Interviews de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF et candidat à l'élection présidentielle 1995, à TF1 le 2 avril 1995, France 2 le 5 et le 10, RMC le 11, France-Inter le 14, et dans "Le Monde" du 15, sur sa campagne, ses propositions et le vote utile que représente le vote communiste.

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Texte intégral

TF1 : dimanche 2 avril 1995

C. Chazal : Des ministres communistes au sein du gouvernement, pourquoi pas. Qu'est-ce que vous répondez à L. Jospin ?

Robert Hue : L. Jospin prend en compte ce qui se passe dans l'opinion. Un PC dont il faut bien prendre en compte la remontée, un PC qui est incontournable pour l'avenir dans ce pays. Il reste qu'il ne faut pas se livrer à de la politique-fiction. La droite est très majoritaire. Regarde les sondages. L. Jospin est crédité de 20 %, 22 %, certains disent qu'il peut être au deuxième tour. Mais, ce qui est déterminant aujourd'hui, ce qui peut rendre la gauche plus forte désormais, c'est une remontée du PC. Pendant une période, j'ai tenu ce langage, on pouvait imaginer que c'était un petit peu de l'auto-conviction. Mais, non ! Aujourd'hui, les choses sont là. C'est désormais ce qui peut être le plus significatif pour la gauche.

C. Chazal : Certains réclament une union de la gauche.

Robert Hue : Il y a d'autres militants qui disent les choses avec beaucoup de lucidité. Aujourd'hui, il ne faut pas raconter d'histoires aux Français. Dans son programme, L. Jospin propose des choses qui sont déjà faites depuis des années et qui ont échoué. Il s'inscrit dans la politique des critères d'austérité de Maastricht. Autant d'éléments qui sont des handicaps. Il faut que tout ça bouge. Je m'inscris dans une construction d'union nouvelle. Mais, un rafistolage dans les semaines qui viennent serait détestable et n'est pas à retenir. Il faut, à l'occasion précisément du premier tour, que s'affirment avec force ceux qui veulent une union nouvelle. Ils peuvent le faire avec le vote communiste. Pour la gauche soit beaucoup plus forte face à une droite qui domine, il faut désormais – puisqu'il y a des millions d'électeurs qui ont fait confiance un temps à F. Mitterrand, qui ne veulent pas aujourd'hui voter L. Jospin – la remontée du PC. C'est une ambiguïté.

C. Chazal : On a l'impression quand même que vous faites une croix sur la présence d'une gauche au deuxième tour.

Robert Hue : Pas du tout. Je dis le contraire.

C. Chazal : Quand vous dites : « aujourd'hui, la droit est majoritaire, donc ne nous battons pas ».

Robert Hue : C'est la réalité. Prenons les chiffres. Il y a actuellement 60 % des Françaises et Français qui sont sur des candidats de droite. Il reste qu'il faut donner beaucoup plus de force à la gauche, quel que soit le président qui sera élu. Pour cela, il faut bien ancrer à gauche. Bien ancrer à gauche, c'est contribuer à la remontée du PC. Le PC, aujourd'hui, s'est renforcé dans l'opinion publique. Pour les Français, il apparaît que son recul ces dernières années a été une mauvaise chose. Aujourd'hui, quand il défend les 1 000 francs de plus de salaire par mois, lorsqu'il prend en compte les grandes revendications, les Françaises et les Français se disent : eh bien, ce parti, au deuxième tour, quel que soit le résultat, on aura besoin de lui. C'est ça qui est important.

C. Chazal : Est-ce que vous poseriez des conditions à une présence dans un gouvernement Jospin ?

Robert Hue : La question n'est pas posée aujourd'hui. Il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs. Il ne faut pas créer d'illusions. Je suis un peu étonné de cette politique-fiction, de ce que dit L. Jospin en la matière. Si c'était simplement pour affirmer une démarche unitaire, je suis pour une démarche unitaire. Mais, il ne faut pas raconter d'histoires. Il y a un programme socialiste aujourd'hui qui ne s'attaque pas au dogme de l'argent, qui reste fidèle au critère de Maastricht, d'austérité, autant d'éléments qui sont un handicap pour la gauche. Il ne faut pas raconter d'histoires aux Français, il faut dire la vérité. Ça peut bouger tout ça, à condition qu'on ancre bien les choses à gauche avec un PC plus fort dès le premier tour. Quand j'accorde une interview, je ne parle pas de la composition des ministères et du gouvernement. Je parle de ce qui se passe dans les foyers. Je vois des gens qui ont du mal à vivre, qui sont au chômage, qui n'ont pas d'emploi, qui ne peuvent pas payer leur loyer. C'est ça qui m'intéresse. Je veux défendre ces gens-là. C'est ça ma mission dans cette campagne électorale.

C. Chazal : Vous n'avez pas le sentiment que la plupart des candidats se rangent à ces avis-là. Ils prônent tous une politique sociale et notamment une augmentation des salaires ?

