Texte intégral
Q - On distribue, à partir d'aujourd'hui, un guide sur l'euro à tous les Français. C'est la mobilisation générale ?
- « Oui, c'est la mobilisation générale pour l'information. La France est prête pour l'euro. Vous savez que le 1er janvier 1999, la monnaie française va laisser la place à la mise en place de l'euro. Et, ce qui concerne les entreprises, les marchés financiers, tout cela est au point, les banques, tout... Mais il faut que les Français s'y habituent, et dans ces conditions, mon ministère lance une grande campagne : il y aura des spots télévisés, il y aura - vous venez de le dire - dans toutes les boîtes aux lettres de tous les Français, un petit fascicule qui explique, assez clairement, la situation et la façon dont les choses vont évoluer. Mais ce qui est important, c'est que, si l'euro arrive au 1er janvier 1999, nous allons avoir trois ans pour nous y habituer, puisque ce n'est qu'au 1er janvier 2002 que, véritablement, les pièces et les billets en francs seront remplacés par des pièces et des billets en euros. Donc, pour les entreprises, comme pour les particuliers, chacun passera à son rythme. Il n'y a pas d'obligation, il n'y a pas d'interdiction. »
Q - On va s'y habituer plus vite qu'aux nouveaux francs ?
- « Moi, je crois. Vous voyez, les nouveaux francs, les chiffres restaient les mêmes. Quand vous aviez 12 250 francs et que c'est devenu 122,50 francs, les chiffres sont les mêmes, donc on pouvait rester, et puis exprimer en anciens francs quelque chose qui était écrit en nouveaux francs. Beaucoup de vieilles personnes l'ont fait. Mais là, quand au 1er janvier 2002, il n'y aura plus que des euros, les prix seront exprimés en euros, il faudra bien qu'on s'y habitue. Vous savez, ceux qui habitent dans des régions frontalières - les Alsaciens en Alsace, les Provençaux vis-à-vis de l'Italie, les Catalans dans le sud-ouest de la France vis-à-vis de l'Espagne - ont l'habitude de compter dans la monnaie du pays d'à-côté. On s'y fait très vite. Il faudra deux, trois mois d'habitude, mais cela viendra. Bien sûr, il y a des populations qui sont plus fragiles - les personnes âgées, les chômeurs - et donc, par un partenariat avec beaucoup d'associations, nous allons utiliser les trois ans qui sont devant nous, justement pour les aider, pour faciliter tout cela. »
Q - Le Gouvernement se prépare aussi à l'euro depuis de nombreux mois, et vous avez défini récemment, à Londres, une sorte de stratégie économique et financière...
- « Oui, parce que l'euro, c'est à la fois les questions pratiques que je viens d'évoquer d'un mot, qui poseront - vous l'avez rappelé - quelques difficultés à certains. Donc, il faut les aider, tout ne va pas se faire aussi simplement, mais c'est aussi un formidable outil de développement économique. Et pour cela, il faut que l'ensemble des onze pays - puisque nous serons onze pays - travaillent ensemble, mènent des politiques coordonnées. Alors, il faut bien les mettre en place, c'est quelque chose qui est complètement nouveau pour nous tous, et je m'efforce, avec mes collègues, notamment mon collègue allemand O. Lafontaine, de définir une politique coordonnée pour les pays de la zone euro, de façon à ce que nous ayons un maximum de croissance, et donc, derrière, le maximum d'emplois. »
Q - Pour vous, en schématisant, c'est plus de souplesse monétaire, mais pas de relâchement budgétaire. Ce qui veut dire que le relâchement budgétaire est totalement abandonné, même en cas de coup dur ?
- « Non, justement. Si jamais il y a un coup dur, il faut pouvoir utiliser le budget pour compenser, un peu, ce coup dur. Mais si on veut pouvoir utiliser le budget en cas de coup dur, cela veut dire que, tant qu'on est en période où les choses vont plutôt bien, il faut accumuler dans les batteries. Il faut réarmer la fronde pour pouvoir s'en servir le jour où on en aura besoin. C'est pourquoi il est nécessaire, aujourd'hui, de faire des efforts en matière budgétaire. A l'inverse, moins les taux d'intérêt seront élevés, mieux on se portera. On voit déjà que, grâce à l'euro, nous avons les taux d'intérêt les plus faibles du monde - à part le cas particulier du Japon -, et on en profite donc, déjà. Mais on peut sans doute aller plus loin. »
Q - Sur le budget, tout de même, cela signifie que le discours qu'on entend maintenant au niveau européen - l'emploi, l'emploi, l'emploi - ne va pas modifier les marges prévues par le Pacte de stabilité ?
