Texte intégral
J.-F. Hory (ce matin) : J'ai décidé d'être candidat à l'élection présidentielle et pour faire respecter un certain nombre de principes républicains et pour rappeler les valeurs radicales, d'humanisme et de laïcité dans cette campagne. C'est une décision importante et pour laquelle j'espère le soutien, non seulement de tous les membres de Radical, les sympathisants et les électeurs, mais de tous ceux qui sont attachés à la modernisation, à la rénovation de la gauche.
F.-O. Giesbert : Ne craignez-vous pas d'aller au casse-pipe ?
J.-F. Hory : Pas du tout. Le combat électoral est souvent difficile mais on a aucune chance de gagner si on ne participe pas. Ce à quoi on m'invitait du reste.
F.-O. Giesbert : On a le sentiment que vous vous présentez pour "vider" une querelle personnelle avec L. Jospin Sa tête ne vous revient pu ? Que lui reprochez-vous ?
J.-F. Hory : Je n'ai aucune opposition personnelle à l'égard de Jospin et de sa personnalité. C'est la méthode qui n'est pas bonne. On nous reproche de diviser. Que penserait-on d'une équipe de football qui, au début de la Coupe de France, dirait à tous les autres clubs : "renoncez à jouer pour que nous soyons sûrs d'être en finale". La bonne méthode n'est pas celle-là. Il y a dans la gauche une famille radicale, une famille socialiste, une famille communiste et chacune a le droit d'avoir un candidat et nous, nous en avons le devoir puisque nous estimons que nous sommes en charge de la modernisation de la gauche. Nous devons la débarrasser de tous ses archaïsmes et de ses dogmatismes. Celui qui divise c'est celui qui désigne un candidat sans consulter les autres, qui notifie son choix en demandant aux autres d'obéir sans discuter et qui n'engage même pas de concertation sur les thèmes de fond des présidentielles.
F.-O. Giesbert : Le diviseur c'est Jospin…
J.-F. Hory : C'est le candidat du PS.
F.-O. Giesbert : En plus il est archaïque…
J.-F. Hory : À tort ou à raison, les gens attribuent à L. Jospin une image archaïque et dogmatique.
F.-O. Giesbert : Mais Jospin se dit prêt à reprendre à son compte les thèmes de la laïcité, de la citoyenneté et du chômage des jeunes que vous aviez lancés. Qu'est-ce qui a cloché ?
J.-F. Hory : Ça c'est parler en termes généraux et vagues. Moi j'indique trois thèmes qui seront au centre de ma campagne : le chômage des jeunes doit être formellement hors-la-loi. Qui est d'accord pour ça? Deuxièmement, je veux qu'on arrive à la fiscalisation du financement de la Sécurité sociale. Qui est d'accord pour ça ? Troisièmement, je suis pour une Europe fédérale et qu'on s'y engage résolument. Qui est d'accord pour ça ? Qu'on réponde à ces questions. Il ne s'agit pas de littérature ni de faire des discours et des incantations sur le rassemblement.
F.-O. Giesbert : Franchement, ne seriez-vous pas un peu teigneux, rancunier, narcissique sur les bords ?
J.-F. Hory : J'ai bien noté qu'on essayait de me faire cette mauvaise réputation. Elle est très surfaite.
F.-O. Giesbert : Vous êtes un brave type ?
J.-F. Hory : Je ne dirais pas que je suis un brave type avec la connotation péjorative que vous donnez à l'expression. Simplement, je ne fais pas intervenir de considérations personnelles dans mes jugements politiques. Je crois que le projet de Radical est utile au débat et, s'il prospère, je crois qu'il sera utile au pays. Quand on porte des idées importantes comme les idées radicales aujourd'hui, il faut aller les proposer aux citoyens.
Jeudi 23 février 1995
France 2
B. Masure : Comme M. Crépeau, la veuve de P. Mendes-France vous demande de vous retirer et vous reproche de prendre une lourde responsabilité vis-à-vis de la gauche.
J.-F. Hory : Je crois qu'il faut relativiser tout cela. J'ai écouté M. Crépeau et je me rappelle qu'il disait exactement le contraire il y a quelques semaines, et surtout il y a quelques années, quand il était lui-même candidat. Donc il faut relativiser. Je connais bien les radicaux, je discute avec tous mes amis radicaux et je sais qu'ils ont la passion de se concilier, de se rassembler et je suis bien certain qu'en parlant avec eux, nous allons arriver à nous rassembler autour du projet que je veux présenter dans cette élection présidentielle.
