Déclaration de M. Henri Emmanuelli, premier secrétaire du PS, le 10 mai 1995 et articles publiés avec une déclaration du bureau national du PS dans "Vendredi" du 12, et interview dans "Libération" du 15, sur "l'œuvre accomplie" par François Mitterrand, les remerciements du PS à Lionel Jospin pour son score au deuxième tour de l'élection présidentielle de 1995, et la stratégie du PS pour l'avenir.

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Circonstance : Election de Jacques Chirac contre Lionel Jospin au deuxième tour de l'élection présidentielle de 1995 le 7 mai 1995 et réunion du bureau du PS le 10 mai 1995

Média : La Lettre de Vendredi - Vendredi - Libération

Texte intégral

Lionel, merci !

Grâce à l'énergie de Lionel Jospin, grâce à la mobilisation de notre parti, la gauche a fait vaciller la droite. Au nom de tous les socialistes, je remercie notre candidat pour la campagne exemplaire qu'il a menée et pour le formidable résultat auquel il est parvenu.

À quelques points près, le camp du progrès n'a pu devancer celui du conservatisme, marquant ainsi le terme provisoire du cycle de victoires qu'avait impulsé Français Mitterrand. Nous en ressentirons d'autant plus les effets que nous nous étions habitués à cette figure de l'alternance qui voyait une majorité de droite tempérée par un président de la République dont les convictions et les gestes étaient les nôtres.

Dans la sauvegarde de nos valeurs, dans la protection des réformes, des avancées sociales, des libertés que deux septennats avaient instituées, nul mieux que le premier secrétaire du Parti socialiste ne mesure le rôle de cet homme exceptionnel que je veux saluer, ici et maintenant devant les socialistes, sa famille de cœur, sa famille de raison.

Les socialistes et la gauche ont déjà connu des défaites. Lorsque la bataille est perdue, il faut résister, réfléchir, réagir, rassembler.

Résister parce que la droite, qui détient désormais tous les pouvoirs, l'Élysée, Matignon, l'Assemblée nationale, le Sénat, le pouvoir économique, la plupart des régions, des départements et de nombreuses villes que nous lui disputerons pour les lui arracher dans quelques semaines, va menacer de nouveau le code du travail, la protection sociale, l'école publique, le Smic, les libertés et tentera d'empêcher toute possibilité d'alternance.

Réfléchir en soumettant les réalités actuelles au crible d'une critique lucide, en faisant des propositions innovantes au service de notre idéal, en redonnant force aux valeurs de solidarité par des actes de solidarité, en évitant de double écueil d'un rejet commande du passé et de la fuite vers une modernisation qui nous verrait abandonner nos valeurs en sacrifiant les objectifs à l'apparence, les fins aux moyens.

Réagir, enfin, pour reconstruire, pour rénover notre parti dans une volonté inlassablement réaffirmée de rassembler l'ensemble de la gauche. C'est tous ensemble, par-delà nos légitimes différences, que nous serons à même de défendre les femmes, les hommes et la jeunesse de ce pays.

C'est tous ensemble que nous bâtirons une société plus juste.

C'est ainsi que nous pourrons être les porteurs de cet espoir que des millions de femmes et d'hommes, en choisissant de voter Lionel Jospin, ont voulu voir continuer de vivre, avec lui, avec nous.

Henri Emmanuelli 


Un socialiste éminent

Quelle place prendra Lionel Jospin dans la rénovation du parti proposée par Henri Emmanuelli ?

"Celle qu'il souhaitera, au premier rang des socialistes", a répondu le premier secrétaire.


Ils ont dit

Regain, tristesse, désir, déception, succès, avenir, défaite, encore, pourquoi, socialisme, vérité, demain, gauche, victoire, les mots couraient dans toutes les bouches au soir.

La droite menace

En avant-première, Vendredi révèle les vraies menaces que la droite fera peser sur les Français et les dix projets de régression que Jacques Chirac ne manquera pas de proposer. Pages 6 et 7.

La pensée d'Edgar

Jonglant avec les genres et les styles, d'une enfance à Salonique au "Journal de Californie", un philosophe de l'intelligence et de la carté : Edgar Morin ou le portrait.