Robert Hue : Ici même, j'ai été le premier à proposer une augmentation de 1 000 francs au départ. Je n'ai pas de droits d'auteur là-dessus, mais aujourd'hui, tout le monde le dit. S'il y avait des droits d'auteur à accorder, ça serait aux salariés de l'Alsthom dont je me suis inspiré pour proposer cette augmentation. J'entends bien les promesses qui sont faites, mais je mets aux défi les autres candidats de dire qu'ils se donnent les moyens de mettre en oeuvre les promesses qu'ils font. Si on veut augmenter sensiblement les salaires, et c'est possible, il faut s'en prendre à l'argent quoi qui écrase tout dans cette société. Les autres disent : eh bien, on va trouver des formules, etc. Non, il faut avoir le courage de dire cela, parce que sinon on bluffe les Français. Si les salariés qui luttent en ce moment pour les salaires veulent le 23 avril mettre dans l'urne les luttes, ils pourront le faire avec le bulletin de vote communiste. Je mets les autres candidats au défi qu'ils fassent un débat sur les salaires. Tout le monde parle de débat, il y a un bon débat faire sur les salaires. Un vrai débat sur les salaires et vous verrez que je ferai la démonstration qu'on peut sensiblement augmenter les salaires aujourd'hui. Naturellement, ce que je vais dire ne fera pas plaisir aux milliardaires, aux affairistes, à la droite, mais je ne suis pas là pour ça.


France 2 : mercredi 5 avril 1995

Bruno Masure : N'allez-vous pas être victime du vote utile ? La gauche peut-elle prendre le risque d'être absente du deuxième tour ?

Robert Hue : Je vois bien que L. Jospin est conforté à un handicap : il a à porter la politique menée ces dernières années des gouvernements socialistes et qui n'a pas laissé un goût très agréable pour le peuple de gauche. Aujourd'hui, des gens, des hommes, des femmes le disent. L. Jospin peut faire 22-23% et être au deuxième tour, je pense. Mais ce qui est certain, c'est qu'il y a des millions d'hommes et de femmes qui ne veulent pas voter pour lui. La chose nouvelle qui peut se passer, c'est une progression du Parti communiste pour la gauche. J'ai entendu L. Jospin. Je ne crois pas que c'est en allant puiser dans les eaux fortes de gauche qu'il va avoir cette position au deuxième tour. Je fais le maximum pour obtenir des voix qui peuvent voter pour le candidat communiste, pour aller dans le sens de la gauche. A lui de tirer dans ses électeurs pour aller aussi dans le sens de la gauche ;

Bruno Masure : Si L. Jospin n'est pas présent au second tour, ça posera des problèmes à l'ensemble des partis de gauche, notamment pour les municipales.

Robert Hue : Mais je crois que les conditions aujourd'hui, si une campagne est menée, sont réunies pour qu'il puisse y avoir cette présence de la gauche au deuxième tour.

Bruno Masure : Des ministres communistes dans un gouvernement socialiste ?

Robert Hue : Je veux clarifier les choses, parce que je vois bien qu'il y a des interprétations possibles. Et la phrase a été coupée juste avant que je dise « les conditions ne sont pas réunies ». Qu'est-ce qui est à l'ordre du jour ? Il ne faut pas de politique-fiction. Ce qui est à l'ordre du jour, ce n'est pas de dresser des listes de ministres aujourd'hui. C'est qu'il y a une droite qui est forte dans ce pays et qu'il faut contribuer à ce que la gauche riposte à cette droite. Après, évidemment, si on me demande « faut-il changer de politique dans ce pays ? », je réponds oui. Faut-il qu'il y ait un autre gouvernement de forces progressistes ? Je réponds oui. Faut-il qu'il y ait un autre gouvernement d forces progressistes ? Je réponds oui. Faut-il que les communistes y prennent leur place ? Je réponds oui. Mais – et c'est important de le dire – les conditions ne sont pas réunies, non de mon fait, mais parce qu'il y a une réalité à gauche. J'ai dit que le PS ne tirait pas les enseignements de ce qui a échoué. Je ne veux pas recommencer ce qui a échoué. C'est cela qui me guide. Après, je suis pour mettre toutes mes forces pour la gauche. Il est évident qu'une progression du PC, c'est la chance pour la gauche. C'est la chance précisément pour que la gauche soit plus forte. C'est ce que L. Jospin devrait comprendre. Ce n'est pas les vases communicants. Il faut qu'il mobilise son électorat. Je fais tout pour mobiliser un électorat qui aujourd'hui regarde d'une façon différente le parti communiste.

Bruno Masure : R. Hanin, c'est un bon présage d'avoir le beau-frère du Président en soutien ?

Robert Hue : Je suis très sensible à l'appui que m'apporte R. Hanin. Je crois que c'est important qu'un homme comme lui qui a voté socialiste dans une autre période dise là, que pour faire avancer les choses, il faut voter communiste. Il l'a dit : il a dit que L. Jospin serait au deuxième tour, mais ce qu'il faut, c'est qu'il y ait un PC bien plus fort pour que la gauche soit plus forte.


France 2 : lundi 10 avril 1995

E. Leenhardt : On a utilisé beaucoup d'adjectifs pour qualifier cette campagne électorale, est-ce que vous considérez que c'est une campagne de bon niveau ?

R. Hue : C'est une campagne qui mériterait d'aller plus à fond sur les grandes questions qui préoccupent les Français, comme les salaires, l'emploi, de ce point de vue ça me semble encore très insuffisant.

A. Du Roy : On a constaté, hier à Bercy, que J. Chirac avait réuni 15 à 18 000 jeunes dans une salle, et les sondages montrent d'ailleurs que les jeunes votent majoritairement pour J. Chirac plutôt que pour les autres candidats, qu'est-ce que vous en pensez ?

R. Hue : Sur le comportement de J. Chirac, je pense qu'on a eu à faire à une extraordinaire séance, leçon de choses de démagogie. Quand même ces hommes de droite qui vont devant les jeunes porter la parole du social, du changement, alors qu'ils sont à l'origine de leurs propres difficultés à ces jeunes, je trouve ça indécent !

