Texte intégral
Q - Vous avez réformé le CNPF, pour quoi faire ?
E.-A. Seillière. – Le modèle CNPF né au lendemain de la guerre méritait un grand coup de modernisation. D'autres auraient peut-être intérêt à suivre le même chemin, les syndicats s'ils le souhaitent, les pouvoirs publics s'ils le peuvent. Les entreprises avaient évolué, mais pas leur représentation : au fond plus solidaire de l'appareil administratif que l'appareil productif.
La véritable prise de conscience est née avec la loi sur les 35 heures : il est intolérable qu'un point de vue exprimé par l'ensemble des entrepreneurs ait été ignoré de la sorte. Bien plus, le Gouvernement a même semblé considérer qu'il était valorisant de passer outre. Il est essentiel pour la démocratie économique que l'expression des entrepreneurs compte plus dans notre pays.
Q - Quelle est sa nouvelle mission ?
– Sa mission était jusqu'à présent assez mal définie, le CNPF passait pour être à la disposition des fédérations sans existence véritablement autonome. Nous nous sommes donc attachés à réactiver le principe de subsidiarité qui veut que l'organisation s'intéresse à ce que les entreprises et les métiers ne peuvent pas traiter eux-mêmes. Il s'agit de promouvoir l'esprit d'entreprise, tout ce qui permet aux entreprises de mieux réussir et tout ce qui est trans entrepreneurial, par exemple les domaines fiscal, réglementaire et législatif. Mais il faut rompre avec le passé qui consacrait le CNPF défenseur des revendications émanant de toutes les professions.
Q - Quelle légitimité aurez-vous demain pour incarner l'ensemble des entrepreneurs ?
– Il faut bien le reconnaître, quand nous nous exprimions, à tort ou à raison, on nous opposait que nous n'exprimions pas la voix des entrepreneurs. Cela doit changer. Notre représentativité n'est pas en cause : nous recensons 600 syndicats professionnels, 85 fédérations et 165 organisations territoriales. Il s'agit donc plutôt de retrouver une pleine légitimité au contact des entrepreneurs.
Les fédérations représentent bien les entreprises et notamment les grandes entreprises déjà très internationalisées et donc moins mobilisées autour de l'action nationale. Pour mieux atteindre l'entrepreneur, le comité de la réforme a recommandé de privilégier les unions territoriales, au contact de 1 400 000 entrepreneurs de terrain. Voilà pourquoi il a été décidé de donner la possibilité aux 165 organisations territoriales qui acceptent d'être franchisées sous une appellation commune de recevoir directement des adhésions d'entreprises. La présence sur le terrain du Medef sera amplifiée par ce réseau national.
En outre, les unions territoriales seront mieux représentées au conseil exécutif, leurs représentants passant de huit à douze (voir organigramme).
Q - Comment redorer votre blason auprès des petites et moyennes entreprises alors que le patron de la CGPME vous désigne indirectement comme le défenseur des intérêts des « dominants » ?
– S'agissant de notre image auprès des PME, on va y aller « sec à la manoeuvre ». Nous avons changé de nom, de logo, et décidé de donner plus de puissance à la représentation régionale. En outre on va se lancer au niveau territorial dans le militantisme et dans le recrutement. La CGPME est pour sa part pleinement légitime, avec sa spécificité, mais qu'on se s'y trompe plus, le MEDEF représentera désormais l'ensemble des entrepreneurs.
Q - L'annonce de cette réforme, tant attendue, sera-t-elle suivie d'effets ?
– Cette réforme était peut-être attendue de longue date, mais c'est la première fois que l'on s'y attelle vraiment. J'ai accepté de prendre la présidence du CNPF en décembre 1997 sous réserve de la mener à bien. Si tel n'avait pas été le cas, j'aurais démissionné après avoir achevé le mandat interrompu de Jean Gandois, c'est-à-dire le 1er janvier 2000. Il nous faut définitivement quitter les rives geignardes et défensives sur lesquelles nous nous sommes trop longtemps attardés.
Q - Son efficacité est-elle donc garantie ? Êtes-vous certain de pouvoir éviter lors du vote d'une seconde loi sur les 35 heures un camouflet similaire à celui qui vous a été infligé voici un an ?
