Texte intégral
Michèle Cotta
Bonjour. La France doit-elle régulariser tous les sans papiers, tous les immigrés clandestins qui en ont fait la demande ou bien continuer à choisir sur des critères précis les immigrés admis à séjourner sur le territoire français ? Donner à tous des papiers français, est-ce créer comme le dit Lionel Jospin un appel d'air et amener d'autres immigrés clandestins, d'autres sans papiers à franchir les frontières clandestinement ? Ce sera le face-à-face de la deuxième partie de cette émission entre Noël Mamère, député écologique de Gironde et Jean-François Khan, le directeur du journal Marianne, du journal Républicain. On peut dire ça ? Marianne. Notre premier invité est Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes que nous allons interroger avec Philippe Reinhard de L'Evénement du Jeudi. Pierre Moscovici, bonjour d'abord.
Pierre Moscovici
Bonjour.
Michèle Cotta
Alors l'euro, c'est pour dans 40 jours, 44 exactement. Et cette semaine, l'Assemblé nationale examine le projet de loi constitutionnelle préalable à la ratification du traité d'Amsterdam mais avant tout de même, même si vous êtes ministre chargé des Affaires européennes, une question sur les propos récents de Michel Rocard dit que le problème avec François Mitterand, c'est que ce n'est pas un honnête homme, est-ce que vous pensez qu'il parle trop tard, qu'il aurait pu parler avant ou qu'il aurait mieux fait de se taire ?
Pierre Moscovici
Je n'ai pas envie d'ajouter une déclaration à toutes celles qui se sont multipliées ces derniers jours mais peut-être une réflexion pour dire que moi, devant cette polémique, j'éprouve un certain malaise. J'ai d'abord un malaise devant les déclarations de Michel Rocard. Je crois que, elles m'attristent parce qu'elle s'assimilent un peu à un règlement de compte posthume sur une terrain qui n'est pas aisé parce qu'on ne peut pas mettre en compte l'honnêteté des gens sans preuves. Et je crois que ce n'est pas comme ça qu'il faut le faire. Et en même temps, j'éprouve aussi du malaise par rapport à tous ceux qui attaquent Michel Roccard parce que je voudrais faire une réflexion. En 88, François Mitterrand était président, Michel Rocard était Premier ministre. Et on a beau dire que c'est pour lever une hypothèque etc. Ils participaient au même pouvoir et tous ceux qui critiquent aujourd'hui Michel Rocard étaient dans le gouvernement. Alors je crois qu'il vaut mieux taire tout cela, faire preuve de responsabilité et laisser l'histoire juger.
Philippe Reinhard
Mais est-ce que ça n'est pas Lionel Jospin lui-même qui a ouvert la boite de Pandore le jour où il a demandé le droit d'inventaire ? Est-ce que Rocard ne s'inscrit pas dans ce droit d'inventaire ?
Pierre Moscovici
Il y a des choses très différentes. Comme vous l'avez dit, moi, je n'étais pas un proche de François Mitterrand. François Mitterrand était un formidable combattant politique et comme tel il a été combattu et il a combattu. Mais aujourd'hui, il est mort. Et je crois qu'on n'est plus du tout là-dedans. Encore une fois, c'est devant l'histoire maintenant que François Mitterrand inscrit son action avec des choses formidables qu'il a faites avec nous, les socialistes, avec d'autres qui étaient moins formidables mais je ne vois pas honnêtement l'utilité d'y revenir. Et je ne vois pas non plus l'utilité de faire le procès éternel de Michel Rocard.
Michèle Cotta
Ni celui de François Mitterrand ?
Pierre Moscovici
Je viens de le dire.
Michèle Cotta
Alors pourquoi est-ce que le Premier ministre se tait éperdument sur ce problème ? Est-ce qu'il préfère ne pas répondre ou il juge qu'il a répondu par avance ?
Pierre Moscovici
Je crois que Lionel Jospin en la matière a des opinions faites depuis longtemps. Il s'est exprimé par exemple dans un livre de Jean Lacouture en disant la gratitude qu'il avait pour François Mitterrand. Et je crois que son comportement parle pour lui même.
