Texte intégral
M. Cotta : Votre impression sur la campagne électorale ?
B. Debré : Elle est certainement beaucoup plus rude que je ne le pensais. Mais ça me fait penser à une chanson, "Je suis le vagabond, le marchand de bonheur, je n'ai que des chansons à mettre dans les cœurs". C'est un peu ça.
M. Cotta : Vous trouvez que M. Balladur n'est pas assez marchand de bonheur ?
B. Debré : Tout à fait. Il est trop pragmatique, trop pratique. Il fait les promesses qu'il peut tenir, qu'il pourra tenir, qu'il a tenues. À côté, vous avez effectivement des marchands d'illusions, des marchands de bonheur. C'est peut-être ce que les Français ont envie d'entendre.
M. Cotta : Comment jugez-vous la campagne de ceux qui accompagnent E. Balladur ? On a l'impression qu'ils perdent un peu de vigueur.
B. Debré : Je ne crois pas. J'arrive de La Roche-sur-Yon. J'étais à Dax, à Metz, tous les soirs quelque part. Nous sommes une quinzaine à tourner, avec 2, 3, 400 personnes tous les soirs. Ce sont d'ailleurs des gens convaincus pour beaucoup d'entre eux.
M. Cotta : Tout est-il encore possible pour le premier tour ?
B. Debré : Non. La bataille se situe, pour l'instant, au niveau de la deuxième place du ticket pour aller au deuxième tour. Je pense qu'E. Balladur sera au deuxième tour. À ce moment-là, les compteurs seront vraisemblablement remis à zéro. Nous aurons 15 jours d'une campagne qui sera bien difficile, parce que faire une campagne entre J. Chirac et E. Balladur…
M. Cotta : C'est ce que vous souhaitez ?
B. Debré : Je souhaite que mon candidat soit au deuxième tour.
M. Cotta : Même si ça divise profondément ?
B. Debré : Nous ne sommes pas là pour ou contre un homme : nous sommes là pour ou contre un certain nombre d'idées et une certaine idée pour la France. Je crois et suis persuadé qu'E. Balladur a un certain nombre d'idées pour la France. Dans la situation actuelle, je pense qu'il est le meilleur. J'espère qu'il sera au second tour.
M. Cotta : L'aspiration au changement n'a-t-elle pas profité à J. Chirac ? N'est-ce pas le grand échec de la part d'E. Balladur ?
B. Debré : Je crois que les Français, quelquefois, ont besoin d'une petite musique. Ils ont peur : les guerres extérieures, les guerres économiques, l'exclusion. Ils ont peur. Alors, ils ont besoin quelquefois de quelqu'un qui leur dise "il fait beau, il va faire beau". Une belle musique !
Q.: Ça peut se comprendre, non ?
B. Debré : Ça peut se comprendre, mais après ? Si on sort, qu'il ne fait pas beau et qu'il pleut encore plus ? Dans ce domaine, la politique, il ne faut pas semer uniquement des rêves. On a vu ça en 1981. Il faut surtout – j'ai été élevé comme ça – dire la vérité et essayer de conduire la France vers du rêve, mais sans le promettre quand on ne peut pas le donner.
M. Cotta : Les jeunes trouvent qu'E. Balladur est loin d'être le premier à prendre le SIDA en considération prioritaire. Comment expliquez-vous la pauvreté des programmes en matière de société ?
B. Debré : Je l'explique très mal parce qu'E. Balladur est le seul – et j'en sais quelque chose, puisque j'ai organisé la réunion des chefs de gouvernement le 1er décembre pour essayer d'avoir une stratégie mondiale…
M. Cotta : Ça ne se traduit pas dans le programme d'E. Balladur !
B. Debré : Ça ne se traduit pas, parce que personne ne veut le lire. On n'a pas parlé de programmes pendant celle campagne : on a parlé de petites phrases assassines, de petites phrases agréables, mais pas de programmes. Le seul qui ait multiplié par 10 les crédits pour lutter contre le SIDA, c'est bien E. Balladur. J'en suis pour quelque chose, dans la mesure où c'est moi qui m'en suis préoccupé. Heureusement qu'on n'a pas pris ça comme thème de campagne et comme thème de démagogie de campagne !