Politique intérieure

Intervention d'Henri Emmanuelli, premier secrétaire du Parti socialiste, au bureau national du 10 mai 1995

Nouvel élan, nouvel espoir

Merci Lionel. C'est le titre de notre premier éditorial après l'élection présidentielle. C'est un cri du cœur et d'amitié. Merci Lionel, pour l'espoir rallumé, la flamme ravivée, la dynamique enclenchée. Merci pour ton courage, ta compétence., ta dignité dans ce grand débat public. Merci pour cette première place acquise au premier tour, pour ces 47 % du second tour qui ouvrent toutes les perspectives. Et nous savons que le militant que tu es se joint à nous dire merci aussi à tous les militants socialistes, ces colleurs d'affiches ou d'enveloppes, ces distributeurs de tracts ou de journaux, ces rassembleurs de foules, ces assesseurs des bureaux de vote, cette force de conviction démultipliée, sans qui rien n'eût été possible. Merci à eux, avec toi, le combat continue. Avec Vendredi, fidèle au poste.

Jean Glavany


"Pas de Lionel, sans Henri. Pas d'Henri, sans Lionel". Le sage Daniel Percheron avait-il percé les cœurs et les âmes ? Unanime, le bureau national écoute le premier secrétaire définir quelle serait la place éminente de Lionel Jospin parmi les socialistes et proposer de mettre en chantier, après les municipales, les réformes qu'appelle le parti.

Nous sommes aujourd'hui le 10 mai 1995.

Une période s'achève et je vous propose que nous adressions tout à l'heure à François Mitterrand un message pour le remercier et lui dire combien nous pensons à lui, en ce jour anniversaire et dans les circonstances du moment. Parce que cet homme dont le jugement appartient désormais à l'Histoire aura profondément marqué l'histoire de la gauche, notre histoire, mais aussi ce siècle.

Une période s'achève et une autre commence. C'est ainsi. Le mouvement de la vie transcende les destins individuels et ne connaît pas de rupture.

Plus que par l'élection prévisible du candidat de la droite, cette nouvelle période commence pour nous avec le bureau score réalise dimanche dernier par Lionel Jospin. Un beau score plutôt qu'une bataille perdue parce qu'il n'était pas facile, pas évident, dans le contexte du rapport de force existant entre la gauche et la droite, dans le temps imparti et dans les conditions du moment, d'être présent au second tour et surtout de passer la barre des 45 %. Par-delà l'effet mécanique inhérent à la nature même du second tour, il me semble en effet que le début de la reconquête a déjà commencé. Un score pour lequel je voudrais à nouveau le remercier et le féliciter, ainsi que toutes celles et ceux qui, à des places fortes différentes, ont participé à cette campagne. Sans oublier le parti, qui je crois a fait le maximum de ce qu'il pouvait faire.

Incontestablement, la campagne de Lionel a permis au Parti socialiste en particulier, et à la gauche en général, de renouer avec une espérance qui sera précieuse pour les batailles futures, à commencer par celle des municipales en juin. Après une période de marasme et de doute, une nouvelle dynamique s'est créée dès le premier tour et s'est fortement amplifiée entre les deux tours.

De ce regain d'espérance, de cette fierté retrouvée, comme de cette dynamique nouvelle, nous ne devons rien perdre. Nous devons au contraire nous appuyer sur elles pour partir à la reconquête de la majorité et préparer la victoire, notamment aux prochaines législatives. Nous le devons à nos militantes et à nos militants mais plus encore aux 14 millions de femmes et d'hommes qui comptent sur nous et qui sont prêts à se remobiliser demain ou après-demain si nous savons être à la hauteur de leurs attentes.

C'est une lourde responsabilité, dont nous portons la part essentielle en tant que principale formation de la gauche et parce que le candidat du second tour est l'un des nôtres, mais qui par-delà notre formation, concerne aussi l'ensemble des responsables et des personnalités de gauche dans leur diversité. Une gauche qui ne peut devenir victorieuse qu'en rassemblant toutes ses forces, au minimum par un débat constructif, au mieux dans de nouvelles structures de rassemblement.

