Article de M. Edouard Balladur, Premier ministre et candidat à l'élection présidentielle 1995, dans "Profession Politique" du 7 avril 1995, sur ses propositions en matière économique et sociale, intitulé "je veux rendre aux Français confiance en eux-mêmes".

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Média : Profession politique

Texte intégral

Depuis vingt ans notre pays est confronté à l'une des plus grandes crises de son histoire. Tout au long de ces années, les inégalités se sont creusées, les plus fragiles ont souvent eu le sentiment de rester au bord du chemin, les liens au sein de notre société ont pu se distendre.

Trop souvent attirés puis déçus par des promesses qui n'étaient que des illusions, de nombreux Français ont cessé d'espérer. Ils en sont venus à douter.

Je veux rendre aux Français confiance en eux-mêmes et dans la France.

Cette ambition est grande, mais elle est à portée de la France à condition que l'on fasse confiance aux Français et qu'ensemble nous entreprenions de profondes réformes.

Il faut éviter deux écueils. Celui du statu quo qui a conduit aux blocages actuels de notre société et celui du changement brutal que les Français ne comprennent et ne souhaitent pas. C'est souvent, au travers de ses soubresauts, le plus sûr chemin vers l'immobilisme.

Quelles méthodes proposer pour une réforme résolue mais acceptée par le plus grand nombre ? Il s'agit de faire des Français de vrais acteurs du changement.

Dialogue et participation

Ces réformes seront possibles si trois conditions sont réunies :

– une condition politique : c'est un pouvoir réunifié et stable, après deux ans de cohabitation où tout n'a pas été possible pour redresser notre pays ;
– une démarche d'équité qui inspire toutes les réformes que je propose aux Français ;
– une méthode qui repose sur la participation de chacun à la réforme. C'est la seule méthode moderne qui vaille.

Le temps passé à écouter, à expliquer, à dialoguer, c'est avant tout du temps gagné pour l'action.

Cette volonté de travailler ensemble doit s'appliquer à la vie publique dans la société comme dans l'entreprise.

Tous ceux qui prônent une autre voie prétendument plus volontariste ne sont pas animés de la même volonté de dialogue et de participation. Ils ne pourront rencontrer que l'incompréhension, voire l'hostilité.

Quels sont les principaux axes de mon projet ?

Tout d'abord retrouver le chemin de l'emploi.

Le chômage est le premier facteur d'exclusion. Ici aussi, il n'existe pas de solution miracle. Les marchands d'illusion ne pourront durablement tromper les Français.

En prenant la responsabilité du gouvernement en 1993, je m'étais engagé à stabiliser le chômage qui augmentait de 30 000 personnes pas mois.

C'est désormais chose faite. Ce premier succès montre que l'action que j'ai engagée est efficace. Il est, me semble-t-il, le gage de la crédibilité de mes propositions.

Pour l’avenir, mon objectif est de réduire le nombre de chômeurs d'au moins 200 000 par an. Il s'agit d'un minimum, et je suis sûr qu'avec le redressement engagé, la situation s'améliorera plus rapidement. Enfin, j'entends consacrer un vrai droit à une deuxième chance afin d'offrir à cha­cun l'opportunité de se réorienter ou de prendre un nouveau départ dans la vie.

Mon second objectif est de conforter le modèle français de protection sociale. Après avoir sauvé la sécurité sociale de la faillite en 1993, il faut poursuivre dans la voie de la maîtrise des dépenses. Ceux qui prétendent le contraire ne peuvent que menacer notre système de protection sociale : ils devront accepter une baisse des prestations et de nouveaux prélèvements, qui pénaliseront toujours les plus faibles.

C'est une démarche de responsabilité que je propose aux Français.

Elle passe par une meilleure gestion de l'hôpital tout en garantissant l'égal accès aux soins.

C'est également une solidarité plus forte à l'égard des plus fragiles et notamment les personnes âgées dépendantes.

Je souhaite ensuite réconcilier le citoyen et l'État.

Il s'agit tout simplement de faire de la réforme de l'État l'exemple de notre volonté collective et le témoignage de notre capacité à réformer la société et l'économie.

Renforcer le rôle du citoyen

Je souhaite tout d'abord renforcer le rôle des citoyens au travers de l'extension du champ du référendum aux questions de société. Je souhaite faire une plus grande place aux femmes dans la vie publique. Les pouvoirs locaux, qui sont devenus trop complexes, devront retrouver une meilleure lisibilité et efficacité.

Enfin, il faudra encore conforter l'indépendance de la justice, égale pour tous et efficace et mieux protéger le secret de l'instruction et les droits fondamentaux. Je propose à cet égard de permettre à chaque citoyen de saisir le Conseil Constitutionnel s'il estime qu'on veut lui faire application d'une loi contraire à la Constitution.

Ces actions seraient partiellement vaines si notre société continuait à se déshumaniser.

La consultation de la jeunesse a clairement montré qu’au-delà de la satisfaction de légitimes besoins, chacun souhaite avant tout être reconnu, s'exprimer et participer à ces actions d'intérêt général. Nos politiques publiques doivent tenir compte de ces aspirations et lutter contre tous les facteurs de déshumanisation, qui sont autant de facteurs d'exclusion.

Enfin, je souhaite que la France soit le moteur de l'Europe et que sa place soit confortée dans le monde.

L'Europe est d'abord une chance pour la France. Dans les prochaines années, trois défis sont à relever : ils concernent la monnaie européenne, l'élargissement de l'Union et l'adaptation de ses institutions, enfin le renforcement de la défense européenne.

Tous ces enjeux sont autant de défis que nous saurons réussir ensemble.

Les Français ont soif de réformes : ils souhaitent aussi, à juste titre, être davantage respectés, informés, consultés. Ils veulent plus de vérité.

La réforme de notre société est la condition de sa cohésion. Si demain elle est conduite dans le dialogue, il n'y aura pas deux France, l'une contre l'autre, mais une seule nation mobilisée pour son avenir commun.