Texte intégral
Cinquantenaire de la libération et des débarquements
Par trois fois, en novembre 1942 en Afrique du Nord, en juin 1944 en Normandie et en août 1944 avec le débarquement de Provence, le territoire français devient le théâtre des opérations maritimes anglo-américaines. À regarder de plus près, ces trois événements ont une signification toute différente et singulière :
1. En novembre 1942, les troupes françaises d'Afrique du Nord tirent sur les Alliés ; le commandement américain fait preuve d'une totale ignorance des problèmes français ; le général de Gaulle lui-même, apprenant tardivement l'opération Torch, réagit vertement : "J'espère que Vichy va les f… à la mer". Mais le résultat est là : l'Armée d'Afrique rentre dans la guerre, défend la Tunisie, conquiert la corse, combat bientôt en Italie. Elle n'a oublié ni le sens de l'honneur, ni l'esprit du sacrifice. Elle le prouve, à l'administration des Alliés.
2. Le 6 juin 1994, c'est la bataille de France et c'est la bataille de la France. Les Français y participent grâce aux forces Françaises de l'Intérieur et bien des villes se soulèvent à l'approche des Alliés auxquels les Allemands opposent une résistance acharnée. La question posée aux responsables politiques de la France combattante et de la France est claire : le pouvoir du gouvernement provisoire du général de Gaulle est loin d'être assuré comme dans l'Afrique du Nord en 1942, le régime de Vichy du Nord en 1942 peut être maintenu et, comme dans l'Italie de 1943, le pouvoir peut être confié à une administration américaine.
3. La résistance et le débarquement de Provence : ces deux événements confortent, aux yeux des Alliés, l'autorité du gouvernement du général de Gaulle. Parce que la France se dresse, debout aux côtés de celui qui, depuis plus de quatre ans, bravant les interdits, incarne la légitimité française et parce que la France retrouve son rang militaire. Voilà le sens profond des événements d'août 1944 : la France réunit son peuple, son armée, son État.
Entre la Normandie et la Provence, on se dirige vers un engagement des armées françaises. Certes, les autorités françaises ne sont pas toujours associées aux décisions anglo-américaines. Pourtant, de Gaulle affirme "qu'aucune force française ne pouvait être engagée, sur aucun théâtre d'opérations, sans l'ordre du gouvernement français".
Il ne tarde pas à le prouver. Fin juin 1944, intervenant entre Britanniques et Américains sur le choix de la progression – Italie, Provence ou Europe centrale et danubienne –, de Gaulle fait savoir avec superbe aux Alliés que "les troupes françaises ne sauraient demeurer en Italie après le 15 juillet, ni dépasser l'Arno". Pour la première fois, la France infléchit la stratégie alliée : ce sera la Provence !
Débarquement de Provence
Lorsque, le 15 août 1944, le second débarquement se produit sur les côtes françaises, les moyens mis en œuvre sont impressionnants : 400 000 hommes, 2 000 navires, 2 000 avions. Mais ici, les troupes sont aux trois-quarts françaises, aux ordres du général de Lattre. Le succès est immédiat : Toulon libérée huit jours après le débarquement, avec douze jours d'avance ; Marseille au bout de quatorze jours et non de quarante. L'assaut et l'exploitation des troupes américaines et françaises sont irrésistibles. L'audace du général de Lattre, l'élan magnifique des troupes françaises, l'accueil du peuple de Provence soulevé font le reste.
France (identité retrouvée)
L'armée française de la Libération réalise le rêve le plus exaltant qui soit : retrouver, pour le libérer, le sol de la patrie occupée, humiliée, asservie depuis quatre ans. Tous, métropolitains, Français d'Afrique du Nord et d'au-delà des mers, même ceux qui n'ont jamais vue la France, sont emportés par une émotion intense et vraie, de celles qu'on éprouve une fois et qu'on ressent pour toujours. La fierté légitime de ces soldats de la plus grande France sera fortement exprimée par Gaston Monnerville lorsqu'au lendemain de la victoire, il s'exclamera : "Sans son Empire, la France ne serait qu'un pays libéré. Grâce à son Empire, la France est un pays vainqueur". C'est ainsi le rang de la France que salue, à sa manière, le maréchal Keitel lorsqu'il s'exclame, le 8 mai 1945, "Quoi ! Les Français aussi !".
Le rang de la France, c'est ici, en Provence, qu'on a pu y songer à nouveau sans désespoir ni illusions. La réussite, l'élan, le panache de nos troupes ont fait de ce débarquement de Provence, une victoire française. Ce succès incontestable a incité nos Alliés à reconnaître le pouvoir du général de Gaulle : "Le Gouvernement est satisfait qu'on veuille bien l'appeler par son nom !" écrit-il le 23 octobre 1944. Il permet aussi la fusion des unités issues de la Résistance, de la France libre, de la France combattante, de l'armée d'Afrique et de l'Empire.
Compter désormais au premier rang des nations du monde, après avoir débarqué en Provence, vaincu l'adversaire et forger le noyau d'une armée nationale auréolée des succès et de la gloire des armes, à partir d'une jeunesse venue de tous les horizons : c'est ici, en Provence, que cela a été rendu possible ! Une armée nationale, désormais unie dans la victoire, après les drames qui l'avaient déchirée.
Voilà la leçon donnée par la victoire de Provence et qui n'a pas vieilli : l'unanimité nationale a pu réussir appuyée sur une volonté politique sans faille, inspirée des leçons de l'histoire, du sens du sacrifice et de la conscience du devoir. Une unanimité qui n'apparaît que lorsque l'armée redonne à l'État et à la nation son honneur et son rang et que s'exprime un patriotisme ouvert, chaleureux, fraternel, universel, défendant à travers la France son histoire et exprimant au plus haut ce qu'est l'amour du pays : un regard, une langue, une lumière.
Hommage aux parachutistes américains dans la plaine du Muy (Var), le 14 août 1994
Nous sommes réunis pour célébrer, ensemble, le cinquantième anniversaire du débarquement de Provence. Aujourd'hui et dans les jours qui vont suivre, c'est à ceux qui ont repris pied sur le sol de notre pays, entre le 15 et le 17 août 1944, libéré Toulon, Marseille, Lyon, Colmar et combien d'autres villes et villages de France, à ceux qui ont réussi leur jonction et leur fusion avec les Forces Françaises de l'Intérieur, franchi le Rhin, achevé la guerre du Danube, c'est à ces hommes-là que la République va rendre un hommage solennel et fraternel.
Je dis : solennel, car notre peuple souhaite exprimer la reconnaissance de la France d'aujourd'hui à cette France d'hier, de l'armée d'aujourd'hui à cette armée d'hier sans laquelle nous ne serions pas ce que nous sommes : des hommes libres, fiers de leur histoire et qui, pour beaucoup, savent ce qu'ils doivent à ceux d'entre vous qui sont ici parmi nous. Nous honorerons dans les heures qui viennent la première armée française, du général de Lattre de Tassigny. Nous savons que, dans le rang retrouvé de notre pays à la fin de ce terrible conflit, la présence de ces soldats français, dont l'allure et le panache ont été salués et reconnus par tous a été déterminante.
Un hommage fraternel, aussi car nous ouvrons le cinquantième anniversaire du débarquement de Provence par un hommage à celles des troupes de nos alliés qui, dans un élan magnifique, l'ont précédé, l'ont préparé, rendu possible :je veux parler de ces hommes d'exception que furent les parachutistes britanniques et américains, dont la rude mission consistait à isoler les zones d'assaut, à contrôler les espaces où se déroulerait le débarquement, à empêcher toute intervention en force des réserves de l'ennemi vers les plages.
