Interviews de M. Eric Raoult, ministre chargé de l'intégration et de la lutte contre l'exclusion, dans "Le Parisien" du 17 juillet 1995 et à France-Inter le 2 août, sur ses priorités pour les banlieues et les mesures préconisées pour lutter contre l'insécurité (notamment déplacement des familles "à problèmes" dans une autre cité).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Le Parisien - France Inter

Texte intégral

Le Parisien : 17 juillet 1997

Le Parisien : Quelles seront vos priorités pour tenter d'apaiser la fièvre des banlieues ?

Éric Raoult : Trois priorités majeures : l'emploi, l'école et l'habitat. Exploiter tous les gisements d'emplois, et là, engager un débat pour dépasser le RMI et le CES. L'école : nous avons déjà réfléchi aux problèmes de zones d'éducation prioritaire. Mais maintenant il faut en modifier la géographie et chercher de nouvelles pistes. L'habitat : les cités sont des lieux où l'on dort. On a oublié que pendant des années, dans la Cité radieuse, il y avait tout à la fois. Pas que du béton : de l'activité avec des jeunes, des anciens.

Le Parisien : Vous êtes le septième ministre attaché à la politique de la Ville, que pouvez-vous faire que vos prédécesseurs n'ont pas fait ?

Éric Raoult : Il faut augmenter les effectifs dans les services publics et obtenir des moyens supplémentaires. Repréciser les tâches avec les chefs de projets, les sous-préfets à la ville. Établir un plan sur trois, cinq et dix ans, organiser la relation de travail avec la commune dans le cadre des contrats de plan et de la région, et expliquer ce que l'État veut faire dans la lutte contre l'exclusion, comme l'a rappelé vendredi le président de la République.

Le Parisien : Avez-vous vu « la Haine », le film de Mathieu Kassovitz ?

Éric Raoult : Je l'ai vu trois fois. La dernière, c'était lors d'une projection privée avec le Premier ministre qui m'avait demandé d'y assister.

Le Parisien : Comment a-t-il réagi ?

Éric Raoult : Il a été marqué. Il a d'abord, par sa connaissance du terrain dans le XVIIIe à Paris, et à Bordeaux, une conscience urbaine. Il sait ce qu'est la fracture sociale. À la fin de ce film, on n'entend plus une mouche voler. C'est un filin qu'il ne faut pas laisser seul, Il faut qu'il y ait ensuite un débat avec des jeunes, et en particulier sur l'usage des armes. Il faut dire, aussi, qu'on ne voit pas le père dans ce film. On voit les mamans, mais aucun des pères.

Le Parisien : Quel enseignement en avez-vous tiré ?

Éric Raoult : Une leçon : si on s'occupe pas de la banlieue, c'est la banlieue qui s'occupera de l'actualité. C'est pour cette raison qu'il faudra une très forte mobilisation. Expliquer ce que sont la tolérance, le respect et faire comprendre que les policiers sont aussi des pères de famille.

Le Parisien : Que pourrez-vous entreprendre en urgence pour tenter de dissiper ce malaise entre les jeunes et la police ?

Éric Raoult : Je travaille avec le ministre de l'Intérieur. Car quand le drame se produit, il est vrai que c'est rarement dans un milieu rural ou dans les beaux quartiers niais plutôt dans un lieu de pauvreté, donc d'exclusion. Il faut intervenir et instaurer le dialogue. Cela dit, on ne peut pas accepter des tentatives d'incendie contre un commissariat ou que des policiers se fassent tabasser, comme à Cergy-Pontoise ou L'Haÿ-les-Roses. On ne peut tolérer ce climat d'impunité.

Le Parisien : Alors, quelles solutions précises ?

Éric Raoult : Il faut, d'une façon ou d'une autre, œuvrer par procédure d'éloignement. Renforcer les moyens qui ont été ceux de la protection judiciaire de la presse mais qui n'ont pas évolué. Pendant des années, il y avait des caïds, des durs. Aujourd'hui, ce sont des tout-petits qui font n'importe quoi.

Le Parisien : Comment cela se traduira ?

