Texte intégral
C'est dès le 23 août que le général de Gaulle exprima son intention de se rendre au ministère de la Guerre, dès que Paris aurait été libéré.
Ce même 23 août, au château de Rambouillet, il rencontrait le docteur Favreau, parti de Paris et qui lui transmettait un rapport établi par le préfet de police Charles Luizet, sur la situation qui régnait dans la capitale.
Dans la réponse que le docteur Favreau devait porter à Charles Luizet, le général de Gaulle exprimait clairement son intention. Il ne se rendrait pas, en premier lieu, à l'hôtel de Ville, où siégeaient les instances de la résistance et le comité parisien de la libération, mais rue Saint-Dominique, ici même.
Ce geste était une manifestation claire de la volonté d'établir au ministère de la Guerre le siège du gouvernement de la République et du commandement des armées, pour – je le cite – "qu'il fût établi que l'État, après des épreuves qui n'avaient pu ni le détruire, ni l'asservir, rentrait d'abord tout simplement chez lui…".
Comme, ici, chacun d'entre vous le sait, dans le dernier grand discours qu'il prononça à Alger, devant l'Assemblée consultative, le 25 juillet 1944, il exprimait une fois de plus ce qu'il avait toujours défendu : le maintien intégral de la souveraineté de la France, "… partout où elle est en droit de s'exercer…". La République française n'avait jamais cessé d'exister.
Le 25 août, à 13 h 45, il prévient le colonel de Chevigné, par une note, de son itinéraire afin qu'il en fasse part au général Leclerc. Son départ du château de Rambouillet est fixé à 15 heures ; il parvient à la gare Montparnasse vers 16 h 30, escorté par des éléments du régiment de marche de spahis marocains. Là, le général Leclerc l'informe de la reddition du général von Choltitz. Aussitôt après, les quatre voitures qui composent le cortège et où ont pris place Monsieur Le Troquer et le général Juin, escortées par une automitrailleuse, se rendent au ministère de la Guerre.
Des combats très rudes ont encore lieu, dans un périmètre qui va de l'esplanade des Invalides à la Chambre des députés et au ministère des Affaires étrangères, jusqu'à la rue de Solferino. Un groupe allemand n'abandonnera, d'ailleurs, ses postes de combat qu'en début d'après-midi. Le cortège ne pourra suivre l'itinéraire prévu par le boulevard des Invalides. À hauteur de Saint-François Xavier, paroisse de la famille de Gaulle, une fusillade éclate, qui détourne les voitures par la rue de Bourgogne.
À 17 heures, le Général fait son entrée rue Saint-Dominique. On connaît ce très beau texte, véritable morceau d'anthologie de la littérature gaullienne, de l'évocation par le Général de ces lieux d'où, quatre ans plus tôt, la débâcle l'a chassé. Je le cite. C'est ce texte qui nous réunit aujourd'hui.
"À cinq heures, nous arrivons. Immédiatement, je suis saisi par l'impression que rien n'est changé à l'intérieur de ces lieux vénérables. Des événements gigantesques ont bouleversé l'univers. Notre armée fut anéantie. La France a failli sombrer. Mais, au ministère de la Guerre, l'aspect de choses demeure immuable (…). Rien n'y manque, excepté l'État. Il m'appartient de l'y remettre. Aussi m'y suis-je d'abord installé."
Il reçut peu après Charles Luizet, et Alexandre Parodi, représentant du Gouvernement : ceux-ci lui firent part, alors, de la déception des représentants de la Résistance, quand ils apprirent que le Général ne les verrait pas en premier. Il ne put qu'en répéter les raisons.
Avant de se rendre sur les lieux symboliques de la résistance parisienne que sont la Préfecture de Police, l'Hôtel de Ville, il fixa avec ses visiteurs le défilé sur les Champs-Élysées, l'Arc de Triomphe et Notre-Dame.
Après son passage à la Préfecture de Police et à l'Hôtel de Ville, il regagna le 14 rue Saint-Dominique où tard le soir, à la lueur des flambeaux car il n'y a pas d'électricité, il reprit sa place, à sa table de travail.
C'est cet événement, remarquable entre tous et hautement symbolique, que nous célébrons aujourd'hui et dans les lieux mêmes où il est arrivé. Le général de Gaulle qui, depuis plus de quatre ans, bravant tous les interdits, dépassant tous les cadres, incarnait la légitimité française était bien ce jour-là "… le premier des nôtres", comme l'écrit François Mauriac. En installant la République au ministère de la Guerre, il confirmait d'une manière éclatante l'unité profonde, dans la résistance et jusqu'à la victoire, de l'État, de la nation et de l'armée.