A. Du Roy : Il séduit en tout cas les jeunes ?

R. Hue : En tout cas il les trompe beaucoup, il ne faut pas tricher avec les jeunes, il ne faut pas leur raconter d'histoires aux jeunes. J'ai écouté le discours de J. Chirac : ce qu'il leur promet aujourd'hui, il n'a pas les moyens de le tenir parce qu'il est complètement enfermé dans la politique de Maastricht. Il ne veut pas s'attaquer à l'argent-roi, donc il ne faut pas dire n'importe quoi par rapport à la jeunesse. J'ajoute qu'au moment où les jeunes ont eu dans ce pays ce magnifique mouvement contre le CIP, où étaient J. Chirac ? Il était du côté de ceux qui voulaient imposer le SMIC-Jeunes, il avait voté la loi quinquennale. Alors, quand même aujourd'hui, un peu de pudeur de la part de J. Chirac.

J.-M. Carpentier : J. Chirac a fait de l'exclusion le thème central de sa campagne, c'est une idée traditionnelle pour le PCF. Selon vous, il n'est pas sincère sur cette question, c'est purement tactique ou de toute façon quel qu'il soit, le prochain président de la République n'aura pas le choix et devra bouger sur l'exclusion ?

R. Hue : Cette question est primordiale, il faut la mettre au coeur des préoccupations à mettre en oeuvre au plan des réformes. Je propose qu'il faut se donner de beaucoup de moyens pour lutter contre l'exclusion, mais je dis où je prends l'argent, eux ne disent pas où ils prennent l'argent, ce sont des promesses. Moi, je dis qu'on peut tout de suite dégager des moyens pour lutter contre l'exclusion, il suffit de multiplier par quatre l'impôt sur les grandes fortunes, ça dégagerait 30 milliards et ça permettrait effectivement d'apporter des réponses immédiates aux questions posées.

J.-M. Carpentier : Est-ce que vous pensez que le prochain Président devra faire quelque chose, ou alors il y aura un troisième tour social ?

R. Hue : Mais naturellement qu'il faudra faire quelque chose, mais c'est ce qui va se passer au premier tour si des millions de suffrages se portent sur une candidature comme celle que je défends c'est-à-dire porteuse de la lutte contre l'exclusion pour les salaires, pour l'emploi. Le président de la République quel qu'il soit devra tenir compte du vote communiste. Ceux qui ont envie de se faire entendre, qu'ils soient chômeurs, qu'ils soient salariés, qu'ils soient jeunes, et qui ont envie qu'on les entende, peuvent utiliser le bulletin de vote communiste pour se faire entendre.

A. Du Roy : A ce premier tour, avec l'éparpillement des voix de gauche, entre vous, Jospin, Voynet, Laguiller, la gauche risque d'être absente du deuxième tour. Est-ce que ce n'est pas quelque chose de grave ? Est-ce que vous n'en porteriez pas, d'une certaine façon, une part de responsabilité ?

R. Hue : Je ne crois pas. D'abord je pense que la gauche peut être présente au deuxième tour. Il suffit effectivement que chacun, dans son créneau en quelque sorte, s'adresse au peuple de gauche. Moi, je me bats pour qu'il y ait beaucoup d'hommes et de femmes de gauche qui ne veulent pas voter socialiste ; cette fois qu'ils votent pour le candidat communiste. Je ne dis pas ça avec esprit de querelle par rapport à L. Jospin. Mais F. Mitterrand a rassemblé 10 millions de voix en 1988 (34 % des suffrages). Aujourd'hui, L. Jospin est crédité de 20 à 22 %. Il y a de la marge. Je dis plutôt que d'aller chercher son électorat chez les communistes, il faut qu'il aille vers ceux qui sont indécis.

A. Du Roy : Le vote utile, à gauche, au premier tour c'est Jospin.

R. Hue : Le premier tour ce n'est pas comme un jeu télévisé où il faut savoir qui va revenir en deuxième semaine. La question qui est posée c'est de savoir à quoi va servir le vote du premier tour. On n'a pas le droit de casser le vote du premier tour. C'est un vote de conviction. Il y a des hommes et des femmes qui ont envie de dire des choses – pourquoi a-t-il deux tours sinon ? – ils ont envie de dire des choses, exprimer un avis, donner leur sentiment. Ceux qui veulent exprimer leur révolte par rapport à la situation présente, ceux qui veulent des propositions fortes sur les salaires, sur l'emploi, ils en ont la possibilité avec le vote communiste.

J.-M. Carpentier : Vous avez reçu le soutien spectaculaire de R. Hanin. On dit que vous pourriez aller à Blois pour rencontrer J. Lang. Vous avez dans cette campagne beaucoup d'amis proches de l'Elysée ?

R. Hue : R. Hanin, c'est un homme libre, c'est un homme courageux qui dit les choses avec franchise. Il les a dites d'ailleurs avant que je ne l'ai rencontré. Que dit-il ? Il dit qu'il a voté socialiste auparavant et que là, il ne veut pas voter socialiste ; qu'il a choisi le vote Hue parce que, pour lui, c'est un vote de révolte, un vote qui porte l'avenir y compris d'une gauche qui est à construire à terme.

J.-M. Carpentier : Vous allez rencontrer J. Lang ?

R. Hue : Non, non, je n'ai pas prévu de rencontrer J. Lang aujourd'hui. C'est clair.

J.-M. Carpentier : Vous êtes bien certain ?

