Texte intégral
Paris Match : Vous êtes aujourd'hui candidat à la présidence de la République. Dans la situation de l'athlète qui entre dans le stade pour affronter un match et en même temps la foule. Y a-t-il une émotion en vous, une vibration particulière ?
Édouard Balladur : Il faudrait être inconscient pour que ce ne soit pas ressenti comme une épreuve en même temps que comme un jugement dont on va être l'objet. Chacun est bâti comme il l'est. Pour moi, il y a avant tout la crainte d'être présomptueux. Quel titre a-t-on à se présenter aux suffrages des Français ? Le réflexe classique consiste à dire : c'est un devoir, je fais parce qu'on me le demande. C'est ce que disent pratiquement tous les candidats. Il y a là une part de vérité, d'ailleurs. Si personne ne nous le demandait, il est probable qu'on ne se présenterait pas ! Il y a aussi une volonté – on peut appeler cela une ambition – de faire ses preuves, d'être utile, d'ajouter quelque chose à l'histoire, d'y écrire quelques lignes de plus… Un bon passage dans cette histoire tellement longue qui est celle de notre pays. Donc, c'est un poids psychologique. Mais il reste que c'est très stimulant Là encore, c'est une question très difficile. Il n'y a pas que la réponse hypocrite – c'est mon devoir – ou la réponse cynique – j'en ai envie. Il y a des deux, mais aussi autre chose. J'espère surtout autre chose. Je vais tenter de vous l'expliquer.
Paris Match : Cette décision, comment l'avez-vous prise ?
Édouard Balladur : On n'est pas candidat si on estime qu'on n'est pas capable de tenir ses engagements et de faire à peu près bien ce que l'on dit qu'on fera. Si on n'y croyait pas, on ne le serait pas, J'avais dit que je voulais me consacrer au redressement du pays et que mon objectif était qu'il aille mieux au bout de deux ans. Nul ne conteste qu'il commence à aller mieux. Par ailleurs, il est de fait que depuis dix-huit mois, et mois après mois, j'ai bénéficié du soutien de l'opinion. Je pourrais justifier cela par l'idée que je me fais de ce que la France doit être à la fin du siècle et qui va être le fond de mon projet.
Paris Match : Quel est ce projet ?
Édouard Balladur : Il sera inspiré de plusieurs thèmes.
D'abord, le thème de l'optimisme. Je trouve qu'on a trop tendance à faire broyer du noir aux Français. Nous sommes dans la bonne direction. Il y a des difficultés, mais on peut les surmonter.
Deuxième point, qui est le corollaire du premier : il va falloir continuer – je dis continuer parce que c'est déjà commencé – à opérer des changements profonds, et on ne le pourra que si les Français y adhèrent Je m'efforcerai donc de les rassembler.
Troisièmement, il faut essayer de réconcilier le plus possible les Français. Il serait affligeant que les débats idéologiques étant presque terminés pour l'essentiel, il ne reste plus que des querelles de personnes, de groupes ou d'organisations. Ce qui ne veut pas dire que nous voyions tous les choses de la même manière ; il y a les spécificités, des convictions différentes, c'est évident, mais il ne faut rien faire qui déchire davantage le tissu de la nation.
Paris Match : On vous reproche d'endormir l'opinion.
Édouard Balladur : Je sais qu'on me reproche d'être rassurant Ce n'est déjà pas si mal ! On ne rassure pas durablement – ça fait quand même bientôt deux ans que ça dure – sans vrai motif. On peut rassurer un mois ou deux, mais deux ans, c'est beaucoup. Les épreuves ne m'ont pas fait défaut, tout de même ! Je rappelle qu'on m'a menacé d'une motion de censure sur le Gatt toutes les semaines. Je rappelle que nous avons traversé une crise monétaire qui aurait pu mal tourner pour le franc. Si nous avons pu surmonter la crise du Gatt et la crise monétaire, je pense que d'autres épreuves se sont moins bien terminées pour le gouvernement, notamment l'affaire du Cip. Mais on ne peut jamais garantir qu'on ne fera pas d'erreurs. Ce qui compte, c'est de ne pas commettre deux fois la même erreur. Ce que les Français attendent, c'est d'avoir des dirigeants perfectibles. Il faut savoir tirer les leçons des difficultés qu'on rencontre. Si je suis rassurant – ce que je ne sais pas –, c'est peut-être parce que j'ai donné le sentiment que j'étais prêt à me remettre en cause quand c'était utile et que c'était ce que souhaitaient les Français.