B. Masure : Mais quand on voit maintenant, selon les sondages, que L. Jospin n'est pris sûr de participer au second tour, est-ce-que vous ne jouez pas contre votre camp ?
J.-F. Hory : Absolument pu, si le PS était la gauche, il n'aurait pas ce type d'inquiétude. Très franchement, qu'est-ce qu'on penserait, par exemple, d'un club de football qui, au début de la coupe de France, demanderait aux autres équipes de renoncer à jouer pour être certain d'arriver en finale ? Tout le monde trouverait ça inéquitable. Donc la compétition est entamée, que chacun présente ses idées, ses projets et le pays, les électeurs, les électeurs de gauche en particulier jugeront qui est de gauche, qui porte l'espérance de rénovation de la gauche dans cette élection.
B. Masure : Mais si vous faites par exemple 2 ou 3 %, comme le dit M. Crépeau, est ce que vous ne risquez pas de faire la démonstration que le mouvement Radical était surtout le fait de B. Tapie ?
J.-F. Hory : Je ne comprends pas très bien, il y a deux critiques : soit on me reproche de me préparer à faire un score important et à faire disparaître le PS, soit on me prédit un score trop faible et je risque de faire disparaitre Radical. Je vais faire une campagne sur des thèmes de gauche pour un projet authentiquement de gauche, qui n'existe plus pour le moment et je vais proposer que l'on construise une gauche moderne, populaire, laïque, européenne. Je vais proposer que la République se mette à respecter enfin sa devise : liberté, égalité, fraternité. Je vais avancer le message particulier des Radicaux, de l'humanisme radical et de la laïcité. Et là, sur une campagne un peu nouvelle, très innovante, jeune un peu gaie, souriante, différente de la campagne un peu morose et conformiste qu'on a en ce moment, les Français jugeront et on verra qui a permis à la gauche de gagner.
B. Masure : Pour le moment, B. Tapie semble assez circonspect. Est-ce que vous pensez le convaincre d'ici la convention de dimanche ?
J.-F. Hory : B. Tapie, je le souhaite, sera au cœur de cette campagne avec toute son énergie, sa vitalité, sa popularité déjà démontrées et avec ses idées que je vais à mon tour développer : le chômage des jeunes illégal, l'Europe fédérale, une vraie politique de gauche, de relance économique par l'augmentation des salaires et des plus bas revenus, la parité homme-femme ; voilà quelques exemples de thèmes que nous allons développer et je suis bien certain que B. Tapie, avec qui j'en ai parlé sera au cœur de cette campagne avec toutes ses forces. Je le lui demande et je le souhaite.
24 février 1995
Le Monde
Jean-François Hory, président de Radical, a décidé de se porter candidat à l'élection présidentielle. Il soumettra sa candidature à la convention nationale de son parti, convoquée le 26 février. M. Hory estime que le Parti socialiste et son candidat, Lionel Jospin, ont démontré leur refus de prendre en compte les idées dont se réclame Radical et de lui faire une place suffisante dans leur dispositif de campagne.
Le Monde : Vous avez rencontré à deux reprises Lionel Jospin, sans parvenir à un accord entre vos deux formations pour l'élection présidentielle. Quelle sont les raisons de cet échec ?
J.-F. Hory : Manifestement, le candidat du PS n'avait pas la volonté d'aboutir à un accord. Le rassemblement ne peut pas être une incantation, un discours ; c'est une démarche politique, qui doit être démontrée par des gestes précis, aussi bien sur le fond – les thèmes d'une campagne commune – que sur les modalités d'organisation de cette campagne, notamment sur les équilibres entre Radical et le PS.
Nous souhaitons voir reprendre un certain nombre de thèmes que nous défendons. Il s'agit, par exemple, de l'Europe fédérale, de l'illégalité du chômage des jeunes, de la fiscalisation de la Sécurité sociale. Sur tous ces thèmes, nous n'avons noté aucune avancée. J'ai fait tout ce que je pouvais – et plus que je ne devais – en faveur d'un rassemblement l'ensemble de la gauche. Je suis obligé de déduire du comportement mais je n'abandonne pas l'objectif de rénovation de la gauche.