Michèle Cotta
Alors cette semaine donc vote sur la révision constitutionnelle autorisant le traité d'Amsterdam, sa ratification. Vous avez toujours dit qu'il fallait ratifier le traité d'Amsterdam parce que, bien qu'il ne soit pas parfait, il comprenait néanmoins des avancées intéressantes. Alors franchement, lesquelles ? Est-ce qu'on peut ratifier un traité qui ne soit pas parfait parce qu'il est à moitié parfait si j'ose dire ?
Pierre Moscovici
Ce n'est pas le gauche qui a ratifié ce traité. Donc, nous sommes assez à l'aise. Nous avons pu pour le coup de faire l'inventaire.
Philippe Reinhard
Si, c'est la gauche qui va le ratifier.
Pierre Moscovici
Ce n'est pas la gauche qui l'a négocié. C'était Jacques Chirac qui était président, c'était Alain Juppé qui était premier ministre, c'était Michel Barnier qui était mon prédécesseur qui était le négociateur français et donc, nous ne nous entons pas engagés par la négociation. Mais nous avons regardé ce qu'il y a dans le traité. Et moi, je dis que, quand dans un traité, il y a un chapitre social qu'on applique actuellement par anticipation, qu'il y a un chapitre emploi qui a permis de tenir sur l'emploi à Luxembourg il y a un an, qu'il y a la reconnaissance des services publics et c'est une valeur à laquelle on tient beaucoup à gauche, qu'il y a le fait qu'on reconnaît que Strasbourg est la capitale de l'Europe avec le parlement européen, qu'il y a des progrès sur la politique étrangère et de sécurité commune – la politique étrangère de l'Europe, on l'accuse souvent d'être faible. Il faut lui donner une voix, un visage. Le traité le prévoit de créer un « monsieur Paix » (phon). Il y a des progrès sur l'asile, sur l'immigration, sur les visas. Donc, on crée un espace européen de sécurité et de liberté. On voit bien les problèmes d'immigration sont à cette échelle-là – Eh bien, pour toutes ces raisons-là et quelques autres aussi, je crois que ce traité contient des avancées dont on aurait tort de se priver. Et en même temps, il a une grosse lacune, c'est qu'il ne réforme pas les institutions de l'Europe. Or, c'est ce pour quoi précisément il était prévu . Bon , voilà mais ce traité pêche davantage par ce qu'il lui manque que par ce qu'il a. je crois que honnêtement, ça ne vaut pas la peine de provoquer une crise européenne et au contraire, on doit tranquillement empocher tous ces bienfaits d'Amsterdam qui sont plutôt des choses dans lesquelles un gouvernement de gauche se reconnaît. Il faudra faire plus. Ça n'est pas le grand traité fondateur de l'Europe politique et sociale que j'aimerai comme tous ceux qui aiment l'Europe, qui pensent qu'elle doit être autre chose qu'un simple espace marchand, et ce n'est déjà pas si mal. Et donc, je proposerai le moment venu, après la révision constitutionnelle, de le ratifier puisque c'est moi qui mènerai ce débat à l'Assemblée nationale et au Sénat sans état d'âme, sans enthousiasme peut être mais sans état d'âme.
Philippe Reinhard
Mais alors votre action s'inscrit dans un contexte politique européen de celui dans lequel vous étiez arrivé aux affaires puisque, maintenant, c'est treize pays sur quinze qui sont sociaux-démocrates ou socialistes. Alors est-ce que ça va changer quelque chose à l'Europe ? Et est-ce que ça va vous permettre de proposer de nouvelles avancées ?
Pierre Moscovici
Ça change déjà. Ce n'est pas la peine de la clamer sur tous les toits. Chacun le voit. Plutôt que de dire qu'il y a une Internationale socialiste qui dirige l'Europe ou que c'est le Parti socialiste européen qui est le parti dominant. Moi, je préfère regarder les faits. Effectivement, je crois que le flacon est plus important que, l'étiquette. Et cette Europe, elle a déjà changé. Je parlais il y a un instant du Sommet européen sur l'emploi de Luxembourg. Il y a un an s'est tenu un sommet, le premier consacré à l'emploi, dans lequel les européens, tous ensemble, ont fixé des objectifs. Il ont fixé des objectifs quantifiés en matière de lutte contre le chômage des jeunes, en matière de chômage de longue durée, de formation des jeunes. On va confirmer tout ça dans quelques jours à Vienne. Et puis, on voit bien quand même que la politique macro-économique est en train de changer. Quand les Allemands de Gerhard Schröder disent « pacte pour l'emploi » et no « pacte de stabilité » même s'ils respectent totalement le pacte de stabilité, quand Oskar Lafontaine prend des positions sur la politique macro-économique, quand on voit que les choses avancent, quand on voit que les taux d'intérêt baissent en Europe, on constate qu'il y a un vent nouveau. Je dirais d'ailleurs que les deux choses sont liées. C'est parce qu'il y avait besoin de changer les choses en Europe que ces gouvernements ont gagné les élections.
