Déclarations de M. Jacques Toubon, ministre de la culture et de la francophonie, sur la francophonie dans les sociétés africaines et sur la politique de la francophonie, Paris les 16 et 17 février 1995.

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Circonstance : 11ème session du Haut Conseil de la francophonie et États généraux de la francophonie scientifique à Paris les 16 et 17 février 1995

Texte intégral

La 11e session du Haut Conseil de la Francophonie est consacrée à la "Francophonie et les sociétés africaines". Les trois ateliers de ces deux dernières journées ont porté respectivement sur l'éducation et la formation, les dynamiques sociales africaines et la coopération francophone et la production et diffusion de l'écrit et de l'audiovisuel. Je constate que les thèmes principaux concernant la relation entre la francophonie et les sociétés africaines ont ainsi été abordés et les débats, auxquels ils ont donné lieu, ont été extrêmement fructueux, comme j'ai pu le constater ce matin, en assistant aux discussions de l'atelier n° 3. Fructueux, ai-je dit, à un double point de vue : intellectuel par une approche lucide et sans complaisance des problèmes et concret par des propositions visant à apporter des éléments de réponse à ces problèmes.

Je me réjouis de I' occasion que m'offre cette session pour saluer la contribution importante du Haut Conseil de la Francophonie à l'essor et à l'évolution de l'entreprise francophone. Celui-ci, grâce à ses membres éminents et représentatifs dans leur diversité du monde francophone, remplit parfaitement son rôle de laboratoire d'idées au service de la francophonie.

C'est avec intérêt que j'ai donc accueilli l'idée émise l'an passé par Stelio Farandjis d'organiser une grande réflexion sur l'Afrique. Ce continent, dois-je le dire, est le cœur de la francophonie. Sans lui, celle-ci n'aurait sans doute aucune raison d'être. Chacun connaît le rôle irremplaçable des pères fondateurs de la francophonie comme Léopold Senghor, Hamani Diori et Habib Bourguiba pour n'en citer que quelques-uns parmi les plus illustres.

Le lien étroit entre l'Afrique et la francophonie, l'identification même, irai-je jusqu'à dire, de la francophonie à l'Afrique conduit à se pencher sur le destin de ce continent. Il n'est pas, je crois, exagéré d'affirmer que de son avenir dépend celui de la francophonie.

"Quand un vieil homme meurt, c'est une bibliothèque qui brûle" disait le regretté Hamadou Hampate BA. Je suis tenté de paraphraser le grand auteur malien en disant que quand l'Afrique meurt, c'est la francophonie qui brûle.

Or, rarement ce continent dans son histoire n'a connu une période aussi difficile que celle qui prévaut actuellement. Le constat de la quasi-totalité des experts en économie et de la Banque mondiale est accablant : l'Afrique est exclue du développement mondial.

Peut-on toutefois en déduire que la marginalisation de l'Afrique de la mondialisation des échanges est irréversible ? L'afro pessimisme est-il fatal ? Telles sont les questions que l'on doit se poser.

Au risque d'être contredit, je ne le pense pas. En effet des raisons objectives nous autorisent d'espérer et j'ai la conviction qu'une politique volontariste et ambitieuse peut créer les conditions du développement futur du berceau du genre humain.

Il reste que les préjugés sont forts. Il faut donc les combattre. On ne soulignera jamais assez, comme l'a fait Pierre Gourou, que l'Afrique est le grenier de l'humanité. Ce continent dispose d'énormes potentialités. Il jouit de ressources agricoles et minérales considérables. Son sous-sol est encore très loin d'être entièrement exploité. Il possède par exemple les plus grandes réserves mondiales de ressources énergétiques : 28 milliards de tonnes de pétrole récupérable et 20 mille milliards de mètres cubes de gaz.

L'Afrique est en fait un continent de l'autosuffisance virtuelle. Elle aurait dû décoller économiquement, si elle avait su ou pu exploiter dans son intérêt bien compris les richesses formidables que recèlent son sol et son sous-sol.