Pour l'accomplissement de cette lourde tâche qui est également un enjeu exaltant, nous avons besoin de toutes nos forces, de toutes nos ressources : toute femme et tut homme qui souhaite y participer doit trouver la possibilité de le faire. Et parmi eux, au premier rang, Lionel Jospin, dont nul ne doute qu'il jouera dans les années à venir un rôle essentiel.

Pour reconquérir l'opinion de la majorité de nos concitoyens, pour impulser une dynamique de rassemblement prolongeant celle qui s'est manifesté à l'occasion de la présidentielle, pour reprendre le leadership d'une pensée progressiste innovante, mais aussi pour tenir avec le maximum d'efficacité notre rôle d'opposants, indispensable aux intérêts du plus grand nombre et à celui de la démocratie, je ferai des propositions au parti, qui doit faire lui-même l'objet d'un réexamen en profondeur.

Mais je ne suis pas sûr que ce soit le jour de les développer. Nous avons encore une bataille importante à mener : celle des municipales. Plus importante encore aujourd'hui qu'elle pouvait l'être hier. Et nous devons, jusqu'au 18 juin, nous mobiliser toutes et tous sur cet enjeu.

Deux jours de réflexion

Mais dès que nous aurons passé cette échéance, je vous propose qu'aussitôt après le 18 juin nous réunissons pendant deux jours les membres du bureau exécutif, élargi aux membres de l'équipe de campagne que Lionel Jospin souhaiterait voir participer à ce week-end de réflexion, ainsi que les anciens premiers ministres et premiers secrétaires.

C'est à l'occasion de ces deux jours de réflexion que je ferai des propositions auxquelles chacune et chacun d'entre nous pourra ajouter les siennes pour une discussion commune.

La matière est vaste.

Il nous faut en effet et avant tout organiser la réflexion pour répondre aux défis de cette fin de siècle. Il nous faut le faire avec la volonté d'échapper aux pesanteurs de la pensée dominante et aux schémas dépassés de notre histoire. Pour aller à l'idéal, mais en partant du réel. Bien des processus, des schémas, des systèmes sont à bout de course et nous allons devoir faire preuve d'audace, d'esprit d'innovation et de responsabilité. De manière démocratique, en associant non seulement les militants mais aussi le plus grand nombre possible de Françaises et de Français à cette réflexion. Il nous faut aussi réfléchir à l'avenir de notre pays et à celui de la gauche, rénover les structures existantes et en imaginer de nouvelles.

Il nous faut également organiser une opposition résolue aux mauvais coups que la droite ne manquera pas de porter à nos valeurs et aux besoins du plus grand nombre : la volonté de changement du nouveau Président, à supposer qu'elle existe, ne résistera pas beaucoup aux intérêts de la droite ni à la puissance de ses mandats.

Il nous faut enfin organiser notre travail sur le plan européen où nous avons notre rôle à jouer au sein du PSE.

Bref, ce n'est pas le travail ni, je l'espère, le souci partagé d'assumer nos responsabilités qui feront défaut dans les mois à venir. Une fois encore, je le répète, nul ne sera de trop. Le seul courant qui doit subsister doit être celui qui nous portera dans l'accomplissement de nos responsabilités face au peuple de gauche et au pays.

En écho et dans le prolongement de la campagne qui vient de nous réunir au coude à coude autour de Lionel, nous devons aujourd'hui, comme samedi prochain, renvoyer aux Françaises et aux Français une image de parti rassemblé, confiant dans l'avenir et déterminé à poursuivre le combat.

Encore une fois, bravo Lionel et merci. Nous comptons sur toi pour l'avenir comme tu peux compter sur nous.

Une défaite d'avenir

Dimanche soir, c'est une "défaite d'avenir", selon les propres termes de Laurent Fabius, que s'est achevée une campagne présidentielle menée depuis trois mois par Lionel Jospin et le Parti socialiste. La remarquable performance du candidat des forces de progrès a redonné espoir au peuple de gauche.