L'heure de l'assaut sonne le mardi 15 août au petit matin. Les tâches ont été réparties. Dès les premières heures de l'aube, des commandos d'Afrique français, appuyés par les tirs des croiseurs de notre Marine, se jettent sur le cap Nègre, contrôlent la route côtière, refoulent les contre-attaques allemandes. A l'est, un groupe naval d'assaut, français lui aussi, débarque à la pointe de l'Esquillon où il subit d'effroyables pertes. Des forces spéciales américaines s'emparent des îles de Port-Cros et du Levant.
Vers quatre heures du matin, près de 10 000 parachutistes britanniques et américains sautent au-dessus de la plaine du Muy, à quelques kilomètres d'ici, au milieu de cette région magnifique et sauvage, que nous aimons. C'est la vallée de l'Argens. C'est la Nationale 7. C'est surtout, la seule rocade qui aurait pu permettre à l'ennemi de pousser des renforts, d'effectuer des contre-offensives, d'empêcher le débarquement sur les côtes de Provence.
Voilà bien résumée toute l'importance, à proprement parler capitale, de la mission confiée à la première Airborne Task Force, aux ordres du général Frederick. S'emparer du Muy. Interdire tout mouvement sur la tête des ponts. Protéger le débarquement.
Trois objectifs forment les zones de saut : à l'ouest de Roquebrune, pour s'emparer des hauteurs qui dominent d'Argens au sud ; au sud de La Motte, pour occuper le défilé de la Nartuby ; dans la vallée du Mitan, pour prendre le carrefour du Muy. Tous ces objectifs seront atteints. Toutes les liaisons avec les troupes débarquées seront établies. Toute résistance de l'ennemi aura été brisée. Lorsque vers huit heures du matin, le 15 août, les troupes d'assaut américaines prennent pied sur les plages, l'élan irrésistible qui les emporte tient, pour beaucoup, de la surprise, du désarroi, de la confusion créée sur les arrières de l'ennemi par ceux-là mêmes que nous honorons aujourd'hui.
Rappeler leur héroïsme, nous incliner devant leurs morts, rendre un hommage fraternel aux vétérans qui sont avec nous aujourd'hui est, nous le sentons tous, bien plus qu'un devoir de justice. C'est un témoignage de reconnaissance. C'est un message d'espoir.
Devoir de justice, parce que le temps ne saurait effacer l'exceptionnelle contribution à la victoire française du débarquement de Provence de nos alliés britanniques et américains, sur cette terre de France qu'ils voyaient, pour beaucoup, pour la première fois, au grand soleil de ce mois d'août 1944.
Témoignage de reconnaissance, envers ces guerriers de l'impossible et de la nuit, ces combattants de la surprise et du coup d'éclat, ces professionnels de l'héroïsme, familiers du danger, de l'audace et du panache.
Message d'espoir, parce que ces hauts faits, que vous avez marqués, ensemble de votre empreinte, fraternellement unis aux troupes françaises et au peuple de Provence soulevé, sont notre mémoire et notre culture communes.
Alliés hier dans la guerre, dans la résistance et pour la libération, de la France, de l'Allemagne et de l'Europe, nous demeurons aujourd'hui des frères d'armes. Si les menaces à la dignité de l'homme, les fanatismes de tous ordres, l'intolérance religieuse ou éthique, la haine raciale devaient de nouveau voir le jour, nous serions ensemble, de nouveau, pour combattre.
Mesdames et Messieurs, il y a cinquante ans, dans la nuit de Provence, dans le glissement vers la terre des parachutes et des planeurs, dans cet étrange silence qui précède le combat, des soldats sont venus pour que nous restions des hommes libres. Je souhaite – au nom du Gouvernement de la France – que l'hommage d'aujourd'hui soit le témoignage vivant du respect de chacun d'entre nous, de l'admiration de tous, de la fidélité de la France.
Commémoration de la libération de Toulon, le 28 août 1994
Lorsque, le 16 août 1944, le général de Lattre débarque sur la côte de Provence, c'est à Toulon que tout le monde pense : poursuivre la libération de la France, tendre la main aux troupes qui ont débarqué en Normandie, impose un soutien puissant venant du Sud. Et d'abord un grand port. Que l'ennemi, repoussé sur la terre, soit vaincu par la mer. Que Toulon, occupé, meurtri, qui porte dans ses eaux les stigmates terribles de ses bateaux sabordés soit libéré, retrouvé, relevé.
Toulon est, au cours de l'été 1944, un véritable camp retranché, une forteresse imposante et bien défendue. Une puissante artillerie interdit toute attaque par la côte. Les chefs allemands qui la commandent sont décidés à résister, à se battre jusqu'au bout, à ne pas rendre à la Marine française le port dont elle a besoin.
Mais le général de Lattre, lui, n'a qu'une seule idée : la France doit prendre la part la plus grande possible à la victoire. Retrouver son rang militaire. Conforter une légitimité politique, fondée sur le refus de la défaite, par la gloire de nos armes.
De Lattre ne veut pas attendre. Si l'on prend Toulon, plus vite que prévu, plus rien ne s'opposera à ce que nos Alliés confient aux troupes françaises de l'Empire un rôle à leur mesure dans la libération du sol français.
De Lattre veut marcher sur Toulon. Il a déjà étudié la manœuvre. Au nord, un groupement composé de la 3ème Division d'infanterie algérienne du général de Montsabert, appuyé par l'artillerie et les chars, progressera par les Maures, pour déborder les résistances ennemies. Au sud, un groupement aux ordres du général Brosset, autour de la 1ère Division française libre, attaquera de front le port de guerre, avec l'appui des canons de la Marine. En réserve, les coloniaux de la 9ème DIC du général Magnan peuvent renforcer l'une ou l'autre des forces engagées.
Le 17 août au matin, les ordres de repli général qu'exécutent les troupes allemandes modifient complètement la situation. À l'exception de Toulon et de Marseille, exception considérable, l'ennemi se retire ; il faut accélérer l'allure et prendre l'adversaire en déséquilibre ; la victoire appartiendra à la vitesse, à l'audace, à l'initiative.
Sans plus attendre, les troupes françaises se lancent vers l'est, c'est-à-dire vers Toulon. Elles seront comme aspirées vers l'avant, à mesure même qu'on les mettra à terre, qu'on les regroupera ! L'allié américain est convaincu et séduit par le panache ; il accorde les appuis navals et aériens.
Ce n'est plus une attaque qui se prépare ; C'est une charge de cavalerie ! En d'autres temps, les Italiens avaient appelé cela : la furia francese. Avec des forces inférieures en nombre : 16 000 hommes du côté français, avec une trentaine de chars et quatre-vingts pièces d'artillerie de campagne, à l'assaut de 25 000 hommes solidement retranchés et protégés. Le général de Lattre adapte l'idée de manœuvre aux circonstances. L'attaque frontale, par la côte, avec la 1ère DFL, la 9ème DIC, les commandos d'Afrique, aux ordres du général de Larminat. La manœuvre de débordement, avec Montsabert, la 3ème DIA, les tabors, les chasseurs et les spahis. C'est le très beau symbole de l'Armée d'Afrique qui vient tendre la main aux troupes de l'Empire !
La bataille commence au nord, dans la nuit du 19 au 20 août, la ville est investie le 20 et le 21, l'assaut de nos troupes se heurte à une vigoureuse résistance de l'ennemi. Dans Toulon isolée, les Allemands tiendront jusqu'au 23. Nos troupes rivalisent de courage et d'audace, occupent les hauteurs de la ville, réduisent les positions allemandes, fraternellement unies aux Forces Françaises de l'Intérieur. Il faudra encore cinq longues journées de combats de rues pour anéantir les derniers îlots où l'ennemi s'est retranché.
Mais les combats les plus difficiles, les plus sanglants, les plus redoutables, c'est à Saint-Mandrier qu'on les attend, là où s'est retranché l'amiral allemand, dans cette presqu'île qui commande la rade. C'est à la Marine qu'il incombe de le réduire.