Or l'échec patent provient du fait que toutes ses ressources sont exportées, que son économie est entièrement extravertie alors que comme l'a constaté Edern Kodjo "l'Afrique s'est vu propulsée dans un système économique international dont elle ne maîtrise aucun facteur".

Victime de l'échange inégal, sa dépendance à l'égard de l'extérieur est totale rendant son économie encore plus fragile. La politique des ajustements structurels dictée par la Banque mondiale, pour être nécessaire afin d'assainir la situation économique des pays africains, risque cependant d'être une potion qui tue le malade, si aucune disposition n'est prise pour remédier aux fluctuations erratiques des cours des matières premières. Ces deniers, on le sait, sont établis à New-York, à Londres et à Paris sans jamais tenir compte de l'intérêt des agriculteurs et des ouvriers africains qui voient constamment leur travail dévalué sur le marché international.

Certes, les effets de la dévaluation du franc CFA ont rendu plus compétitives les productions vivrières et minérales de certains pays africains. Mais, ne nous le dissimulons pas, les gains actuels peuvent être brutalement annulés à la faveur d'une chute des cours contre laquelle les Africains ne peuvent malheureusement se prémunir.

Face à une telle situation, la tentation est forte soit d'un repli sur soi-même soit d'une fuite en avant attitudes qui en tout état de cause ne peuvent que conduire l'Afrique à sa perte.

"Il y a deux manières de se perdre", disait Césaire, "par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l'universel. Ma conception de l'universel est celle d'un universel riche de tout particulier, riche de tous les particuliers, approfondissement et coexistence de tous les particuliers".

La voie du développement se situe à l'évidence entre la ségrégation et la dilution.

Elle passe tout d'abord par la culture et la science puisque "le vrai pouvoir est celui du savoir".

La science et la technique ont en effet fécondé l'Europe, l'Amérique du nord, le Japon et désormais l'Asie. C'est dire combien il est essentiel que l'Afrique procède à une véritable révolution culturelle et scientifique, qu'elle continue certes à être à l'écoute de l'extérieur, comme elle l'a fait jusqu'à présent, mais surtout qu'elle trouve sa propre voie en liant tradition et modernité. Les traditions, les coutumes et la sagesse africaines, qu'on a trop souvent délaissées au profit de critères purement occidentaux, peuvent apporter une contribution inestimable à l'émergence d'une conception africaine de la science.

N'oublions pas le principe qui a présidé au succès de la révolution Meiji : "technique occidentale, esprit japonais". Au moment où Bolya Baenga élève, dans son ouvrage intitulé "l'Afrique en kimono", le Japon en modèle pour le continent africain, thèse intéressante mais qu'il faut à mon avis relativiser dans ses conclusions, la philosophie de Meiji doit en tout cas retenir l'attention.

Car de même que l'économie ne doit pas être entièrement tournée vers l'extérieur, de même l'éducation et la formation scientifique gagneraient à ne pas faire table rase du passé.

En ce qui concerne les moyens, il est indispensable pour faire des économies d'échelle de créer des établissements d'enseignement supérieur et des laboratoires de recherche dans un cadre communautaire et dans un esprit pan-africain. Cela permettrait de drainer les meilleurs esprits, les grands chercheurs africains vers quelques pôles d'excellence régionaux seuls susceptibles d'atteindre une masse critique à partir de laquelle l'Afrique existera au plan scientifique. Les savants africains pourront, dès lors, travailler avec profit avec leurs homologues occidentaux dans l'intérêt du développement scientifique africain.

La francophonie doit apporter des réponses à cette légitime attente. Et, à cet égard, je me félicite du rôle exemplaire que joue l'Université Senghor d'Alexandrie dans la formation de cadres africains de haut niveau pour le développement de l'Afrique.