Ces derniers jours, nous l'avons tous senti, le dynamisme et le souffle étaient du côté de Lionel Jospin, et, de Lille à Marseille, de Strasbourg à Mont-de-Marsan, la France a cru jusqu'au bout victorieux de la gauche.

La déception, certes, se lisait sur les visages de tous les militants mais on sentait les cœurs réchauffés de ceux qui se sont bien battus. L'espoir renaissait. Depuis dimanche soir, la France entière sait que la gauche est revenue dans la course et qu'elle va poursuivre en bloc son combat.

À l'aube du départ de François Mitterrand, la gauche peut en effet se réjouir d'avoir retrouvé un enthousiasme égal à celui qui avait permis d'élire le premier président socialiste de la Cinquième République.

Passer de l'opposition à la majorité

Envolées les querelles de chapelles, les guerres de courants, les révolutions de palais : le puzzle de la gauche, face à la menace de la droite triomphante, est maintenant recollé. Ce qui laisse deviner un avenir des plus prometteurs, un avenir qui repose maintenant sur deux hommes qui ne cesseront dans les prochaines semaines de s'épauler l'un et l'autre. Henri Emmanuelli profitera de la dynamique inspirée par Lionel Jospin pour continuer de redonner un second souffle à un Parti socialiste uni, rassemblant toutes ses forces pour élargir son champ politique. Lionel Jospin, lui, s'attachera à amplifier la dynamique de confiance et d'espoir dont témoignent ses scores des deux tours pour conduire la gauche au succès lors de la future échéance présidentielle. Lionel Jospin et Henri Emmanuelli, réunis et complémentaires, ne seront pas trop de deux pour mener dans les prochains mois les rôles d'opposants et de bâtisseurs, pour illustrer l'unité politique de la gauche, pour combattre ensemble les inégalités sociales. À l'élection présidentielle succèdent aujourd'hui les élections municipales. C'est sur le terrain, dans quinze jours, comme hier, que la gauche unira toutes ses légitimes diversités pour gagner. C'est ainsi, unis autour du trait d'union Jospin-Emmanuelli, que nous passerons ensemble de l'opposition à la majorité.

Victor Robert


Lionel Jospin : "Ce profond mouvement de renouveau n'a pas permis aujourd'hui la victoire (…) mais il ne s'arrêta pas car il est porteur d'espérance"

Partir du réel pour aller à l'idéal

Je veux saluer Lionel Jospin, sa compétence, son engagement et l'incontestable dynamique qu'il a su créer, mais la gauche n'est pas parvenue à franchir la barre décisive. Jacques Chirac, candidat de la droite, vient d'être élu président de la République. Après ses nombreuses promesses, nous jugerons le nouveau chef de l'État sur ces actes mais, pour l'heure, nous te saluons.

Je remercie au nom de tous les socialistes notre candidat pour sa remarquable performance, ainsi que les Françaises et les Français qui ont placé en lui leur espérance pour cette élection. Dans quelques semaines, pour les municipales, nous aurons tous ensemble l'occasion de livrer une nouvelle bataille.

Je remercie enfin toutes les militantes et tous les militants qui au long de cette campagne ont su retrouver l'enthousiasme et l'unité qui lui étaient nécessaires.

La gauche a perdu une bataille dans l'honneur. Ce n'est pas la première fois que le camp du progrès connaît des défaites. Mais il a su toujours réagir et créer, pour l'avenir, un espace de rassemblement et d'espérance.

Il faudra résister parce que, désormais, la force des puissants va dicter sa loi et, à moins d'une rupture peu probable avec la politique menée depuis deux ans, le monde du travail, la jeunesse et les exclus de notre société ont beaucoup à craindre d'une régression sociale et politique qui, avec la droite, fera entrer notre pays à reculons dans le XXIe siècle. Nul mieux que le premier secrétaire du Parti socialiste ne mesure l'étendue de cette réalité.

Il nous faut également sans tarder réfléchir. La gauche en a besoin. Il nous faut donc organiser cette réflexion en "partant du réel pour aller à l'idéal" sans tabou ni contrainte, en soumettant les réalités d'aujourd'hui au crible d'une critique lucide et sans concessions, en faisant des propositions innovantes pour construire le nécessaire compromis entre efficacité économique et bien-être social indispensable à la dignité de toutes et de tous.

