Texte intégral
L'HUMANITÉ - 19 octobre 1998
Enfin ! La perspective de voir Pinochet contraint de répondre de ses crimes et de la véritable tragédie humaine dont son régime s'est rendu coupable ne peut qu'être accueillie avec espoir et soulagement par quiconque a les Droits de l'homme et la démocratie au coeur. Les communistes français qui, il y a vingt-cinq ans et depuis lors, se sont toujours sentis profondément solidaires du peuple chilien ont accueilli la nouvelle de la mise en état d'arrestation du vieux tyran avec une grande satisfaction. En un tel moment resurgissent dans notre mémoire l'espérance soulevée par la victoire de l'Unité populaire puis l'immense tristesse et le sentiment de révolte suscités par l'écrasement dans le sang de cette digne et prometteuse expérience. Nous pensons à Salvador Allende, à Pablo Neruda, à Victor Jara, aux innombrables victimes des putschistes - militants de gauche, syndicalistes, intellectuels, paysans ... - soumises à la torture de la sinistre Dina, enlevées, disparues, assassinées au Chili même ou poursuivies à l'étranger, des années durant.
Je formule l'espoir - et même l'exigence - que l'occasion créée par l'action des deux juges espagnols puisse réellement commencer à mettre fin à l'insupportable impunité de ce dictateur légitimement accusé de crimes contre l'humanité.
Je réitère en ces circonstances exceptionnelles au nom du Parti communiste français, mes sentiments les plus fraternels à la veuve et aux filles de Salvador Allende, aux communistes chiliens qui ont payé un lourd tribut à la lutte pour la démocratie, à toutes les forces éprises de liberté dans ce pays ami.
RMC- mardi 20 octobre 1998
Q - L'arrestation du général Pinochet à Londres : fallait-il le faire même si pour cela il fallait un peu contourner les règles ?
- « Que ce dictateur sanglant puisse répondre enfin de ses crimes me semble une chose très très importante. Je me suis réjoui, quand j'ai entendu cette information. J'avais évidemment en tête, comme beaucoup de personnes de ma génération, les derniers moments du président Allende, l'exil de P. Neruda, la torture. La justice, c'est que l'action engagée par les juges espagnols puisse aboutir, et en finir avec cette impunité insupportable. »
Q - Est-ce que l'on n'est pas plus chilien que les Chiliens dans cette affaire ?
- « Je ne crois pas, je ne crois pas. C'est vrai que le Chili a été, pour les forces progressistes, pour les gens attachés aux Droits de l'homme, une tâche de ces dernières décennies et il est évident que cette tâche s'identifie à Pinochet. Il est important qu'il réponde de ses crimes, il a à répondre de ses crimes devant la communauté internationale. »
Q - En Italie, M. D'Alema est désigné Premier ministre officiellement. Il sera le premier Premier Ministre de l'Europe occidentale issu du Parti communiste. C'est une bonne nouvelle pour vous, j'imagine ! Est-ce que cela vous a surpris ?
- « Non, cela ne m'a pas surpris parce que j'ai rencontré M. D'Alema au début de l'été. J'ai rencontré dans le même temps M. Prodi et F. Bertinotti de Refondation communiste. Je voyais bien qu'il y avait chez D'Alema, la volonté que soit mis en conformité dans la société italienne le fait que sa formation était la principale formation politique de la coalition et qu'elle n'était pas à la direction de la coalition. Ce qui est certain, c'est que l'arrivée de M. D'Alema, issu comme on sait de la tradition communiste, est intéressante. Tout confirme, malgré tout, combien la situation en Italie est différente de la France. »
Q - Est-ce que la politique menée sera plus à gauche ?
- « Je ne crois pas, parce qu'il y a un problème qui est posé. Alors, attendons, je ne vais pas porter un jugement a priori, surtout que je ne veux pas m'immiscer dans les affaires italiennes, mais la coalition avec Cossiga, ce responsable de démocratie chrétienne, du centre-droit pour dire les choses simplement - une démocratie chrétienne discréditée en Italie - soulève à mon avis des questions par rapport à l'avenir. Je répète, sans vouloir m'ingérer dans les affaires italiennes, mon souhait. On connaît mon souhait : c'est que les conditions soient créées pour une cohabitation, une coalition de toutes les composantes de la gauche, et pour mettre en oeuvre une politique de gauche. C'est, en tous les cas, dans cet esprit que je m'inscris. »
Q - Cela ne vous a pas donné des idées en France ?
