Interview de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, dans "Marchés tropicaux" du 2 octobre 1998, sur les relations entre l'ONU et l'Afrique, les problèmes de sécurité de l'Afrique, l'aide au développement et les relations entre la France et la République démocratique du Congo.

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Média : Marchés tropicaux

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MTM. - Depuis plusieurs mois, on parle beaucoup de l'Afrique aux Nations Unies. Or, la situation politique sur le terrain se dégrade sans que l'ONU n'ait les moyens de réagir. Qu'attendez-vous de la réunion de haut niveau du conseil de sécurité sur l'Afrique ?

C. J. - Je juge positif que les Nations Unies fassent le choix de porter un regard particulier sur l'Afrique, car c'est un continent qui est à l'écart, même si des résultats positifs ont été enregistrés en Afrique de l'Ouest. Lors de la réunion de haut niveau sur l'Afrique au conseil de sécurité, nous avons assisté à un exercice consensuel. Là où je partage votre réserve c'est qu'entre les discours tenus et les décisions observées en matière d'aide publique au développement, par exemple, il y a un écart. Le ministre des affaires étrangères britannique, par exemple, a fait un discours très volontariste, alors que l'aide publique britannique a sensiblement baissé ces dernières années. Espérons que les futurs choix budgétaires du Royaume-Uni et des autres pays pourront donner du crédit aux propos tenus lors de cette réunion.

MTM. - Les pays occidentaux semblent soulagés de voir les pays africains prendre en main la résolution des crises sur le continent. Y aurait-il des limites ?

C. J. - Il ne faudrait pas que le discours que nous tenons aux Africains, les encourageants à prendre en main leur propre sécurité, les incite à intervenir de manière trop systématique. C'est bien qu'ils prennent en charge ce problème, mais ce serait bien qu'ils n'oublient pas les grandes instances chargées de ces questions, l'OUA mais aussi le conseil de sécurité, qui mériteraient au moins être informées, voir d'être interrogées pour qu'elles puissent donner un mandat. Or, un certain nombre d'initiatives ont été prises sans que les procédures ne soient respectées. On est un peu loin de la charte des Nations Unies. On doit pouvoir à la fois prendre des mesures dans les délais nécessairement courts, car plus vite on intervient, plus on empêche le conflit de se développer. Mais le souci de gagner du temps au niveau des procédures, ne doit pas forcément justifier que l'on court-circuite les procédures habituelles d'implication des grands organisations.

MTM. - Et si les pays africains en venaient, par exemple, à remettre en question les frontières actuelles, quelle serait la réaction des pays occidentaux ?

C. J. - C'est une hypothèse que je me refuse pour l'instant à accepter comme inéluctable même si je reconnais que la situation est toujours préoccupante. Mais c'est bien parce que nous nous en soucions que nous avons proposer une conférence sur les Grands Lacs à laquelle les acteurs, d'abord les pays concernés mais aussi les pays riverains et les pays occidentaux puissent participer. Elle ne s'est pas tenue jusqu'à présent parce que tous n'étaient pas d'accord, à commencer par les États-Unis. Mais nous restons persuadés qu'ils se rendront à nos arguments. La manière dont les choses se passent sur le terrain, devrait les convaincre. Mes interlocuteurs africains pensent quant à eux que l'évolution de la situation donne du crédit à cette conférence. Kofi Annan en a d'ailleurs fait allusion. Mais je n'ai pas reçu de réponses claires de la part du ministre des affaires étrangères de la République Démocratique du Congo.

MTM. - Quelles sont les relations entre la France et la RDC aujourd'hui ?

C. J. - Jusqu'alors, il n'y avait pas de coopération d'Etat à Etat. C'est par l'entremise des ONG que la France a tout de même continué de témoigner sa solidarité aux populations congolaises, en accordant une enveloppe d'une vingtaine de millions de FF. J'ai entendu des ministres congolais confirmer l'attachement de la RDC à la francophonie et exprimer l'envie d'une meilleure relation avec la France. Je pense que les conditions d'un dialogue renouvelé avec la RDC pourraient être réunies prochainement, pour peu qu'un certain nombre de signes positifs nous soient adressés. Je pense notamment à la question de notre ambassadeur de même qu'à la confirmation de l'enclenchement d'un processus démocratique auquel nous sommes attentifs et qui sera certainement une des questions que l'Europe posera lorsqu'il s'agira de reprendre le soutien économique à la RDC. Il ne faudrait pas que l'on se retrouve dans la situation de l'an dernier où la réunion « amis du Congo » avait conclu positivement à un soutien important à ce pays mais les conditions politiques n'avaient pas été remplies. Certes, la démocratie ne se proclame pas. Il faut du temps. Mais il faut au moins que le processus soit mis en marche. J'ai dit à mes interlocuteurs congolais que nous voudrions aussi que sur le terrain, il n'y est pas une « chasse au faciès ». Je leur ai également dit que pour créer les conditions d'une paix durable, tous les acteurs, y compris les rebelles devaient être associés à sa réflexion.

MTM. - L'Union européenne a pris position à plusieurs reprises pour une levée de l'embargo au Burundi. Qu'est-ce qui empêche la levée de l'embargo aujourd'hui ? Quelle est la position de la France sur cette question ?

C. J. - On attend généralement du médiateur qu'il prenne une position médiane. Ce qui n'est pas complètement le cas au Burundi. C'est en effet sur les recommandations de Julius Nyerere dont le rôle important dans la recherche d'une solution aux conflits de cette région et la stature internationale justifie qu'il soit écouté, que les pays riverains n'ont pas jugé bon de lever l'embargo. C'est une position que nous ne partageons pas. Nous avons le sentiment que le major Buyoya a fait ce que l'on attendait de lui. Ce qui ne nous empêche pas de maintenir une pression amicale sur lui. J'espère maintenant que l'on va pouvoir lever un embargo qui n'a pas fait beaucoup avancer le processus sur le plan politique, a accu les souffrances des populations civiles et a été un obstacle au développement de cette région.