Texte intégral
M. Cotta : Hier, à l'issue de votre rencontre avec les syndicats, vous êtes tombés d'accord sur le contrat d'accès à l'emploi proposé aux jeunes. Vous dites que vous subordonnez le texte signé à l'accord de vos organisations adhérentes. Vous ne les trouvez pas « chaudes » ?
J. Gandois : Je les trouve, au contraire, motivées pour lutter contre le chômage mais nous sommes dans une période difficile. Aujourd'hui, il faut recréer la confiance, le gouvernement en est conscient. La confiance, c'est celle de l'opinion, c'est aussi celle des entreprises et il faut que les signes qui vont être donnés aillent dans ce sens. Les chefs d'entreprise attendent des mesures concernant la baisse des charges, concernant des signaux qui ne vont pas contre les entreprises. C'est très important pour réaliser la lutte contre le chômage.
M. Cotta : En ce qui concerne les jeunes, avez-vous chiffré vos engagements en matière d'emploi ? Vous avez dit 120 à 150 000 mais pourquoi ce chiffre ne figure-t-il pas dans le texte de l'accord signé hier ?
J. Gandois : C'est normal car ce sont les patrons qui ont les moyens de réaliser ce chiffre. Les syndicats eux, tout en considérant ce chiffre comme crédible, disent : « ce n'est pas nous qui avons les leviers dans les mains donc le chiffre ne doit pas figurer avec notre signature dessus ».
M. Cotta : N'avez-vous pas l'impression dans la négociation d'hier, que le seul terrain d'entente entre patronat et syndicats a été la volonté commune d'aller demander de l'argent et des aides financières à l'État ? N'est-ce pas un peu contestable ?
J. Gandois : Pas du tout ! Nous avons commencé à mettre en place le dispositif complet pour les jeunes en mars. Nous ne demandons pas d'aide de nature nouvelle à l'État mais un doublement des aides qui ont été prévues avec l'État dans des accords passés au milieu de l'année 94 et que l'État, pour des raisons budgétaires, a refusé. La déclaration gouvernementale disant qu'on était prêts à faire un effort non seulement pour les chômeurs de longue durée, M. Juppé en a parlé hier, mais aussi pour les jeunes, était évidemment une « invit » à préciser cette fois ce que nous voulions.
M. Cotta : Pour le contrat initiative-emploi, A. Juppé lève un peu le voile sur son dispositif, il le révélera le 22. C'est un Contrat initiative-emploi qui correspond aux promesses de la campagne de J. Chirac. Qu'attendez-vous de ce contrat, qu'en attendent les patrons, sont-ils déterminés à jouer le jeu du gouvernement ?
J. Gandois : Un certain nombre de patrons sont intéressés par le Contrat initiative-emploi, pas tous. Ce Contrat initiative-emploi est un contrat qui s'adresse aux chômeurs de longue durée, quel que soit leur âge. Si on voulait résumer cela simplement on pourrait dire que c'est du personnel au SMIC qui au lieu de coûter 9 000 francs va coûter 4 000 francs. Ça intéresse effectivement un certain nombre de patrons. Une baisse essentielle du coût du travail pour les chômeurs de longue durée. Il ne faut pas dire, car ce serait faux, que tous les chômeurs de longue durée sont des bras cassés, mais il ne faut pas sous-estimer également les difficultés de réinsertion d'un certain nombre de ces chômeurs et il ne faut pas croire que la différence de prix pour les patrons ne correspond pas à quelque chose.
M. Cotta : Vous nuancez donc singulièrement les effets du Contrat initiative-emploi ?
J. Gandois : Non, j'espère de tout cœur que ce sera un grand succès mais je crois qu'il faut aussi s'attaquer aux jeunes.
M. Cotta : Pensez-vous que si A. Juppé a hâté le mouvement, c'est parce que les Français ont commencé à ressentir un sentiment d'immobilisme depuis que le gouvernement est nommé ?
J. Gandois : Peut-être mais je pense que ce sont surtout les circonstances, si les choses ont paru gelées, à cause des municipales, pendant 4 semaines, après un grand élan d'espoir, tout cela a un peu « retiédi » certaines personnes. Mais ça peut être relancé très facilement si les promesses sont tenues et s'il y a un élan général.
M. Cotta : La conjoncture sur la croissance qui faiblit, pensez-vous que cette conjoncture est aussi optimiste qu'on aurait pu l'envisager il y a encore 4 mois ?
J. Gandois : Hélas non. Nous sommes encore dans une croissance assez forte mais on commence à voir les premiers signes d'un plafonnement et même d'un léger tassement. Si on regarde l'industrie automobile, celle-ci prévoit un deuxième semestre sensiblement plus faible et dans toute l'Europe, que le premier. On voit bien que les États-Unis sont en train de diminuer en taux de croissance, l'Allemagne aussi, idem pour le Benelux et tous les pays environnants sont ainsi. Je crains que ça nous atteigne dans le courant du quatrième trimestre.
M. Cotta : Est-ce que ça pourrait expliquer une frilosité retrouvée des patrons au moment où ils pensaient que ça allait mieux ?
J. Gandois : Je ne pense pas que les patrons soient aujourd'hui frileux mais ils sont effectivement très attentifs à ce qui va se passer. Il n'y a pas de mystère : la seule façon de se sortir de tout ça c'est créer de l'activité supplémentaire, ça veut dire des marchés dans notre pays mais à l'exportation.
M. Cotta : Quel est votre pouvoir exact de ce point de vue sur les patrons ? La limite de votre pouvoir ?
J. Gandois : Mon pouvoir est un pouvoir de conviction. Le CNPF n'est pas une entreprise dont les salariés seraient les patrons. Je suis leur élu pour les représenter et pour essayer de montrer la voie. Si je montre celle-ci et que je ne suis pas suivi, que je ne suis pas assez convainquant, ça ne marchera pas. J'essaierai d'être convainquant.
M. Cotta : Les syndicats, hier, ont reparlé de la réduction du temps de travail. Serpent de mer, pas serpent de mer pour vous aujourd'hui ?
J. Gandois : Ce n'est pas un serpent de mer mais ce n'est pas non plus une panacée. C'est toujours le même problème : si nous arrivons pour le même coût à créer plus d'activité ou pour la même activité à diminuer le coût alors là, nous créons de l'emploi. Le problème du temps de travail, c'est un problème de réorganisation de l'entreprise pour la rendre plus efficace. Si vous avez une organisation beaucoup plus souple de l'entreprise, vous pouvez travailler plus quand il y a beaucoup de commandes et travailler moins quand il y a moins de commandes, vous pouvez réduire la durée du travail et créer des emplois.
M. Cotta : Avez-vous confiance dans la lutte contre le chômage dans les mois qui viennent ?
J. Gandois : J'ai confiance dans la lutte contre le chômage mais je crois qu'il faut absolument réaliser un équilibre difficile entre la rigueur budgétaire et la lutte contre le chômage. Ça ne sera pas facile mais si on s'y met tous ensemble on devrait gagner.