Sur le plan culturel, comment ne pas être frappé du paradoxe qu'il y a entre un vivier riche d'artistes et de créateurs dans tous les domaines et une sorte d'atonie de la culture africaine. En fait la consécration, la notoriété internationale passe pour la plupart d'entre eux par Paris et ce notamment pour les francophones. Ce monopole parisien mais aussi new-yorkais et londonien de la culture et des cultures africaines n'est plus souhaitable. Celles-ci doivent pouvoir puiser à leurs propres racines en Afrique même, grâce aux talents africains et pour les publics africains.

Cet objectif ne sera réalisable que dans le cadre d'entités territoriales régionales cohérentes. L'émergence d'espaces culturels et de marchés culturels régionaux conditionne l'essor de la culture africaine.

La francophonie par sa transversalité doit être l'outil propre créer un marché où circuleraient librement les produits et services culturels au nom d'une préférence francophone, qu'il convient au plus vite d'établir. C'est tout l'intérêt démontré par l'organisation du premier MASA (Marché des Arts et des Spectacles Africains) dont la seconde édition se tiendra prochainement à Abidjan.

Encore faut-il que l'Afrique francophone consente l'effort nécessaire tendant à harmoniser la conception du droit d'auteur, afin d'être mieux armée pour préserver son identité et ses valeurs propres.

Or le partage d'une même conception du droit d'auteur s'impose encore davantage à l'heure où des techniques nouvelles apparaissent. Je pense à ces nouveaux moyens de fixation des œuvres comme les disques compacts à mémoire fixe, les DCMF pour ne pas dire CD ROM et je pense enfin aux autoroutes de l'information dont on oublie un peu trop vite qu'elles devront faire appel à des œuvres.

Après la culture et la science, le développement passe évidemment par l'économie.

L'échange inégal, comme je viens de l'indiquer, est le problème majeur auquel l'Afrique est confrontée. Il faut tout faire pour y remédier. La Banque mondiale et le FMI qui n'envisagent pas d'autres solutions que les ajustements structurels, dont on voit bien les limites, seraient bien inspirés de trouver des mécanismes permettant de garantir durablement les recettes provenant de l'exportation des produits de base.

Cela dit, l'Afrique serait aussi bien inspirée de s'efforcer à diminuer significativement sa dépendance à l'égard du marché international. D'autres pays l'ont fait, et qui les a mis sur le chemin du développement. Ainsi l'Inde avec sa révolution verte, les pays d'Asie du Sud Est avec leur réforme rurale et, au début de la décennie 80, la Chine avec sa politique de décollectivisation des terres ont tous mis en œuvre une politique hardie de réforme agraire. Plus récemment, le Vietnam s'est engagé dans la même voie.

Comment ne pas être frappé par le fait que dans les années soixante le niveau économique du Togo était égal à celui de la Thaïlande ? Tout espoir est donc permis.

L'Afrique verte n'est pas en soi une lubie. Réduire le poids de la monoculture tributaire de l'extérieur, développer et diversifier les cultures vivrières permettra au continent africain de se suffire à lui-même et de dégager les surplus nécessaires à une capitalisation dont son économie a un besoin cruel.

Cela permettra de passer d'une économie extravertie à une économie introvertie dans laquelle l'exportation n'est qu'un des paramètres du développement.

À cet égard, il convient aussi de favoriser des regroupements régionaux économiquement viables, d'harmoniser le .droit des affaires (un progrès dans ce sens est d'ores et déjà réalisé par la conclusion d'une convention entre onze pays à l'occasion du Sommet de Maurice en octobre 1991), d'harmoniser les systèmes douaniers, de créer des infrastructures de communication ferroviaires et routières, au total de préparer les conditions d'un véritable marché interafricain où circuleraient à la fois les biens, les services matériels et immatériels.

L'Afrique a certes toujours besoin de l'Occident. Mais l'Occident a aussi besoin d'elle. En tout cas, la francophonie a besoin de l'Afrique.

