Interview de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, dans "Midi libre" du 30 novembre 1998, sur son analyse de la situation politique dans la région Languedoc-Roussillon notamment la gestion de la région par l'alliance entre la droite et le Front national.

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Midi Libre : François Hollande, premier secrétaire du PS, en a appelé aux élus de droite "républicains" pour renverser les présidents de Région élus avec les voix du Front National. Cette stratégie vous semble-t-elle applicable en Languedoc-Roussillon ?

Claude Allègre : Oui, bien sûr. Je pense qu'il y a dans le Languedoc-Roussillon beaucoup de gens qui sont des républicains et qui ne sont pas contents de cette alliance avec le FN. D'autant qu'elle se matérialise par la présence d'élus FN dans les conseils d'administration des lycées, par exemple. J'ai donc bon espoir que des élus de droite, le moment venu, ne votent pas le budget. Certains, que je ne peux pas citer, m'ont fait des signes pour dire qu'ils étaient prêts à évoluer.

M.L. : Pourtant, contrairement à la région Rhône-Alpes, où un certain nombre d'élus de droite se sont désolidarisés de Charles Millon, aucune voix n'a pour l'instant manqué à Jacques Blanc...

C.A. : Peut-être. Mais que se passe-t-il au-dessous de la surface de l'eau qui dort ? A certains indices, je ne suis pas pessimiste pour la région Languedoc-Roussillon... Que cela se produise au moment du vote du budget, c'est peut-être un peu tôt. Il y a un besoin de mûrissement mais il se produira des choses.

M.L : Mais si la situation reste en l'état, est-ce que la stratégie d'opposition systématique du PS est tenable ? En clair, si le FN refuse de voter certaines subventions très symboliques, en particulier dans le domaine culturel, la gauche peut-elle prendre le risque de s'y opposer pour contrer Jacques Blanc ?

C.A. : Je ne détermine pas la position du PS. Ce n'est pas ma fonction. Ce que je voudrais dire, c'est au delà. Vous avez vu le palmarès des régions : le Languedoc-Roussillon est une des plus pauvres de France. A qui la faute sinon à celui qui la préside depuis longtemps ? M. Blanc est un homme qui s'agite beaucoup mais n'a aucune vision du développement du Languedoc-Roussillon. Je pense que l'histoire retiendra que ses mandats ont été des catastrophes. Et moi qui suis de cette région, qui y suis attaché, je vois tout cela d'une manière absolument navrante. M. Blanc est incapable d'être président et l'alliance avec le Front National ne fait qu'ajouter l'opprobre à l'incapacité.

Montpellier, elle, n'est pas une ville pauvre. George Frêche, avec les qualités et les défauts qu'on lui connaît, est un bulldozer qui a développé sa ville. On n'en a pas voulu pour développer le Languedoc. Je crois que c'est une erreur. Mais il est clair qu'il faut trouver quelqu'un d'autre que M. Blanc, sinon nous irons de désastre en désastre.

M.L.:C'est vous même qui avez dit le mot à propos de Georges Frêche : ses défauts. Il semble bien en effet que sa personnalité irrite beaucoup de monde, y compris à gauche. Paradoxalement, le déclic au Conseil régional ne passe-t-il pas par un retrait du maire de Montpellier ?

C.A. : Il y a un recours en Conseil d'État contre Jacques Blanc. Il y a la loi sur le cumul des mandats. Il y a beaucoup de si et je ne raisonne pas en politique avec des si.

M.L. : Ne personnalisons pas les choses puisque, visiblement vous ne le souhaitez pas. Pensez-vous que la solution viendra de l'adoption de la loi sur la possibilité de voter un contre-budget et par voie de conséquence de renverser le président en exercice ?

C.A. : Elle facilitera les choses. Mais je crois à l'existence de républicains à gauche et à droite. Qu'ils s'entendent suivant les modalités qu'ils décideront eux-mêmes. La solution est là : dans la République. Pour moi, le FN n'est pas un parti comme les autres.