- « Surtout pas, parce que précisément, nous sommes dans une situation en France très différente où il n'y a pas, et heureusement, cette ouverture au centre. En France, nous avons connu des ouvertures au centre. Nous avons vu où elles ont conduit après 1988. Il faut, au contraire, que les communistes dans le Gouvernement contribuent à l'ancrer davantage à gauche. Cela c'est leur travail, mais au coeur du Gouvernement, en son sein. »
Q - Le mouvement lycéen sera une nouvelle fois dans les rues aujourd'hui. Est-ce que vous soutenez ce mouvement ? Est-ce que le Parti communiste est aux côtés des lycéens aujourd'hui ?
- « Complètement ! Et pas aujourd'hui seulement, depuis le début ! je note que beaucoup de monde soutient les revendications lycéennes - j'entendais tout à l'heure sur votre antenne un certain nombre de commentaires à ce propos. C'est vrai, tout le monde considère que leurs revendications sont légitimes. Mais il ne suffit pas de considérer qu'elles sont légitimes, il faut voir ce que l'on va faire ? Quels moyens mettre en oeuvre. »
Q - Est-ce que C. Allègre, de ce point de vue, a fait ce qu'il fallait depuis le début ?
- « En tous les cas, il reste à faire, puisqu'il va encore apporter des réflexions et des réponses, j'espère, aujourd'hui ou demain - demain, je pense. Ce qui est certain, c'est qu'il y a un débat autour des moyens supplémentaires. J'entends beaucoup de choses se dire par le ministre de l'Éducation, par d'autres, sur l'idée que ... »
Q - L 'État ne sera pas le Père Noël.
- « Que le budget de l'État soit passé en dix ans de 198 milliards à 345 milliards est une chose, et cela me semble correspondre à l'évolution de la situation dans un pays comme le nôtre. Mais l'égalité des chances a-t-elle progressé dans les mêmes proportions ? Quand on dit aux jeunes : attention, on ne sera pas le Père Noël ; qu'il manque quelques milliards supplémentaires pour avoir des conditions meilleures dans les lycées - il n'y a pas que les lycées, il faut penser à d'autres secteurs dans l'enseignement – et que les jeunes voient en même temps, par exemple, qu'ils réclament quelques milliards... On est dans une société où Alcatel, une grande société française, a perdu 100 milliards en fumée dans des spéculations ; quand on voit la Caisse des dépôts, par exemple, qui a investi dans l'immobilier en Allemagne, cette Caisse des dépôts qui a vocation aussi d'aider les régions à mettre en oeuvre des programmes d'aménagement dans les lycées. Je crois qu'il faut entendre ces remarques. »
Q - Vous pensez qu'il faut que l'État mette la main à la poche ?
- « De toute façon, il faudra que l'État apporte des moyens supplémentaires maintenant, et pas seulement maintenant. Et pas seulement l'État, il faut que les régions aussi interviennent. Nous sommes confrontés à un problème qui est un grand problème d'avenir : la formation des jeunes, l'avenir des sociétés. Quand on les entend, on voit bien que ce qui est au coeur de leur démarche. C'est : quels moyens vont-ils avoir pour affronter les difficultés de la vie et un avenir qui se présente comme difficile. Donc, moi je suis pour que l'on donne des moyens, mais il faut que les moyens puissent vraiment aller à une égalité des chances, ce qui n'est pas toujours la réalité dans la répartition des moyens. Je suis pour qu'il y ait des moyens immédiatement mis, un programme pluriannuel - et au niveau de l'État et dans les régions -, et que l'on contrôle l'évolution de la mise en place de l'égalité des chances. Je suis pour que le Gouvernement, le ministre de l'Éducation viennent chaque année devant le Parlement, devant la représentation nationale, répondre, dans un rapport, de l'évolution des moyens mis à l'éducation. Il faut qu'il y ait des moyens supplémentaires. Les effectifs par classe de 35 élèves, c'est insupportable ! On ne peut pas travailler dans ces conditions. Il faut davantage de moyens pour la démocratie également. »
Q - Et le style Allègre ? C'est un bon style ?