Quelles que soient les contraintes économiques des pays du nord, il faut se garder du "chacun pour soi". La France, pour sa part, ne faillira pas à son amitié séculaire avec l'Afrique. Mais, aujourd'hui, plus que jamais le temps est arrivé pour ce continent de prendre en main son destin afin d'être en mesure, un jour, de jouer pleinement son rôle dans le concert des nations.

Forte alors d'une dignité spirituelle et économique recouvrée, l'Afrique francophone pourra à n'en pas douter contribuer à l'instauration d'un meilleur partage du pouvoir culturel dans le monde. Je me suis déjà souvent expliqué sur ce sujet pour ne pas m'y appesantir à nouveau. Je voudrais tout simplement souligner que l'équilibre Vodka-Cola, comme l'a démontré le Canadien Charles Lewinson, étant brisé, la menace qui plane sur le monde d'un modèle culturel dominant ne relève pas de la rhétorique.

Je pense donc que la francophonie est une façon pour les sociétés africaines de préserver leurs identités, leurs valeurs et leurs langues.

 

17 février 1995
Sorbonne

Cette journée s'inscrit dans le cycle de manifestations qui célèbrent cette année la francophonie.
Colloque de l'ACCT "francophonie et développement"
Session du HCF "francophonie et sociétés africaines".

Je remercie l'AUPELF-UREF de son initiative de nous inviter à une réflexion sur le rôle de la science dans la construction francophone.

J'ai déjà dit, hier, devant les membres du HCF que le développement en Afrique passe par la science, par une véritable révolution culturelle et scientifique.

Cette révolution scientifique pour les pays en voie de développement francophones c'est de concilier la modernité avec leurs traditions. Il faut se garder en effet de faire table rase du passé.

Dans le même temps, je pense indispensable de procéder à des économies d'échelle en créant des établissements d'enseignement supérieur et des laboratoires de recherche dans un cadre communautaire ou dans un cadre régional.

Des expériences remarquables existent déjà que je salue l'Université Senghor d'Alexandrie qui forment des cadres de haut niveau pour le développement en Afrique, l'Institut de Technologie du Cambodge qui a vocation à terme de former des techniciens supérieurs de la péninsule indochinoise, bientôt l'Institut francophone d'informatique de Hanoï et de l'Institut francophone d'administration et de gestion de Sofia.

Mais je laisse aux experts la tâche de réfléchir sur ce thème important qu'est la francophonie scientifique.

Je voudrais toutefois attirer leur attention sur l'esprit dans lequel leur réflexion doit être menée en citant un extrait du rapport déposé ces jours derniers, dans le cadre des Assises de l'Afrique organisées sous l'égide de l'Unesco par le Professeur Iba Der Thiam, ancien ministre de l'Éducation et de l'enseignement supérieur du Sénégal : "La leçon que notre infortune renferme est qu'il ne suffit pas de réaliser de grands desseins, de formuler des idées justes, belles, généreuses ni même d'avoir une volonté politique sincère. Tant que l'on ne se donne pas les moyens de ses ambitions, on ne peut rien entreprendre qui soit significatif et concret".

Ceci est un avertissement qui marque les limites d'un exercice purement philosophique.

Pour ma part, je saisis cette occasion pour vous faire part des grandes lignes de mon action auxquelles j'ai voulu donner résolument un sens concret. Elles s'articulent autour de quatre idées qui toutes concourent à conférer à la francophonie une signification éminemment politique.

Première idée : remédier au déficit politique de la francophonie.

Déficit politique car si la politique donne déjà lieu à des débats notamment le volet politique des sommets des Chefs d'État et de Gouvernement, la francophonie, il faut avoir le courage de le dire, n'a pas été en mesure d'agir sur les événements. Ex : Rwanda, Burundi.

