Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte parole de Lutte ouvrière, dans "Lutte ouvrière" des 2, 9, 16, 23 et 30 octobre 1998, sur les relations commerciales entre la France et la Chine, le marché automobile, les revendications des lycéens, l'Europe sociale et la lutte contre le chômage .

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

Lutte ouvrière du 2 octobre 1998.

Jospin en Chine

Des milliards de commandes pour le patronat, mais rien ne change pour les travailleurs.

La semaine dernière, il n'était question que du voyage en Chine de Lionel Jospin et de la mirifique commande qu'il aurait ramenée. Une commande de plus d'un milliard de francs à l'Alstom pour le métro de Shanghai et d'autres projets pour un total de trois milliards. Et bien entendu, tout comme Chirac lorsqu'il se transforme en représentant placier, ce serait paraît-il pour l'emploi.

Mais qu'en savons-nous ? Est-ce pour le bien de l'emploi ou celui des bénéfices ? Est-ce même pour maintenir des emplois ? Nous n'en savons rien ! Nous ne sommes pas dans le secret des conseils d'administration des grandes sociétés qui contrôlent l'économie du pays et qui font et défont l'emploi en fonction des fluctuations de la bourse.

Les travailleurs, la population laborieuse, le public en général, ne contrôlent rien de ces choses-là.

Pour quelles contreparties ces commandes sont-elles obtenues ? Savons-nous combien sur cette mirifique commande ira aux salariés d'Alstom, combien aux actionnaires et combien s'évanouira dans des circuits financiers que personne ne contrôle ? Ces trusts-là sont ceux dont les profits circulent d'un bout à l'autre de la planète, sautant de bourse en bourse, faisant et défaisant les monnaies et se jetant dans des investissements spéculatifs et hasardeux en comptant bien que, si une catastrophe survient, ce n'est pas eux qui paieront.

Qui a placé de l'argent sur les places financières asiatiques ? Qui a prêté de l'argent à la mafia russe ? Ce ne sont pas des travailleurs ! Ce ne sont pas les chômeurs ! Ce n'est pas la population ! Non, ce sont quelques centaines de dirigeants de grandes sociétés industrielles ou bancaires.

Et si demain il y a une catastrophe, c'est toute la population qui paiera pour une crise où elle n'est pour rien. Et ceux qui en auront profité se débrouilleront, si on les laisse faire, pour ne pas en pâtir.

L'intensification du travail, les horaires variables, la pression du chômage sur les salaires, oui, si on les laisse faire, c'est ce qui nous attend.

Savons-nous ce que Jospin a promis à la Chine comme prêts pour payer ces contrats pour Alstom ? Alstom et les capitalistes qui vont vendre en Chine verront évidemment leurs créances garanties par l'État français en cas de non-paiement ! Et si le gouvernement chinois fait défaut, c'est l'État français qui nous fera payer, à tous, cette garantie des profits de quelques-uns par les restructurations des services publics, la diminution des protections sociales et par la misère accrue.

C'est pourquoi nous devons arracher aux grandes sociétés, aux financiers de tout poil, le contrôle absolu et secret qu'ils ont sur l'économie. Nous devons leur ôter cette puissance.

Pour cela, il faut le contrôle de la population sur tous les accords financiers, sur tous les grands centres dans le pays et hors du pays. Il faut savoir à qui ils vont réellement profiter. Il faut lever ce secret commercial et ce secret bancaire qui ne servent qu'à cacher aux yeux de la population les énormes profits de ces quelques trusts qui font et défont les emplois. Il faut non seulement imposer la transparence sur les comptabilités de ces grandes entreprises, mais il faut empêcher aussi leurs principaux actionnaires de cacher leurs profits personnels derrière le secret bancaire.

Oh, bien sûr, dix ans après les faits, un juge un peu entreprenant révélera peut-être les malversations d'un homme politique. Mais si importantes que soient ces malversations, elles ne sont rien auprès des catastrophes provoquées par la crise.

L'un des objectifs essentiels de nos luttes à venir, luttes qui deviennent de plus en plus indispensables, devra être d'ôter cette puissance incontrôlée des mains du grand patronat. Il faut puiser dans les profits pour redistribuer autrement les richesses.

Et, pour cela, il faut ôter à la grande bourgeoisie la puissance financière dont elle fait un si mauvais usage.


Lutte ouvrière du 9 octobre 1998.

Cela va bien pour eux parce que cela va mal pour nous.

L'automobile se porte bien. Non seulement le salon du « centenaire » est un succès, mais on a pu voir ou entendre, à la radio ou à la télévision, les PDG de Renault et de PSA, Schweitzer et Folz, se féliciter chaudement de la bonne marche de leurs affaires.