- « Le Pacte de stabilité qui, comme beaucoup de Français le savent, fixe à 3 % maximum le déficit budgétaire, n'est pas en cause aujourd'hui. »
Q - Aujourd'hui ?
- « Oui, mais dans le passé... »
Q - Non, mais aujourd'hui, cela veut dire que dans le futur, il pourra l'être ?
- « Non, ce que je veux dire, c'est que dans le passé, on a tous fait des efforts pour passer en-dessous de ce 3 %. C'était le seuil fatidique. Mais, en 1999, on sera très largement au-dessous. En France, on sera à 2,3 %. D'autres pays, qui ont pris de l'avance par rapport à nous, sont encore plus bas. Il y a même des pays qui sont en excédent. Mais donc, avant que le problème du Pacte de stabilité se pose, c'est-à-dire qu'on ait un risque de dépasser 3 % de déficit, il va falloir des années. Donc, ce n'est pas le sujet du jour. On est tout à fait dans les normes, de ce côté-là. Le sujet du jour, c'est de faire le maximum pour l'emploi, et donc pour la croissance. Et c'est pour viser ce maximum d'emploi et ce maximum de croissance que nous travaillons, mes collègues et moi, à coordonner la politique européenne, et je pense qu'on va y arriver. »
Q - Sur les taux d'intérêt, vous pensez, vous, qu'ils pourraient baisser ?
- « C'est aux banquiers centraux de mener la politique des taux d'intérêt. Mais je pense qu'il y a aujourd'hui beaucoup de conditions objectives, notamment une très, très faible inflation, qui donnent à penser qu'il ne serait pas déraisonnable, en effet, qu'on ait des taux plus faibles. Mais vous voyez déjà qu'ils baissent dans beaucoup de pays européens. Ils ont baissé en Italie, en Espagne, au Portugal, en Irlande, et donc, pour la moyenne de la zone européenne, l'ensemble de la zone de l'euro, les onze pays, la moyenne baisse, puisque certains pays baissent. »
Q - Alors en France, la différence entre le taux d'inflation et les taux d'intérêt n'est pas éloignée des 3 points. Il y a un an, c'était 2,3 points. Donc, il y aurait urgence à intervenir ?
- « Urgence ? Non, mais il peut y avoir une certaine rationalité à dire que puisqu'il y a si peu d'inflation, on peut sans doute avoir des taux d'intérêt plus faibles, bien que - je le répète - nous ayons déjà - et c'est formidable de ce point de vue-là - les taux d'intérêt les plus faibles de l'ensemble des pays qui nous entourent. »
Q - Comment convaincre les banquiers centraux ? En les harcelant, comme le fait M. Lafontaine, votre nouveau collègue allemand ?
- « Non, non. Vous savez, les banquiers centraux ne sont pas des gens qui se laissent harceler. Ce sont des gens qui ont une politique à conduire, une charte, c'est ce que le Traité leur confie comme mission, c'est-à-dire de veiller à la stabilité des prix, et d'ailleurs, ils font bien leur travail, la preuve, c'est que les prix augmentent très peu, l'inflation est très faible. Une fois qu'ils ont veillé à la stabilité des prix, ils doivent participer à la politique, qui est celle de l'ensemble de l'Union. Et la politique qui est celle de l'Union aujourd'hui - cela a été clairement dit l'autre jour en Autriche - où tous les chefs d'État et de gouvernement se sont réunis : la politique de l'Union, aujourd'hui, c'est de soutenir la croissance, c'est de soutenir l'emploi - largement, d'ailleurs, sous la pression française ! Rappelez-vous, depuis un an, nous avons passé notre temps à entraîner nos partenaires européens à cette politique. Maintenant, ils y sont, et l'arrivée de sociaux-démocrates en Allemagne facilite, évidemment, le mouvement. Et donc, toute l'Europe veut aller dans celle direction, que nous indiquons depuis un an. Eh bien, je pense que les banquiers centraux y prendront leur part. »
Q - Dassault va rejoindre l'Aerospatiale et Matra, qui fusionnent, pour constituer ce grand pôle aéronautique, français dans un premier temps. Est-ce que vous estimez qu'avec cette décision, la France a pris les dispositions nécessaires à la création d'un grand pôle aéronautique européen, avec British Aerospace et l'allemand Dasa ?