Éric Raoult : Nous avons des maisons de justice, nous disposons de moyens autorisés par la chancellerie pour améliorer la justice de proximité, Nous pouvons donc, dans un certain nombre de cas, obtenir des clauses résolutoires dans les baux pour faire en sorte qu'une famille qui pose problème dans un quartier soit transplantée dans une autre cité. Nous nous déplaçons beaucoup sur le terrain, nous y sommes allés à vingt et une reprises depuis que j'ai pris mes fonctions. Dans les semaines qui viennent, nous serons dans le Gard, le Haut-Rhin, etc. Je crois qu'il est important de comprendre que les problèmes de h ville ne sont plus seulement à Montfermeil, Mantes-la-Jolie ou Vaulx-en-Velin.

 

France Inter : Mercredi 2 août 1995

C. Saramito : Qui doit-on écouter aujourd'hui, le E. Raoult qui s'est fait connaître en disant notamment : « Où sont les pères dans les banlieues ? » ou bien celui qui, récemment, a fait un peu scandale en parlant de déplacer les familles indésirables ?

Éric Raoult : Le Premier ministre a eu une excellente phrase : le problème des villes ne pourra pas être résolu qu'avec de la générosité mais de la fermeté. De la générosité, c'est de la psychologie, de la compréhension, ce sont des opérations « Villes-vie-vacances », l'accompagnement social, l'animation des jeunes. Mais il y a aussi la fermeté. Et il y a des lieux de haute insécurité, il y a des jeunes qui se conduisent très mal, il y a de la drogue, des agressions, des viols, de la prostitution, c'est aussi l'autre réalité d'un certain nombre de quartiers difficiles.

C. Saramito : Quel est l'E. Raoult qui l'emporte, celui qui se pose des questions psychologiques ou celui qui veut donner la force pour qu'on se débarrasse des indésirables ?

Éric Raoult : Je pense que l'un ne peut pas aller sans l'autre. Quand je suis intervenu sur ce problème des familles, on m'a dit : cela n'est pas possible et cela n'existe pas. Malheureusement, on s'est aperçu que ce n'était peut-être pas la solution unique mais que cela existait, des familles difficiles et que les expulsions étaient malheureusement le pis-aller.

C. Saramito : Vous ne regrettez pas votre déclaration ?

Éric Raoult : Je ne la regrette pas parce que c'est plutôt celle de quelqu'un qui vit sur le terrain, qui a rencontré, depuis qu'il s'occupe de ce dossier, des dizaines et des dizaines de personnes. Il faut qu'un certain nombre de parents se disent : « Il y a un tabou, il y a des choses que je ne peux pas laisser faire. Et mon rôle de père, de mère, c'est aussi de maintenir dans cette cité, dans ce quartier, un minimum de calme ».

C. Saramito : Justement, ces rôles nous ramènent à votre déclaration : où sont les pères dans les banlieues ?

Éric Raoult : J'avais fait cette remarque et bien souvent on entend les jeunes dirent : « Ta mère ! Ta sœur », et c'est vrai que le père ne réintervient pas dans leurs discours. C'était une constatation par rapport au film « La Haine ». Et puis la seconde remarque, c'est vrai que bien souvent, le père n'est plus une référence dans le foyer, la famille, il n'a plus de boulot, il n'a plus l'autorité suffisante pour imposer à ses mômes la nécessité de revenir le soir faire ses devoirs.

C. Saramito : Ça veut dire que les mères vont pouvoir tenir ce rôle paternel et dans combien de temps ?

Éric Raoult : Je crois que les femmes ont un rôle majeur à jouer. C'est notamment dans un certain nombre de familles d'origine étrangère, le rôle des femmes relais. Ces femmes de 30 à 50 ans qui reprennent le pouvoir, qui sont les seules avec les policiers, les enseignants, les élus à avoir un minimum d'autorité à l'égard d'une cité où ce sont les enfants qui sont devenus rois.

C. Saramito : Vous pensez à ces expériences à Marseille où les femmes sont descendues dans la rue contre les dealers ?

Éric Raoult : À Marseille, Mulhouse, en banlieue parisienne, Lyon. Ce sont souvent ces mêmes visages de femmes d'origine maghrébine qui sont des femmes remarquables parce qu'elles savent que la société française, l'intégration, elles veulent leur donner une signification parce qu'elles voient ce qui se passe dans leur pays d'origine. Je crois que ce sont des symboles d'intégration, des symboles de réussite, qu'il convient bien souvent de trouver comme remplacement des pères qui sont disparus.