R. Hue : En tout les cas je vous dis les choses telles que je les sais aujourd'hui.

A. Du Roy : Au lendemain du premier tour, si L. Jospin est au deuxième tour, l'Union de la gauche se reformera ?

R. Hue : Je crois qu'il ne faut pas recommencer ce qui a échoué ! Il faut construire une nouvelle voie, incontestablement. Moi, je ne me résigne pas à la droite au pouvoir. Je n'accepte pas cela. De voir cette droite forte, cette extrême droite aussi qui se renforce, moi cela ne me va pas. Je dis donc qu'il faudra, en tout état de cause, le moment venu construire une nouvelle union des forces progressives. Mais pas pour faire ce qui s'est fait précédemment.

A. Du Roy : Vous soutenez L. Jospin au lendemain du premier tour tout de même ?

R. Hue : Non, non. Ecoutez, on ne va pas faire un rafistolage entre les deux tours ! Cela, on a déjà donné et on ne redonnera pas…

E. Leenhardt : Ce sera bonnet blanc et blanc bonnet ?

R. Hue : Non, non, pas du tout. Je dis : attendons d'abord le résultat du premier tour. Au soir du premier tour, les communistes, dans leurs fédérations, prendront une décision par rapport à ce deuxième tour. Mais, ce que je peux vous dire, c'est que ceux qui imaginent qu'i pourrait y avoir le moindre rafistolage alors qu'il a des différences fondamentales… Le PS ne s'attaque pas à l‘argent-roi, il est fondamentalement acquis aux thèses de Maastricht qui, à mon avis, sont contradictoires avec les moyens de mise en oeuvre d'une politique sociale. Je dis donc que ce qui est clair, c'est qu'il n'y aura pas de rafistolage entre deux tours. Ce n'est pas bien ! Moi, je ne suis pas propriétaire de mes voix. Il y a des gens qui aujourd'hui vont voter pour moi parce qu'ils portent un regard nouveau sur le PCF, parce qu'ils ont envie d'exprimer des convictions, mais je ne peux pas dire aujourd'hui ce qu'on pourra dire au soir du premier tour.

J.-M. Carpentier : Si L. Jospin n'était pas présent au soir du deuxième tour, ce serait une catastrophe pour la gauche, notamment pour les municipales pour lesquelles vous avez un accord avec le PS ?

R. Hue : L. Jospin, il dépend de lui qu'il soit présent au deuxième tour, pas du PCF, ni de son candidat ! C'est quand même terrible cette idée qu'il faudrait affaiblir le PCF pour que L. Jospin soit au deuxième tour, simplement, comme ça, alors que la droite est annoncée gagnante ! Mais ce n'est pas correct ! Il faut bien voir les choses. Le PCF a été affaibli dans la dernière période et les Français se sont aperçus que c'était une mauvaise chose, qu'il fallait au contraire une remontée du PCF pour bien se défendre parce que la droite est menaçante, pour faire avancer de grandes revendications sociales dont je suis porteur – je crois que personne ne peut le nier – sur les salaires, l'emploi, et puis également pour ouvrir une perspective – que j'évoquais avec A. Du Roy – que l'on ne se résigne pas définitivement à la droite au pouvoir et qu'il faudra bien construire l'avenir. Et là les communistes seront présents pour dire, « oui, avec les citoyens, avançons dans ce sens ».

E. Leenhardt : Quel pourcentage de voix doit atteindre le PCF pour que vous disiez au soir du premier tour « c'est un succès » ?

R. Hue : Je crois qu'il est possible aujourd'hui qu'il y ait une remontée significative du PCF. Beaucoup de gens qui ne partagent pas toutes les idées du PCF pensent que ce parti doit remonter. J'en suis heureux.


RMC : mardi 11 avril 1995

P. Lapousterle : Est-ce que pour répondre à L. Jospin, qui dit tous les jours qu'il appelle au vote utile et qu'il appelle au rassemblement dès le premier tour, pour assurer la présence d'un candidat de gauche au second tour, est-ce que vous allez voter L. Jospin le 23 avril ?

Robert Hue : Je crois que la candidature communiste, dans cette campagne, porte des choix et des convictions que personne ne peut porter à sa place. Elle porte d'abord la révolte d'un certain nombre de gens par rapport à leur situation, elle porte les idées fortes dans le domaine social, dans le domaine des salaires, dans le domaine de l'emploi, dans le domaine de la précarité et elle porte des idées de perspectives pour construire, pas là dans les quinze jours qui viennent, mais dans l'avenir, une union nouvelle, des perspectives nouvelles, progressistes pour ce pays. Donc non, l'appel de L. Jospin, je le dis e direction des électeurs communistes, les autres forces de gauche, il ne va pas dans le bon sens. Il y a à gagner naturellement mais c'est pas comme ça, il faut s'attaquer à Chirac, il faut s'attaquer à la droite, il faut s'attaquer à la droite, il faut s'attaquer à E. Balladur plutôt que de vouloir affaiblir le Parti communiste. Quand on affaiblit le PC, ces dernières années, on a vu que ce n'était pas bon pour la gauche dans son ensemble, aujourd'hui il faut une remontée du PC.