Le Monde : Pour vous, M. Jospin n'incarne pas cette modernité de la gauche…
J.-F. Hory : Le candidat du PS, à tort ou à raison, porte l'image d'un certain archaïsme, d'un certain dogmatisme de son parti. Je pense qu'il y a toute une attente de rénovation de la gauche, qui ne correspond pas au message que Lionel Jospin se prépare à délivrer, pour ce qu'on en connaît.
Le Monde : Le mitterrandisme est-il aussi un archaïsme ?
J.-F. Hory : Pas du tout. Je crois au contraire, que les impulsions que François Mitterrand a données à la politique française, sur les thèmes de la solidarité, de liberté et de la fraternité dont il a porté la voix de la France en Europe et dans le monde sont extrêmement modernes. Je suis d'ailleurs étonné que, dans cette campagne, personne ne déclare vouloir porter aussi l'héritage politique de François Mitterrand. Moi, je suis mitterrandiste, et les radicaux dans leur ensemble considèrent avec gratitude l'action de François Mitterrand. Il me vient ce soupçon tardif que, finalement, il est peut-être plus radical que socialiste.
Le Monde : Au moment où les sondages révèlent une dynamique en faveur de M. Jospin, comment allez-vous justifier, auprès de vos électeurs de gauche, le fait d'empêcher peut-être la présence d'un candidat de gauche au second tour ?
J.-F. Hory : Je n'ai rien à justifier. Il y a dans la gauche française un pluralisme construit sur trois grande famille : radicale, socialiste et communiste. Chacune a le droit d'avoir un candidat, c'est la logique présidentielle, et nous, nous en avons le devoir, parce que nous estimons être en charge de la modernisation de la gauche. L'union de la gauche est une figure de mémoire ; sa rénovation est une figure d'avenir. Quant à empêcher la gauche d'être au second tour, je serais tenté de dire que si toutes les vieilles lunes de la gauche sombraient au premier tour, ce serait plutôt un service rendu au pays et à elle-même.
Même si l'histoire ne se répète jamais à l'identique, nous avons eu en 1993 des élections législatives comparables à celle de 1968. Au premier tour de la présidentielle, en 1969, la gauche avait plusieurs candidats, et personne n'a reproché à Michel Rocard de se présenter contre Gaston Defferre. La gauche a disparu dès le premier tour, mais je note, aussi, que moins de deux ans après, en 1971, à Épinay, elle se dotait d'une organisation nouvelle, dynamique, le Parti socialiste, qui allait dominer le débat public pendant une vingtaine d'années. Donc, à quelque chose malheur peut être bon, et la décomposition relative de la gauche peut-être une promesse de rénovation.
Le Monde : Vous présidez ce parti – le MRG, devenu Radical – depuis deux ans et demi. Vous avez toujours défendu son indépendance par rapport au PS. Êtes-vous prêt, aujourd'hui, à le représenter dans l'élection présidentielle ?
J.-F. Hory : J'ai en effet décidé d'être candidat. Je demanderai, lors, lors de la convention nationale, dimanche 26 février, le soutien de Radical dans cette élection, le candidat de la gauche moderne et je vais travailler à un rassemblement qui ira bien au-delà de Radical.
Le Monde : N'êtes-vous pas un candidat de substitution, par rapport à Bernard Tapie, et quelle sera la place du député des Bouches-du-Rhône dans cette campagne?
J.-F. Hory : Bernard Tapie a dit à plusieurs reprises, avant qu'on essaie de le rendre inéligible, qu'il n'avait pas vocation à aller dans cette élection-là et qu'il voulait concentrer ses efforts sur d'autres enjeux, notamment les élections municipales à Marseille. Si être le candidat de Bernard Tapie, cela signifie porter les idées Radical, qu'il a puissamment et brillamment contribué à rénover, notamment pendant la campagne européenne, alors oui. Mon soutien ne lui a Jamais été mesuré depuis deux ans, et j'ai le ferme espoir qu'il mettra son énergie, sa vitalité et sa popularité au service de cette campagne.
Le Monde : Avez-vous déjà reçu le soutien de socialistes qui n'étaient pas favorables à une candidature de M. Jospin ?
J.-F. Hory : Je souhaite conduire cette entreprise avec beaucoup de gens.
Le Monde : Des personnalités comme Jack Lang ou Bernard Kouchner ?
J.-F. Hory : Évidemment, il y aura des discussions avec eux. Et avec d'autres.