Paris Match : Il existe une différence profonde entre les fonctions de Premier ministre et le rôle du président de la République. Qu'attendez-vous du passage des unes à l'autre, si vous êtes élu ?
Édouard Balladur : D'abord, il faut reconstituer l'unité du pouvoir. Ce qui est surprenant, c'est qu'on ait pu faire fonctionner la cohabitation sans finalement qu'il en résulte aux yeux de l'opinion des tensions politiques trop profondes. Pour moi, la cohabitation est un exercice de paix publique et de paix démocratique. C'est une capacité à se gérer soi-même, si je puis dire, en fonction d'un certain nombre de contraintes. Donc, unité du pouvoir d'abord.
Paris Match : Quels sont pour vous les problèmes prioritaires de notre pays ?
Édouard Balladur : Il y a le problème de l'État et du citoyen. On est heureusement sorti d'une polémique superficielle sur le tout État ou pas d'État. Sur le plus ou le moins d'État. Or ce qui caractérise notre époque, c'est un besoin contradictoire de liberté de l'individu et de protection contre les injustices et les aléas de la vie. Il faut en tenir compte. Il y a un problème de lien entre l'État et le citoyen qui doit nous conduire à plus de démocratie dans les institutions. Par exemple, nous devons faire en sorte que la justice soit hors du débat politique ou psychologique quotidien. Les institutions de la justice devraient avoir quelque chose d'intouchable. Une société a besoin d'arbitres et la justice fait partie des arbitres. Ce n'est pas le seul. Il y a donc le problème de l'État et du citoyen, de l'autorité de l'État et, en même temps, de la liberté du citoyen et de la décentralisation et de la justice. C'est ainsi qu'on luttera le mieux contre la corruption.
Deuxième grand problème : la force de la France. Il faut que la France soit plus forte, à l'intérieur comme à l'extérieur, pour être plus entendue et compter davantage. L'Europe s'est unifiée, l'Allemagne aussi, et d'ici à dix ou vingt ans nous aurons de grands concurrents qui commencent déjà à émerger la Chine, l'Inde… La France doit être plus forte économiquement.
Troisième grand problème : le chômage. La société française doit être non pas plus uniforme – puisqu'au contraire il faut être plus divers, l'avenir étant à la liberté et à la diversité –, mais plus unie grâce à l'adhésion à un certain nombre de principes. D'abord, c'est une question de nature morale. Il y a ce qu'il est convenu d'appeler les valeurs républicaines : le pays doit être plus uni dans les chances qui sont offertes à chacun. Je pense que le progrès économique et la diminution du chômage vont de pair et sont la meilleure façon de répondre à l'inquiétude des Français. Davantage d'emplois et donc de recettes sociales et fiscales pour les régimes de protection collective permettront de renforcer les chances de chacun.
Paris Match : En politique étrangère, serez-vous un héritier ?
Édouard Balladur : Cela dépend de qui et en quoi ? Le général de Gaulle a défini les grands principes de notre politique étrangère – l'indépendance, la construction européenne-, mais le monde a beaucoup évolué depuis quelques années. Il faut conserver les principes et s'adapter aux circonstances. Il y a, bien sûr, le problème de la France dans l'Europe. Et, de façon générale, celui de la France dans le monde. Nous devons redevenir les artisans les plus dynamiques et les plus réalistes du progrès de l'Europe. C'est vital. Je ne conçois pas pour ma part d'avenir ou l'influence de la France dans le monde si l'Europe devait être une Europe faible. Un fait m'a beaucoup frappé : nous ne serions parvenus à rien dans l'affaire du Gatt si nous n'avions pas su mobiliser nos partenaires européens. Ce qui fut vrai de l'affaire du Gatt pourrait l'être un jour dans le domaine de la sécurité. Dans les années qui viennent, les grands progrès en Europe devront être faits non seulement sur le plan monétaire, mais aussi sur les plans de la sécurité et de la politique étrangère. C'est le champ futur du progrès. Ce sera une affaire difficile, mais ce qui se passe en ex-Yougoslavie nous montre que c'est indispensable.
Paris Match : Qu'est-ce qui vous distingue de vos concurrents ?
Édouard Balladur : Ce sera aux Français d'en juger, mais, moi, au cours de cette campagne, je les appellerai à la réconciliation. Je crois plus que jamais à sa nécessité. Mais il s'agit pour le pouvoir de donner l'exemple. Et de donner l'exemple d'une action qui est menée pour le bien de tous. Tous ces sondages, on y croit ou on n'y croit pas. Moi, j'y crois à moitié mais je vais vous faire un aveu : rien ne m'a fait plus plaisir que la constance avec laquelle les Français considèrent que je suis l'homme politique qui gouverne le plus pour le bien de tous et non pour telle ou telle catégorie. Les Français ne le croiraient pas si c'était faux. Le peuple a une intuition à mon avis sans défaut.