P. Lapousterle : Et tant pis s'il n'y a pas de candidat de gauche au second tour ?

Robert Hue : Mais ça ne tient pas du tout aux électeurs communistes. Et ceux qui portent aujourd'hui un regard nouveau sur le PC, parmi les électeurs qui vont voter communiste, cette fois, pour la première fois depuis longtemps, et qui ont voté socialiste au premier tour. Ils ne veulent pas, sur la base d'une expérience qu'ils ont faite ces dernières années, ou ils ne veulent pas, sur la base d'une expérience qu'ils ont fait ces dernières années, ou ils ne veulent pas recommencer ce qui a échoué. Et ils le disent nettement. Et aujourd'hui, je crois qu'au contraire, avec la campagne que je mène je capitalise un certain nombre de forces, de forces de gauche qui, aujourd'hui, de toute façon, sont dans l'attente et ne veulent pas aller sur le candidat socialiste. Le candidat socialiste est crédité actuellement de 21-23 % et crédité du second tour d'ailleurs, mais F. Mitterrand a fait 34 % des suffrages en 88. Cette marge, ces millions de gens, ils sont où ? La gauche n'a pas disparu, l'électorat de gauche n'a pas disparu, c'est là qu'il faut gagner et ce n'est pas en allant le chercher dans l'électorat communiste.

P. Lapousterle : Quand vous dites que voter communiste au premier tour, c'est voter utile parce que ça servira ensuite, quel que soit le résultat de l'élection présidentielle. Qu'est-ce que vous voulez dire par là ? En quoi le vote communiste sera utile après l'élection ?

Robert Hue : Regardons les choses avec réalisme. La droite est puissante. J. Chirac fait des scores importants, je ne sais pas ce que sera le résultat de la présidentielle. Ce que je sais, c'est qu'il faudra une force politique, et le PC incarne bien cette force, pour résister face aux mauvais coups de la droite. Il faudra une force politique pour, en fait, faire avancer les grandes revendications sociales que j'ai portées dans cette campagne. Il faudra une force politique pour dire que dans ce pays, on ne se résigne pas à voir la droite en permanence. Il faut reconstruire une perspective nouvelle. Donc le PC doit jouer ce rôle important que personne ne peut jouer à sa place. Il est évident, qu'on soit d'accord ou pas avec le PC, que le poids qu'aura le PC au premier tour de l'élection, c'est-à-dire l'efficacité du vote communiste, tient au fait qu'aucun Président qui sera élu ne pourra écarter d'un revers de main ce qu'aura dit le candidat communiste en termes de social. Par exemple, les luttes qui se développent dans ce pays en ce moment, les grandes luttes sociales, ce qui est un événement dans la vie politique française aujourd'hui, eh bien je dis : le 23 avril, on peut prendre un bulletin de vote R. Hue pour mettre ces luttes dans l'urne en quelque sorte.

P. Lapousterle : Est-ce que ça veut dire qu'après le 7 mai, lorsque le président de la République sera élu, le Parti communiste prendra comme lieu de politique, les rues de Paris et des villes de province ?

Robert Hue : Le PC, en toutes circonstances, soutient et est solidaire des actions qui se mènent, des travailleurs en lutte. Regardez aujourd'hui la Sécurité sociale. Ça fait des mois que je parle de la Sécurité sociale dans mes discours, aujourd'hui il y a une grande mobilisation, je suis complètement solidaire de ceux qui disent qu'il ne faut pas démanteler la Sécurité sociale, ce que veut faire J. Chirac, ce que veut faire E. Balladur. Donc, après l'élection, oui il faudra bien avoir cette force sur qui s'appuyer pour jouer un rôle fort au plan social et le Parti communiste entend prendre toute sa place en la matière.

P. Lapousterle : Tout le monde dit que vous faites une bonne campagne, je crois que c'est vrai d'ailleurs ; A. Lajoinie avait fait 6,7 % en 1988, vous êtes crédité d'au moins deux ou trois points de plus. À quoi vous attribuez ce regain de voix, ce rebond, alors que tout le monde présidait le contraire ?

Robert Hue : Je crois que la campagne que je mène à ma façon, naturellement, comme candidat, avec tous les communistes, est une campagne qui, en fait, porte les idées neuves qui sont celles des communistes. Alors peut-être qu'en d'autres périodes on n'a pas eu les moyens de porter ces idées-là comme on le fait aujourd'hui mais en tous les cas, ce n'est pas seulement R. Hue, c'est l'affaire de tous les communistes et c'est surtout l'affaire d'une politique.

P. Lapousterle : Est-ce que ça veut dire que le Parti communiste après l'élection présidentielle sera un peu différent du PC d'avant ?

Robert Hue : Je crois que le PC change en permanence. Il a changé beaucoup le PC. Il change actuellement et il continuera de changer. Et c'est ce changement que perçoivent aujourd'hui les Français et c'est ça qui est formidable, c'est ça qui les conduit à porter un regard nouveau sur le PC.

P. Lapousterle : Il changera dans quels domaines ?

Robert Hue : Il va continuer de changer pour être mieux communiste et être mieux au service…

P. Lapousterle : Par exemple ?

Robert Hue : Il faut qu'il contribue, à mon avis à être plus fort dans les cités populaires, dans les quartiers où il y a de grands problèmes de société qui se posent. Toute une série de domaines où le PC, en rappelant à la société, doit encore avancer, il a bien engagé les choses et il va continuer de le faire.

P. Lapousterle : Vous avez dit qu'il n'y aurait pas de rafistolage pour le deuxième tour. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que vous n'allez pas appeler à voter L. Jospin s'il est au deuxième tour ?