Michèle Cotta
Justement, on dit que les socialistes tiennent un autre discours au fond que celui de leurs prédécesseurs sans le dire mais que, le pacte de stabilité, on en parle beaucoup moins. Est-ce qu'une certaine pensée unique orthodoxe est terminée ou est-ce que finalement les socialistes ont chaussé les bottes de leurs prédécesseurs ?
Pierre Moscovici
Non pas du tout. Pacte de stabilité, qu'est-ce que c'est ? Ce sont des règles de bonne gestion dans lesquelles on dit qu'on a pas besoin de faire du déficit à tout va. Et je crois que la situation actuelle d'ailleurs de l'Europe ne l'exige pas. Et au contraire, on voit bien qu'un pays qui se désendette, un pays qui fait moins de déficit vit plutôt mieux. C'est au fond un acte de bon sens. Donc, ce pacte de stabilité, c'est un engagement européen que nous ne remettons pas en cause mais nous souhaitons en revanche infléchir très clairement les orientations de la politique économique dans le sens de l'emploi, dans le sens de la croissance. Et c'est ce qui a été fait. Je rappelle la baisse des taux d'intérêts. Je rappelle la proposition qui a été faite par Lionel Jospin d'un grand emprunt européen pour des travaux d'infrastructure.
Michèle Cotta
Oui mais enfin, ça se solde comment ? Il y a un sommet à Vienne bientôt.
Pierre Moscovici
Nous le verrons bien.
Michèle Cotta
Mais tout ça, c'est toujours reporté à plus tard, à plus loin.
Pierre Moscovici
Vous savez moi, j'ai appris quelque chose. On apprend beaucoup de choses finalement quand on est ministre mais il y en a quand même deux que j'ai appris. C'est d'abord qu'en Europe on est quinze. Donc, on a besoin de faire des compromis. Surtout, ce n'est pas simple, on ne peut pas imposer notre vision. On ne peut pas être... ce n'est pas la République au sens français du terme qui va se transposer aux autres. La République européenne à laquelle je crois, elle se bâtira mais elle se bâtira lentement. Et la deuxième chose, c'est ça effectivement, c'est que c'est quand même un très gros paquebot dont les décisions sont très complexes. Il y a la Commission, il y a le Conseil des ministres, il y a le parlement européen et tout ça prend du temps. Mais en même temps, je crois que la direction est clairement marquée et on le sent. Il y a une inflexion de la politique économique européenne. Nous ne sommes plus dans la période ultra libérale où on ne parlait que dérégulation, où on luttait uniquement contre l'inflation. L'inflation est battue. Et maintenant, l'objectif central en Europe, c'est la croissance, c'est la lutte contre le chômage. Et d'ailleurs, le chômage commence à baisser trop lentement mais il baisse.
Philippe Reinhard
En Europe, on est quinze. En France, ils sont deux, il y a Chirac et Jospin. Est-ce que les évolutions politiques européennes chez nos voisins modifient le poids respectif des deux hommes qui cogèrent la politique européenne ?
Pierre Moscovici
Non, honnêtement non. Vous avez, la cohabitation est maintenant quelque chose dont nous avons l'expérience en France. C'est la troisième fois. La première fois, c'était entre Jacques Chirac et...
Michèle Cotta
Vous êtes presque blasé, là. Vous trouvez que c'est normal, le fonctionnement normal de...
Pierre Moscovici
Non, ce n'est pas ça que je veux dire. C'est qu'entre Jacques Chirac et François Mitterrand, ça a été très conflictuel. On se souvient de conférence de presse successives.
Michèle Cotta
Entre Rocard et Mitterrand aussi apparemment. Enfin, bon, passons.