Paris Match : Il y a en ce moment un débat sur la politique. Êtes-vous un ancien ou un moderne ? Croyez-vous à la fin d'un monde, c'est-à-dire à la fin de la Ve République – la corruption de la société politique, l'usure des institutions – ou à sa stabilité ?
Édouard Balladur : Je ne crois pas à sa fin, mais je crois à la nécessité de son évolution, de sa modification. Il y a toujours des évolutions nécessaires, mais je pense que les principes fondamentaux de la Ve République doivent demeurer. Je vous ai parlé de la justice. Qui aurait dit, il y a dix ans, que la justice deviendrait un des thèmes majeurs du débat public dans notre pays ? Vous n'y auriez pas pensé, moi non plus. Or c'en est un. Il y a des problèmes dont on peut discuter : la durée du mandat présidentiel, donner plus de pouvoir au Parlement, permettre aux citoyens de saisir le Conseil constitutionnel… Là, il s'agit d'une série de modifications dont certaines ont tout à fait mon approbation. On peut en discuter, mais ça ne remet pas en cause les principes fondamentaux. Quels sont-ils ? Finalement, c'est un pouvoir qui réussit à être à la fois stable et démocratique. À certains moments, il est plus stable et, à d'autres, plus démocratique. C'est affaire de circonstances, mais c'est cela qu'il faut viser. Et c'est ce qui a fait son succès finalement : la conjonction de la stabilité du pouvoir politique – pour qu'il soit efficace, il faut qu'il soit stable – et de la démocratie. Peut-on aller plus loin ? Je le pense.
Paris Match : Qui auriez-vous aimé avoir été ?
Édouard Balladur : J'aurais aimé être médecin.
Paris Match : Quel est votre exemple favori parmi les grands Français ?
Édouard Balladur : Ce fut longtemps Richelieu, parce qu'il a reconstitué l'État, tellement affaibli et menacé. Il a fixé aussi pour des générations le sens de la politique étrangère de notre pays. Les choses évoluant, je me suis aperçu que Saint Louis n'était pas uniquement un saint de vitrail. Qu'il a placé la justice au centre de la mission de l'État. Parfois d'ailleurs aux dépens du pouvoir monarchique. Vous voyez, j'ai évolué.
Paris Match : quel fut le moment le plus fort de votre vie ?
Édouard Balladur : Il est sûr qu'il n'appartient pas au domaine professionnel.
Paris Match : Qu'est-ce que l'abus de pouvoir ?
Édouard Balladur : La même chose que l'abus de sa force, c'est-à-dire l'égoïsme. La morale consiste justement à ne pas abuser de sa force. C'est un principe qui vaut dans la vie publique comme dans la vie privée.
Paris Match : Qu'est-ce que la raison d'État ?
Édouard Balladur : La justification qu'on se donne à soi-même quand on fuit des choses immorales au nom de l'État.
Paris Match : On dit que tout homme va au bout de son pouvoir. Aux postes que vous avez occupés, vous êtes allé au bout du vôtre. Aux Finances ou à Matignon. Georges Pompidou, qui vous a quand même beaucoup influencé, fut un président absolu. Suivrez-vous cet exemple ?
Édouard Balladur : On est toujours tenté d'aller au bout de son pouvoir, mais il faut se retenir. On s'autocontrôle plus ou moins bien, et comme on n'est pas sûr de se contrôler plus ou moins bien soi-même, il faut que d'autres le fassent pour vous. D'où la théorie de l'équilibre du pouvoir. C'est pourquoi je suis partisan des institutions de la Ve République, c'est-à-dire un pouvoir qui trouve ses contrepoids dans les autres pouvoirs.
Pour reprendre les exemples que vous avez donnés de mon action, comme ministre des Finances j'étais sous l'autorité d'un Premier ministre et dans un gouvernement de cohabitation qui, lui-même, était sous le contrôle du Parlement.
Paris Match : Certes, mais à Matignon vous n'avez rien concédé de ce qui était votre domaine.
Édouard Balladur : Oui, mais en même temps vous me donnerez acte du fait que la cohabitation s'est bien passée. Si elle s'est bien passée, c'est parce que j'ai su composer quand il le fallait…
Paris Match : Quel jugement portez-vous sur les quatorze années écoulées ?