Mais à qui cela profite-t-il ? Aux gros actionnaires, oui, bien sûr, qui engrangent leurs dividendes. Mais pas aux travailleurs qui construisent ces voitures et leurs accessoires. Car le formidable accroissement de productivité qui permet aux grandes entreprises d'afficher les bénéfices records n'est pas le seul résultat du progrès technique. Il s'est fait d'abord sur le dos des travailleurs, dont les salaires sont pratiquement bloqués, et à qui l'on impose des horaires, des conditions de travail, de plus en plus insupportables.

On a ainsi pu voir au journal télévisé que Michelin imposait, dans une usine de plus, le travail du dimanche. Après cela, ces gens-là nous feront de grands discours sur le caractère « sacré » de la famille. Mais pourquoi ce travail du dimanche, sinon pour faire tourner le plus longtemps possible les machines dans la semaine, pour accroître le profit sur le dos des travailleurs ?

Les grands patrons prétendent que tout cela est nécessaire à cause de la concurrence internationale. Mais ce n'est pas vrai. La concurrence, c'est ce qui leur sert d'alibi pour tenter de justifier la surexploitation qu'ils imposent à leurs salariés.

La concurrence ne les empêche d'ailleurs pas de s'entendre entre eux pour ce qui les arrange. Peugeot a des accords avec Fiat pour certaines productions et vient d'en conclure un avec Ford pour la mise au point d'un nouveau moteur. Mais, en matière de salaire et de conditions de travail, chacun sert d'excuses aux autres. C'est leur manière de coopérer !

Mais pendant que Schweitzer et Folz se réjouissaient de leurs succès, les représentants des sept pays les plus riches de la planète, le fameux « G7 », ne pouvaient que constater leur incapacité à trouver une solution à la crise financière qui secoue le monde.

Car c'est aussi cela le capitalisme qu'on nous présente comme la seule solution économique possible : non seulement une pompe destinée à accumuler de la richesse d'un côté et de la pauvreté de l'autre, mais aussi un système imprévisible et incontrôlable, susceptible de précipiter le monde dans une catastrophe économique.

Depuis plus de vingt ans, mettant à profit la démoralisation suscitée par le chômage, la crainte de perdre son emploi, le grand patronat a imposé un recul considérable à la classe ouvrière. Et il a été secondé pour cela par tous les gouvernements qui se sont succédé, ceux de droite bien sûr, mais aussi ceux qui se réclamaient de gauche. Les ministres socialistes des années 1980 étaient fiers d'avoir « réhabilité le profit ». Ceux du gouvernement de la « majorité plurielle » ne sont pas différents qui, pendant que la grande bourgeoisie empoche toujours plus de profits, s'emploie à expliquer aux travailleurs qu'il est trop tôt pour qu'ils puissent, eux, bénéficier des fruits de la croissance et qu'il leur faut patienter.

Eh bien, ce qu'il faut « réhabiliter », c'est la lutte des classes, que certains déclarent dépassée parce qu'ils y ont intérêt. Les patrons, eux, la mènent sans discontinuer, à leur manière. Eh bien la classe ouvrière doit renouer avec elle, car là les luttes sociales sont le seul moyen pour les travailleurs d'imposer leur droit aux fruits du progrès.


Lutte ouvrière du 16 octobre 1998.

Lycées, santé, transports en commun…
Le ras-le-bol des restrictions budgétaires.

Il faut embaucher massivement dans les services publics.

Que ce soient les cheminots qui se mettent en grève pour réclamer des effectifs suffisants, car c'est bien cela qui est au centre de leurs revendications, ou que ce soient les lycéens qui manifestent par dizaine de milliers dans tout le pays, ces mouvements ont un point commun. Ils soulignent tous deux la dégradation programmée du service public, la démission de l'État qui, que les gouvernements soient de gauche ou de droite, a choisi de réaliser des économies draconiennes sur tout ce qui relève des besoins de la collectivité.

Des dizaines et des dizaines de milliers de cheminots en moins, cela se traduit par une dégradation de leurs conditions de travail et par une dégradation parallèle des conditions dans lesquelles sont transportés quotidiennement des millions de travailleurs.