M. Cotta : On a quand même l'impression que les dispositions anti-SIDA ont eu beaucoup de mal à entrer dans le débat politique d'E. Balladur comme si c'était quelque chose de tabou.
B. Debré : Mais non, ce n'est pas quelque chose de tabou. Les dispositions anti-SIDA, qu'est-ce que ça veut dire ? Le SIDA, on s'en protège soi-même. C'est une information qu'il faut développer.
M. Cotta : Et de l'argent pour la recherche ?
B. Debré : L'argent pour la recherche, il y en a tout à fait suffisamment. C'est un mythe. Il y a suffisamment d'argent. Regardez le Sidaction qui a eu lieu en avril 94, il y a plus d'un an il a récolté près de 300 millions. On a eu quelques difficultés pour décoincer cet argent.
M. Cotta : Le toxicomane : un malade ou un délinquant ?
B. Debré : Ça dépend. La plupart du temps, ce sont des malades, mais il y a des délinquants qui sont des dealers. Il ne faut jamais être manichéen dans ce domaine. Prenez quelqu'un qui fume ou qui se drogue : c'est d'abord un malade. S'il vend, c'est un dealer. Il faut aussi le considérer comme un délinquant dans ce domaine.
M. Cotta : Pour ou contre les ventes de seringues en pharmacie ?
B. Debré : Tout à fait pour.
M. Cotta : La position de P. de Villiers ne vous étonne pas ?
B. Debré : Elle me choque énormément. J'arrive de La Roche-sur-Yon. Je le lui ai dit. En fait, il n'était pas là. Mais quand on a la possibilité d'éviter, même à 15 ans, d'être contaminé par le SIDA, on doit le faire ! Vous rendez-vous compte de ce que c'est qu'un garçon de 15 ans contaminé par le SIDA ?
M. Cotta : Dans votre camp, vous avez la possibilité que ces problèmes sont bien pris en considération ?
B. Debré : J'ai l'impression. Mais je ne veux pas que ça serve à de la démagogie.
M. Cotta : La libération du hasch, pour ou contre ?
B. Debré : Je suis contre la libération du hasch. C'est un laxisme stupide. Le problème, c'est de donner une meilleure éducation, un meilleur environnement. Le hasch traduit aussi quelquefois un malaise social. Il faut que les gens aient un emploi et qu'il y ait moins d'exclusion. Il y aura certainement moins de hasch.
Q.: Vous faites le lien entre ces maladies sociales et l'exclusion ?
B. Debré : Bien entendu.
M. Cotta : Vous trouvez que c'est fait d'une manière politique ?
B. Debré : Pas du tout. Je regrette beaucoup qu'on n'ait pas abordé le fond des problèmes.
M. Cotta : Les produits de substitution ?
B. Debré : Je suis tout à fait pour.
M. Cotta : Inquiétude au Sénégal : deux couples originaires de Saint-Étienne auraient été enlevés. Où en êtes-vous ?
B. Debré : Nous les recherchons parce que nous ne savons pas du tout où ils sont. Nous sommes en train de regarder où ils sont, qui les a enlevés. On pense que ce sont des rebelles casamançais. Mais on ne le sait pas. Il n'y a pas eu de revendications. J'ai demandé à l'ambassadeur et à d'autres personnes de s'en occuper. Nous suivons l'affaire.
M. Cotta : Dans le cadre du procès Smalto, il a été dit que le Président Bongo serait séropositif. Vous confirmez ou démentez ?
B. Debré : Je n'ai ni à confirmer, ni à démentir. Vous aurez une dépêche AFP tout à l'heure qui vous dira que le Président Bongo est d'accord pour qu'un expert, un médecin-biologiste vienne faire un prélèvement de sang pour montrer qu'il n'est pas séropositif. On verra bien. Je suis intimement persuadé qu'il ne l'est pas, parce que je suis médecin, qu'il me l'a dit et que j'ai quelques examens qu'il m'a envoyés. Mais pour montrer qu'il ne l'est pas, il a demandé à ce qu'un biologiste vienne faire des prélèvements. Je trouve ce procès odieux. Je n'ai pas à défendre le Président Bongo, mais je trouve quand même que ce procès, non celui sur le proxénétisme, mais celui qui vise à dire qu'il est séropositif, qu'est-ce qu'on aurait dit si X ou Y avait été dénoncé comme ça dans la presse !