Texte intégral
Voici plus de dix ans, au lendemain de la Présidence française de 1984, vous étiez désigné comme Président de la commission.
Et le hasard du calendrier fait aujourd'hui qu'il appartient à nouveau à une Présidence française, débutant celle-ci, de vous saluer au moment de votre départ en ce début de 1995.
Dix ans, c'est je crois un record absolu dans la durée du mandat d'un Président de la Commission. Un record qui n'a été approché que par M. Hallstein qui a présidé la Commission de 1958 à 1967.
Il nous revient aujourd'hui, au nom de la Présidence et du Conseil de vous rendre hommage pour votre action à la tête de la Commission. C'est un devoir agréable car votre bilan est très positif. C'est en même temps un moment un peu triste, car bien que votre départ fût annoncé de longue date, permettez-vous de le regretter. C'est enfin un exercice difficile parce que beaucoup a déjà été dit à l'occasion des différentes cérémonies organisées en votre honneur et tout particulièrement lors du Conseil européen d'Essen.
Pour ma part, je voudrais évoquer deux aspects qui illustrent bien, je le crois, cette période. D'abord, ce que j'appellerai : « la marque Delors » c'est-à-dire la contribution personnelle que vous avez apportée à l'évolution de la Communauté depuis dix ans ; et puis ce que j'appellerais « la méthode Delors » qui a également laissé son empreinte : empreinte de volonté de dialogue, de pragmatisme et de franchise.
En dix ans, l'Europe a beaucoup changé. Bien des facteurs ont contribué à cette évolution naturellement : la situation économique, la volonté des dirigeants de nos États. Mais il n'est pas exagéré de dire que la plupart des réalisations de cette décennie sont marquées de votre sceau :
D'abord, les deux élargissements. Pour le premier, qui concernait l'Espagne et le Portugal, vous êtes arrivé à la fin des négociations, mais vous avez su contribuer, notamment en suggérant des périodes de transition adéquates à ce que l'insertion des nouveaux États membres s'effectue de manière harmonieuse. S'agissant des trois nouveaux adhérents que nous accueillons aujourd'hui pour la première fois en tant que membres pleins de ce Conseil, vous avez mené, en concertation avec le Conseil, la négociation de bout en bout, en veillant à la préservation de l'acquis communautaire et cette négociation a été, on le sait, couronnée de succès.
Ensuite, la paix budgétaire, par l'adoption, en 1988 puis en 1992 de ce qu'on appelle les « paquets Delors » dans le vocabulaire commun à Bruxelles, qui ont permis de préserver les politiques communes et d'assurer le financement de la Communauté.
Je citerais aussi la réalisation du grand marché avec l'acte unique qui a réussi à mobiliser les énergies des Européens :
La négociation du Traité de Maastricht, à laquelle vous avez contribué même si le résultat final, ce n'est pas un secret, vous l'avez dit vous-même, ne correspondait pas totalement à ce que vous attendiez. Je ne crois pas trahir votre pensée en rappelant votre conviction, nous en avons parfois parlé, que l'Europe devrait faire plus en matière de sécurité et de défense.
Les perspectives et les progrès vers l'union économique et monétaire sont également à mettre au crédit de cette période et ils n'auraient pas pu être accomplis sans votre engagement personnel.
Les débuts d'une réflexion d'abord, puis d'une action, dans les domaines des grandes infrastructures au service de la croissance et de l'emploi.
Le concept de subsidiarité enfin dont vous avez su nous faire comprendre l'intérêt et la nécessité au moment même où nos peuples doutaient de l'Europe elle-même, en montrant qu'il revenait à la Communauté de prouver qu'elle était utile en complément des États membres et en proposant ce critère de bon sens pour départager les actions des uns et des autres.
Enfin, je le disais il y a un instant, avec le Livre Blanc sur la croissance et l'emploi, vous avez lancé un exercice qui a été repris par les chefs d'État et de gouvernement et qui constitue désormais notre charte. Nous en avons fait, vous le savez, la première priorité de la Présidence française. Si cette stratégie réussit, nous aurons pus ainsi contribuer à surmonter le scepticisme des Européens qui ne sont pas encore tout à fait persuadés que dans ces domaines l'Europe apporte réellement une valeur ajoutée aux actions nationales.
Ce bilan n'est naturellement pas exhaustif. Si je voulais être exhaustif sur dix ans de travail, je devrais être plus long. Mais il serait vraiment incomplet si je n'évoquais pas ce que j'ai appelé « la méthode Delors ». On en connaît les caractéristiques :
D'abord le souci du dialogue et la recherche du consensus. Ils vous ont conduit à ne pas chercher à imposer vos vues mais à les discuter, souvent longuement, avec les membres du Conseil, le Parlement européen et les acteurs économiques et sociaux de l'Union.
Ensuite, la rigueur et la probité intellectuelle sont des qualités que tout le monde vous reconnaît.
La clairvoyance et la capacité de synthèse qui vous ont permis de cerner les besoins et les aspirations de nos peuples et d'imaginer des réponses nouvelles tenant compte non seulement de l'intérêt communautaire mais aussi des aspirations nationales.
Et enfin, l'ouverture et la tolérance, liées, on le sait, à la plus grande fermeté sur le fond qui ont renforcé votre crédibilité et votre influence.
Cette action si marquante, cette méthode originale ont imposé le respect, y compris à ceux qui n'ont pas toujours partagé toutes vos vues, toutes vos idées, ou approuvé toutes vos propositions.
Et c'est pourquoi en vous saluant aujourd'hui au nom de la Présidence et au nom du Conseil tout entier – je sais que beaucoup de nos collègues auraient souhaité le faire directement mais je serai leur truchement puisque je suis désormais en charge de ces fonctions.
Nous voudrions vous exprimer, cher Président, toute notre gratitude ainsi que nos vœux les plus chaleureux pour la nouvelle période de votre vie qui s'ouvre maintenant. Vous avez bien sûr le souci légitime de prendre un repos mérité après tant d'années de si lourdes charges mais je ne doute pas que vous serez très rapidement actif et que vous continuerez à nous faire bénéficier, tous ici et au-delà, sous des formes variées, de votre force de conviction, de votre expérience et de votre enthousiasme au service de la construction européenne.
Au nom de tous mes collègues, je voudrais vous dire : merci pour ce que vous avez fait, bonne chance pour ce que vous allez entreprendre.