Texte intégral
En choisissant, sans aucune consultation préalable, de décréter le 8 avril 1992 un moratoire sur les essais nucléaires français, l'ancien président de la République a pris une décision inadaptée parce que prématurée. En empêchant notre pays d'acquérir définitivement la capacité de simulation des tirs nucléaires, cette décision hypothéquait la capacité de la France à maintenir intacte sa force de dissuasion, fondement de notre politique de défense et donc de l'indépendance nationale. Privilégiant un souci idéologique aux dépens de la cohérence de notre politique stratégique, rompant avec la logique instaurée par le général de Gaulle, le choix de François Mitterrand revenait à réduire la France et les Français au destin de ces peuples "qui ne feront qu'attendre leur sort sans pouvoir rien y changer".
Cela est tellement vrai que François Mitterrand accepta, après coup, en juillet 1993, de constituer une commission d'experts chargée d'évaluer le besoin ou non d'une reprise des essais. Les conclusions de cette commission le rapport Lanxade démontrent la nécessité d'une reprise temporaire. Et ce sont maintenant les anciens ministres socialistes d'alors qui se posent en donneurs de leçons lorsque Jacques Chirac s'emploie à réparer les erreurs dues à leur aveuglement.
Il est vrai qu'une émotion particulière a entouré les manifestations de protestation organisées à l'initiative de l'organisation internationale Greenpeace. Certains ont voulu y voir une réaction contre une soudaine "arrogance" française. C'est là encore oublier un passé pourtant peu éloigné. Qu'en serait-il en effet de la mobilisation de l'opinion internationale en faveur de Greenpeace si les gouvernants socialistes au pouvoir n'avaient été assez irresponsables pour se lancer dans la folle et sinistre aventure de l'attentat du 10 juillet 1985 contre le Rainbow-Warrior ?
Lionel Jospin a ainsi eu bien tort de proclamer à propos de la décision de reprise que "nous n'aurions pas dû nous mettre" dans cette situation. La situation dans laquelle nous ne devions pas nous mettre, c'était commettre un attentat meurtrier que rien ne justifiait. Ces erreurs passées nourrissent en effet les réactions présentes.
La France a pour objectif que soit ratifié à l'automne 1996 le traité interdisant définitivement les essais nucléaires. Pour le faire sans mettre en cause la crédibilité de sa défense et donc la sécurité des Français, elle doit auparavant, comme cela aurait dû être fait depuis longtemps, mener quelques derniers tirs. Il n'y a là rien de belliqueux, rien d'idéologique. Il n'y a là non plus rien d'obscur ni de dangereux.
Il faut rompre avec le fantasme du champignon nucléaire lâché dans l'atmosphère. Ces essais sont d'une parfaite innocuité écologique et toutes les mesures de sécurité sont prises pour garantir que rien ni personne n'aura à en souffrir. Il suffit pour s'en convaincre de considérer ce qu'est un essai nucléaire, l'explosion provoquée d'une charge placée à mille mètres de profondeur dans un puits de 1,5 mètre de diamètre. L'explosion creuse une cavité qui est instantanément vitrifiée. Tous les produits résultant de la fission sont alors emprisonnés dans les roches. Il ne peut y avoir aucun rejet dans l'atmosphère. La surveillance constante de la radioactivité subie par le personnel du site, par les populations du Pacifique, par la faune et par la flore a montré que celle-ci est toujours restée inférieure aux normes et qu'elle l'est aujourd'hui après que cent-soixante-quinze essais ont été effectués en Polynésie.
C'est également la conclusion à laquelle avait abouti en octobre 1983 une commission de scientifiques composée d'experts néo-zélandais et australiens. Peu suspecte de complaisance, cette commission baptisée "mission Atkinson" avait longuement procédé et en toute liberté à des prélèvements sur le site. Aucune trace de radioactivité n'avait été décelée, ni dans le lagon ni dans les roches. Du reste, toutes les personnalités scientifiques compétentes pourront le vérifier. Le président Chirac l'a clairement annoncé. La France ne joue pas les va-t-en-guerre. Elle entend seulement conserver les moyens de son indépendance et de sa sécurité.
On peut comprendre qu'il soit parfois difficile pour ceux qui appartiennent aux générations de l'après-guerre de concevoir cette nécessité de se protéger et par là même de protéger la paix. J'appartiens à la première de ces générations, qui n'ont jamais connu de conflit mettant en cause le territoire national. Nous avons été élevés avec le sentiment que la paix que connaissait notre pays participait d'un ordre naturel et ne pouvait donc être remise en question.
Il n'est pas question de dramatiser excessivement notre situation actuelle. Mais il serait souhaitable que chacun de nos concitoyens demeure conscient que la liberté et l'indépendance n'appartiennent pas à l'ordre naturel de l'Histoire. Leur conquête a un coût, lourd, et leur défense un prix : ne jamais croire qu'elles ne puissent être remises en question.