Le Monde : Plusieurs responsables de votre mouvement ont émis des réserves sur votre candidature et sont favorables à un accord avec Lionel Jospin dès le premier tour.
J.-F. Hory : Rien n'effraie les gens comme leur propre liberté. Je ne désespère pas de les convaincre.
Le Monde : Reconnaissez-vous le renouvellement de la vie politique que vous souhaitez dans l'action, par exemple, de Philippe de Villiers ?
J.-F. Hory : Paradoxalement, oui. On l'a déjà noté aux élections européennes : la droite, qui veut se donner des airs réformistes, et la gauche, qui veut se donner une image gestionnaire, se rejoignent dans un consensus qui est celui de la pensée résignée. Il n'y aurait qu'une politique à conduire en France. Par rapport à cette bouillie pour les chats, de tous les gens qui ont consenti définitivement à la domination de l'économie et de la technique sur la politique et la culture, à droite il y a un projet clair, audible, inacceptable, celui de Philippe de Villiers, qui dit: "Travail, famille, patrie." Symétriquement, Je veux dire à gauche : "Liberté, égalité, fraternité."
25 février 1995
Le Point
Jean-François Hory fêtera ses 46 ans le 15 mai prochain, une semaine après l'élection du président de la République, Conseiller municipal de Venarey-Lès-Laumes (Côte-d'Or) depuis 1989, ce juriste a été député de Mayotte de 1981 à 1986. Élu au Parlement européen sur la liste Fabius en 1989, il prend la direction du Mouvement des radicaux de gauche en 1992, accueillant Bernard Tapie début 12993 en vue des européennes de la liste Énergie radicale recueille 12 % des suffrages. Le MRG est devenu Radical en novembre dernier. Ce dimanche, Jean-François Hory demande à la convention nationale de Radical d'avaliser sa candidature.
Le Point : Vous êtes candidat à la présidentielle : quelles sont vos motivations ?
Jean-François Hory : Faire gagner la gauche en la modernisant rappeler la République au respect de sa devise "Liberté, égalité, fraternité", porter les valeurs radicales d'humanisme, de laïcité et d'universalité…
Le Point : Qu'est-ce qui ne vous satisfait pas dans la candidature de Jospin ?
J.-F. Hory : Je ne suis ni satisfait ni mécontent, et Lionel Jospin ne me gêne en rien. Mais la gauche est plurielle, avec les familles radicale, socialiste et communiste, et la logique présidentielle veut que chacune d'elle ait son candidat.
Le Point : Certains prétendent que vous agissez par rancune envers Lionel Jospin, qui vous a interdit l'accès au PS en 1981 ?
J.-F. Hory : C'est une fable. Je n'ai jamais souhaité entrer au PS; j'étais député radical apparenté au groupe socialiste. Et même si c'était vrai, je n'aurais pas pour Lionel Jospin de la rancune, mais de la gratitude : je suis président de Radical, qui est l'espérance de la gauche, cela vaut mieux que d'être sur le radeau de la "Méduse" !
Le Point : Ne craignez-vous pas d'éliminer la gauche du second tour par la faute de votre candidature ?
J.-F. Hory : François Mitterrand a gagné par deux fois la présidentielle avec d'autres candidats de gauche au premier tour. Le danger n'est pas la multiplication des candidatures, mais la faiblesse du candidat principal, et je ne peux rien contre cela. C'est comme si une équipe demandait à toutes les autres de se retirer en début de compétition pour lui assurer une place en finale…
Le Point : Si Lionel Jospin est au second tour, lui apporterez-vous votre soutien ?
J.-F. Hory : Il y a des règles à gauche. Si le candidat du PS est derrière moi, il me soutiendra, et nous appliquerons les mêmes règles, dans le cas contraire, s'il y a lieu.
Le Point : Qu'attendez-vous de Bernard Tapie dans votre campagne ?
J.-F. Hory : J'attends beaucoup de lui. Je souhaite qu'il soit au cœur de cette avantage, avec ses idées – que je développerai – comme le chômage des jeunes illégal ou l'Europe fédérale, ainsi qu'avec son énergie et sa popularité. Je le souhaite, et je le lui demande.
Le Point : Quel score espérez-vous ?
J.-F. Hory : J'ai une grande ambition, et je ne veux pas la limiter par des pronostics chiffrés.