Robert Hue : Je dis, à propos du deuxième tour, il n'y aura pas de rafistolage politique. Ça veut dire que ça a pu exister dans le temps dans d'autres périodes, encore que pas à ces dernières présidentielles. Mais on n'imagine pas un accord à la va-vite qui réglerait tous les problèmes alors que ce n'est pas vrai. Il y a des différences importantes sur Maastricht.

P. Lapousterle : Ça veut dire que vous n'appellerez pas à voter pour L. Jospin ?

Robert Hue : Personne, aujourd'hui, ne peut dire ce qui se passera le 23 avril. Donc le 23 avril au soir, nous verrons ce que nous ferons. Je dis simplement que le PC a toujours été résolument contre la droite et l'extrême-droite et que, en l'occurrence, il y a beaucoup de gens qui viennent sur les positions communistes et qui ne sont pas forcément d'accord avec les communistes sur toutes les idées. Moi, je ne suis pas propriétaire de ces voix-là. Donc voilà ce que je dis et c'est les communistes et leurs fédérations qui en décideront.

P. Lapousterle : Quand vous avez dit que vous pourriez créer un million d'emplois en quelques années, vous pensez que c'est sérieux, que les Français vous croient ?

Robert Hue : Tous ceux qui disent que l'on peut créer des emplois en réduisant le temps de travail à 35 heures hebdomadaires sans diminution de salaire, disent qu'on peut effectivement aller à la création, si on s'y met tout de suite, d'un million d'emplois. Tout le monde, y compris d'ailleurs ceux qui…

P. Lapousterle : Et on peut les payer ?

Robert Hue : Bien sûr qu'on peut les payer. Il y a, dans cette société, des milliards de profits qui existent. On me disait sur les salaires que 8 000 francs, c'était de la démagogie parce que ça coûtait 200 milliards. On vient de découvrir qu'il y a eu un trou de 130 milliards au Crédit Lyonnais, ça ferait déjà 700 francs d'augmentation de salaire que je préconisais.


France Inter : 14 avril 1995

France Inter : La RATP, la Poste, l'ANPE, les banques, Renault, Michelin… J'arrête parce que je pourrais simplement énumérer la liste des grèves pendant toute l'émission, on a l'habitude un peu en période électorale, mais là quand même, c'est assez fort. Est-ce que vous, un peu à l'instar de L. Viannet, à un troisième tour social ?

Robert Hue : C'est vrai qu'habituellement, dans les campagnes électorales, les luttes sociales sont présentées comme un moyen de pression sur les candidats juste avant l'échéance électorale. Ceux qui pensent ça aujourd'hui se trompent complètement. Je viens de faire un tour de France depuis six mois, la situation sociale est extrêmement tendue. Une situation sociale qu'il faut bien prendre telle qu'elle est, c'est-à-dire des salariés, des hommes, des femmes qui ont, pendant des années, fait des sacrifices, vu leur pouvoir d'achat, rogné et au nom de ce qui devait être une limitation du chômage, voire une nouvelle conquête dans le domaine de l'emploi, tout ça en fait n'a pas fonctionné. Pire encore, ils se sont aperçu que, pendant qu'on leur demandait des sacrifices, il y en a d‘autres qui s'en mettaient plein des poches. Alors ça ne va pas. Et maintenant qu'apparaissent, effectivement plus criantes les richesses créées, qu'apparaît un début de croissance, ils disent, on veut des augmentations de salaire. Et ils ont raison. Je dis même, dans cette campagne électorale, je propose de porter ces luttes sociales et que le 23 avril soit une journée de lutte sociale précisément, que l'on mette dans l'urne un bulletin de vote qui exprime ces luttes et je pense que ça peut être le bulletin de vote communiste.

France Inter : Vous n'avez pas peur du réflexe vote utile, compte tenu du fait que c'est un peu serré finalement pour L. Jospin pour accéder au second tour ?

Robert Hue : Toutes les enquêtes d'opinion désormais donnent L. Jospin au deuxième tour. Ce qui est certain, c'est que la grande bourgeoisie, la droite française a choisi désormais son candidat et je pense qu'effectivement M. Balladur va être éliminé et c'est J. Chirac qui sera le candidat de la droite. Je pense qu'au second tour, il y aura un candidat de gauche. Justement, ce que je dis à L. Jospin, c'est que pour être au deuxième tour, il ne s'agit pas d'affaiblir le candidat communiste, ce n'est pas la solution. L. Jospin est crédité dans les sondages de 21-22 % des suffrages, F. Mitterrand en 1988 a fait 10 millions de voix, 34 % des suffrages, ça veut dire que le peuple de gauche ne s'est pas évaporé.

France Inter : Il est passé où, quand même ?

Robert Hue : On dit beaucoup qu'il y a des gens dans l'indécision actuellement.

France Inter : Il y a beaucoup de gens aussi de gauche qui ont l'intention de voter Chirac.

Robert Hue : Il y a des gens qui peuvent être trompés par la démagogie extraordinaire de J. Chirac et je les alerte comme beaucoup les alertent naturellement sur le programme de J. Chirac. J. Chirac constate effectivement que la situation va mal, il dit des choses tout à fait réelles concernant le constat des choses.

France Inter : J.-M. Le Pen a même dit qu'il ne voterait pas pour lui au deuxième tour parce qu'il était socialiste.

Robert Hue : Mais ensuite J. Chirac, dans ses propositions, a un programme bien à droite, bien réactionnaire et il faut absolument que les Français le sachent.