- « La première chose que je dirais, sur ce sujet, c'est qu'on l'a fait! On l'a fait! Depuis le temps qu'on en parle! Depuis le temps qu'on dit qu'en France, il faudrait arrêter d'avoir plusieurs pôles dans la Défense et dans l'aéronautique, qui sont trop petits chacun, même s'ils sont très performants, qu'il faut les réunir. Tout le monde en parle, personne ne l'a jamais fait. On l'a fait ! Et donc, avant le 31 décembre, en effet, la réunion entre l'Aérospatiale et Dassault sera réalisée, et pendant l'année 1999, les discussions qui ont lieu entre Matra Hautes Technologies et ce nouvel ensemble, Aerospatiale - Dassault - se termineront elles aussi pour avoir un grand pôle français. Et alors, comme vous le dites, à ce moment-là, la situation sera ouverte pour que la France, ayant regroupé ses forces, avec ses partenaires européens, principalement les Anglais et les Allemands - mais il y a aussi quelques autres pays qui ont une petite industrie aéronautique - eh bien, nous arrivions, je l'espère, à constituer un grand pôle européen. »
Q - Mais l'État conserverait, pour l'instant, environ 47 % des parts dans ce grand ensemble français, et les Allemands et les Britanniques disent : non, nous on veut préserver notre valeur boursière. Tant que l'État sera présent, on ne veut pas d'accord européen !
- « Oui, cela ne se passe pas exactement dans ces conditions-là. Il est vrai que les autres entreprises, avec lesquelles on voudrait travailler - les Anglais et les Allemands - sont des entreprises privées. Et il est vrai que l'Aerospatiale n'est pas dans cette situation-là. Donc, cela crée des conditions qui ne sont pas très simples. Mais je suis convaincu que, d'une manière ou d'une autre, on arrivera à trouver un accord. Et évidemment, il faut bien le voir, si, un jour - et je l'espère vraiment - se crée une grande entité européenne, elle sera à majorité privée, parce que la part allemande et la part anglaise, elles, sont déjà privées. »
Q - Une rumeur court - mais je voudrais savoir si c'est seulement une rumeur ou une information - selon laquelle on aurait fait passer le message aux Anglais et aux Allemands : si c'est vraiment la condition, l'État français est prêt à se retirer totalement d'Aerospatiale ?
- « Je n'ai pas l'habitude de donner corps aux rumeurs. »
Q - Oui, mais c'est important, quand même, de le savoir ! Parce que, tout de même, dans les privatisations, vous avez dit l'autre jour - je l'ai vu dans Le Journal du Dimanche -, privatisation : nous voulons apporter des réponses sur mesures en fonction des situations, de l'intérêt de l'entreprise et des objectifs européens » ?
- « C'est pourquoi je vous réponds clairement, parce que là, j'ai fait une petite plaisanterie. Si se crée une grande structure européenne - ce que, encore une fois, j'appelle de mes voeux - ce sera une structure privée, puisque, disons, un tiers allemand, un tiers anglais seront privés, et la partie française, elle ne sera pas majoritaire. Donc, l'idée que la grande entreprise européenne - si elle doit exister un jour, ce que je souhaite, c'est loin d'être fait et cela demandera beaucoup de travail et c'est très compliqué - sera une entreprise privée, c'est sûr ! Maintenant, l'État, il y aura peut-être une participation, et, ce qui est important pour nos partenaires, c'est qu'en effet, l'entreprise se comporte comme une entreprise privée, mais, de fait, parce que du coté allemand comme du côté anglais, ce sont des entreprises privées, cela sera une entreprise privée quand elle se fera. On n'en est pas là. Vous savez, ne mettons pas la charrue avant les boeufs. Il a fallu, maintenant, près de 30 ans pour arriver à réunir les morceaux français. Le dernier Gouvernement s'y est essayé, sans beaucoup de succès. Nous venons d'y parvenir. Pour ce qui est de Dassault, nous sommes en train d'y parvenir. Pour ce qui est de la partie Matra, quand on aura fait cette partie-là, on aura déjà, en Europe, le plus grand constructeur aéronautique et spatial, qui sera français. »