- « Je ne vais pas porter un jugement sur le style, ce qui compte ce sont les actes. Les actes concrets, c'est la prise en compte de ces revendications qui sont légitimes. Sans démagogie, c'est évident, mais en même temps avec une démarche pluriannuelle qui permette effectivement de s'attaquer au fond au problème de l'avenir de la jeunesse qui est l'avenir de la société. Investir dans cette jeunesse. »
Q - Le budget. Vous aviez dit qu'il fallait l'ancrer à gauche. Le moins que l'on puisse dire c'est que vous n'avez pas été très entendu !
- « C'est que vous n'avez pas regardé les choses. D'abord, la discussion budgétaire n'est pas terminée. Nous allons voter aujourd'hui en première lecture les recettes, mais nous allons poursuivre. J'entendais hier les députés communistes qui 'évaluaient à 14 milliards, ce que représente l'évolution du budget... »
Q - Vous n'êtes pas déçu de l'attitude du Gouvernement dans le budget ?
- « Je pense qu'il faut aller plus loin encore, mais nous sommes dans une première lecture. La preuve, nous avons des dépenses, là, sur lesquelles il va bien falloir statuer : le problème des lycées, et puis d'autres dépenses. Il faut aller plus loin, mais nous sommes là pour cela. Nous avons arraché un certain nombre de choses. Nous allons continuer. Le budget sera voté définitivement mi-décembre. Donc, il y a encore de la marge et nous allons nous battre. C'est la conception d'être à la fois constructif dans la majorité, et en même temps porteur de l'intérêt général et du mouvement social qui s'exprime. »
France 2 – lundi 26 octobre 1998
Q - Ce sont les vacances scolaires, ce matin. Pas de manifestations de lycéens mais cela reprend dès le jeudi 5 novembre prochain. Selon vous, on va en rester là ou vous souhaitez que le mouvement redémarre vraiment ?
- « C'est les lycéens qui vont le décider mais visiblement il y a des choses qui ont été accordées, liées à leur mouvement, mais le compte n'y est pas. Il faut maintenant prendre davantage en compte les revendications précises qu'ils ont formulées, notamment en matière de création de postes dans les établissements, de diminution sensible des effectifs. Il y a encore beaucoup trop de classes qui sont à plus de 35 élèves. Donc, il faut absolument qu'il y ait la prise en compte par le ministre, par le Gouvernement, de ces besoins. Les lycéens expriment avec beaucoup de sérieux les graves problèmes qui les concernent mais qui concernent aussi l'avenir du pays. C'est évident. »
Q - Vous avez le sentiment que le Gouvernement a l'intention d'aller un peu plus loin ? On a plutôt le sentiment du contraire. Comment réagissez-vous lorsque C. Allègre parle de corporatisme pour parler de ce mouvement et des professeurs ?
- « Le Gouvernement doit aller plus loin. Je le répète, nous nous sommes abstenus, nous, de façon critique sur le budget de l'Éducation nationale parce que nous pensons que, précisément, il faut faire plus. Il s'agit de dégager des moyens financiers notamment en créations de postes. Le corporatisme ? Je crois qu'il faut faire très attention. Dès qu'une catégorie de salariés, à partir d'intérêts qui sont ceux effectivement de la profession, intervient dans le mouvement social, on parle de corporatisme. Il faut faire attention. Dans ces conditions, on risque d'affaiblir y compris le syndicalisme, la défense des intérêts des salariés. Il faut prendre en compte de vraies revendications qui correspondent à l'intérêt général. En demandant 2 000 postes de plus immédiatement, je crois qu'il ne s'agit pas de corporatisme mais de prendre en compte une réalité. Tout le monde le dit. Il n'y a pas que les enseignants, les lycéens le disent, les parents d'élèves aussi. Il faut entendre. »
Q - Vous pensez que c'est le sentiment de L. Jospin aussi que les profs sont des corporatistes ?
- « Je ne crois pas que L. Jospin puisse penser cela. Il me semble vraiment qu'il faut faire attention à l'utilisation de cette formule qui replie un peu les salariés dans leurs problèmes. Ce n'est pas bon. Il faut prendre l'intérêt général. »
Q - Et C. Allègre doit changer de vocabulaire selon vous ?
- « Il y a surtout pour C. Allègre à prendre les mesures qu'attendent les lycéens et les enseignants. »
Q - Un mot de politique. On voit en ce moment que les Verts ont le vent en poupe, en Allemagne bien sûr mais en France également. Ils essayent d'en profiter. Hier D. Cohn-Bendit a été nommé tête de liste pour les prochaines élections des Verts. Une de ses grandes ambitions, c'est de dépasser le Parti communiste français, de faire plus et de vous marginaliser à gauche ?