Quant aux lycéens, ils affirment bien haut, pour reprendre un des slogans les plus entendus de leurs manifestations, qu'ils en ont « marre de la galère ». C'est une façon résumée de dénoncer l'insuffisance du nombre d'enseignants, de personnels, de service. Cela se traduit pour les jeunes par des classes aux effectifs trop nombreux, dans des locaux insuffisants qui, faute de crédits, bien souvent se dégradent. Tout le monde sait cela, même si les salutaires manifestations lycéennes viennent à point pour rafraîchir les mémoires. Tout le monde sauf, semble-t-il Allègre, le ministre de l'éducation nationale qui, buté, répète avec une obstination déroutante que tout va très bien. Et cela contre l'évidence, contre l'opinion de centaines de milliers de jeunes, d'enseignants, de parents d'élèves, qui témoignent que ça ne va pas. Il n'y aurait, selon ce ministre, tout au plus qu'un centralisme excessif dans l'éducation nationale, une lourdeur administrative qu'il s'emploie, s'empresse-t-il de dire, à combattre. Si lourdeur il y a, elle n'est certainement pas là où la voit un ministre qui n'a pas la réputation de briller par sa légèreté.

Oui, tous les gouvernements, y compris celui dans lequel trône Allègre, s'emploient à rogner sur les dépenses destinées à bénéficier à la collectivité. On le voit, une fois encore, dans la décision de son collègue le docteur Kouchner, ci-devant ministre de la santé, de fermer 91 petites maternités dites de proximité.

Mais on ne retrouve pas ce souci de réduire les dépenses budgétaires dans tous les domaines. La discussion du projet de budget que présente le gouvernement devant le Parlement le montre abondamment. Passons sur la décision de revenir sur l'intention affichée il y a quelques temps de taxer rétroactivement les droits de succession sur les assurances-vie. C'était là une des niches fiscales, parmi bien d'autres, permettant aux plus fortunés d'échapper partiellement au fisc. Le gouvernement avait fait beaucoup de bruit pour faire croire qu'il n'hésitait pas, à l'occasion, à s'en prendre aux riches. Là-dessus, il n'a pas fallu attendre longtemps la reculade, comme il le fait à chaque fois qu'il s'agit de reprendre aux riches, aux capitalistes, une partie, simplement une partie, des privilèges budgétaires que l'État leur prodigue.

Car ce budget, à l'image des budgets de la droite, a pour fonction d'arroser le patronat, et de continuer à brider les dépenses sociales, celles qui permettraient d'améliorer les services publics. Si la droite proposait un tel projet, il y a longtemps que les organisations syndicales ouvrières auraient appelé les travailleurs à s'y opposer. À juste titre !

Le quotidien économique « Les Échos » du 1er octobre 1998 rappelle ce jugement du premier secrétaire du PS, François Hollande, qui déclarait à propos des « années Mitterrand » : « Vis-à-vis de l'entreprise nous sommes (il parle du PS) passés de la méfiance à une fascination qui confinait à la flagornerie ». Cette autocritique, d'autant plus facile à faire qu'elle est largement rétrospective, a pour but de dédouaner l'action du gouvernement actuel pour laisser croire qu'aujourd'hui Jospin, Strauss-Kahn, Aubry ne font pas la même chose. Mais si, ils le font ! Ils prennent eux aussi dans les poches de la population laborieuse, dans celles des plus démunis, pour redistribuer des dizaines de milliards aux riches.

Mais cette fois, il ne faudrait pas que les travailleurs et la population laborieuse attendent dix ans, qu'un François Hollande des années 2008 refasse le même numéro et parle de fascination et de la flagornerie des socialistes devant les entreprises, ou pour mieux dire devant la bourgeoisie, devant les capitalistes où Jospin dirigeait un gouvernement de la gauche plurielle dans l'année 1998.

C'est aujourd'hui qu'il faut demander des comptes, c'est dès à présent qu'il faut exiger que l'argent de l'État soit consacré à la collectivité, et cesse d'arroser les capitalistes.

Les cheminots, les jeunes ont commencé à le faire sur le terrain qui seul permet de se faire entendre, la grève, la rue. Mais nous souhaitons que ce ne soit qu'un début. Car toutes ces revendications, toutes ces manifestations ont le même dénominateur, relèvent d'une même exigence : la nécessité d'imposer, puisque que le gouvernement Jospin s'y refuse, que l'argent de l'État serve à la collectivité, en créant des centaines de milliers d'emplois utiles, dans l'éducation nationale, dans les transports en commun, dans la santé.


Lutte ouvrière du 23 octobre 1998.

Vive la lutte des lycéens.

Comme on pouvait le craindre, après une semaine de palinodies autour du plan qu'il se préparait à annoncer devant l'Assemblée nationale, Allègre a répondu aux exigences des lycéens par du vent et des discours. On allait voir ce qu'on allait voir, disait, à grand son de trompe, le ministre.