France Inter : Le cas échéant, vous ne voterez pas pour lui au deuxième tour ?

Robert Hue : Le PC s'est toujours déterminé cintre la droite et l'extrême-droite, il n'y a pas d'ambiguïté là-dessus. Je dis, on parlait du vote utile, à L. Jospin, effectivement ce n'est pas vers les forces de gauche qu'il faut prendre ses voix, c'est de l'autre côté, vers la droite, vers Balladur, vers Chirac. Depuis des mois, je m'efforce de faire campagne pour regagner à la gauche, au PC des suffrages. Ça a l'air de fonctionner, aujourd'hui ce n'est pas en affaiblissant le PC que l'on peut aller à un ancrage à gauche sérieux. D'ailleurs, quelle que soit d'ailleurs l'opinion des gens, même si on ne partage pas la sensibilité communiste, les gens constatent – ils le disent en tous les cas et c'est pour ça qu'il y en a qui s'expriment en ma faveur – que l'affaiblissement du PC ces dernières années en France n'a pas été une bonne chose et qu'il faudrait aujourd'hui qu'il y ait cette remontée du PC. Je crois que ça peut être l'événement de ce scrutin du premier tour.

France Inter : Vous commenciez en disant, finalement je voudrais que le bulletin que l'on mette dans l'urne ce dimanche 23 avril soit un bulletin protestataire, social ?

Robert Hue : Social, pas protestataire seulement, constructif aussi. C'est-à-dire que je propose que dans le bulletin R. Hue que l'on mettra dans l'urne, il y ait aussi les 1 000 francs d'augmentation de salaire au moins pour tous les salaires inférieurs à 15 000 francs, les 35 heures hebdomadaires de travail sans diminution de salaire, autant de grandes revendications que j'ai posées dans cette campagne électorale. Et si le score du candidat communiste est suffisamment fort le 23, je suis certain que, quel que soit le président de la République élu, il devra tenir compte de ces revendications sociales.

France Inter : Quel que soit le Président élu ?

Robert Hue : Quel que soit le Président élu parce que le soleil va continuer de se lever après le deuxième tour de l'élection présidentielle. Aujourd'hui, les travailleurs sont en lutte, et ils veulent faire avancer leurs revendications sociales, elles seront incontournables, c'est certain. Le PC est à leurs côté, il est solidaire de cette démarche.

France Inter : Qu'est-ce que vous diriez à cette catégorie à laquelle on ne s'adresse jamais mais qui sont ceux qui sont non seulement indécis, mais qui ne savent même pas s'ils vont aller voter parce qu'ils se disent, ça ne sert à rien, de toutes façons ça ne changera rien, ça ne créera pas des emplois, ils sont incapables de le faire etc. ?

Robert Hue : Mais je pense précisément que le premier tour est un premier tour de choix, de conviction. Au deuxième tour, on élit le président de la République. Donc pour tous ceux qui sont indécis, qui s'interrogent sur le bien-fondé de leur vote au premier tour, il faut leur dire qu'il faut voter parce que ça peut changer beaucoup les choses. Je crois que l'essentiel va se passer au premier tour de l'élection présidentielle. De ce qui va s'affirmer dans le vote, dans les scores des différents candidats et notamment dans les scores du vote communiste, se déterminera à la fois la possibilité d'exprimer son ras-le-bol, en même temps les avancées de grandes revendications sociales et surtout la possibilité, à l'occasion de cette élection, de mettre les premiers pas d'une construction politique neuve nécessaire pour une alternative de gauche des forces progressistes dans ce pays. Je ne me résigne pas à la droite au pouvoir.

France Inter : Que pensez-vous de ce qui se passe en Tchétchénie ? Avant-hier, à ce micro, D. Strauss-Kahn disait qu'il ne faut pas que les officiels français aillent aux cérémonies du 9 mai en Russie à cause de la Tchétchénie.

Robert Hue : D'abord je condamne avec la plus grande force le caractère barbare irresponsable de l'intervention de B. Eltsine en Tchétchénie. J'ai dit et je vais répéter ici que les chars russes en Tchétchénie, ce n'était pas plus tolérable aujourd'hui que les chars en Afghanistan hier. Je suis effaré du comportement des Etats occidentaux qui précisément en d'autres circonstances auraient hurlé et là se taisent devant ce qui se passe en Tchétchénie. Il ne se passe pas un meeting, et c'était mon 71ème, hier soir, sans que je n'évoque cette question. Il faut effectivement que les peuples de ce point de vue interviennent, disent leur sentiment devant cette intervention barbare.

France Inter : Faut-il boycotter les cérémonies du 9 mai ?

Robert Hue : Je ne me suis pas interrogé sur cette question mais je pense qu'en tous les cas il faut marquer son désaccord total avec B. Eltsine.


Le Monde : 15 avril 1995

Le Monde : On a constaté un « effet Hue » au cours de cette campagne. Vous apparaissez comme un candidat sympathique, mais vos propositions en matière d'emploi, de salaire, ne sont pas jugées convaincantes. N'y a-t-il pas un problème de crédibilité pour le Parti communiste ?