Les commandos d'Afrique ont, déjà, pris d'assaut la batterie de Mauvannes. Mais les lourdes batteries de l'artillerie côtière demeurent aux mains de l'ennemi, à Porquerolles, à Giens, au cap Cépet. En ligne de file, au milieu des navires américains de l'amiral Hewitt, nos bateaux tirent sur la côte de France. Notre cuirassé Lorraine, nos croiseurs, Émile-Bertin, Gloire, Montcalm, Duguay-Trouin, Fantasque : c'est la Marine française qui a repris sa place au combat.
Le 28 août, à huit heures du matin, l'amiral Ruhfus est obligé de capituler. En huit jours de combat, nos troupes ont perdu 2 700 tués et blessés, dont une centaine d'officiers, plusieurs milliers d'Allemands ont payé de leur vie une résistance désespérée, et nous aurons fait 17 000 prisonniers.
De Lattre écrira ce jour-là : "Le plus grand port de guerre de l'Europe occidentale est conquis et ouvert aux forces alliées, pour servir de base à de nouvelles victoires". À la fierté légitime de nos soldats, s'ajoute celle, non moins ardente, de la population varoise soulevée et, en premier lieu, des forces de la résistance.
La victoire de Toulon est la victoire des armées de la France et du peuple tout entier. Décisive pour la campagne militaire, cette victoire contient aussi la promesse de l'amalgame entre la France libre et la France combattante.
Mais le véritable couronnement de la victoire de Toulon eut lieu le 13 septembre. Ce jour-là, les bâtiments de notre Marine entrèrent, à leur tour, dans la rade. Ils arboraient des flammes de guerre, longues d'autant de mètres qu'ils avaient passés de mois hors de la France. Ils retrouvaient la grande base navale française du Levant. Ils retrouvaient la France.
Les regards de nos officiers, de nos officiers-mariniers, de nos quartiers-maîtres et marins se portèrent, alors, sur les restes tragiques de ces navires qui, le 27 novembre 1942, n'avaient pu supporter de tomber aux mains de l'ennemi. La Marine française qui rentrait dans Toulon, qui rentrait chez elle, remportait une dernière victoire : la plus difficile, la plus décisive, la plus belle. Une victoire sur elle-même.
En ce jour anniversaire de la Libération de Toulon, c'est dans ces deux victoires que la République se retrouve et se reconnaît. Celle de la libération d'une ville et d'un port, qui magnifie l'élan, le panache, l'esprit de notre armée et de notre nation. Celle de l'unité retrouvée de notre peuple, après l'épreuve, dans la lutte et pour l'honneur : jusqu'à reconquérir cette partie précieuse de nous-même, qui s'appelle la liberté.
Ces deux victoires, celle de la libération et celle de l'unité, nous les devons à ces soldats de l'armée B – soldats venus de tous les continents –, dont certains sont parmi nous ce matin. Notre présence autour d'eux, celle des soldats d'aujourd'hui doit être un témoignage de gratitude, de respect et de fidélité.
Mesdames et Messieurs, puissent les Français d'aujourd'hui retrouver, dans la bataille de Toulon, les messages et les leçons qu'elle nous apporte. La France est et doit demeurer une grande puissance méditerranéenne. La France a besoin d'une Marine forte, moderne et vigilante, pour assurer son rayonnement et défendre ses intérêts. La France a besoin de tous ses enfants. Sa victoire, il y a cinquante ans, fut aussi celle de l'Empire, c'est-à-dire de l'outre-mer. Une France plus grande et plus forte, ouverte sur le monde, audacieuse et courageuse, voilà le plus beau message que Toulon, à travers son histoire, peut apporter à notre pays.
Je souhaite que ce message, à l'exemple du courage et de l'audace de ceux qui furent nos libérateurs, nous accompagne, nous réunisse et nous fortifie.
Hommage rendu aux troupes de marine à Fréjus, le 1er septembre 1994
Ce 1er septembre – comme chaque année – les troupes de Marine célèbrent leur fête, illustrent leurs traditions, honorent leurs morts. Elles se souviennent aussi qu'il y a cinquante ans, ce sont ces soldats de tous les continents qui ont permis, avec d'autres, que notre pays ne soit pas seulement libéré, mais vainqueur.
Dès leurs origines, au XVII siècle, les unités d'infanterie et d'artillerie de Marine ont tenu garnison dans les colonies, consolidé l'Empire, agrandi la France dans son territoire, dans sa culture, et dans son rayonnement. Si l'on veut bien aller à l'essentiel, ce sont ces troupes qui ont, en Afrique, à Madagascar, en Indochine, reconstitué des possessions outre-mer à la mesure d'un pays qui n'avait plus, depuis le traité de Paris en 1763, qu'une façade coloniale.
La gloire qui s'attachait à leur nom devint plus forte encore lorsque la France fit appel à ces troupes pour se battre, en 1870, lors de l'explication décisive avec la Prusse et ses alliés allemands. C'est la division bleue. C'est l'armée de Chalons. C'est Bazeilles, et déjà la résistance à l'invasion.
C'était le 1er septembre 1970, et chaque année, ici, à Fréjus, nous attachons notre mémoire et notre fidélité à cette journée-là. Mais les combats qui suivirent, ceux de la défense de Paris, ceux de l'armée de la Loire furent aussi acharnés, aussi décisifs, aussi glorieux.
Lorsque les troupes de Marine passent du ministère de la Marine à celui de la Guerre et prennent le nom d'infanterie et d'artillerie coloniales, elles reçoivent pour mission de défendre la Métropole et d'affirmer la souveraineté française pour ses colonies. Ces deux missions seront remplies sans faillir pendant près d'un demi-siècle.
Une des figures les plus marquantes des troupes de Marine l'illustre admirablement : le maréchal Gallieni. Jeune officier, sa carrière commence à Bazeilles ; le colonisateur éclairé s'affirme ensuite au Soudan, au Tonkin, à Madagascar. Il sera ministre de la Guerre, en 1915. C'est ici également, à Fréjus, que sa famille plonge une partie de ses racines.
La guerre de 1914-1918 voit à la fois l'expansion et l'engagement de la Coloniale. Ils sont de tous les fronts, de Verdun aux Dardanelles et jusqu'en Russie, marsouins et bigors auxquels on associe déjà, dans des unités mixtes, de jeunes tirailleurs noirs qui s'aguerrissent au contact de leurs anciens. Pour les accueillir, pour les entraîner, pour les encadrer, sont créés dès 1915 les "camps du sud-est", autour de Fréjus. Les traces en demeurent, ici-même, aujourd'hui : la pagode édifiée en 1925 par les tirailleurs indochinois, la mosquée soudanaise, de leurs frères d'armes venus d'Afrique, le mémorial national où les noms de ceux qui sont tombés en Indochine sont le souvenir du sang versé.
Après avoir servi au Maroc et en Indochine, la campagne de 1941 les voit revenir, à nouveau, sur le sol de la patrie. De cette campagne injustement oubliée, les combats et les sacrifices des divisions coloniales jetées dans la fournaise des journées de mai et de juin 1940 constituent, en quelque sorte, la première ligne de la résistance française. Leurs pertes dépassèrent le tiers de l'effectif engagé : plus de 16 000 morts ou disparus.
Pendant la suite du conflit et jusqu'à la libération, il n'est pas une seule de ces forces de la France libre qui ne comprît dans ses rangs des soldats de la Coloniale. De Koufra à Bir-Hakeim, soldats de Leclerc et de Koenig, vous êtes demeurés, comme le disait le maréchal Lyautey, je le cite : "l'arme de tous les héroïsmes et de toutes les abnégations…"
Ces qualités, vous les avez démontrées en Indochine. Entre l'automne de 1940 et le printemps de 1945, cinq régiments d'infanterie et deux régiments d'artillerie, isolés de la Métropole et coupé du monde libre, ont dû se battre à plusieurs reprises contre les Japonais et leurs alliés. Pour que l'Indochine ne tombe pas dans la servitude. Dans l'Asie prise dans la tourmente, vous êtes restés fidèles à la parole donnée à nos frères indochinois.
