociaux seront-ils préservés et les marges nécessaires dégagées pour satisfaire les nouveaux besoins sociaux,

Mais l'impératif de l'emploi vous conduit aussi à solliciter le monde de l'éducation. Celui-ci doit évoluer. Il est essentiel à la réussite de nos sociétés. Vous abordez ce sujet délicat avec franchise et courage. Vos conseils seront examinés avec attention.

Je n'énumérerai pas les nombreuses et intéressantes propositions que vous formulez pour renforcer l'équité de l'impôt. Ces propositions seront examinées en détail. Je retiens, à ce stade, deux idées maîtresses d'une part, il faut simplifier l'impôt ; d'autre part, il faut en élargir l'assiette de façon à réduire, en contrepartie, le niveau des taux. Ces deux idées maîtresses sont au cœur de la réforme fiscale ; elles sont le gage de son équité et de son efficacité.

L'ensemble de ces réformes ne peut être mis en œuvre immédiatement. Chacune d'entre elles doit être étudiée, précisée, discutée et débattue, de façon à être affinée, adaptée aux réalités complexes de notre société et, surtout, acceptée par le corps social. La méthode de la réforme, la mienne en tout cas, est, par nature, progressive ; elle s'enracine dans l'éthique de la discussion et de l'échange.

Vous comprendrez donc aisément que je partage votre souci de progressivité. Les lois quinquennales et les expérimentations, dont vous recommandez l'utilisation, me semblent, en effet, constituer, avec la concertation, les instruments privilégiés de la réforme et du changement social. Elles permettent d'insérer, comme il se doit, la politique de réforme dans la continuité. C'est pourquoi mon Gouvernement y a eu recours à de nombreuses reprises.

Permettez-moi de conclure en soulignant l'intérêt profond de ce rapport. Il nous permettra de mieux construire la France de l'an 2000. Je souhaite que ses interrogations et ses suggestions nourrissent le débat public, préparent les esprits aux changements nécessaires et les incitent à prendre part à la conception des réformes. Nous devons nous départir de toute vision trop strictement jacobine, qui impose la réforme d'en haut. Dans une démocratie, l'édification d'une société ne peut être que collective. J'en veux pour preuve la multiplication des associations qui jouent un rôle croissant dans notre vie publique.

Les conclusions de votre rapport serviront de base au grand débat national qui doit s'instaurer sur l'avenir de notre pays à l'horizon de l'an 2000, avec les syndicats, les organisations politiques et, plus largement, avec l'ensemble des courants de pensée.

Je souhaite que vous soyez de ceux qui animeront ce débat. Pour ma part, je saisirai de certains chapitres de votre rapport le conseil économique et social et demanderai au commissaire au Plan d'organiser rapidement, avec votre collaboration, une série de rencontres qui rassembleront des hommes politiques, des partenaires sociaux, des intellectuels, des responsables économiques et administratifs, ainsi que des journalistes. Ces échanges, qui porteront sur les principaux thèmes du rapport, seront, bien sûr, rendus publics.