Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
À ce stade de la discussion, il appartient au ministre de l'Économie de vous présenter le contexte économique dans lequel s'inscrit le projet de loi de finances.
Vous connaissez déjà les hypothèses économiques que le gouvernement a retenues pour 1994 et 1995. J'avais d'ailleurs eu l'occasion de les présenter à votre Commission des finances le 21 septembre dernier. Je ne vais donc pas y revenir dans le détail.
Je souhaiterais plutôt aujourd'hui faire le point avec vous sur les développements récents de la conjoncture, et vous montrer en quoi ils confortent nos prévisions.
Plusieurs constats se dégagent des indicateurs conjoncturels récents.
Premier constat : la croissance de l'activité a été très forte au cours de la première moitié de l'année.
Le PIB a en effet augmenté de 1,7 % sur les seuls deux premiers trimestres, ce qui correspond à un rythme annualisé de près de 3,5 %. Encore plus significatif : la production manufacturière a augmenté de plus de 6 % au cours de cette même période, soit plus de 12 % en rythme annualisé.
En outre, l'activité a continué à progresser à un rythme soutenu durant l'été. Ainsi, la production industrielle a augmenté de 2,3 % en juillet-août.
Je note à cet égard que l'évolution de la production industrielle française se compare très favorablement à celle des autres grands pays : la hausse en glissement annuel de la production se situe en août à 5,2 % en France, à comparer à 1,2 % en Allemagne de l'Ouest, 3,5 % au Japon et 4,6 % au Royaume-Uni ; seuls les États-Unis font mieux que nous avec 6,7 %.
Il faut garder présent à l'esprit que l'activité économique n'évolue jamais de manière linéaire. Vous avez pu observer que la reprise que l'on constate en France depuis près d'un an s'est faite avec des résultats parfois contrastés au mois le mois. Cet automne n'échappe pas à cette loi universelle. Il en est ainsi dans l'industrie depuis la rentrée après la progression exceptionnelle des mois précédents. L'enquête d'octobre de la Banque de France, publiée la semaine dernière, l'a montré.
La même enquête indique que les carnets de commandes restent bien garnis et que les industriels continuent à anticiper une progression de l'activité au cours des prochains mois. En fait, les chefs d'entreprise demeurent très optimistes : selon l'INSEE, l'opinion des industriels sur les perspectives de production a atteint en octobre son plus haut niveau des vingt dernières années.
Au-delà des fluctuations au mois le mois, la croissance se poursuit au 2e semestre. Le taux d'augmentation du PIB au 3e trimestre, qui sera connu jeudi, devrait le confirmer. Bien sûr, comme je t'ai toujours dit, il ne faut pas s'attendre à ce qu'on retrouve des rythmes de progression aussi élevés qu'au 1er semestre, d'autant que le nombre de jours ouvrables joue défavorablement. Mais, en tout état de cause, la croissance du PIB en moyenne annuelle dépassera 2 % en 1994, c'est-à-dire le haut de la fourchette que nous avions retenue pour cette année, voire même en dehors.
Deuxième constat : grâce à la bonne compétitivité de notre économie, nous continuons à enregistrer d'excellents résultats en termes de commerce extérieur.
Nos exportations ont dépassé cet été leur maximum historique. Ainsi, en dépit d'une hausse de près de 9 % de nos importations par rapport à la même période de l'an dernier, notre solde cumulé sur les neuf premiers mois de l'année s'élève à 58 Mds F, soit à peu près au même montant que l'an dernier. On enregistre donc un très net développement des flux échangés, tout en conservant un excédent très élevé : c'est là une configuration tout à fait vertueuse et très bénéfique à l'activité et à l'emploi dans notre pays. Et c'est bien sûr le résultat de la politique de stabilité et de compétitivité que nous menons sans relâche.
Troisième constat : même si elle connaît – et connaîtra encore – des hauts et des bas, la consommation est repartie.
Après leur très haut niveau du 2e trimestre, on pouvait s'interroger sur l'évolution des immatriculations d'automobiles, au fur et à mesure que les effets de la prime à la casse iraient en s'atténuant. Or les statistiques montrent que le recul que certains craignaient ne s'est pas produit : en données corrigées des variations saisonnières, les immatriculations sont restées au troisième trimestre au même niveau qu'au trimestre précédent. Les données provisoires relatives à octobre confirment aussi cette stabilisation à un niveau relativement élevé.
