Interviews de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, à France 2 le 16 juin 1995 et à RFI le 18 juin, sur l'appel du G7 à l'arrêt des combats en Bosnie, la résolution du Conseil de sécurité de créer une Force de réaction rapide et la nécessité d'une démocratisation en Russie.

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Média : France 2 - Radio France Internationale

Texte intégral

B. Masure : Le G7 a lancé un nouvel appel à l'arrêt des combats, un appel qui semble un peu dérisoire.

H. de Charette : Je ne dirais pas ça. Il n'y a pas de victoire possible en Bosnie, les uns ne peuvent pas gagner sur les autres et de toute façon, si ça arrivait, ce serait le début d'une longue période de troubles. Autrement dit, la paix en Bosnie-Herzégovine ne peut être trouvée que par une voie politique en se mettant autour de la table. C'est pour ça que les chefs d'État des sept pays les plus industrialisés du monde, ça représente beaucoup de poids, l'ont redit hier soir de façon claire et ferme et avec une très belle unanimité. Ils sont les uns et les autres décidés à récuser la solution militaire, quelle qu'elle soit et d'où qu'elle vienne, en l'occurrence, ce sont les Bosniaques qui ont attaqué, je dis comme je le pense : ils ont tort, ils contribuent à l'aggravation de la crise.

B. Masure : Si ces combats devaient continuer, cela ne conduirait-il pas à un retrait de la FORPRONU ?

H. de Charette : Il ne faut pas voir les choses comme ça. D'abord on en n'est pas là. On vient justement ? au Conseil de sécurité, enfin, sur la proposition française et avec l'appui britannique, de faire délibérer et adopter une motion, une résolution du Conseil de sécurité qui crée la Force de réaction rapide, cet outil franco-britannique qui sera sous l'uniforme français et l'uniforme britannique, installé en Bosnie pour assurer la sécurité de la FORPRONU et répondre à toute attaque dont elle serait l'objet. C'est donc un élément très important parce que ça met désormais la FORPRONU dans un état de sécurité et d'aptitude à remplir sa mission. Mais ça ne suffit pas et ça n'apporte pas la paix. La paix ne peut venir que d'une action qui consiste à mettre tout le monde autour de la table et certainement pas en déclenchant des offensives sur le terrain.

B. Masure : La Force de réaction rapide va coûter environ 380 millions de dollars sur six mois et apparemment, les Américains se font tirer l'oreille.

H. de Charette : Ça n'est pas que le gouvernement américain ne veuille pas assumer ses responsabilités. Le président Clinton a été extrêmement clair dans les conversations que nous avons eues à Washington. C'est un problème interne aux États-Unis entre B. Clinton et le Parlement. Ce sont des choses qui arrivent, ça nous est arrivé de temps en temps. Ils le régleront car ce n'est pas à nous de nous en mêler. Je crois franchement pouvoir vous dire que de ce point de vue, la cohésion entre les États-Unis, la Grande Bretagne, la France notamment et les autres participants, il y a une parfaite cohésion sur ce qu'il faut faire en Bosnie. Étape par étape, les otages sont maintenant presque tous libérés, ils le seront en totalité dans les jours prochains, la Force de réaction rapide sera en place avant la fin du mois de juin, ce qui veut dire que nos hommes seront en sécurité sur le terrain pour accomplir leur mission. Et enfin, nous allons maintenant entrer dans la phase diplomatique pour autant que ces combats veuillent bien cesser. Franchement, les Bosniaques et les Serbes feraient bien de cesser de se taper dessus à longueur d'années, ce n'est pas comme ça qu'ils trouveront le moyen de vivre ensemble.

B. Masure : Est-ce que les autres participants du G7 vous ont fait part de leur mécontentement sur la reprise des essais ?

H. de Charette : Pas du tout, cette question n'a pas été évoquée, que ce soit au niveau des chefs d'État ou de gouvernement ou au niveau des ministres des Affaires étrangères. La reprise des essais français est indispensable, à la fois pour vérifier la fiabilité et la sécurité de nos armes, mais surtout pour nous permettre d'entrer dans le club très restreint de ceux qui sont capables de se passer d'essais nucléaires. Ce que j'ai dit à tous mes homologues, c'est que dans ce qu'a annoncé le président Chirac, il y a deux décisions : celle immédiate de reprendre pour quelques mois, quelques essais nucléaires. Et puis, une deuxième décision qui paraît avoir échappé à l'opinion publique, celle selon laquelle à partir du mois de mai 96, la France arrête définitivement les essais nucléaires. Je pense que les pays du Pacifique sud qui sont depuis très longtemps demandeurs de cela, devraient plutôt se réjouir en se disant que, tout compte fait, cette deuxième décision est plus importante. L'une est limitée dans le temps et l'autre est à caractère définitif.

B. Masure : Je vais vous laisser…

H. de Charette : Je voudrais dire un dernier mot. Je pense que nous devrions avoir un signal à l'égard de B. Eltsine et du gouvernement russe et du peuple russe à l'occasion de l'épouvantable prise d'otages qui a lieu actuellement dans une ville du sud de la Russie. C'est tragique, c'est terrifiant et vraiment ce sont des mœurs sauvages à notre temps. Le gouvernement et le peuple russes souffrent, je crois que c'est bien d'avoir un geste et une pensée pour eux.