Robert Hue : Dès le début de ma campagne, en novembre, j'ai avancé un certain nombre de propositions de façon radicale, qui ont pu apparaître en décalage, un moment, avec le niveau de conscience de l'opinion publique. J'ai osé proposer une autre orientation dans l'utilisation de l'argent. Aujourd'hui, un certain nombre de réalités apparaissent beaucoup plus évidentes : l'idée, par exemple, que l'argent-roi écrase tout dans notre société, a beaucoup progressé dans la dernière période. L'idée selon laquelle il y a de l'argent et que la France est un pays riche a grandi. C'est ce qui explique l'émergence des luttes sociales. Ceux qui s'imaginent que le mouvement social actuel est lié à la conjoncture électorale se trompent lourdement. C'est un mouvement, structurel, fort, durable, qui a fait émerger de grandes questions dans le débat électoral.

Le Monde : Quand vous dites qu'il y a de l'argent pour augmenter les salaires, c'est un discours global, un peu abstrait. Lorsqu'on examine les possibilités entreprises par entreprise, n'est-ce pas différent ?

Robert Hue : Sur les 1 270 milliards de francs de profits réalisés l'an dernier, l'essentiel provient des grandes entreprises. Pour ce qui concerne les petites et moyennes entreprises, vous aurez noté que le Parti communiste tient un discours nouveau. Nous disons qu'il faut aider les PME qui créent des emplois à se dégager des crédits prohibitifs qu'elles subissent et qu'il faut moduler la taxe professionnelle.

Le Monde : Est-ce que le développement du mouvement social n'est pas le signe que les salariés anticipent sur une victoire de la droite ?

Robert Hue : Les salariés ont souvent attendu, surtout sous les gouvernements socialistes, que les élections leur permettent d'obtenir un certain nombre d'avantages. L'expérience les conduit aujourd'hui à penser qu'il faut lutter pour faire avancer leurs revendications. Ils ont raison, car, quel que soit le prochain président de la République, l'action devra se poursuivre.

Le Monde : Quand Chirac dit qu'un franc de salaire distribué n'est pas un franc perdu pour l'économie », c'est une formule que vous pourriez utiliser

Robert Hue : M. Chirac développe une démagogie effrénée, exceptionnelle, qu'on a rarement vue. Elle commence d'ailleurs à inquiéter dans les milieux du patronat et de la haute finance. Je fais référence au rappel de l'ordre de M. Trichet, gouverneur de la Banque de France. Car il est évident que les promesses de M. Chirac sont absolument incompatibles avec les critères d'austérité du traité de Maastricht.

Le Monde : Voyez-vous une différence entre M. Chirac et M. Balladur ?

Robert Hue : Il n'y a pas de différence de fond. Il y a une différence d'approche. M. Balladur juge que la France va mieux. M. Chirac dit que la situation est mauvaise, et, sur ce point, il a raison. Mais l'un et l'autre apportent les mêmes réponses. Chacun sait bien que c'est M. Chirac qui a inventé M. Balladur. Il l'a nommé ministre de l'économie en 1986, il en a fait un Premier ministre et il a voté toutes les lois depuis 1993.

Le Monde : Pensez-vous qu'une fraction de l'électorat de gauche puisse être sensible au discours de M. Chirac ?

Robert Hue : Il y a une telle aspiration au changement que les promesses d'un candidat peuvent parfois troubles certains électeurs. C'est pourquoi je m’emploie à alerter les Français sur les dangers que présente une telle démagogie.

Le Monde : Est-ce qu'une victoire de la gauche vous paraît possible ?

Robert Hue : Pour le moment, tous les observateurs considèrent improbable une victoire de la gauche. Mais il semble que le candidat socialiste sera présent au second tour. Je le dis depuis longtemps, et les dernières enquêtes d'opinion le confirment.

Le Monde : Votre stratégie n'est-elle pas fondée sur un échec de la gauche au second tour ?

Robert Hue : Je n'ai pas les yeux en permanence sur le résultat du 7 mai. Ma stratégie est une stratégie de long terme. Je pense qu'à terme, il faut, pour la France, une alternative progressiste, mais regardons la réalité avec lucidité : je ferais rire tout le monde si je disais que les conditions d'une nouvelle construction politique sont aujourd'hui réunies. La perspective d'une union nouvelle se posera plus fortement au lendemain de l'élection, si la droite est élue, mais l'élection présidentielle constituera une étape importante dans cette perspective. Cette étape, je la situe au premier tour : une progression significative du Parti communiste peut véritablement changer la donne à gauche.

Le Monde : Savez-vous déjà comment vous allez reprendre l'initiative pour relancer votre proposition de « pacte unitaire pour le progrès » au lendemain de l'élection présidentielle ?

Robert Hue : Certains se sont imaginé que cette idée de pacte n'était qu'un coup. Aujourd'hui, force est de constater que ce chantier, lancé il y a un an, est d'une criante actualité. Il s'agit d'une construction politique radicalement différente de ce qui s'est fait par le passé. Cette élection montre bien que le peuple de gauche ne veut plus recommencer ce qui a échouée, et c'est ce qui explique les difficultés que semble rencontrer Lionel Jospin, davantage qu'il ne l'avait sans doute imaginé.

Le Monde : Avez-vous envisagé de tirer les conséquences du vote communiste lors d'un congrès extraordinaire de votre parti ?

Robert Hue : Il faudra tirer les enseignements du résultat, afin de voir comment aller plus vite et plus loin dans la mise en oeuvre de notre politique, afin d'avoir un parti qui corresponde le mieux possible à la société telle qu'elle est aujourd'hui. Le comité national prendra les décisions nécessaires. Un bon score encouragera les communistes à aller plus avant avec leur direction. Le mouvement qui s'opère dans l'opinion publique, autour du Parti communiste, offre des perspectives : les opinions favorables sont très supérieures aux intentions de vote actuellement émises.