Édouard Balladur : C'est difficile, parce que la nation, la société évoluent souvent en ignorant le pouvoir politique. On a toujours tendance à assimiler l'action du pouvoir à la situation d'un pays au terme de ce pouvoir, mais, dans une certaine mesure, il y a une large indépendance. Le siècle de Victoria doit peu à la reine Victoria, le siècle de Louis XIV doit sans doute beaucoup à Louis XIV. Rien n'est figé, rien n'est définitif.
Quelle est la différence entre la France telle que le général de Gaulle l'a laissée et la France dix ans après ? Entre-temps, il y a eu 1968, qui a changé l'esprit public, les relations dans la famille, le fonctionnement de l'université, celui de l'Église… Le pouvoir qui a succédé à celui du général de Gaulle y a-t-il été pour quelque chose ? La société a évolué sans le pouvoir, parfois contre, parfois à côté. Alors, en quoi la France de 1995 est-elle différente de la France de 1981 et en quoi le pouvoir socialiste est-il responsable de la différence ? Il y a des domaines négatifs et des domaines positifs. La France s'est maintenue. Le domaine négatif, c'est qu'il y a beaucoup plus de chômeurs et beaucoup plus d'injustices. En sens inverse, il y a davantage d'étudiants dans les universités ; c'est un élément de démocratisation dans une certaine mesure, à condition qu'ils ne se transforment pas en chômeurs. Est-ce que la France est plus puissante en Europe, plus influente qu'elle ne l'était ? Je ne le crois pas. C'est une question difficile parce qu'il faut être honnête. Au fond, je dois y réfléchir… Est-ce que la France est plus découragée qu'elle ne l'était ? Elle est moralement et psychologiquement plus affaiblie qu'elle ne l'était. D'où l'importance que j'attache, moi, à lui redonner l'espérance.
Paris Match : Le nouveau président, qui échappera en principe à la cohabitation, aura une chance rare. Il pourra faire ce que les Français sentent confusément qu'on doit faire mais qu'aucun pouvoir n'a osé, c'est-à-dire s'attaquer aux grands problèmes, à savoir : l'Éducation nationale revue et corrigée en profondeur ou bien les fameux acquis sociaux. Tout le monde sait qu'on ne peut pas toucher à ce mot-là mais qu'on ne peut pas continuer avec ce système. Ce sont les vraies grandes questions. Pensez-vous que vous serez en mesure de les affronter ?
Édouard Balladur : Je crois que si l'unité du pouvoir est reconstituée, les conditions psychologiques et politiques seront réunies pour affronter ces problèmes. Nous avons commencé. Nous avons fait la réforme des retraites ; celle de l'école avec un nouveau « contrat pour l'école » ; aujourd'hui, les problèmes que vous décrivez concernent d'une part l'enseignement universitaire, afin qu'il prépare mieux la jeunesse, d'autre part tout ce qui touche à l'assurance-maladie. Mais pour l'école d'une part, les régimes de vieillesse de l'autre, nous avons fait ce qu'il fallait.
Je répète que le temps de la politique n'est pas le temps de la société. On peut avoir une victoire politique, cela ne veut pas dire pour autant qu'on peut tout se permettre, contrairement à ce que j'entends. Le général de Gaulle a remporté sa plus grande victoire politique à la fin de 1962 en imposant l'élection du président au suffrage universel, en dissolvant l'Assemblée et en ayant une nouvelle Assemblée qui lui était beaucoup plus favorable. Deux mois et demi après, il y a eu la grève des mineurs. Il a dû reculer et ça a été pour lui une épreuve sociale et politique majeure. Autrement dit, il ne faut pas s'imaginer que l'on peut tout se permettre sous prétexte qu'on a gagné des élections. Et l'on ne doit jamais perdre de vue la nécessité de convaincre, de faire adhérer, de faire bouger les esprits et la société. Je pense que tout ce que nous avons fait a désormais convaincu les Français qu'il y a un problème pour la jeunesse et pour sa formation qui doit conduire à une réforme de l'enseignement supérieur et de la formation, et d'autre part un problème pour la protection sociale qui doit conduire à des réformes en matière d'assurance-maladie. Il faudra les réaliser, mais en convainquant qu'il s'agit d'améliorer et non pas d'amputer. D'augmenter les chances de chacun et pas de les restreindre. Je ne crois pas au pouvoir thaumaturge brutal. Je considère aussi que, contrairement à ce qu'on dit, ce n'est pas en six mois que tout se fait, sans quoi, pourquoi le président de la République serait-il élu pour sept ans ?