Il faut donc réformer le cadre institutionnel de la francophonie pour affirmer la volonté politique qui fait encore défaut :
- j'ai demandé au Sommet de Maurice la création du comité de réflexion sur l'avenir de la francophonie ;
- j'ai suggéré à Ouagadougou la tenue d'une conférence des ministres à cet effet (30 mars à Paris).

Sans préjuger les travaux du comité de réflexion qui doivent pouvoir se poursuivre dans la sérénité, je peux dire néanmoins qu'un consensus est en train de se former sur la nécessité d'une autorité politique unique en mesure de s'exprimer entre deux sommets et deux conférences ministérielles. Il suffira de définir les modalités de désignation et les fonctions de cette autorité.

Cela permettra à la francophonie de parler d'une seule voix sur la scène internationale. Cela donnera une impulsion à la nécessaire concertation francophone dans les grands débats mondiaux : hier à Rio (environnement) et à Vienne (droits de l'homme), demain à Pékin (femme) et à Copenhague (développement social).

Deuxième idée : le vide idéologique créé par la fin du communisme soviétique n'a pas annoncé "la fin de l'histoire". Selon moi, "l'histoire est un film qui n'est jamais achevé".

La francophonie a dans ce scénario nouveau un rôle essentiel à jouer, celui d'être une alternative à l'uniformisation culturelle et linguistique du monde.

Elle ne peut bien le jouer que si son autorité politique s'affirme au plan international.

En 1993, j'ai fait adopter une résolution au Sommet de Maurice sur l'exception culturelle. Cela a contribué à faire prévaloir ce concept d'exception culturelle dans la négociation finale du GATT en décembre 1993.

Depuis, se déroule dans le cadre européen une négociation du même ordre sur la révision de la directive TSF.

Je viens d'ailleurs de présider une conférence des ministres européens de la Culture à Bordeaux. Je constate qu'il y a encore un long chemin à parcourir.

Le sujet sera aussi abordé par le G7 à la fin de ce mois au travers du thème de la société de l'information. Certes, il s'agira pour l'essentiel d'infrastructures et de technologie mais on ne fera pas l'économie d'un débat sur le contenu culturel qui sera porté par ces autoroutes de l'information.

Comme je l'ai toujours dit : "Culture, Francophonie, même combat".

La francophonie est donc une alternative. Elle en montre la voie. C'est pourquoi j'ai pris l'initiative d'organiser le 28 mars prochain à l'Assemblée Nationale une conférence internationale qui portera sur le thème : "Alternatives à l'uniformisation, trois logiques : francophonie, hispanophonie et lusophonie".

Cette conférence mettra en valeur la philosophie profonde de l'entreprise francophone : pluralité et diversité.

Comme disait Hegel : "l'université passe par le développement des particuliers".

Troisième idée : une francophonie politique, une francophonie volontaire doit évidemment pouvoir agir dans le sens de la prévention des crises et des conflits susceptibles de toucher ces membres.

L'esprit de solidarité et de convivialité de la francophonie sont propices au dialogue.

Il faut organiser les modalités d'un dialogue chaque fois que cela est nécessaire.

Je propose une procédure de concertation à un niveau politique (Chefs d'État ou Ministres) entre les pays qui sont concernés par une crise latente chaque fois que de besoin.

Il ne s'agit surtout pas de concurrencer l'ONU et l'OUA qui disposent de leurs propres mécanismes, il s'agit de favoriser un dialogue politique en amont d'une crise ou d'un conflit. Cela constituerait déjà un progrès notable dans la communauté francophone surtout dans un contexte comme l'a récemment reconnu le Secrétaire Général des Nations-Unies, lors d'une conférence de presse destinée à des journalistes d'expression française, caractérisé, je le cite, "par deux poids, deux mesures", les conflits du Rwanda et du Burundi étant considérés, selon lui comme des "conflits orphelins".

Le Sommet de Cotonou devrait pouvoir adopter ce principe de diplomatie préventive des conflits.