Pierre Moscovici
Ça, c'était la coexistence, pas toujours pacifique mais la coexistence.Entre Balladur et Mitterrand, c'était un autre contexte.Et là, nous sommes partis pour une cohabitation longue. Je crois que Jacques Chirac est celui de tous les hommes politiques français qui a la plus grande expérience de cela puisque, dès 86, il était le Premier ministre. Et donc, nous veillons sur tous les sommets européens à toujours pouvoir parler d'une seule voix. Par exemple, avant chaque sommet européens à toujours pouvoir parler d'une seule voix. Par exemple, avant chaque sommet, nous nous réunissons, ceux qui y participent, c'est-à-dire Jacques Chirac bien sûr, Lionel Jospin, Hubert Vedrine, moi-même et la délégation française adopte des position uniques. Et chaque décision importante en matière européenne est prise avec le Président de la République. Je crois que c'est la plus sûre garantie qu'il n'y ait pas de cacophonie car la cohabitation ne doit pas nous affaiblir à l'extérieur bien sûr.
Michèle Cotta
A propos, comment il est Jacques Chirac, avec vous dans les voyages ? Je sais que vous l'imitez mais peut-être pas à la télévision ?
Pierre Moscovici
Peut-être pas à la télévision, non.
Michèle Cotta
Mais comment est-ce qu'il est ?
Pierre Moscovici
C'est un homme formidable chaleureux, humain.
Michèle Cotta
Y compris avec Jospin et vous si j'ose dire ?
Pierre Moscovici
Oui. Les relations... nous ne sommes pas du même bord politique, ça c'est clair. Nous n'allons pas le devenir. Peut être même un jour y aura-t-il des confrontations et non plus de la cohabitation entre la gauche et la droite et peut être retrouvera-t-on les hommes ici ou là ? Mais en attendant, Jacques Chirac est un homme qui est comme il a l'air d'être, c'est-à-dire chaleureux, humain, très sympathique.
Philippe Reinhard
Avant la confrontation à laquelle vous faites allusion, sur laquelle on reviendra sûrement, il y en a d'autres. Il y a d'abord les Européennes. Il y a déjà des gens qui ont une tête de liste et puis ils ont une tête de liste qui fait du bruit, ce sont les verts avec Daniel Cohn-Bendit.
Pierre Moscovici
Je le connais bien.
Philippe Reinhard
Et les socialistes n'ont toujours pas de tête de liste. Alors vous allez attendre quoi pour trouver une tête de liste ? Et puis, si vous pouviez nous donner le tuyau, ce sera qui ? Tenez, je vous donne quatre noms, Jacques Delors, François Hollande, Jack Lang ou Pierre Moscovici ?
Pierre Moscovici
Nous, nous n'avons pas besoin de faire de bruit. Nous sommes au gouvernement. Nous avons je crois, une crédibilité assez forte. Nous sommes en train de la faire, l'Europe...
Philippe Reinhard
Les verts sont au gouvernement.
Pierre Moscovici
C'est vrai. Mais l'Europe, nous la faisons concrètement tous les jours. Et je crois que c'est un bilan dont on pourra, le moment venu, se prévaloir. Et donc, le parti socialiste n'est pas pressé. Il va respecter son rythme et on en parlera à partir du début de l'année prochaine. Quant à la tête de liste, vous avez cité quatre noms, il se peut...
Michèle Cotta
Egalement recevables ?
Pierre Moscovici
Pas également, inégalement. Il se peut très bien que ce soit un de ces quatre là. Pour ce qui me concerne, moi, je ferai cette campagne. Je la ferai à côté de la tête de liste parce que j'estime que je sers bien, enfin j'essaie en tout cas, je sers mieux l'Europe là où je suis qu'ailleurs. Donc, j'y suis très très heureux et j'ai tout à fait l'intention de continuer. Mais je ferai cette campagne parce qu'elle me passionne. Elle est fondamentale. Et il faut que ce soit une campagne européenne. Il ne faudrait pas qu'on y reproduise notre petite jouxte nationale mais qu'on parle de l'Europe et qu'on en parle au niveau européen. Puisqu'il y a maintenant treize gouvernements où participent des sociaux-démocrates, il faut que les sociaux-démocrates fassent campagne ensemble sur les thématiques européenne justement pour qu'on voie que l'Europe, ce n'est pas la collection des États ou des nations mais c'est autre chose.
Michèle Cotta
On vient de parler de Daniel Cohn-Bendit. Vous venez de dire que vous le connaissez très bien. Je suppose que c'est à l'assemblée européenne que vous l'avez connu.