 

RFI

Il faut bien comprendre que la crise bosniaque est une crise extrêmement grave, parce que elle se passe en Europe, parce qu'elle est d'une extrême brutalité. Les Serbes de Bosnie, et les Musulmans et les Croates de Bosnie exercent mutuellement une violence que l'on ne soupçonne pas Cela fait 3 ans que cela dure, cela s'impose à nous comme un sujet très lourd, non seulement au monde entier, niais aussi aux Européens, car ce sont des Européens, ce sont des gens qui ont, il faut bien se le dire qui ont vocation à se trouver autour de la table de l'Union européenne un jour, évidemment pas dans l'état de furie où ils se trouvent évidemment, mais il faudra bien que l'on y vienne ; cela nous concerne donc très fortement, et cela concerne le monde entier, cela concerne l'ONU qui ne peut pas se payer le luxe d'un échec dans ce territoire malheureux. Cela s'est imposé à nous, nous l'avons fait, j'en suis assez heureux parce que nous avons à la fois confirmé les décisions que nous avions prises avec les Russes, les Américains, les Allemands et les Britanniques dans le groupe de contact, où les 5 puissances, avec la France, se retrouvent pour parler de cela, et nous avons entériné la création de la Force de réaction rapide qui sera désormais en place dans les 15 jours qui viennent sur le territoire bosniaque, et qui sera, pour l'essentiel une force franco-britannique, avec quelques contingents supplémentaires, certainement les Néerlandais, mais peut-être aussi un ou deux autres pays supplémentaires ; les Canadiens eux-mêmes discutent de savoir s'ils ne vont pas nous envoyer une unité de parachutistes. Donc cela sera une force qui permettra de mettre la FORPRONU à l'abri des mauvais coups, c'est un point très important.

Q. : La résolution portant création de la Force de réaction rapide ne précise pas les missions de celte force, pouvez-vous nous en dire davantage ?

R. : Elle les précise. La FORPRONU est installée à Sarajevo, dans trois enclaves, c'est-à-dire trois villes musulmanes à l'intérieur de la partie serbe de la Bosnie, et à Bihac qui est une enclave musulmane très importante en terre serbe. La FORPRONU n'est pratiquement pas armée, elle n'a qu'un armement léger, elle n'a pas d'armement lourd, elle a des véhicules peints en bleu, en blanc, les Casques bleus, bref, elle n'a pas les moyens de se défendre dans un milieu extrêmement agressif. Et c'est comme cela d'ailleurs que nous avons eu ces otages qui ont été pris, mais ils ont été pris car non seulement la Force est faible, mais ensuite parce qu'elle est dispersée sur le terrain Nous avons donc pris de façon absolument déterminée, dès l'élection de Jacques Chirac à la Présidence de la République, deux décisions : de regrouper le système pour ne pas le mettre dans la situation impossible, pour nous mettre à l'abri des humiliations constantes que la FORPRONU a subi depuis 3 ans. On veut bien accepter de prendre des risques, mais on ne veut pas en plus que nos soldats soient humiliés ; en second lieu, nous avons voulu qu'il y ait cette Force de réaction rapide, qui soit sur le terrain, c'est-à-dire en Bosnie même, et qui puisse, en quelques minutes, en cas d'attaque ou d'agression contre un élément de la FORPRONU, d'où qu'elle vienne. Nous sommes impartiaux cette affaire, nous ne sommes pas pour les uns ou pour les autres, ni pour les Bosniaques, ou pour les Serbes, ou pour les Bosniaques contre les Serbes, nous sommes impartiaux, nous sommes là pour essayer de rétablir la paix entre des gens qui, pour l'instant ne font que se faire la guerre par les moyens les plus sauvages et donc nous voulons à tout instant être capables de protéger, d'intervenir pour protéger la FORPRONU et lui permettre d'accomplir sa mission.

Voilà ce que nous voulons. Et cette Force de réaction rapide qui va comprendre douze mille hommes, avec un armement lourd et des moyens importants, qui travaillera sous l'uniforme anglais ou français, avec des matériels militaires de grande capacité, évidemment pas peints en blancs, cela sera un moyen très rapide d'action qui sera placé sous le commandement d'un général français avec un adjoint britannique et le tout à la disposition de la FORPRONU pour se défendre et réagir.

Q. : Le président Boris Eltsine a reçu à Halifax un accueil très bienveillant. On a le sentiment que la France le soutient d'une manière presque inconditionnelle en dépit de tout ce qui peut se passer chez lui ?

R. : Je crois que M. Eltsine fait un effort réel pour conduire la Russie vers une économie libérale et vers un régime politique démocratique. Que tout cela aille au rythme que nous souhaitons, certainement pas ; que nous puissions considérer que la Russie est devenue, par je ne sais quel miracle aujourd'hui, une grande démocratie avec un régime de liberté des marchés : non, certainement pas ; que nous devions par conséquent insister auprès des autorités russes pour leur dire que la poursuite de cette évolution et de ce progrès est indispensable, que plus vite cela ira, mieux il sera possible de travailler avec les autorités russes, cela va de soi ; mais faut-il douter de l'intention et de la volonté de Boris Eltsine d'aller dans cette direction ? Franchement je ne le crois pas ; voilà ce que l'on peut dire. Et par conséquent, il n'est pas choquant, au contraire, que nous essayions d'encourager ces démarches plutôt que de faire la fine bouche Il y aura des élections en Russie au courant des douze mois qui viennent, des élections législatives et présidentielles, j'espère que ces deux élections seront organisées de la façon la plus démocratique possible et qu'elle contribueront à faire progresser la Russie sur la voie de la démocratie Je crois que notre rôle à nous, les grandes puissances, riches, pacifiques, développées, démocratiques, c'est certainement de pousser les autorités russes à aller dans le sens que je décrivais et c'est aussi peut-être de comprendre de temps en temps les difficultés qu'elles rencontrent et d'avoir aussi de temps en temps des paroles d'encouragement Au fond, c'est cela qui s'est passé à Halifax : au lieu de donner des leçons, on a plutôt encouragé, non pas pour soutenir un homme en particulier, cela n'est pas notre rôle, mais pour accompagner la démarche d'un très grand peuple qu'est la Russie.