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Paris-Normandie : Votre candidature à la présidence de la République participe à la logique des choses. Néanmoins, quatre, voire cinq candidatures à droite ne risquent-elles pas de diviser durablement à l'avenir, la famille majoritaire et, par là-même, entraver l'action du futur gouvernement ?
Édouard Balladur : J'avais souhaité qu'en 1993-1994, l'on n'aborde pas prématurément le sujet des élections présidentielles. Deux raisons m'y poussaient :
La première et la plus importante, c'est que je souhaitais que le gouvernement consacre toute son énergie, toute son activité au redressement qui est, aujourd'hui, bien engagé. Il a été rendu possible par le soutien de la majorité qui n'a jamais fait défaut et, aussi, par celui des Français.
La deuxième raison, c'était également mon souhait d'éviter des divisions inutiles et prématurées au sein de la majorité. Pour ma part, j'ai indiqué que je me tiendrai le plus éloigné qu'il sera possible des polémiques inutiles.
Cette campagne doit être l'occasion de rassembler les Français autour d'un certain nombre de projets, comme la lutte contre le chômage, la construction de l'Europe, la place des jeunes dans la société par exemple.
Nos institutions prévoient que c'est le peuple, directement, qui choisit, en dehors des choix partisans. Une fois le choix fait, chacun doit s'incliner.
En ce qui concerne l'action du gouvernement, je puis vous assurer que je m'attacherai à ce qu'elle ne soit entravée par rien. Elle est naturellement la priorité puisque j'exerce et que j'exercerai, jusqu'à leur terme constitutionnel, pleinement mes fonctions de Premier ministre.
Paris-Normandie : Le chômage reste, aujourd'hui, la principale préoccupation des Français. Vous avez récemment souhaité voir tout jeune de moins de 20 ans doté d'un emploi, d'une formation, d'un stage. Dans quel délai pensez-vous que ce projet puisse se concrétiser et quel en sera le coût ?
Édouard Balladur : Toutes nos énergies doivent être réunies pour la lutte contre le chômage. Aujourd'hui, environ 80 000 jeunes de moins de vingt ans sont en situation de chômage. C'est une situation que nul ne peut accepter. C'est pourquoi je me suis engagé à ce que dès 1995, chaque jeune dans cette situation puisse se voir offrir soit une formation, soit un stage, soit un emploi dans une entreprise ou une activité d'utilité sociale.
Dès la fin de ce mois, tout sera mis en œuvre pour mobiliser les administrations en vue d'atteindre cet objectif. Michel Giraud a déjà eu l'occasion de parler de cette question devant les représentants de missions locales, qui seront en liaison avec l'ANPE notamment, chargés de mettre en œuvre cette orientation.
Paris-Normandie : Vous avez demandé aux partenaires sociaux de se montrer plus actifs entre eux, sans que l'État n'intervienne. Qu'attendez-vous de cette concertation entre partenaires sociaux et quel rôle, selon vous, l'État a-t-il à jouer dans le dialogue social dans les années à venir ?
Édouard Balladur : J'ai toujours dit que des partenaires sociaux solides et responsables étaient nécessaires à l'équilibre de la vie sociale de notre pays et au fonctionnement de notre démocratie.
Jamais, depuis que le gouvernement que je dirige a été investi de la confiance des Français, les organisations syndicales et patronales n'ont été autant consultées et écoutées. Lorsqu'il s'est agi, par exemple, de préparer la loi quinquennale pour l'emploi, syndicats et patronat ont été étroitement associés à la réflexion des pouvoirs publics.
Lorsqu'il s'est agi de réformer et de sauver notre système d'assurance-chômage, j'ai choisi de faire confiance aux partenaires sociaux et de leur permettre d'assumer toutes leurs responsabilités.
Je me réjouis de constater cette politique commence à porter ses fruits. Je forme le vœu que les partenaires sociaux sachent saisir la chance qui leur est offerte.
Le principal défi que notre pays doit relever est celui de la lutte contre le chômage. Je souhaite que les partenaires sociaux prennent leur part de l'effort collectif qui s'impose. C'est ce à quoi je les ai invités, sans aucune arrière-pensée.
L'État n'a pas à se substituer aux partenaires sociaux. Ni l'inverse d'ailleurs. Mais l'ampleur des problèmes que notre pays doit résoudre dans les années qui viennent est telle que nos compatriotes ne comprendraient pas que tous ceux qui, à un titre ou à un autre, exercent des responsabilités, ne prennent pas leur part du fardeau.
Il ne s'agit pas, dans mon esprit, de jeter les bases de je ne sais quel « pacte social » qui porterait atteinte à l'indépendance des partenaires sociaux. Il s'agit, ni plus ni moins, de leur redonner la place qu'ils n'auraient jamais dû perdre, afin que notre société fonctionne de manière plus efficace et plus équilibrée.
Paris-Normandie : La structure de la pyramide des âges et la persistance du chômage font que les actifs d'aujourd'hui sont de plus en plus lourdement mis à contribution pour assurer le versement des retraites. Avez-vous l'intention de revoir, dans ce cadre, les régimes spéciaux, ceux des agents d'EDF et de la SNCF par exemple ?
Édouard Balladur : En 1993, l'avenir du régime général d'assurance-vieillesse était compromis. Si rien n'avait été fait, le versement des pensions de retraite n'était plus garanti. C'est pourquoi le gouvernement a engagé sans tarder la réforme dont tout le monde savait qu'elle était nécessaire mais que personne, je me permets de le dire, n'avait eu le courage d'entreprendre. Cette réforme a permis de sauver le principe de la retraite par répartition, auquel nos compatriotes sont à juste titre attachés. Elle a permis aussi de garantir le niveau des retraites.
Pour autant, j'ai parfaitement conscience que seule une partie du problème a été résolu. Il reste la question des régimes spéciaux. Je suis convaincu que cette question doit être traitée en fonction de deux principes simples : la préservation des droits acquis, l'exigence de la solidarité nationale. Si l'on veut bien veiller à respecter ces deux principes, il doit être possible de trouver des solutions qui permettent, progressivement, de faire en sorte que les retraites des personnes intéressées soient garanties – ce qui, à moyen terme, ne serait pas le cas si rien n'était fait – et que la charge qui pèse sur les actifs soit plus équitablement répartie.
En tout état de cause, une telle réforme ne peut voir le jour qu'au terme d'une concertation approfondie avec toutes les organisations représentatives des personnes en cause. Je ne doute pas que, le moment venu, elles sauront s'attacher à défendre l'intérêt bien compris de leurs mandants.