C'est dans ces combats que Le Coq, le grand méhariste, trouva une mort héroïque en s'opposant aux Japonais, à la frontière de Chine, en mars 1945. Et c'est ici encore, à Fréjus, que le souvenir de cet officier est resté vivant, entouré de respect et de fidélité.
C'est, d'ailleurs, en Indochine et au milieu de son peuple que vous vous êtes engagés et sacrifiés sans compter. Pour défendre l'honneur de la France, sa parole et son engagement. Jusqu'à Diên Biên Phu. C'est, ensuite, en Algérie, au sein des régiments d'infanterie et de parachutistes coloniaux, redevenus de Marine en 1958, que vous servez.
Depuis l'indépendance de l'Afrique, il n'est pas un théâtre d'opérations où vous n'ayez montré votre sens de la discipline, vos qualités d'hommes, la qualité et la loyauté de votre engagement.
L'esprit des troupes de Marine, c'est celui de la France ouverte sur le monde. La France du grand large, la France des espaces marins, qui font de nous la troisième puissance maritime du monde. Ces lieux où servent les troupes de Marine, en Afrique, aux Antilles, à la Réunion, dans le Pacifique ou dans l'océan Indien, ce sont aussi les lieux d'où sont venus ces hommes qui, il y a cinquante ans, nous ont libéré. Ainsi, l'espace français est toujours resté pour vous l'espace de liberté : celle que l'on donne, celle que l'on protège, celle que l'on reçoit comme une reconnaissance.
À travers cette fidélité, ce lien qui nous vient de notre longue histoire, c'est la France d'aujourd'hui que vous servez et que vous honorez. C'est sa jeunesse à laquelle vous offrez un témoignage, une force, un courage.
Marsouins et bigors, vous servez la France d'aujourd'hui comme vous avez servi la France d'hier. Sous le mandat des Nations unies, au Cambodge et en Somalie, à Sarajevo et au Rwanda, mais aussi dans les départements d'outre-mer, vous illustrez notre façon française de défendre une certaine conception de l'homme, de sa dignité, de sa liberté.
La cérémonie d'aujourd'hui, marquée par un hommage particulier qui sera rendu tout à l'heure aux troupes africaines, doit être pour chacun d'entre nous l'occasion d'une mémoire vivante et d'une espérance forte. Nous devons l'une et l'autre – la mémoire et l'espérance – à nos aînés, à nos anciens, à nos morts. La mémoire de leurs sacrifices, pour qu'ils n'aient pas été inutiles. L'espérance d'une France courageuse et rayonnante qui a encore à dire autour d'elle ce à quoi elle croit, ce qu'elle est, ce qu'elle veut et ce qu'elle défend.
Hommage rendu à l'armée d'Afrique à Marseille, le 10 septembre 1994
L'Armée d'Afrique, de la conquête de l'Algérie à la décolonisation, fut composée de Français de Métropole et d'Afrique du Nord ; de chrétiens, de musulmans, de juifs ; de nos compatriotes et d'étrangers qui, dans un brassage exceptionnel d'origines et de religions, ont défendu le même idéal, avec le même courage, le même sens du devoir, sous le même drapeau.
Cette Armée, vous vous souvenez des troupes qui la composaient. Zouaves, infanterie légère d'Afrique chasseurs d'Afrique, Légion étrangère, tirailleurs, spahis et goumiers, dans la fidélité à leur culture ou à leur religion, ils ont chacun servi et l'Empire et la République, c'est-à-dire la patrie.
L'Armée d'Afrique fut de toutes les campagnes de Napoléon III : combats de Magenta et de Solferino, où sont défaits les Autrichiens, en 1859. Campagne du Mexique en 1861, où combattant tirailleurs, légionnaires, chasseurs.
C'est toute l'Armée d'Afrique qui est engagée dans la guerre de 1870. Tirailleurs, zouaves, chasseurs d'Afrique en juillet ; légionnaires et spahis en septembre. Pour la première fois, ils combattent en Métropole. Pour la première fois, ils vont mourir pour la France et sur le sol de France.
La campagne perdue s'achève dans les derniers feux de l'Armée de la Loire et de l'Armée de l'Est. C'est la défaite. L'année terrible, dont parlera Victor Hugo.
Les énergies françaises se portent, alors, vers l'Empire. Cet Empire, dont les troupes sont venues combattre et mourir, pour la France, sur son sol. C'est l'aventure maritime et coloniale de la IIIème république, au rythme de laquelle le cœur de Marseille, de la ville et du port, va battre pendant près d'un siècle.
L'Armée d'Afrique sera de presque tous les champs de bataille, entre 1914 et 1918. L'Algérie, à elle seule, fournit 170 000 hommes, dont 57 000 engagés volontaires, pendant la guerre. Se souvient-on, Mesdames et Messieurs, de ces paysans des djebels, de ces montagnards de Kabylie, de ces viticulteurs de la Mitidja, de ces commerçants d'Alger ou d'Oran plongés, aux côtés des troupes de Métropole, dans l'enfer des tranchées ?
L'Armée d'Afrique est au premier rang du défilé de la victoire. Les Alliés nous l'envient. Notre peuple l'acclame. Entre deux guerres, dans une France démographiquement exsangue, les régiments d'Afrique sont comme le prolongement nécessaire de la puissance française.
D'ailleurs, ils tiennent garnison en France. On les reconnaît. Ils sont chez nous ! Ils le prouvent, pendant la campagne de France, en mai-juin 1940.
Une campagne injustement oubliée, Mesdames et Messieurs. C'était, en fait, la première ligne de la résistance française. Souvenons-nous des unités d'infanterie nord-africaine, lancée sur le sol de Belgique. De la division marocaine, à Gembloux. Des spahis, à la Horgne. Des légionnaires, en Norvège. Ces soldats de la campagne de 1940 se sont battus. Ils se sont défendus. Ils ont résisté. Ils ont été, dans la débâcle, l'honneur de notre pays.
En Afrique du Nord, les troupes s'entraînent, dissimulent des armes et conservent, intactes, la discipline et les traditions. Malgré l'armistice, grâce aux généraux Weygand et Juin, elles gardent l'orgueil d'une armée invaincue. Leurs frères d'armes de la légion, les tirailleurs de la 13ème demi-brigade de Légion étrangère et du 22ème bataillon de marche nord-africain connaissent, eux, la "gloire renaissante" de Bir-Hakeim, ainsi que l'écrira le général de Gaulle au général Koenig.
Le 8 novembre 1942, les Alliés débarquent en Afrique du Nord. L'Armée d'Afrique reprend sa place au combat : "un seul combat pour une seule patrie", comme le dira le général de Gaulle.
Ce combat, c'est d'abord, la campagne de Tunisie.
Elle jette le XIXème corps d'armée dans la bataille avec un armement et un équipement suranné. Mais la détermination des troupes, leur vaillance, leur courage, pallient ces faiblesses. 90 000 hommes – légionnaires, tirailleurs, zouaves, spahis, chasseurs d'Afrique, goumiers, artilleurs – sont engagés. Près de 20 000 d'entre eux disparaissent dans cette bataille.
Puis, c'est la Corse, premier théâtre d'opérations de l'Armée Française renaissante. Le bataillon de Choc, le 1er régiment de tirailleurs marocains et le 2ème groupement de tabors marocains libèrent avec les Corses, eux-mêmes engagés dans l'insurrection, le premier département français, en septembre 1943.
Le réarmement de l'Armée Française, décidé par les accords d'Anfa, permet la constitution de trois divisions blindées et de cinq divisions d'infanterie. Parmi ces unités, trois sont de l'Armée d'Afrique : la 2ème division d'infanterie marocaine, la 3ème division d'infanterie algérienne, la 4ème division marocaine de montagne.