- « J'ai entendu cela. Si la seule ambition de D. Cohn-Bendit, c'est de dépasser le Parti communiste, il n'est pas au bout de sa peine. Je crois que le Parti communiste est dans une situation en France aujourd'hui où il montre toute l'utilité qu'il apporte à la gauche plurielle. »
Q - Les Verts ont déjà fait plus que le Parti communiste aux européennes.
- « En 1988, les Verts ont déjà eu 11% des suffrages. Il faut faire attention d'ailleurs dans ces élections aux scores qui sont éphémères. A voir pour ambition politique de dépasser le Parti communiste lorsque l'on se réclame de la gauche plurielle, c'est dangereux. D'abord, c'est mutilant pour la gauche plurielle parce que comment D. Cohn-Bendit peut dépasser le Parti communiste ?
Pas en prenant sur le Parti communiste puisque actuellement, toutes les enquêtes montrent que toute progression des Verts se fait au détriment du Parti socialiste. Donc, cela affaiblit globalement la gauche plurielle et puis cela risque d'être très éphémère pour les Verts. »
Q - En gros, vous demanderiez à L. Jospin de mettre un petit d'ordre dans les arguments de campagne des uns et des autres et en particulier de discipliner les Verts ?
- « Je crois qu'il faut qu'il y ait une démarche de chaque sensibilité de la gauche plurielle visant à aller dans le sens d'un renforcement de la gauche plurielle. Tout affaiblissement à l'intérieur, toute guerre fratricide interne risque d'avoir pour conséquence de favoriser tout simplement la droite et l'extrême-droite. La meilleure façon, à mon avis de réorienter l'Europe vers une Europe sociale, c'est de voir quelles sont les formations qui s'inscrivent dans cette démarche. D. Cohn-Bendit, on le voit bien, cela va être un problème pour les Verts parce qu'il a une position quasi libérale sur l'Europe. Ce n'est pas la position de la gauche, en tous les cas pas la position du Parti communiste. Il y a là un champ, et les salariés - les citoyens - devront donner leur sentiment. »
Q - Mais vous, les communistes, vous n'avez pas le sentiment que vous prenez maintenant le risque d'être coincés entre la Gauche socialiste, le Gouvernement d'un côté et de l'autre côté l'extrême gauche et les Verts, et puis, vous, vous ne servez plus à rien ?
- « Non, non, je crois que nous sommes très utiles. La situation de la politique française actuelle, notre place dans la vie politique le montrent : nous avons une place qui est essentielle, qui est un atout à mon avis pour la gauche plurielle. »
Q - Qui sert à quoi ?
- « Qui sert simplement à faire entendre au sein de cette gauche, la nécessité de bien ancrer les choix à gauche. Je crois que c'est très utile pour le pays. On me parle de l'extrême gauche, on me parle des Verts mais il y a des tests chaque dimanche. Nous avons des élections partielles chaque dimanche. Qu'est-ce qui se passe dans ces élections partielles ? Il y a une posture du Parti communiste qui apparaît positive, où nous progressons, nous gagnons des sièges, la gauche gagne des sièges. En même temps, nous voyons que des formations qui se réclament effectivement de vouloir dépasser le Parti communiste, ou en tous les cas de vouloir mordre sur son terrain, sont quasi inexistantes dans ces scrutins. Donc, il y a là pour nous une place que nous voulons occuper. Nous voulons être constructifs. Nous voulons participer au succès de la gauche plurielle et nous ne regardons pas qui peut nous dépasser, nous voyons comment nous pouvons aller de l'avant avec la gauche plurielle. »
Q - D'un mot, d'un seul, le Gouvernement envisage de mettre des fonds de pension pour les retraites. Vous, vous avez toujours été opposé à cela. Vous l'êtes toujours ?
- « Bien sûr. Les fonds de pension pour les retraites, c'est quoi ? C'est une capitalisation qui en fait met l'argent des retraités sur le marché financier. On voit ce qui se passe avec les fonds de pension américains. Regardez comment en quelques heures, Alcatel s'est effondré de 100 milliards parce que les spéculateurs ont joué avec l'argent des retraités. Nous ne voulons pas que l'on joue avec l'argent des retraités. Nous voulons effectivement la retraite par répartition et il y a une réforme à poursuivre en la matière naturellement. »