On a vu. Mais il fallait une grosse loupe pour le faire. En tout et pour tout, le ministre a concédé quelques mesurettes, comme la nomination de 14 000 adultes dans les établissements scolaires – des adultes, mais pas des professeurs – soit 3 000 surveillants, 1 000 appelés du contingent, 10 000 emplois-jeunes. À cela s'ajoute la prise en charge par l'État des intérêts d'un emprunt de 4 milliards, sur quatre ans, que les collectivités locales sont appelées à faire pour l'amélioration des locaux.

Telles sont les propositions du ministre de l'éducation nationale. Ces mesures n'ont qu'un seul avantage… pour l'État : elles ne lui coûtent pratiquement rien. On est bien loin de ce que demandent les lycéens. Et loin de revenir à une situation normale, selon les critères même du ministère, et encore plus loin de ce que devraient être des conditions d'accueil de la jeunesse, lui permettant d'accéder à une véritable formation.

Preuve en est la promesse d'Allègre qu'il n'y aurait pas plus de 35 élèves, dans les classes préparant le baccalauréat. Plus qu'une promesse, dont on ne sait pas si elle sera tenue et quand, c'est une véritable formation.

Pour Allègre, il n'est donc pas question d'augmenter le nombre d'enseignants. Car il persiste à prétendre, contre toute évidence, qu'il y en aurait assez, mais qu'ils seraient mal répartis. Une façon de nier que les crédits sont insuffisants et de rejeter la responsabilité sur la lourdeur administrative de l'éducation nationale, qui serait trop centralisée. Ainsi donc sa tâche, sa mission, affirme-t-il, serait de réformer, de dégraisser le mammouth, selon l'élégante expression qu'il a utilisé, ce qui l'a rendu tristement célèbre, mais pas forcément populaire, y compris au-delà du milieu enseignant.

Allègre espère sans doute, par des roueries comptables qui relèvent d'un rafistolage laborieux, s'être tiré d'affaire. C'est à voir. En tout cas, il faut souhaiter que les lycéens ne s'en laisseront pas compter. Car la réponse des lycéens sera donnée dans les jours qui viennent et à la rentrée, ou dans les prochains mois. Car ce dont les lycéens ont besoin, ce n'est pas d'une réforme de plus, mais d'enseignants en nombre suffisant, des locaux décents et du matériel adapté !

Allègre propose, en même temps d'alléger les programmes, ce qui signifierait un enseignement au rabais. Pour les enfants des classes populaires, déjà inquiets à juste titre pour leur avenir, cela se traduirait par une culture encore moins capable de les aider à faire face à l'évolution des techniques et des emplois. Réduire le nombre des cours, c'est aussi réduire le nombre d'enseignants et dissocier ainsi les revendications des lycéens de celles des enseignants, afin de dresser les uns contre les autres. La manoeuvre n'a pas marché. Et il faut s'en réjouir.

La protestation des lycéens concerne les travailleurs. Et à double titre. Ce sont les lycées destinés aux enfants des classes populaires qui souffrent le plus du manque de matériel et d'enseignants. Et surtout, le mouvement des étudiants exprime, au fond, ce qu'expriment les mouvements des cheminots qui réclament des embauches : une réaction contre le fait que l'État sacrifie de plus en plus les besoins de la collectivité pour consacrer toujours plus d'argent au grand patronat et donner des avantages aux plus riches.

Dans une période où le chômage est catastrophique, le simple bon sens dicterait que l'État consacre une part de croissance du budget à créer des emplois dont l'utilité ne peut être contestée par personne. Eh bien, non, l'État continue à réduire les effectifs de la SNCF, à supprimer des lignes de chemins de fer, à transformer des gares de banlieue en déserts le soir venu ; à fermer des hôpitaux et des maternités de proximité, à supprimer des emplois dans le secteur hospitalier ; à sacrifier l'éducation des enfants des classes populaires.

Et pendant que cette politique dégrade les services publics et aggrave le chômage, le projet du budget en discussion en ce moment à l'Assemblée nationale accorde quarante milliards de plus au grand patronat, maintient l'imposition des grandes entreprises à un niveau inférieur à ce qu'il était du temps de Giscard, politicien de droite, et continue à accorder aux riches des dégrèvements fiscaux même pour payer leurs domestiques. La modeste proposition d'intégrer les tableaux de maître dans l'impôt sur les grandes fortunes, venue pourtant de sa propre majorité, a été refusée par le gouvernement, alors que cet impôt rapporte moins à l'État que la redevance TV.

Contre les intérêts de la majorité de la population, ce gouvernement, comme ses prédécesseurs, choisit clairement les privilèges de la minorité riche.