Quatrième idée : la coopération multilatérale doit être l'épine dorsale de la francophonie.

Je me réjouis du travail du comité de réflexion visant à définir des programmes mobilisateurs qui devraient être adoptés au Sommet de Cotonou.

Pour ma part, j'en vois quatre :

En premier lieu, un programme centré sur le français. Dans l'enseignement primaire et secondaire, tout d'abord, grâce à un appui à la formation des maîtres, à la production de manuels scolaires et à l'ouverture de classes bilingues : toutes ces mesures permettront au français de maintenir ou développer son caractère de langue seconde dans la plupart de nos pays.

Ensuite, le français doit rester langue d'enseignement supérieur et de recherche. À cette fin, il faut créer des pôles régionaux d'excellence, comme je l'ai déjà dit, favoriser la recherche dans les pays du Sud et mettre en réseaux les laboratoires du Nord et du Sud, comme l'entreprend avec succès l'AUPELF-UREF par son fonds francophone de la recherche.

Il faut aussi soutenir l'édition scientifique en français et assurer à notre langue sa place dans les congrès scientifiques c'est du reste l'un des principaux objectifs de la loi que j'ai fait adopter cet été par le Parlement français.

Enfin, dans les organisations internationales, la place du français doit être consolidée.

Le second programme doit tendre à relever le défi que nous pose l'émergence des grands réseaux de communication multimédia. À cet égard, les moyens en jeu sont si considérables qu'il n'y a pas d'alternative à une coopération entre pays francophones du Nord, qui sera ensuite ouverte aux pays du Sud et leur profitera directement. Ainsi, la France mène une importante coopération avec le Québec en matière de génie linguistique.

Nous devons veiller à ce que des véhicules francophones puissent circuler sur les inforoutes de l'avenir.

Le troisième programme consiste à promouvoir entre nous une préférence francophone pour la circulation de nos biens et services culturels. J'ai souligné ce point hier à la session du Haut Conseil de la Francophonie. Concrètement, il s'agit de faciliter les échanges de spectacles vivants et aussi d'aider à l'édition et à la diffusion des livres, des disques et des nouveaux supports de l'information.

Enfin, le dernier programme, auquel j'attache un intérêt particulier est l'action de la francophonie en faveur de l'État de droit et de la démocratie. Les tragiques événements du Rwanda et du Burundi ont mis en lumière la nécessité urgente de former en quantité suffisante des magistrats, de soutenir des juridictions aux niveaux national et régional, d'aider les parlementaires dans leur œuvre législative et d'éclairer l'opinion publique.

Ceci dit, les programmes mobilisateurs ne peuvent l'être que s'ils se traduisent par une véritable concertation des projets et des moyens. Il ne faudrait pas qu'un habillage astucieux fasse d'eux la simple reconduction des pratiques actuelles. Des actions, qui ne s'inscriraient pas dans ce cadre, devront donc être abandonnées. Nous devons mettre un minimum de courage au service de la lucidité, sans quoi nous ne pouvons pas prétendre avoir une politique de coopération multilatérale.

La multilatéralité implique, d'autre part, que les programmes qui auront été retenus soient financés conjointement par plusieurs bailleurs de fonds. Il faut en finir avec la juxtaposition chez nos opérateurs de petits projets dont chacun n'est soutenu que par un pays, ce qui leur donne dans la réalité un caractère bilatéral à peine déguisé.

Je ne veux pas dire par là, bien au contraire, que la coopération francophone doive ignorer les apports des coopérations bilatérales. Il doit y avoir complémentarité entre celle-ci et celles-là. L'intérêt des pays du Sud se trouve évidemment dans une synergie intelligente entre le bilatéral et le multilatéral.

Telles sont les grandes orientations de mon ambition francophone. Elles sont réalistes et visent toutes à consolider l'entreprise francophone et, à travers elle, à œuvrer pour un monde pluraliste, riche et respectueux de ses différences.