Pierre Moscovici
J'avais la bureau à côté du sien et nous regardions souvent les matches de football ensemble. Je peux confirmer que, sur le football, il s'y connaît admirablement. La politique, il s'y connaît bien aussi mais là on a plus de différences bien sûr.
Michèle Cotta
Mais est-ce que vous ne pensez pas qu'il va se passer autour de Daniel Cohn-Bendit, qui peut se passer autour de Daniel Cohn-Bendit le même phénomène à d'autres élections européennes qu'autour de Bernard Tapie ? Et finalement, cela nuit, finit par nuire au Parti socialiste.
Pierre Moscovici
Les élections européennes sont toujours des élections très difficiles pour ceux qu'on appelle les partis de gouvernement, c'est-à-dire pour le RPR ou l'ex-UDF qui est maintenant un peu morcelée et le Parti socialiste parce que c'est une élection un peu « défouloir ». Et donc, Daniel Cohn-Bendit peut tout à fait séduire. Moi, je ne le connais bien. Je crois qu'il ne faut pas lui laisser le créneau de « l'euro enthousiasme ». Il ne faut pas qu'il soit le seul à dire que l'Europe, c'est bien. Et je pense que les socialistes qui la font depuis longtemps – c'est inscrit dans notre patrimoine génétique – doivent aussi s'emparer, brandir haut et fort le drapeau européen pas de façon naïve, pas de façon béate. Mais en même temps, bon il est parti trop tôt, il va trop fort...
Philippe Reinhard
Etre fédéraliste, c'est trop fort ?
Pierre Moscovici
Ce n'est pas ça dont je parle. Je parle d'autre chose. Fédéraliste, ce n'est pas trop fort mais c'est un peu dépassé. Il y a d'autres façons de construire l'Europe que le fédéralisme , en étant ambitieux. Mais il est parti tôt, il est parti fort. Il peut aussi lasser. Il ne faut pas se sur médiatiser. Et puis, il y a certaines de ses positions que sont très contestables y compris sur l'Europe. Mais on en reparlera dans la campagne. Mais moi qui le connaît bien bien, j'ai quelques petites idées sur la façon de parler avec Daniel Cohn-Bendit.
Philippe Reinhard
Vous venez de prononcer le mot « dépassé ». Nous, les observateurs, on a le sentiment – on peut se troper et puis la campagne va durer au moins six mois – mais on a le sentiment que Cohn-Bendit, il démode un peu tout le monde y compris vous et y compris les jeunes de chez vous.
Pierre Moscovici
C'est un sentiment qu'on peut avoir comme ça. Mais encore une fois, il ne faut pas abuser de la parole. Et moi, j'ai des souvenirs de Daniel Cohn-Bendit. J'étais jeune en 68 mais il était déjà plus âgé quand même.
Michèle Cotta
Ah, ça veut dire quoi ça ?
Pierre Moscovici
Ça veut dire, l'histoire est un éternel recommencement...
Michèle Cotta
Qu'on peut démoder Daniel Cohn-Bendit, c'est ça ?
Pierre Moscovici
On peut démoder Daniel Cohn-Bendit, je le crois aussi. Il faut faire attention à ne pas sans arrêt répéter des trucs.
Philippe Reinhard
Vous avez douze ans de moins que lui ?
Pierre Moscovici
Voilà, à peu près.
Michèle Cotta
Revenons à la politique intérieure si vous voulez bien. La cohésion gouvernementale à cause en partie d'ailleurs des verts, est-ce qu'elle est à votre avis en ce moment mal en point à cause de la polémique sur les sans-papiers – on va voir tout à l'heure sur ce plateau – et aussi par cette espèce de bataille entre les communistes et les verts « qui sera le parti le plus important ?». Ça menace la cohésion gouvernementale, ça ?
Pierre Moscovici
Non, parce que, vous avez, les élections européennes sont des élections très particulières. Je répète que ce sont de élections à la proportionnelle intégrale. Donc, il y a beaucoup de votes de défoulement. Et moi, je suis totalement de l'avis de François Hollande. Ce n'est pas une élection qui change un rapport de force. Et donc, il faut aller plus loin et aller se présenter à des élections au suffrage uninominale à deux tours pour vérifier les choses. Par ailleurs, sur la cohésion gouvernementale, je ne crois pas qu'elle soit à mal, je sais que Dominique Voynet est au gouvernement, qu'elle s'y sent bien, que le fait qu'elle soit en désaccord sur ce point ne remet pas...