Agir pour résister. Mais aussi pour que notre réflexion ne soit pas confisquée par le conformisme de la pensée dominante. Agir pour reconstruire, rénover notre partie et en faire à nouveau un lieu de large rassemblement, un outil performant. Agir enfin pour redonner force à nos valeurs par des actes de solidarité active.

Cette action, nous devons l'inscrire dans la volonté constante et inlassablement réaffirmée de rassembler l'ensemble de la gauche. Je ferai rapidement des propositions à l'ensemble des forces de progrès pour que, par-delà nos légitimes différences, nous soyons mieux à même de défendre les femmes, les hommes et la jeunesse de ce pays, qui auront besoin de nous, et pour construire l'espérance. On comprendra qu'aujourd'hui nous ayons aussi une pensée forte pour François Mitterrand dont l'action et la stature marqueront l'histoire de la gauche et ce siècle.

Henri Emmanuelli

 

15 mai 1995
Libération

"S'agissant de la direction du parti, tout est possible"

Henri Emmanuelli ne croit pas à un PS piloté à deux.

Libération : Les socialistes ont actuellement un seul mot aux lèvres, celui de rénovation. Quelles sont vos perspectives pour moderniser le PS ?

Henri Emmanuelli : La rénovation, la reconstruction, l'adaptation sont une aspiration, un objectif largement partagé. Un parti est fait pour conquérir l'avenir, pas pour célébrer le passé. Mais on ne peut en rester aux généralités, aux proclamations, voire aux auto proclamations. Souvenons-nous de la droite en 1988 et 1989 : les épithètes ont fleuri, mais les pesanteurs l'ont emporté. Un peu comme les "cent fleurs" qui se sont avérées n'être qu'un leurre cynique pour reconquérir un pouvoir perdu.

Plus sérieusement, je pense qu'une période s'achève et qu'une autre commence. Il nous faut donc, de manière authentique, récréer les conditions de l'alternance. Ce qui m'intéresse, c'est le contenu des propositions, c'est notre capacité à répondre aux défis de l'époque en nous libérant des schémas du passé et de la pensée dominante. C'est toujours la force des idées qui l'emporte.

Libération : Quel doit être le rôle du PS ?

Henri Emmanuelli : Le Parti socialiste fonctionne. Contrairement à ce qui a été dit, ce n'est pas un "champ de ruines". Dès la fin décembre, il avait retrouvé une côte positive dans l'opinion, ce que personne n'a remarqué. La qualité du processus de désignation du candidat a renforcé son image et la campagne a prouvé qu'il était capable de mobiliser et de fournir la logistique nécessaire. Mais il ne peut plus rester en l'état. D'abord parce qu'il y a plus de vingt ans qu'il s'est organisé dans sa forme actuelle et que ses structures ont vieilli. Ensuite, parce que les nouvelles règles de financement de la vie politique nous font une obligation d'alléger le centre au profit de la périphérie, c'est-à-dire des fédérations. Mais surtout, parce qu'il nous faut renouer avec une réflexion audacieuse dont il faut organiser les modalités. Le conformisme de la pensée dominante devient insupportable. Il faut renouer le contact avec l'électorat populaire, la jeunesse, le monde associatif et syndical et les autres composantes de la gauche.

Libération : C'est un peu le recommencement des états généraux impulsés par Michel Rocard que vous proposez.

Henri Emmanuelli : J'ai été parmi les promoteurs des états généraux qui ont été, au lendemain de la défaite de mars 1993, une initiative prisée par les militants. Mais ils ont été ensuite frustrés de constater que cela n'avait pas servi à grand-chose. Il est vrai que le calendrier électoral était contraignant. Cette fois-ci, nous aurons le temps et la liberté que confère une situation d'opposition pleine et entière. Sachons la mettre à profit pour organiser une réforme et une réflexion en profondeur. Veillons notamment à ce que les militants soient réellement associés à la définition de notre pensée collective. Il y aura dans les mois et les années qui viennent, si l'on m'écoute, beaucoup de votes dans le PS.