– Pour se donner les moyens de définir clairement la politique de notre organisation, le conseil exécutif disposera désormais d'une procédure de prise de décision par vote sur une question inscrite à l'ordre du jour. Par ailleurs, le mode de fonctionnement des services et des commissions du CNPF sera adapté. Concernant les 35 heures, je souligne que des accords nombreux et variés ont été signés qui règlent le problème dans des conditions adaptées à chaque cas. Comment imaginer dès lors que la seconde loi ne reprenne pas à son compte ce qui a été négocié sur le terrain, sur la base de la recommandation de la première loi ? Nous serons, à cet égard, très vigilants.
Q - Compte-vous modifier l'équilibre des pouvoirs en interne ?
– Aujourd'hui, les grandes fédérations, notamment industrielles, alimentent encore à hauteur de 80 % notre budget, qui atteint un montant total, assez modeste, de 120 millions de francs. Le secteur des services doit désormais prendre la part qui lui revient. Son importance économique s'est beaucoup accrue, notamment en termes de création d'emplois. L'objectif est d'atteindre un équilibre 50-50 d'ici trois ans. À cette fin, les paramètres définissant les contributions de chacun ont été actualisés.
Q - La grand-messe du 27 octobre consacre-t-elle une vraie rupture ?
– Tout d'abord le travail réalisé en amont de la réunion de Strasbourg, la tenue de sept forums régionaux sur une série de thèmes de réflexion, nous ont permis d'identifier les aspirations de la base et les voies dans lesquelles les entrepreneurs veulent que l'on s'engage pour aboutir au succès économique et social de notre pays. Nous défendons un projet non partisan pour une France qui gagne. Les entrepreneurs sont démocrates et républicains. Notre métier n'est pas d'oeuvrer pour ou contre tel ou tel parti, mais de présenter un projet qui soit bénéfique pour le pays. Nous ne voulons plus que l'entreprise soit un enjeu politique. Mais c'est un changement profond qui nécessitera du temps.
Q - Quels sont vos chantiers prioritaires ?
– D'abord décentraliser le dialogue social qui a été dénaturé au niveau central et souvent confisqué par l'État. Les syndicats sont, on le sait, insuffisamment développés. Si l'on veut que le dialogue social se renforce, il n'est pas mauvais que la présence syndicale s'amplifie. En attendant, admettre comme interlocuteurs les élus du personnel nous paraît nécessaire. Je ne crois pas au dialogue social qui se rapproche trop de l'échelon gouvernemental. En conséquence, nous recommandons aux branches de se saisir de leurs problèmes sociaux et de décentraliser le dialogue social au niveau des entreprises, ce qui est aussi un moyen de respecter leur diversité.
Q - Vous avez également critiqué le fonctionnement du paritarisme. Mais n'avez-vous pas une part de responsabilité dans ce que vous considérez comme un échec ?
– Sur cinquante ans de fonctionnement, le résultat est jugé sévèrement, avec dans l'ordre des responsabilités l'État, qui est intervenu pour confisquer les pouvoirs, et les partenaires sociaux, qui n'ont pas su les défendre. Aujourd'hui, il faut opérer un tri entre ce qui est du ressort de l'État et des partenaires sociaux et ce qui relève du domaine de la concurrence. À titre d'exemple, l'assurance maladie, le chômage, la retraite, les allocations familiales, les accidents du travail… tout cela doit être passé en revue. A contrario, le paritarisme de l'assurance chômage paraît mieux fonctionner. Nous n'avons plus aucun pouvoir dans la Cnam : quelle valeur ajoutée l'entrepreneur peut-il apporter dans des relations entre les médecins et leurs patients ?
En revanche, développer le paritarisme dans des domaines nouveaux comme l'éducation, la formation ouvrirait de nouveaux champs de travail constructif entre les partenaires sociaux.
Q - Le thème de plus de liberté a également été soulevé. Comment faut-il l'entendre ?
– Par exemple, pour les emplois les moins qualifiés, en proposant aux chômeurs de conserver leurs indemnités tout en reprenant un travail, l'entreprise payant la différence entre l'indemnité de chômage et le smic. On favoriserait le passage d'une société d'assistance à une société de travail.
Q - L'emploi n'a pas été l'axe central de vos réflexions. Comment comprendre que vous le présentiez comme une simple résultante, alors que le chômage est le premier sujet de préoccupation des Français ?
– L'emploi ne s'affirme pas. Il est la conséquence d'un mécanisme de production. Notre démarche consiste à promouvoir les moyens nécessaires pour réduire le chômage. Mais notre préoccupation directe est de donner aux entrepreneurs de ce pays le poids suffisant pour être entendu, pour la mise en oeuvre des conditions sui créeront l'emploi.