M.L : Est-ce que vous faites une différence entre Jacques Blanc et Charles Millon ?

C.A. : Je pense que sur le plan politique, il n'y a aucune différence : ils sont tous deux alliés avec le FN dans des conditions qui ne sont pas convenables, de plus, M. Blanc, lui, est incapable de gouverner une région. Encore une fois, voyez la place du Languedoc dans le classement.

M.L. : Est-ce que la présence d'élus FN dans les lycées, avec le cortège d'incidents qui l'accompagne, grippe la machine ?

C.A. : Il y a un véritable problème. Les enseignants ne veulent plus siéger dans les conseils d'administration et je les comprends. Si le mouvement lycéen est parti de Nîmes, ce n'est pas par hasard : la présence de ces élus a été parmi les éléments déclenchants. Là encore, ce qu'a fait Jacques Blanc n'est pas convenable, tout comme couper les crédits culturels est scandaleux.

M.L. : Vous paraissez très concerné par ce qui se passe en Languedoc-Roussillon. Est-ce à dire que, les ministères ne durant qu'un temps, vous envisagez d'y faire votre retour en politique ?

C.A. : Je n'envisage rien du tout. D'abord, on est là en principe pour la législature, ensuite j'ai beaucoup de travail. Ce que je voudrais, c'est, de la place où je suis, pouvoir aider le Languedoc-Roussillon. Je le fais mais je voudrais le faire plus encore parce qu'il en a besoin. Vous savez que j'ai mis en place un plan spécifique à la région pour rattraper les retards scolaires en encadrement, essentiellement dus à une démographie en expansion. contrairement au reste du pays. Le recteur Bloch, qui est un recteur exceptionnel, aura tous les moyens pour le faire même si, là encore, la présence de Jacques Blanc, allié du FN, rend les choses très difficiles.

M.L. : Vous parlez de ces retards... N'a-t-il pas été un peu vexant de voir le mouvement lycéen partir de chez vous ? L'aviez-vous senti venir ?

C.A. : Franchement, non. Je ne voyais pas de difficultés particulières. Si d'ici, j'avais vu quelque chose, j'aurais essayé d'y remédier immédiatement.

M.L. : Et pour vous, la crise est terminée ?

C.A. : Je pense. En tout cas, on a mis les moyens qu'il fallait. Et puis, on va faire un effort sur les trois prochaines années pour rattraper. Mais là aussi, je pense que M. Blanc a fait un effort insuffisant sur les lycées. Lors de la dernière mandature, on l'a aiguillonné, il a accéléré un peu la rénovation. Mais lors du mandat précédent l'effort était très faible : le Languedoc était la dernière région française pour son implication dans les lycées. C'est significatif.

M.L. : Un mot de politique nationale. Faites vous partie de ces socialistes qui redoutent la venue de Daniel Cohn-Bendit dans la campagne des européennes ?

C.A. : Non. Je le trouve sympathique. Il dit parfois des choses de bon sens qui sont vivifiantes. D'autres aussi avec lesquelles je suis en désaccord : la régularisation de tout les sans-papiers, par exemple, ou son opposition sans nuance à l'énergie nucléaire. Mais je ne le redoute pas particulièrement, d'autant qu'il est parti très, très tôt. Et on s'use vite dans ce style.

M.L. : Enfin, que pense le membre du Gouvernement de la méthode Jospin qu'on a dit un peu grippée temps ces temps derniers ?

C.A. : Mais elle n'est pas grippé ! Nous réformons, nous travaillons, nous essayons d'expliquer notre politique, de comprendre la société et de la remettre en mouvement. Nous travaillons en équipe sous l'impulsion du Premier ministre qui impulse, coordonne et arbitre. Et excusez-moi, les résultats arrivent : 300 000 emplois nouveaux cette année, le chômage recule, les finances publiques sont en cours d'assainissement. Alors où est le problème ?