Article de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "Force ouvrière hebdo" du 23 septembre 1998, sur la crise économique internationale et sur le dernier rapport de la CNUCED sur la pauvreté dans le monde, intitulé "Résister pour conquérir".

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Média : FO Hebdo

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Hors du libéralisme économique, point de salut !

Tel était encore il y a peu le credo de certains commentateurs politico-économiques qui, par conviction ou facilité, considéraient que c'était la seule voie possible. Toutes les autres, selon eux, ayant été vouées à l'échec, le libéralisme économique, abusivement assimilé à la liberté, constituerait le seul chemin possible de la modernité.

Dans ces conditions toutes les prises de position critiques dont les nôtres, voire les mouvements sociaux contre le culte libéral et ses conséquences, étaient régulièrement présentés comme des réactions d'arrière-garde.

En quelque sorte, ce que nous considérions comme de la résistance et la défense de nos acquis, ils le voyaient comme de l'archaïsme.

Pour eux, tout ce qui serait réglementation, régulation, collectif serait par définition un frein ou une contrainte à ce qu'ils appellent le progrès.

Avec de telles logiques on arrive vite à considérer que les chômeurs sont des paresseux, que la précarité et la flexibilité sont des conditions incontournables de la compétitivité, que la notion d'emploi doit disparaître (au nom de l'inévitable compétitivité) au profit de celle d'activité, que les systèmes par répartition doivent céder la place aux fonds de pension, etc.

Or, il y a un an, l'Asie du Sud-Est entre en crise. Le modèle tant vanté par ces mêmes commentateurs comme exemple d'efficacité et d'avenir, prend du plomb dans l'aile. Les faillites se multiplient, les placements financiers sont dirigés ailleurs, le chômage et la pauvreté explosent. Au départ, on nous explique qu'il s'agit d'un problème local. Après la crise mexicaine (crise tequila !) viendrait la crise saké ! Or, il ne s'agit pas simplement d'une récession (c'est-à-dire de quelque chose de passager ou conjoncturel) mais d'une véritable dépression, touchant les structures de la société.

Viennent se greffer ensuite, selon la logique dite des « dominos », les problèmes au Japon, en Russie, dans certains pays d'Amérique Latine. Aux États-Unis la croissance ralentit et en Europe… les perspectives sont revues à la baisse.

Le fond monétaire international est mis en cause, certains demandant sa suppression au nom du libéralisme, d'autres demandant une réforme du système monétaire international pour mettre en place des régulations. On oublie au passage que le FMI, (dans lequel les États-Unis sont les plus gros contributeurs), est avant tout le relais conceptuel de politiques libérales au plan économique et dirigistes au plan social. Récemment encore, il s'est prononcé pour des politiques budgétaires restrictives en Europe.

On peut d'ores et déjà parier que, quand les choses se lasseront, si elles se tassent, les partisans du libéralisme économique expliqueront que cette crise était salutaire, les structures du Japon, de la Russie et de certains pays d'Asie étant inadaptés à un bon fonctionnement du libéralisme.

Selon la formule : on ne fait pas d'omelette sans casser d'oeufs, le chômage et la misère seraient le prix à payer pour aller vers la modernité.

Tout cela participe d'une véritable démarche idéologique et dogmatique tendant, en fait, à rendre incontournable non pas le libéralisme économique mais le développement d'un capitalisme sauvage au travers de ce qu'on peut appeler une dictature des marchés.

De ce point de vue, le dernier rapport de la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) mérite une attention particulière.

Il contient en effet nombre de données particulièrement significatives de la situation réelle, prenons la peine de les lire :

– depuis 1950 la richesse mondiale a été multipliée par six et le nombre de pauvres s'est accrue ;
– les pays les plus riches (20 % de la population mondiale) contrôlent 80 % des richesses ;
– les trois personnes les plus riches du monde ont une fortune supérieure aux PIB additionnés des 48 pays les plus pauvres ;
– dans 70 pays le niveau de consommation est inférieur à ce qu'il était, il a 25 ans ;
– Le pays le plus riche (les États-Unis) est aussi le pays industrialisé où les pauvres sont les plus nombreux (16,6 % de la population) juste derrière le Royaume-Uni (15 %) ;
– Les pays vivant de l'exportation de matières premières ont vu fondre leurs recettes (parfois de 25 %) du fait de l'effondrement des prix.

Le Secrétaire général de la CNUCED explique alors que le coût de la crise asiatique représente, en 1998, 260 milliards de dollars, soit 1 % du PIB mondial.

Il en conclut : « la principale menace sur l'économie mondiale n'est plus l'inflation, mais la déflation, la récession, le chômage.

Ce qui est rassurant c'est que les populations ont conscience de ces injustices flagrantes. En témoigne le succès de livres tels que l'Horreur Économique de Vivianne Forester ou Les Nouveaux Chiens de Garde de Serge Halimi, que les bien-pensants économistes qualifient de démagogiques.

Globalement le problème numéro un reste que la consommation et le pouvoir d'achat sont bridés, notamment pour satisfaire au rendement des placements financiers.

Savoir résister est la première marche du progrès. Savoir exprimer son mécontentement et agir sont des nécessités.

C'est le rôle que nous attribuons au mouvement syndical indépendant et le sens de notre action tant au niveau national qu'international avec la CISI.