Ce résultat souligne le rôle de catalyseur qu'a joué la prime à la casse. Il souligne aussi le bien fondé du diagnostic qu'a fait le gouvernement lorsqu'en janvier dernier il a décidé de prendre des mesures en faveur de l'automobile. Ce dispositif a permis, avec une grande économie de moyens, d'enclencher un mouvement durable, capable désormais de s'auto-entretenir. Tel était bien l'objectif recherché.
La reprise de la consommation ne se limite pas bien sûr à l'automobile. Ainsi, les achats de produits manufacturés dans le commerce ont augmenté de 1,6 % en francs constants sur l'ensemble du troisième trimestre.
Certes, les données en provenance de grand commerce indiquent que les ventes fluctuent de mois en mois. C'est pourquoi, après la période de fortes ventes enregistrées en août et septembre il n'y a rien d'anormal à ce que l'activité dans le commerce ne continue pas en octobre sur la même lancée. Souvenons-nous que l'évolution de la consommation épouse de plus en plus les périodes de soldes et de promotions. Les résultats sont donc meilleurs dans les mois avec soldes comme à la fin de l'été que lors des mois sans soldes comme octobre. À cet égard, la consommation devrait être mieux orientée en fin d'année.
J'ajoute que les ménages reprennent chaque jour confiance. Certes beaucoup de français connaissent encore une situation difficile. Je suis un élu local, et je m'en rends compte sur le terrain. C'est clair – qui peut le nier ? – Les situations sont encore très contrastées selon les secteurs ou les régions. Néanmoins, les enquêtes d'opinion normalement ne trompent pas : l'indicateur de confiance des ménages calculé chaque mois par l'INSEE a gagné près de 20 points depuis un an ; il est désormais proche de son point haut de 1990.
L'amélioration de l'emploi joue un rôle essentiel dans la reprise de la consommation. Depuis le début de l'année, grâce à la politique menée par le gouvernement d'Édouard BALLADUR, il y a plus d'heures travaillées, donc plus de revenus injectés dans l'économie. Et nous prévoyons que les gains de pouvoir d'achat des ménages vont ainsi accélérer progressivement pour atteindre 2,2 % l'an prochain. C'est d'ailleurs en France que la hausse de pouvoir d'achat sera probablement la plus forte en 1995 au sein des grands pays européens.
Quatrième constat : après les exportations, puis la consommation, nous arrivons au stade du cycle où le redémarrage de l'investissement devrait s'enclencher.
J'observe d'ailleurs que les industriels interrogés en octobre par l'INSEE prévoient pour 1995 une hausse de 9 % en valeur de leurs dépenses d'investissement. Au-delà du chiffre lui-même, cette prévision indique que la tendance est clairement à un net redémarrage de l'investissement l'an prochain. D'autant qu'en telle phase de reprise, les enquêtes ont souvent tendance à sous-estimer l'accélération de l'investissement : en octobre 1987, les industriels interrogés par l'INSEE avaient aussi prévu + 9 % pour 1968 ; or la hausse a finalement été de + 12 % cette année-là !
En tout état de cause, toutes les conditions sont désormais réunies pour un redémarrage de l'investissement. D'une part, et c'est là le facteur principal, la demande est repartie. D'autre part, les entreprises ont dans l'ensemble restauré leur situation financière, et disposent aujourd'hui de larges capacités d'autofinancement.
Certaines inquiétudes se font jour quant à l'effet négatif que pourrait avoir la récente remontée des taux d'intérêt à long terme sur ce processus. Je crois cependant que ces craintes ne sont pas de mise, compte tenu de la vigueur de la demande et des larges capacités d'autofinancement dont disposent les entreprises. Il ne faut pas oublier que la forte croissance de l'investissement des entreprises à la fin des années 80 s'est effectuée alors même que les taux obligataires étaient encore plus élevés qu'aujourd'hui.
En outre, ces tensions sur les taux longs ne devraient pas perdurer : elles sont sans véritable fondement économique, car il n'y pas de risque d'inflation en Europe.
Telles sont, Mesdames et Messieurs les sénateurs, les grandes lignes de la situation conjoncturelle de notre économie au second semestre 1994. Il est indiscutable que la reprise continue et qu'elle se consolide.