La fusion des Forces françaises libres et le l'Armée d'Afrique est réalisée. Surtout, la mobilisation générale permet de fournir les effectifs nécessaires. 118 000 Européens et 160 000 musulmans rappelés s'ajoutent aux 224 000 hommes, sous les armes, en novembre 1942.
C'est, ensuite, la campagne d'Italie.
Le corps expéditionnaire français en Italie est placé sous les ordres du général Juin. Dès novembre 1943, la 2ème DIM débarque à Naples.
Puis, c'est le tour de la 3ème DIA du général de Montsaber. Ensemble, elles montent en ligne, au nord de Cassino.
Au printemps 1944, la 4ème DMM et la 1ère division française libre et qui compte dans ses rangs des spahis, des tirailleurs et des légionnaires, les rejoignent. Le général Juin dispose, alors, de ses quatre divisions. Il peut les lancer à l'assaut des défenses allemandes du Garigliano, foncer sur Pico et Valmonte, ouvrir la route de Rome. Les Français y entrent le 6 juin, défilent le 15, poursuivent vers Sienne, qui tombe intacte entre leurs mains.
Un succès chèrement payé. Qui dira les morts et les disparus, sur le sol d'Italie, pour que la France soit présente au combat ?
C'est, enfin, la campagne de France.
Les grandes unités retirées l'Italie, les 1ère et 5ème divisions blindées, venues d'Afrique du Nord, et qui regroupent zouaves, légionnaires et chasseurs d'Afrique, forment l'armée B du général de Lattre de Tassigny, la future 1ère Armée.
Tandis que les spahis marocains et les artilleurs du 40ème régiment d'artillerie nord-africain suivent la 2ème Division blindée, de Normandie à Paris et Strasbourg, les premières unités débarquent en Provence, le 15 août 1944.
La bataille de Provence, vous en connaissez, toutes et tous, l'histoire. Vous savez, ici, la part qu'y a prise l'Armée d'Afrique.
Vous vous souvenez que, voulant profiter des succès déjà acquis et empêcher toute réaction vers Toulon, de Lattre engagea, à partir du 20 août, la 1ère DB, les tabors et des éléments de la 3ème DIA en direction de Marseille. Les goumiers y arrivaient après une marche de soixante kilomètres en vingt heures. Ils achevèrent cette marche par une attaque à la baïonnette ! Les portes de la vieille cité phocéenne où les FFI étaient insurgés depuis trois jours seront atteintes le 22, le vieux port, le 23 ; le 28, c'était l'épilogue : le général allemand Schaeffer faisait hisser le drapeau blanc sur le fort Saint-Nicolas.
Cette cité de Marseille à nouveau libre, c'est le symbole de la France résistante qui lutte aux côtés de la France combattante. C'est, aussi, le combat de ces hommes de l'autre rive de la Méditerranée, pour la liberté du grand port qui fut, dans son histoire, comme le débouché naturel de l'Afrique du Nord.
L'Armée d'Afrique sera de toutes les campagnes qui la mèneront jusqu'au Rhin et au Danube, et à la capitulation de l'armée allemande.
Mais elle n'a pas le temps de seulement goûter à la victoire. D'autres combats l'appellent. C'est l'Indochine, où cette France d'au-delà des mers meurt à Diên Biên Phu, le 7 mai 1954. C'est aussi, un peu, la mort de l'Armée d'Afrique. Moins de dix ans après la libération de la France.
Ainsi l'Armée d'Afrique aura prolongé la puissance française, de l'Algérie à l'Afrique noire, à Madagascar et à l'Indochine. Elle aura par deux fois, au cours des deux guerres mondiales, combattu sur le sol de la France. Elle aura permis que soit effacé le souvenir de la défaite de 1940 et que la France retrouve son rang militaire. Elle aura montré aux Français que si la Nation naît du sang reçu, elle vit du sang versé.
Il nous appartient, à nous qui sommes restés des Français libres grâce à tous ceux qui se sont levés pour nous libérer, de témoigner à l'Afrique d'aujourd'hui notre attachement, qui vient de notre culture commune et de notre mémoire, de reconnaître à l'égard des Africains, nos frères d'armes, une dette historique et morale, de dire à l'Afrique à laquelle nous lie l'histoire commune de nos sacrifices, notre responsabilité pleine, entière et assumée.
La France sait ce qu'elle doit à l'Armée d'Afrique, et lui dit son immense respect. Et c'est la République, aujourd'hui et à Marseille, qui lui témoigne sa reconnaissance.
Clôture du colloque de Fréjus consacré au débarquement de Provence, le 16 septembre 1994
Mesdames et Messieurs, je voudrais d'abord, vous le comprendrez, exprimer des sentiments de gratitude.
Je voudrais les exprimer aux hauts responsables de la Défense, qui sont ici autour de l'amiral Lanxade, le chef d'état-major de nos armées, Monsieur le Secrétaire général pour l'administration, Monsieur Roussely. Le Grand chancelier de l'ordre de la Libération nous fait un grand honneur en étant ici présent, en ayant participé à ce colloque, Monsieur le préfet a bien voulu animer une table ronde.
Je voudrais remercier les anciens. Il y a une mode aujourd'hui, qui s'est développée et qui consiste à les appeler vétérans. Je les appelle vétérans, en leur disant combien la ville de Fréjus, le ministère de la Défense sont honorés de pouvoir, avec eux, engager le dialogue ce dialogue qui est celui de la mémoire et de la reconnaissance.
Vous me permettez de remercier le colonel de Corta qui vient s'exprimer. Le SIRPA a pris une part tout à fait prépondérante, majeure, décisive dans l'organisation des manifestations qui ont célébré le cinquantenaire de notre libération en Provence. Nous avions voulu qu'elles fussent de grande qualité, de grande dignité, de grand recueillement.
Je dois vous dire que j'ai souhaité, ministre de la Défense, marquer tout particulièrement ce débarquement qui est de la responsabilité d'une commission du cinquantenaire, présidée par le ministre des Anciens Combattants.
Si j'ai souhaité le faire, c'est que je crois très important de dire aujourd'hui aux Français que ce n'est pas simplement l'histoire d'hier. Que l'armée d'aujourd'hui, les armées d'aujourd'hui, sous l'autorité du chef d'état-major des armées, sous l'autorité du ministre de la Défense, entendent participer très étroitement à l'ensemble de ces manifestations et de ces cérémonies. Pour que le message ne soit pas désuet, pour qu'il ne tombe pas dans l'oubli, pour que, les uns est les autres, nous puissions le maintenir très fort pour les jeunes Français d'aujourd'hui.
Ces jeunes ont le même âge que beaucoup de ceux qui ont débarqué. À l'heure qu'il est, ils sont en train de m'écouter, depuis ce matin, ils ont participé à une partie de ce colloque. Je voudrais, là aussi, leur adresser des sentiments de gratitude, à eux, à leurs enseignants. Ils sont tous volontaires, ils ont voulu venir ; si je souhaite qu'ils sachent que nous sommes sensibles à leur présence, je pense pouvoir parler au nom des anciens, de ceux qui viennent d'apporter leur témoignage.
Vous me permettrez enfin, de dire qu'à travers Gilbert Lecat, jeune pied noir ayant débarqué ici en août 1944, vice-président du Conseil général, premier adjoint au maire de Fréjus, la ville de Fréjus a voulu marquer tout particulièrement ces manifestations.
La ville est d'une certaine manière, l'héritière des combats de Bazeilles. Elle a sur son sol une pagode, une mosquée, qui vient du Soudan. Ella a sur son sol le musée des troupes de Marine, elle est un peu la ville qui se souvient de l'armée d'Afrique, dont le monument est situé à Saint-Raphaël. À travers la très grande image de Gallieni, nous nous souvenons de cette France de l'Outre-mer qui a contribué si puissamment à notre libération.