C. Saramito : Votre politique, c'est aider ces femmes ou à ce que les pères retrouvent une certaine autorité. Je pense à la proposition de SOS-Racisme : plutôt que de mettre des gros bras dans les supermarchés, on devrait mettre des pères de famille.

Éric Raoult : Ce n'est pas simplement une proposition de SOS. C'est une idée qui est mise en œuvre dans un bon nombre de lieux, souvent d'ailleurs plutôt au niveau scolaire. Il s'agit de restaurer l'adulte dans sa capacité d'autorité.

C. Saramito : Mais pour un vrai boulot ou pour ces fameux boulots qui ont été très controversés, ces autres formes de RMI que vous voudriez remettre en route.

Éric Raoult : Non, je ne veux pas remettre en route ni en cause, quoi que ce soit. Pour le moment, pour un certain nombre de ces pères, c'est le contrat emploi solidarité. Le gouvernement a proposé que le contrat initiative-emploi soit justement à destination de ces chômeurs de longue durée, à ces papas dont le rôle est dévalorisé pour qu'ils puissent retrouver bien souvent, la voie de l'entreprise.

C. Saramito : Une des réponses a été : plus de policiers sur place. J'aimerais savoir si ces policiers vont être formés à ces différents rôles, père, mère...

Éric Raoult : Beaucoup de policiers sont formés mais parfois ils sont considérés aussi par leurs collègues comme de faux flics, en disant : « C'est bien sympa d'aller jouer au foot ou de tirer à l'arc avec les mômes des banlieues mais tu perds ton rôle de flic, tu perds ton rôle d'autorité ».

C. Saramito : Des femmes-flics, vous y pensez ?

Éric Raoult : Il y a beaucoup de femmes-flics qui sont tout à fait admirables. Il y en a entre 10 et 15 %.

C. Saramito : On aimerait savoir quel genre d'homme vous êtes. On a entendu des choses un peu bizarres de la part de l'une de vos collègues du gouvernement à qui vous avez dit que vous étiez long et qu'il ne fallait pas vous marcher sur les pieds. Vous êtes un peu macho, vous utilisez la force ?

Éric Raoult : Non. C'était un brin d'humour dans la mesure où c'était la création d'un gouvernement. Je suis plutôt grand, F. de Veyrinas est plus petite que moi.

C. Saramito : Vous pensez qu'elle a apprécié l'humour ?

Éric Raoult : Sur le coup, non, mais après, elle s'est aperçue que je n'avais pas dit ça méchamment et qu'en l'occurrence, travailler ensemble, c'est une complémentarité.

C. Saramito : Si vous étiez Premier ministre et que vous pouviez choisir vos collaborateurs, vous prendriez aussi beaucoup de femmes ?

Éric Raoult : Je crois que le choix d'A. Juppé a été intelligent.

C. Saramito : Ce ne sont pas des femmes alibis ?

Éric Raoult : Non, ce sont des femmes de grande qualité. Et puis c'est souvent un peu comme cela, même au niveau local. J'ai souhaité quelque chose à ma juste mesure, c'est-à-dire que dans mon conseil municipal, sur 33 candidats, j'avais 18 femmes. Les femmes ne doivent pas être un alibi, une caution mais au contraire, on doit leur donner le plus de rattrapage, on doit faire un peu de discrimination positive. Lorsque l'on fait une réunion, une femme apporte souvent un rôle de relativisation si l'on peut dire dans un certain nombre de domaines financiers, statistiques. Une femme apporte souvent un bon sens de terrain qu'un certain nombre d'hommes ont oublié. Une femme dans une banlieue, et j'en connais qui sont maires, chefs de projet, ont souvent des réponses calmes, pondérées, et c'est parfois ce qui manque aux hommes.

C. Saramito : Et si vous aviez un ministre de l'Intérieur qui soit une femme, ça changerait quelque chose ?

Éric Raoult : Pourquoi pas. Ce serait peut-être une expérience à avoir. Nous avons eu une Premier ministre femme.

C. Saramito : Il ne faudrait pas lui souhaiter le sort d'E. Cresson qui a été sacrément malmenée. Vous avez appartenu à ceux qui huaient ?

Éric Raoult : C'est vrai. Je ne faisais pas partie de ceux qui huaient, j'appartenais plutôt à ceux qui admiraient M. Aubry et je crois savoir que les coups les plus durs qui ont été portés à E. Cresson venaient plutôt de son camp.