Paris Match : On dit toujours qu'il faut tout faire dans les cent jours !
Édouard Balladur : Si c'est vrai, il n'y a qu'à élire un président tous les six mois. Ainsi, on sera sûr d'avoir tous les changements possibles et imaginables à un rythme accéléré.
En fait, c'est comme le débat d'idées. Ce n'est pas tous les sept ans qu'il faut l'avoir, mais tout le temps. Il y a eu une élection présidentielle en 1988. Deux ans après, on a assisté à la chute du mur de Berlin, à l'effondrement soviétique, à la réunification de l'Allemagne et de l'Europe. Personne ne l'avait prévu deux ans avant. Voilà un immense problème à résoudre au cours du septennat de 1988 à 1995 et que l'on ne connaissait pas au moment de l'élection. Autre exemple : qui aurait soupçonné en 1988 que les problèmes de la justice prendraient dans le moral des Français l'importance qu'ils ont aujourd'hui ? Ce n'était pas prévisible. Le temps ne s'arrête pas une fois tous les sept ans. Ça bouge sans cesse. Et même, nos sociétés bougent de plus en plus vite. D'où la disponibilité au changement D'où la nécessité de l'imagination. C'est une question d'état d'esprit et non de doctrine. Il faut avoir l'esprit ouvert, et on l'a d'autant plus ouvert qu'on écoute les autres.
Paris Match : Mais il n'y a pas que la raison qui nous guide. Il y a ce phénomène qui est l'adhésion ou la confiance.
Édouard Balladur : Absolument. Et la confiance dans un pouvoir juste. C'est un élément très important. Chaque peuple a sa psychologie. Le peuple français a une conception très exigeante de la justice. Il déteste les privilèges. D'autres peuples s'en accommodent, pas le peuple français. Il faut qu'il ait le sentiment vrai que le pouvoir est juste, qu'on gouverne pour tous, même si l'on est conduit à gêner quelques-uns ou un groupe. Ce n'est pas acquis, au départ, de convaincre. Il faut chaque fois se donner de la peine, et il faut surtout que ce soit vrai. On ne convainc jamais les gens de quelque chose qui est faux. Parce que cela sonne faux.
Paris Match : Qu'est-ce que c'est, la France : un peuple, une nation, ou un souvenir ?
Édouard Balladur : C'est une nation. Et disant une nation, je veux dire un souvenir, mais aussi un avenir. C'est une volonté de vivre.
J'ai parlé de la fierté d'être français. Et, là encore, je relie cela à l'optimisme. Nous, Français, nous passons par des phases d'exaltation et par des phases d'autodénigrement. Le régime de Vichy fut l'apothéose, si je puis dire, de l'autodénigrement Et, d'une certaine manière, qu'a fait de Gaulle de plus grand que de rendre leur fierté aux Français ? C'est aussi simple que cela. Nous sommes actuellement plutôt dans une phase d'inquiétude. Il faut y mettre un terme, d'abord parce que cet autodénigrement est dans une certaine mesure excessif ; ensuite parce qu'on peut y porter remède. Finalement, c'est tout l'enjeu de l'élection : que la France soit plus sûre et plus fière d'elle et que les Français soient plus confiants en elle et en eux-mêmes.
Paris Match : Il y a deux ans, nous vous avions demandé : « Combien de temps faut-il pour redresser le pays ? » Vous aviez répondu : « Plusieurs années ».
Édouard Balladur : Quand vous regardez l'action du général du Gaulle, au départ, il a réglé le problème des institutions et celui de l'Algérie. Ensuite, il y a eu l'action économique, l'axe franco-allemand, la force de frappe, la puissance militaire et l'influence dans le monde. Ce qui montre le tragique de l'Histoire, c'est qu'au terme ce fut Mai 68.
Paris Match : Tout cela en vain ?
Édouard Balladur : Je ne le crois pas, parce que la France s'est ressaisie. C'est la grandeur du général de Gaulle.
Paris Match : faut-il un quinquennat ?
Édouard Balladur : Je suis perplexe : j'hésite entre le septennal non renouvelable et le quinquennat renouvelable une fois… Je me demande si le septennat non renouvelable, en tout cas pas tout de suite, ne serait pas la solution. C'est un formidable élément de liberté et d'efficacité que de ne pas se représenter.
Sept ans doivent permettre d'agir. J'y ai beaucoup réfléchi. Je sais ce que je veux. Je veux une France plus sûre et une France plus fière.