Interview de M. Edouard Balladur, Premier ministre, à RFI le 9 novembre 1994, sur la politique de coopération avec l'Afrique sur le plan économique et diplomatique, à Biarritz le 9 novembre 1994.

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Circonstance : 18è sommet franco-africain (ou) conférence des chefs d'Etat de France et d'Afrique, à Biarritz du 7 au 9 novembre 1994

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

La France en effet a depuis très longtemps, depuis des dizaines d'années, et ça a été à l'instigation du Général de Gaulle à l'origine, après l'indépendance des pays d'Afrique, considéré que la politique africaine et d'amitié et de coopération avec l'Afrique était pour elle une priorité ; une priorité absolue à travers les changements de Président de la République, de majorité et de gouvernement. Elle est restée fidèle à cette ligne et elle doit y rester fidèle. Et je me permets de dire qu'en tant que gaulliste, j'en suis encore plus convaincu. Alors cela étant, nous devons bien entendu adapter notre action aux conditions modernes de la vie en Afrique qui se caractérise par deux éléments.

Le premier sur le plan économique ; l'Afrique a connu depuis quelques années des difficultés considérables. Nous l'avons aidée et nous l'avons même aidée, si je puis dire, plus que jamais, notamment dans la dévaluation du franc CFA l'année dernière. Cette dévaluation était un moyen, ce n'était pas une fin. C'était une condition du redressement, mais il fallait également qu'un certain nombre d'actions de redressement fussent entreprises par les pays africains, ils l'ont fait, que la communauté internationale et la France les aident nous l'avons fait. Nous avons annulé des dizaines de milliards de dettes à l'Afrique et dans ces conditions, on peut dire qu'aujourd'hui on ne peut pas encore porter un jugement définitif, mais que les choses vont dans la bonne direction. Voilà pour l'aspect économique.

En ce qui concerne l'aspect proprement politique ; l'Afrique connaît des crises, je note d'ailleurs que l'Afrique ex-française en connaît beaucoup moins que tous les autres pays africains, je dis ex-française, et nous devons nous tenir prêts, nous Africains et Français associés, à faire en sorte que ces crises puissent être rapidement surmontées Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que, comme je l'ai proposé lors du discours que j'ai fait devant l'Assemblée nationale à Dakar â la fin du mois de juillet dernier, nous devrions créer une force d'intervention humanitaire, je dis bien humanitaire, pour permettre de régler les problèmes qui peuvent se poser de façon inopinée. Mais il va de soi que cette force ne pourrait être placée que sous l'égide des Nations unies car nous ne pourrions agir et nous ne devrions agir qu’à la demande des Nations unies, comme nous l'avons fait au Rwanda, où Français et Africains associés – je parle des anciens pays d'Afrique associés à la France, les anciennes colonies pour dire les choses clairement – nous avons été les seuls de la communauté internationale à prendre nos responsabilités, mais à les prendre sur mandat, du Conseil de sécurité. Alors tout ça pose, comme le Président de la République l'a dit d'ailleurs, des questions complexes et difficiles. Sur mandat de qui devront-nous agir ? La réponse est évidente, de l'ONU. Dans quels cas ? Pour des raisons humanitaires, il nie semble que la réponse est également évidente. Mais avec quelle logistique, avec quel budget, quelle coordination, avec l'OUA ? Voilà toute une série de questions difficiles que les chefs d'État africains ont décidé de faire tirer au clair par le président Eyadema et j'ai indiqué à ce dernier que nous étions à sa disposition pour l'aider dans sa réflexion.


Q. : Les Africains sont un petit peu hésitants sur ce projet, Certains se demandent, par exemple, si ça ne cache une volonté de désengagement de la France du continent ?

R. : Ecoutez, c'est tout le contraire, puisque cette force ne pourrait fonctionner qu'avec un appui de la logistique donnée entre autres par la France. Mais il est vrai aussi que nous Français, souhaiterions y associer nos partenaires européens.

Q. : Sur la démocratie, est-ce que Biarritz maintient le cap donné à La Baule, est-ce qu'il n'y a pas des évolutions à apporter, est-ce que la présence, le retour sur la scène franco-africaine du général Mobutu n'est pas contradictoire avec le maintien d'un tel cap ?

R. : Vous savez, pour ce que j'ai compris des décisions de La Baule c'est parfaitement clair. Il faut évidemment que les pays africains évoluent vers la démocratie. Il n'y a pas d'exception africaine, ces pays doivent, comme l'ensemble des pays du monde, évoluer vers un système de liberté, mais chacun à son rythme et chacun avec ses traditions, en respectant les transitions indispensables. Nous n'avons jamais voulu dire autre chose. D'ores et déjà depuis quelques années, des progrès considérables ont été faits, en matière de liberté des élections, en matière de multipartisme et on en a d'ailleurs vu les conséquences. Eh bien il faut poursuivre dans cette voie. Je suis en tout cas très confiant compte tenu de l'atmosphère qui règne dans ce sommet franco-africain, compte tenu de l'état d'esprit des dirigeants africains, je suis très confiant sur d'abord l'évolution économique du continent, également sur l'évolution politique et sur la prise de conscience des nécessités de la sécurité.