Libération : Vous voulez "ouvrir", mais le premier séminaire de réflexion qui aura lieu après les municipales n'associe que les dirigeants.

Henri Emmanuelli : Il s'agit de définir une méthode d'action et un calendrier, un processus de réforme qui sera soumis au parti: une méthode d'organisation de la réflexion axée sur des conventions thématiques. De ces journées de réflexion, on ne sortira pas en disant : "Voilà ce qui a été décidé", mais : "Voilà ce que nous vous proposons de taire pour avancer tous ensemble".

Libération : Il n'est pas sûr que vous la conduisiez à son terme puisque Lionel Jospin pourrait être tenté de prendre votre place.

Henri Emmanuelli : On n'est jamais sûr de rien ! Ni de la pérennité de ses fonctions, ni de la durée de sa vie… Redevenons sérieux. Lionel Jospin nous a dit qu'il réfléchissait et qu'il ne considérait pas qu'il y avait pour lui, a priori, une prééminence protocolaire. Ce qui était élégant de sa part. J'ai répondu que, s'agissant de la direction du parti, il n'y aurait pas non plus de crispation ou de blocage, que tout était possible. Je n'allais tout de même pas dire : "Tout sauf moi". C'était aussi pour moi une manière claire de dire que, tant que je serais premier secrétaire, je ne laisserais pas les questions de personnes l'emporter sur le fond.

Libération : Lionel Jospin a adopté un ton critique vis-à-vis de la direction socialiste. Que lui répondez-vous ?

Henri Emmanuelli : Il ne faut pas compter sur le premier secrétaire pour entretenir une quelconque polémique avec qui que ce soit. La direction du PS a fait son travail. On peut toujours trouver à redire a posteriori, mais c'est prendre le risque de querelles inutiles. Il faut garder les yeux fixés sur les 14 millions de personnes qui ont placé leurs espérances dans la gauche. Tout autre attitude ne serait pas à la hauteur de cette attente.

Libération : Le PS peut-il être piloté à deux, vous et Lionel Jospin ?

Henri Emmanuelli : Il y a beaucoup à faire. Au PS et dans l'opposition en général. Mais je ne pense pas que le PS puisse avoir deux premiers secrétaires. Je n'ai pas posé la question. Et à ma connaissance, Lionel Jospin non plus.

Libération : Êtes-vous prêt à céder votre siège à Lionel Jospin ?

Henri Emmanuelli : Si les militants du PS estiment que je ne suis pas ou plus à ma place, je la céderai : je suis un démocrate et je crois l'avoir montré.

Libération : Sinon, quel statut pour Lionel Jospin ?

Henri Emmanuelli : Nous en parlerons ensemble quand il y aura réfléchi. Ce n'est pas à moi ou à quiconque de lui assigner un rôle dont nul ne doute qu'il sera éminent.

Libération : N'y a-t-il pas des différences d'analyse sur la façon de rénover le PS ?

Henri Emmanuelli : Pour l'instant, je l'ignore. Ce que j'entends sur le sujet se borne à l'expression de généralités, de pétitions de principe largement partagées. J'entends dire qu'il faut se tenir proche du terrain. Mais je n'ai jamais entendu professer qu'il fallait s'en tenir éloigné : les 22 000 dossiers que j'ai ouverts en quinze ans dans ma permanence peuvent en témoigner. Bref, c'est en comparant les propositions concrètes que je pourrais éventuellement répondre.

Libération : Comment envisagez-vous la future organisation au sein du PS ?

Henri Emmanuelli : L'organisation actuelle est peu encourageante pour les nouveaux venus. Il faut multiplier les structures périphérique associées, comme autant de sas entre la société et le parti et redonner un contenu au militantisme actif, notamment sur le plan de la solidarité. Je ferai des propositions en ce sens. Il y a beaucoup à faire.

Libération : Avez-vous les moyens de faire cette rénovation ?

Henri Emmanuelli : L'avenir le dira. Mais pour ce qui me concerne, j'ai confiance. Je crois en ce que je fais. Et j'essaie de faire ce que je crois.