Je remercie les universitaires, les historiens, qui sont venus nous rejoindre et participer à cette réflexion. Nous avons voulu passer de l'émotion à la réflexion. L'émotion est légitime. Nous l'avons tous partagée. C'était le 15 août, cela a été la libération de Toulon et la libération de Marseille. Quand nous avons vu défiler dans les rues de Marseille, le 1er Régiment de tirailleurs algériens, nous avons connu une très grande émotion.
Il faut, aujourd'hui, prendre la distance nécessaire, non pas pour oublier mais pour tirer des meilleures leçons de ces événements. Je voudrais que nous mesuriez à quelle charge de symbole nous sommes parvenus, puisque dans cette salle des Allemands, un officier allemand, dont le père s'est illustré d'une façon très noble pendant la guerre, sont présents.
J'ai tenu à cela, j'ai voulu que les peuples qui, aujourd'hui, construisent l'Europe, puissent regarder leur passé commun, même s'il fut de déchirures, de blessures ; le regarder, ensemble, afin que ceux qui furent nos adversaires d'hier et qui sont devenus nos amis aujourd'hui, avec lesquels nous avons l'intention de construire l'Europe de demain, puissent réfléchir avec nous sur ce qui s'est passé, sur ce que l'on avait appelé pendant la guerre de 1914, une guerre civile entre Européens.
Nos amis allemands, nos amis français, nos amis américains, nos amis britanniques pourraient reprendre cette très belle phrase de Peguy : "Mère, voici vos fils qui se sont battus".
À trois reprises, en novembre 1942 en Afrique du Nord, en juin 1944 avec le débarquement en Normandie et en août 1944 avec le débarquement de Provence, le territoire français devient le théâtre principal des opérations maritimes anglo-américaines. Cela se fait au cœur même de la stratégie des Alliés, car c'était à l'évidence du succès de leurs troupes que dépendait, d'abord, la libération du sol national.
Dans un examen rapide, ces trois opérations s'ordonnent en un bel ensemble dont la chronologie se déroule selon un plan ordonné. À y regarder de plus près, ces trois événements ont une signification toute différente et singulière.
En novembre 1942, les troupes françaises d'Afrique du Nord tirent sur les Alliés ; le commandement américain méconnaît, quelquefois, les problèmes français, le général de Gaulle lui-même, apprenant fort tardivement l'opération Torch, réagit vertement.
Mais le résultat est là : l'Armée d'Afrique rentre dans la guerre, défend la Tunisie, conquiert la Corse, combat bientôt en Italie. Elle n'a oublié ni le sens de l'honneur, ni l'esprit du sacrifice. Elle le prouve, à l'admiration des Alliés.
Le 6 juin 1944, lorsque l'assaut est lancé, c'est la bataille de France et c'est la bataille de la France. Les Français y participent aussi grâce aux Forces françaises de l'intérieur et bien des villes, au premier rang desquelles Paris, se soulèvent à l'approche des Alliés auxquels les Allemands opposent une résistance acharnée.
Le débarquement de Normandie, c'est donc, si l'on veut bien aller à l'essentiel, une belle victoire des Alliés. On comprend, bien dès alors, la question qui se pose aux responsables politiques de la France combattante et de la France libre : le pouvoir du gouvernement provisoire du général de Gaulle est loin d'être assuré ; il est même possible que, comme dans l'Afrique du Nord en 1942, le régime de vichy soit maintenu, sous une forme ou sous une autre ; il n'est pas certain que, comme dans l'Italie de 1943, le pouvoir n'appartienne pas à une administration américaine.
La résistance et le débarquement de Provence : deux événements contribuent à conforter, aux yeux de nos Alliés, l'autorité politique du gouvernement du général de Gaulle. Parce que le peuple de France se dresse, debout, aux côtés de celui qui, depuis plus de quatre ans, incarne la légitimité française. Parce que la France retrouve son rang militaire. Voilà bien le sens profond des événements d'août 1944 : la France réunit à la fois son peuple, son armée, son État.
Entre la Normandie et la Provence, c'est un engagement des armées françaises qui se dessine nettement. Certes, les autorités françaises ne sont pas, systématiquement, associées aux décisions anglo-américaines. Pourtant le général de Gaulle affirme "…qu'aucune force française ne pouvait être engagée, sur aucun théâtre d'opérations, sans l'ordre du gouvernement français" et que, "… puisque la France était en dehors des décisions des débats des Alliés" il se sentait justifié pour agir "… pour le seul compte de la France, indépendamment des autres, toutes les fois où il le faudrait".
Il ne tarde pas à le prouver. Fin juin 1944, intervenant dans les discussions entre Britanniques et Américains sur le choix de la progression, l'Italie, la Provence ou l'Europe centrale et danubienne de Gaulle fait savoir avec superbe aux Alliés que" … les troupes françaises ne sauraient demeurer en Italie après le 15 juillet, ni dépasser l'Arno.
Pour la première fois, la France infléchit, de manière décisive, la stratégie alliée : ce sera la Provence ! Pour la première fois, le commandement français est associé à la préparation d'une entreprise de cette envergure.
Lorsque, le 15 août 1944, le second débarquement se produit sur les côtes françaises, les moyens mis en œuvre sont impressionnants : 400 000 hommes, 2 000 navires, 2 000 avions. Mais à la différence de la Normandie, les troupes qui débarquent sont aux trois quart françaises, aux ordres du général de Lattre.
Le débarquement de Provence est donc le plus français des débarquements alliés, et la dernière grande opération combinée du théâtre méditerranéen. Coïncidant avec la défaite en Normandie, elle conduit Hitler à ordonner, dès le 17 août un repli général de toutes les forces allemandes en France, d'abord sur la Somme et sur l'Aisne, puis sur la frontière occidentale du Reich. À la faveur de ce repli, la libération du sud-est de notre pays va pouvoir s'effectuer à un rythme bien supérieur au plan initial.
Le succès est immédiat : Toulon est libéré huit jours après le débarquement, avec douze jours d'avance ; Marseille, au bout de quatorze jours et non de quarante. Malgré les massifs des Maures et de l'Estérel, qui constituent un obstacle pour progresser en profondeur, malgré la solide organisation défensive allemande, appuyée – sur le Südwall – le mur du Sud –, l'assaut des troupes américaines et françaises est irrésistible. L'audace du général de Lattre, l'élan magnifique des forces françaises, l'accueil généreux du Peuple de Provence soulevé font le reste.
L'armée française de la Libération est là : la 1ère Division française libre, les coloniaux de la 9ème DIC, les commandos d'Afrique, la 3ème Division d'infanterie algérienne, les Tabors, la 1ère Division blindée… Ils réalisent le rêve le plus exaltant qu'on puisse faire : retrouver, pour le libérer, le sol de la patrie occupée, humiliée, asservie depuis quatre ans.
Tous, métropolitains, Français d'Afrique du Nord et d'au-delà des mers, même ceux qui n'ont jamais vu la France, sont emportés par une émotion intense et vraie, dont ils ne perdront jamais le souvenir.
Dans les opérations de Provence, les troupes d'outre-mer françaises, unités de la coloniale ou de l'Armée d'Afrique jouent un rôle essentiel. La fierté légitime de ces soldats de la plus grande France sera, d'ailleurs, fortement exprimée par Gaston Monnerville lorsqu'au lendemain de la victoire, il s'exclamera : "Sans son empire la France ne serait qu'un pays libéré. Grâce à son Empire, la France est un pays vainqueur".
Le rythme donné par de Lattre à la libération de la Provence est tenu jusqu'en Allemagne. C'est le dernier effort et l'assaut final, auquel participent, dans un même élan, les troupes de l'armée régulière et les FFI. La meilleure récompense de nos soldats, c'est l'expression du maréchal Keitel lorsqu'il s'exclame, le 8 mai 1945, "Quoi ! Les Français aussi !".