Jusqu'à ce que le couvercle explose et que les travailleurs eux-mêmes se retrouvent dans la rue, comme l'on fait en masse les lycéens. Ces derniers n'ont pas réussi à faire vraiment reculer le gouvernement pour l'instant du moins. Mais leur mouvement a réussi au moins une chose : à l'inquiéter et à obliger Allègre à reconnaître qu'il y avait des problèmes réels et profonds, contrairement à ses déclarations fanfaronnes du début de l'année scolaire.

C'est un souhait, et c'est une nécessité pour contraindre l'État à utiliser son argent pour créer des centaines de milliers d'emplois utiles dans l'enseignement, dans les transports, dans la santé. C'est surtout une nécessité pour lui imposer une politique visant à prendre sur les bénéfices des grandes entreprises et la fortune des riches de quoi résorber le chômage et assurer des services publics digne de ce nom.


Lutte ouvrière du 30 octobre 1998.

On ne peut pas lutter contre le chômage en étant au service du patronat.

Le sommet des chefs d'États et de gouvernement européens, qui s'est tenu le week-end dernier en Autriche, a été l'occasion pour toute la presse de nous promettre des lendemains radieux. Pensez-donc, ils seraient tous d'accord pour dire (cela ne leur coûte pas cher) qu'il faut développer « l'Europe sociale » (ce qui ne veut évidemment rien dire), et pour cela la seule mesure concrète annoncée serait une baisse des taux d'intérêt, dont les commentateurs nous affirment aussitôt qu'elle favoriserait la reprise économique et permettrait donc de lutter contre le chômage.

Mais ce n'est pas la première fois que les taux d'intérêt baisseraient depuis que le chômage sévit à grande échelle. Et cela ne s'est jamais traduit dans le passé par un recul du chômage. D'ailleurs, la baisse des taux d'intérêt, cela peut tout aussi bien faciliter la spéculation financière (en permettant à ceux qui spéculent déjà d'emprunter à bas prix pour jouer en bourse) que des investissements productifs.

En fait, les raisons de ces discours optimistes et soi-disant sociaux sont bien plus à rechercher dans le fait que nous nous rapprochons des élections européennes de 1999, que dans la réalité économique.

Tous les pays de l'Union européenne connaissent un taux de chômage important, le développement du travail précaire et des « petits boulots », une véritable régression sociale. Et cela n'est pas dû à une quelconque fatalité économique. Cela est dû au fait que dans toute l'Europe, depuis vingt-cinq ans, pour maintenir ses profits malgré le ralentissement de l'expansion économique, le grand patronat, avec l'appui de tous les gouvernements, quelle qu'ait été la couleur politique dont ils se réclamaient, a eu la même attitude.

Partout, sous prétexte de reconversion, on a licencié à tour de bras. On n'a pas seulement fermé des entreprises que leurs propriétaires n'estimaient plus rentables (mais qui auraient pu produire à prix coûtant des biens utiles à la population). On a aussi jeté à la rue des milliers de travailleurs pour faire effectuer la même production par des effectifs moins nombreux, astreints à des cadences de travail plus élevées, à des horaires parfois déments, à des conditions de travail dégradées. Et tout cela a signifié une baisse du niveau de vie de tous les travailleurs, non seulement de ceux qui se retrouvaient réduits au chômage, et parfois à la misère, mais aussi de ceux qui avaient gardé ou retrouvé un emploi.

Et certains commentateurs de nous expliquer qu'à présent que les gouvernements des plus grand pays européens (l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie, la France…) se réclament du socialisme, cela va inéluctablement donner un caractère « social » à l'Europe et permettre de lutter contre le chômage !

Mais pour lutter contre le chômage il faudrait en avoir la volonté réelle, être prêt, pour créer les millions d'emplois nécessaires, à prendre l'argent là où il est, dans les coffres de tous ceux qui depuis des années ont justement profité du chômage pour engranger des profits supplémentaires. Et cela Jospin (comme les dirigeants socialistes des autres pays européens), s'est bien gardé de le faire, depuis près d'un an et demi qu'il est au gouvernement. Il a au contraire poursuivi la politique qui a été celle de tous les gouvernements socialistes des deux septennats de Mitterrand, et qui consistait à multiplier les aides et les subventions de toute sorte au grand patronat. Politique qui a aussi été celle des gouvernements de droite.

Une Europe sans frontière et sans chômage, oui, ce serait une belle chose. Mais ce ne sont évidemment pas les politiciens qui font profession de défendre les profits capitalistes qui la construiront. Elle ne pourra naître que le jour où les travailleurs de tous les pays d'Europe ôteront aux financiers, au grand patronat, le pouvoir de contrôler toute l'économie au détriment de tous les peuples.