Philippe Reinhard
Elle n'est pas irresponsable.
Pierre Moscovici
Ce n'est pas du tout elle...
Philippe Reinhard
On avait mal compris alors.
Pierre Moscovici
Non, mais moi j'étais à l'Assemblé nationale, je l'ai vu
Michèle Cotta
Et qui ça visait alors ?
Pierre Moscovici
Je crois que ça visait plus largement un certain nombre de gens qui prenaient des positions...
Michèle Cotta
Il visait juste à côté d'elle alors.
Pierre Moscovici
Pas du tout. Des gens qui prenaient des positions notamment à inciter à faire des grèves de la faim. Et je crois qu'effectivement, ça, c'est irresponsable parce qu'on ne joue pas comme l'a dit Lionel Jospin – c'est une formule forte – avec la peau des autres. Il ne visait absolument pas Dominique Voynet. Mais en même temps, il faudra que tout cela s'ajuste car c'est compliqué d'être dans un gouvernement et de ne pas s'y reconnaître du tout. Une fois que les décisions sont prises, nous les prenons collectivement. C'est un gouvernement où on travaille beaucoup ensemble, où on parle beaucoup ensemble. Eh bien, il faut les assumer ensemble. Quand Dominique Voynet prend des décisions dans le domaine de l'Environnement ou dans le domaine de l'aménagement du territoire, nous sommes avec elle une fois que la décision est prise même si, avant, on peut discuter. Et je crois qu'en l'occurrence quand le gouvernement avec Jean-Pierre Chevènement prend des positions sur l'immigration – ce sont des positions équilibrées, sensibles, humaines. On a quand même régularisé 70.000 sans-papiers – eh bien, on doit tous être dans la solidarité avec cela. Il n'y a pas de difficulté encore une fois dans la majorité plurielle. Dans une « majorité plurielle », il y a plurielle. Nous le savons et moi, je trouve normal que les verts expriment leur sensibilité et en même temps qu'ils s'inscrivent dans l'action que nous conduisons ensemble.
Philippe Reinhard
Pierre Moscovici, au début de cet entretien, vous nous avez dit qu'on allait vers des échéances et peut-être des affrontements. Alors il y a une chose qui est assez curieuse, n'est-ce pas ? Les gens de l'entourage du président de la république nous expliquent quasiment quotidiennement que la candidature de Jacques Chirac pour la droite est totalement incontournable. Et quand on parle de l'éventuelle candidature de Lionel Jospin, on nous dit que ça ne se fait pas d'évoquer ce problème. Alors est-ce qu'il y a un tabou sur la candidature de Lionel Jospin à laquelle tout le monde croit ?
Pierre Moscovici
Il n'y aucun tabou. Lionel Jospin a déjà été candidat à l'élection présidentielle. Donc, c'est quelque chose qu'il peut connaître une nouvelle fois un jour
Philippe Reinhard
Mais il ne faut pas en parler.
Pierre Moscovici
Non, ce n'est pas du tout ça. C'est qu'il n'y pense vraiment pas. Vous savez, c'est terriblement...
Michèle Cotta
Qui peut croire ça ? Trouvez autre chose.
Pierre Moscovici
Mais non. Moi je le vois quotidiennement. Je dirais même qu'il évite d'y penser parce que la meilleure manière d'éviter d'être un jour candidat à l'élection présidentielle, c'est de se planter à Matignon en pensant trop à l'Elysée, voir Balladur. Ça a été une obsession chez Balladur et à l'arrivée, il était tellement essoré. Lionel Jospin sait que c'est très difficile d'être à Matignon. On a sur les épaules toutes les misères de la France. C'est un métier terriblement stressant et je vous assure qu'il ne faut pas s'encombrer avec cela. Honnêtement, la présidentielle, nous verrons plus trad en fonction des circonstances. Et je crois que la meilleure manière pour qu'un homme ou une femme de gauche gagne l'élection présidentielle de 2002, ce que je souhaite évidemment, c'est que ce gouvernement réussisse dans la durée avec Lionel Jospin.
Michèle Cotta
Pierre Moscovici, merci.