La libération de la Provence, la remontée de la vallée du Rhône et de la Saône, la bataille d'Alsace qui ne s'achève qu'en février 1945, sont des épreuves redoutables ! Les Français se heurtent à un adversaire, habile, rude, dont la combativité s'est maintenue jusqu'à la fin. De Lattre le souligne lors de la bataille de Toulon, où "seuls les morts cessent le combat". Au lendemain du conflit, le général de Langlade, un des meilleurs cavaliers de la 2ème DB écrira "… l'armée allemande à l'agonie sut se battre avec furie, jusqu'à ce qu'elle tombe morte !" La victoire remportée par les combattants de la plus grande France n'en est que plus digne d'admiration.
Le rang de la France, c'est ici, en Provence, qu'on a pu y songer à nouveau sans désespoir ni illusion.
La réussite, l'élan, le panache de nos troupes ont fait, de ce débarquement de Provence, une victoire française. En matière politique, nul doute que ce succès incontestable a pu inciter ceux de nos alliés qui ne l'avaient pas encore fait à reconnaître, en droit, le pouvoir du général de Gaulle : "Le Gouvernement est satisfait qu'on veuille bien l'appeler pas son nom !" écrit-il le 23 octobre 1944. En matière militaire, il permet la fusion réussie sous le beau nom d'amalgame, à la manière des soldats de l'An II, des unités issues de la Résistance, de la France libre, de la France combattante, de l'armée d'Afrique et de l'Empire.
Se donner les moyens de compter au premier rang des nations du monde, après avoir débarqué en Provence, vaincu l'adversaire et forger, dans le même temps et d'un même mouvement, le noyau d'une armée nationale auréolées des succès et d'une liberté reconquise, à partir d'une jeunesse venue de tous les horizons, accueillie et acclamée par un peuple en liesse : c'est ici, en Provence, que cela a été rendu possible ! Une armée nationale, désormais unie dans la victoire, après les drames qui l'avaient déchirée.
Quelles sont les leçons que nous pouvons tirer, pour hier comme pour aujourd'hui, du débarquement de Provence ?
La première leçon tient au rapport de forces, ou au rapport d'estime qui s'est engagé, entre la France et ses alliés, dans les mois qui ont précédé le débarquement. C'est en Tunisie, en Corse, en Italie que la France a mérité son rang. C'est dans la bravoure, l'audace, la capacité militaire de la campagne d'Italie que la France a obtenu de ses alliés la considération, le respect qui lui étaient nécessaires pour s'imposer.
La deuxième leçon est bien connue de tous ceux qui ont traversé collectivement des épreuves : "On ne s'appuie que sur ce qui résiste". C'est la résistance du général de Gaulle aux concepts stratégiques de Churchill, c'est la résistance des Français derrière les lignes allemandes dans les maquis, c'est la résistance – physique et morale – de ces soldats français de l'Armée B, c'est l'ensemble de ces résistances qui a permis la victoire. Alain disait : "penser, c'est dire non". Les soldats français de cette guerre-là ont dit "combattre, c'est dire non". Ils ont refusé la succession des fatalités qui leur étaient opposées : vous êtes battus, vous êtes occupés, vous ne vous libérerez pas vous-mêmes !
La troisième leçon – il n'y a aucune hiérarchie, dans cette énumération – tient à la dimension qu'avait alors notre pays. Affaibli, occupé, mutilé, blessé, il avait encore un espace, une ressource, une profondeur qui étaient l'espace, la ressource, la profondeur de l'outre-mer. Il y avait une France ouverte sur le monde et, dans les dictionnaires de l'époque, les taches roses sur les cartes représentaient des espaces français.
Bien entendu, chacune de ces leçons correspond bien à cette époque que nous évoquons aujourd'hui.
Mais il faut bien mesure ceci : une traduction peut être donnée, pour 1994, de ces événements.
Le rapport entre la France et ses alliés, il se méritait et il continuera à se mériter. La France doit rester forte pour être entendue. Elle doit faire respecter ses citoyens, ses entreprises, ses intérêts partout dans le monde. La diplomatie française, notamment, doit pouvoir continuer à s'appuyer sur une réalité militaire, qui elle-même n'est pas dissociable d'une industrie de défense forte et crédible.
La résistance ? Ce n'est pas simplement une leçon d'hier. La frivolité, la légèreté, la désinvolture vis-à-vis des dangers extérieurs, ce n'était pas simplement les années trente. Résister aujourd'hui, c'est mesurer l'ampleur des défis qui nous sont lancés. La faim, la misère mais aussi – aujourd'hui même – des villes assiégées en Europe, la déportation, les massacres de civils, l'épuration ethnique. Il nous faut résister, aussi, à cela aujourd'hui. 6 000 de nos soldats témoignent là-bas de cette volonté française.
L'ouverture vers le monde ? La France n'a été rayonnante que lorsqu'elle a su parler aux autres peuples, leur tendre la main, jouer la carte de la solidarité et de la fraternité. Cette leçon-là, non plus, n'est pas achevée.
Derrière ces soldats français, au Rwanda, qui ensevelissaient les morts, qui soignaient, qui donnaient à boire, qui protégeaient, il y avait une image de la France que nous aimons : fraternelle et attentive, ouverte sur l'Afrique, porteuse d'une langue et d'une culture qui parlent encore aux hommes de notre siècle.
Merci à chacune et à chacun, pendant ce colloque, d'avoir redonné à l'histoire sa vraie dimension.
Hommage rendu aux maquis à Canjuers (Var), le 23 septembre 1994
Le 30 mars 1947, à Saint-Jouin de Bruneval, sur la côte normande, le général de Gaulle évoquait l'esprit de la résistance.
Je le cite : "En vérité, la Résistance française, c'était la Défense nationale ! (…) qu'elle luttât dans les rangs de nos troupes des maquis ou dans ceux de nos grandes unités débarquées sur nos côtes, ou sur les mers, ou dans le ciel, (…) elle était l'effort de guerre de la nation luttant pour sa vie et pour celle des autres. (…) C'est justement parce que la Résistance, c'est-à-dire la Défense (…), une fois de plus dans notre Histoire mais dans le plus extrême péril, a finalement et pour un temps reforgé la solidarité française, qu'elle a sauvé, non point seulement le présent, mais l'avenir de la nation, en faisant refleurir en elle, dans le sang et dans les larmes, la conscience de son unité.
Notre rassemblement d'aujourd'hui, dans le recueillement et la dignité de la mémoire, nous amène à prolonger et approfondir les célébrations du cinquantenaire, par un hommage à la France résistante. À vrai dire, ces femmes et ces hommes de l'ombre et de la nuit, ils ont été constamment à nos côtés, vivants et fraternels, dans chacune de ces journées où nous avons honoré ceux qui apportèrent à notre peuple la lumière de la liberté. Je dis vivants et fraternels, car la résistance appartient désormais au patrimoine moral de la République.
Pour leur rendre devant les jeunes soldats d'aujourd'hui cet hommage, et pour leur dire la reconnaissance de la nation, est-il un lieu qui convienne mieux que ce plateau de Canjuers, qui se situe à la fois physiquement et symboliquement au cœur de la Provence ? Au cœur de ce que furent les maquis de l'Est varois et du haut-Var ?
Pour ceux qui en ont été les acteurs les plus lucides, la Résistance était aussi une attitude, une élévation de l'âme pour que notre pays retrouve lui-même sa grandeur. Ainsi le plateau de Canjuers, celui des Glières, répondent au Vercors, ainsi la bassesse de la collaboration fut elle combattue par la hauteur morale des hommes qui n'acceptèrent jamais la défaite.
Ces hommes-là jouèrent un rôle essentiel dans la libération de la Provence, rôle que soulignèrent à maintes reprises nos alliés américains et britanniques.
Maquisards du plan de Canjuers et des alentours, ils appartenaient à toutes les familles de la Résistance. Ils avaient réussi, dans leur belle diversité, – "celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas" – à constituer un bloc d'hommes soudés par le refus de la défaite, la honte de l'occupation, la volonté de chasser du pays l'ennemi et d'écraser ceux qui le soutenaient.