Lorsque j'avais annoncé à la fin de l'été les nouvelles prévisions de croissance du gouvernement, j'avais indiqué qu'il s'agissait d'hypothèses prudentes. Elles le sont effectivement. Je ne suis pas le seul à la dire : la plupart des instituts de conjoncture prévoient une croissance supérieure à 3 % en 1995.
Il est donc tout à fait possible qu'en 1995, comme cela va déjà être le cas en 1994, la croissance s'établisse en fin de compte en haut de notre fourchette de prévision.
Et cette croissance s'annonce saine car elle s'effectue sans inflation et sans déséquilibre extérieur. Savez-vous que, selon les prévisions des organismes internationaux, la France sera en 1995 le seul grand pays à réunir conjointement les trois caractéristiques suivantes : un taux de croissance supérieur à 3 %, un taux d'inflation inférieur à 2 %, et un solde de la balance des paiements courants excédentaires.
Encore plus encourageant : cette reprise est non seulement saine, mais elle est créatrice d'emplois. Selon l'INSEE, 175 000 emplois salariés ont été créés dans les secteurs marchands au cours des trois premiers trimestres. Nous avons déjà presque réalisé la prévision de 180 000 à 200 000 créations d'emplois que nous avons retenue pour l'ensemble de l'année.
Certes, ce rythme de créations d'emploi n'est pas encore suffisant pour réduire le chômage dès cette année. Mais c'est en raison du dynamisme de notre population active. D'autant qu'avec l'amélioration des perspectives d'emploi, davantage de personnes entrent ou reviennent sur le marché du travail.
Ainsi, selon une récente enquête de l'INSEE, le nombre de jeunes actifs aurait augmenté beaucoup plus au 3e trimestre de cette année qu'au 3e trimestre de l'an dernier. Et le même phénomène s'observe aussi, dans une moindre mesure, pour les autres catégories d'actifs.
La comparaison France-Allemagne est à cet égard instructive. La reprise de l'emploi a été plus rapide en France qu'en Allemagne. Pourtant, on observe l'inverse dans les statistiques de chômage : le chômage commence à reculer en Allemagne, alors que ce n'est pas encore le cas en France. Quelle est l'explication ? Elle est toute simple : la population active allemande stagne depuis 1992, alors que sa progression "naturelle" est d'environ 100 000 à 150 000 par an en France.
Mais il faut se réjouir de ce plus grand dynamisme démographique, même s'il soulève des difficultés à court terme : c'est un facteur de croissance à long terme pour notre pays. Et ce qui importe d'abord et avant tout, c'est qu'aujourd'hui davantage de personnes travaillent et créent des richesses.
Je crois en outre que nous franchirons une deuxième étape en 1995 : celle où les créations d'emploi deviendront nettement supérieures à l'augmentation de la population active. Nous prévoyons en effet une hausse de 260 000 à 300 000 des effectifs salariés l'an prochain.
Au total, toutes ces évolutions montrent que, comme je vous l'avais annoncé il y a un an, l'économie française a retrouvé le chemin de la croissance. Ceci ne veut pas dire que la croissance s'effectue désormais de façon linéaire et uniforme. Mais, au-delà des variations mensuelles, cela veut dire que la croissance repose désormais sur des bases larges et solides.
Permettez-moi de rappeler que ce redémarrage de l'économie n'allait pas de soi. Rappelez-vous le scepticisme qui prévalait encore à la fin de l'an dernier.
Aujourd'hui que tout semble aller mieux, on entend parfois dire que tout cela est normal, que la France bénéficie d'un mouvement général. La réalité est que la reprise n'est pas le fruit du hasard. Elle ne s'est pas faite au fil de l'eau. Elle est le résultat d'un diagnostic et d'une thérapeutique volontaristes qui, je crois, sont à mettre au crédit de l'action que nous avons menée depuis vingt mois.
Bien sûr il y a encore beaucoup de problèmes structurels à résoudre – au premier rang desquels le chômage –, et il faut se garder de tout triomphalisme. Mais il est indiscutable que l'économie française a été mise sur la voie du redressement par le gouvernement d'Édouard BALLADUR. Et nous devons poursuivre dans cette voie.
Je vous remercie de votre attention.