L'histoire de ces femmes et de ces hommes dans cette région de Provence est, ainsi, l'illustration exemplaire de ce que put réussir, souvent, la Résistance dans le pays tout entier. Sortie peu à peu de l'ombre, après le traumatisme de l'étrange défaite de 1940, selon le terme de Marc Bloch, elle reposait sur le vieux et solide fonds républicain de notre région.
La République ! Quoi de plus étranger à la République que le culte fanatique de l'ordre et du chef, l'exaltation raciale, l'écrasement de la personne, la négation de la dignité humaine ? On comprend, dès lors, que ce soit étendu et organisée la Résistance, à mesure que l'ennemi accentuait sa pression, et que le régime de Vichy révélait son vrai visage.
C'est bien le refus de Vichy, c'est-à-dire de l'imposture et de la trahison, qui pose les fondements mêmes de la Résistance : le général de Gaulle, par son acte du 18 juin 1940, établit la vraie ligne de partage présente et à venir entre les uns et les autres. "Vichy fut et demeure nul et non avenu !" écrira-t-il dans ses Mémoires de Guerre. Dès 1940, il avait choisi.
C'est à partir de l'occupation du Sud de la France, en novembre 1942, qu'eut lieu l'essor de la Résistance. On en connait les premiers faits : récupération d'armes cachées par l'armée au moment de l'armistice avec la complicité, souvent, des gendarmes ; repérage des terrains de parachutage ; extension de l'Armée Secrète et création des Francs-Tireurs et Partisans. On connait, aussi les premiers coups de main contre l'occupant italien.
Leur nombre va croître avec l'arrivée de ces jeunes Français qui refusent d'aller travailler en Allemagne, et qui grossissent les rangs de la Résistance. Qui dira, Mesdames et Messieurs, l'accueil que leur firent les paysans de Provence, leur procurant du travail, du ravitaillement, un toit, au péril souvent de leur propre vie ?
Dès la fin de l'année 1943, l'Est varois a pris une importance décisive, alors que se met en place l'occupation allemande. Région de maquis, elle est surtout une place essentielle pour le parachutage des armes. Sections d'atterrissages et de parachutages, Armée secrète, Francs-Tireurs et Partisans, tous se fondent en une seule et même Résistance, qui font de cette zone, la plus importante pourvoyeuse d'armes de la Provence, à peu de distance de celle du Lubéron.
Ces activités, cruciales entre toutes, on en connût le déroulement quotidien : recevoir, transporter, cacher puis distribuer les armes et le matériel ; accueillir, entraîner, encadrer le nombre croissant de ceux qui rallient les combattants ; s'assurer du concours de ceux qui peuvent, grâce à une complicité aussi active que dangereuse, faciliter les déplacements. Qui ne se souvient, parmi les survivants de cette époque héroïque, du "train des pignes", qui permit de surveiller les mouvements de l'ennemi et d'acheminer messages et information, entre les Alpes-Maritimes et le Var ? Du rôle des cheminots – je pense à Albert Einaudi – et des chefs de gare, souvent des femmes, telle Marcelle Jourdan à Claviers ?
À cette activité intense, répondent les dénonciations, les arrestations, les déportations. C'est l'abbé Aloisi, responsable des parachutages, arrêté à Bargemon le 24 avril 1944. Ce sont les quinze otages de Callian et de Montauroux en juillet. C'est le capitaine Laroute, chef de l'Armée secrète, arrêté à Fayence le 21 juillet, qui mourra à Dachau.
À chacun des morts de la Résistance correspond un espoir. À chacune des tortures correspond une fierté. Cet espoir et cette fierté, ce sont les plus beaux témoignages de la dignité française. Elle s'est écrite dans le silence des prisons ou dans celui des forêts, dans ces nuits interminables ou dans ces matins d'exécution. Ce sont ces pages de notre Histoire que nous honorons aujourd'hui.
De juin à août 1944, à cet héroïsme quotidien répond la répression la plus brutale. Les maquis deviennent de véritables camps, tel le camp Valcelli, le maquis de Mons, celui du Malay, ou le camp Robert à Aups. Les coups de moins succèdent aux atterrissages de soldats alliés, tel ces Canadiens à Malay dans la nuit du 3 au 4 août, ou ces combattants français de l'équipe Sceptre, qui participera aux batailles de la Libération.
Ce sont les attaques incessantes de convois allemands, ce sont les sabotages, ce sont de véritables actions de guerre, au cours desquelles tombent parmi les meilleurs de nos fils. Souvenons-nous, aujourd'hui, de Maurice Aster, mort pour la France les armes à la main près de Fayence, à Tassy. Il avait dix-sept ans. C'est devant sa jeunesse détruite, face à son regard disparu, c'est pour que son message ne soit pas enseveli, que les jeunes Français d'aujourd'hui présentent les armes et honorent leur drapeau.
Nous n'oublions pas, Mesdames et Messieurs. Nous n'oublions pas ces villages de Provence libérés, les ennemis pourchassés, les soldats français et alliés qui prennent dans leurs mains le sable de nos plages comme la plus belle de leurs récompenses. À cette force de l'extérieur, venue des plus lointains continents, correspondait comme un écho assourdi, fraternel et douloureux, cette force intérieure qui venait, chaque jour plus efficace, des maquis et des collines de Provence.
Cette belle unité de la Résistance, ici, à Canjuers, elle avait le visage de la France. Elle était l'image du courage, de la témérité, du panache. Elle était un témoignage. Celui d'une fidélité à un héritage vivant : l'héritage de Valmy, le l'Armée de la Loire, de la Marne, de la bataille de France, injustement oubliée.
Face à ce qui n'était pas seulement une occupation territoriale, mais un système politique honteux et déshonorant, il fallait un combat. Résister, ce n'était pas simplement dire non, c'était agir pour que ce refus trouve son aboutissement dans la victoire de notre peuple.
Résister en France, en Hollande, en Italie, en Belgique, c'était affirmer, par la force de l'esprit et des armes, que l'on ne voulait ni de la défaite, ni de l'humiliation, ni de l'étoile jaune, ni de l'ordre nouveau que l'on prétendait imposer à l'Europe tout entière.
Résister en Allemagne – ce qui fait l'honneur de nombreux Allemands –, c'était la certitude de la souffrance et de la mort. Nous devons associer, aujourd'hui la résistance allemande à notre pensée et à notre reconnaissance.
En France même, la résistance ne fut pas seulement le fait de nos compatriotes. De nombreux étrangers – "mais nos frères pourtant" – comme le disait Aragon, combattirent une doctrine qui prétendait les dégrader, les isoler ou les punir.
Le plus beau message qu'ils nous ont laissé, c'est sans aucun doute celui de l'Europe à reconstruire. Non pas contre les nations, mais contre la haine ; non pas contre les peuples, mais contre la loi du plus fort ; non pas contre la partie, mais pour une civilisation qui nous est commune. C'est le sens de la dernière lettre de Manouchian, l'homme de l'affiche rouge qui, quelques heures avant d'être fusillé écrivait à sa femme : "Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand".
En ce jour où la République rend hommage à ces hommes et à ces femmes de l'Est varois et du haut-Var, ici à Canjuers, hommes et femmes qui sont tombés pour que nous demeurions Français, souvenons-nous de ce qu'André Masson écrivait d'eux, en 1943 et conservons, intacte, en nous-mêmes et prête à resurgir, la lumière de la Résistance – je le cite : "O vous les morts, nous pensons à vous de toute notre vie, à vos tombes ouvertes par la guerre qui a meurtri notre sol, qui nous a déchirés, presque détruits, je pense à vous les morts qui êtes libres, je pense au magnifique élan qui vous a fait dépasser la vie, je pense à l'éclair qui a rempli votre dernier instant, je pense que vous avez été Français jusqu'au bout et des hommes intacts qui ont su mourir et que rien ne pourra faire jamais que vous soyez vaincus".