Texte intégral
Q - La crise du porc : L'État français a débloqué 250 millions de francs, la Communauté européenne annonce qu'il y aura 100 000 tonnes d'aides alimentaire, de viande porcine envoyée à la Russie : est-ce que cela va suffire pour dénouer cette crise du porc ?
« Je ne sais pas si cela va suffire, mais en tout cas cela va dans le bon sens. Il y avait les mesures nationales, celles que nous avons pris au plan français – d'abord mon prédécesseur M. Le Pensec et puis moi-même il y a quelques jours – pour aider les agriculteurs, en particulier les plus petits, ceux qui souffrent le plus de la crise, à passer ce cap en termes de trésorerie, de reports de charges sociales ou d'annuités d'emprunts. Et puis, il y a les mesures européennes qui ont été prises, hier – j'étais à Bruxelles pour parler avec le Commissaire européen, M. Fischer – et ces mesures vont dans le bon sens puisqu'elles permettent de dégager le marché, c'est-à-dire qu'elles permettent des exportations vers la Russie dans le cadre de l'aide alimentaire. Cela va permettre à la fois l'export et le stockage puisque les gens vont pouvoir recommencer à stocker sachant qu'il y a de l'exportation derrière. Et ceci est très positif parce que je pense que cela va permettre de remonter le cours. Mais cela ne suffit pas : il y a encore deux mesures qu'il faut prendre : des mesures de réduction de l'offre, qui sont à l'étude du côté de la Commission. Nous en reparlerons au Conseil des ministres de l'Agriculture le 23 et 24. La réduction du cheptel ou la réduction du poids des carcasses sont des mesures techniques sur lesquelles je ne veux pas m'appesantir, mais qui sont des mesures qui vont encore améliorer les marchés. Et puis, troisième volet, il faut donc prendre des mesures de maîtrise de la production. Il faut, en pleine crise, regarder devant nous. Il ne faut surtout pas que ce type de crise revienne dans quatre, cinq ou six ans, de manière cyclique ».
Q - Sur les 100 000 tonnes destinées à la Russie, quelle sera la part des exportations pour la France ?
« On ne peut le dire de manière précise, mais de toute façon la crise est européenne, et donc la solution est européenne. Et la France bénéficiera d'une large part de cette aide européenne et de cette exportation vers la Russie. De toute façon, la France va pouvoir reprendre son mouvement de stockage. Les stocks en France sont anormalement bas parce que, justement, les stockeurs privés n'ont pas d'espoir à l'exportation, n'ont, en tout cas, pas de prévisions à l'export. Le fait que cette décision européenne soit annoncée va pouvoir permettre de reprendre le mouvement de stockage et donc probablement de soulager les cours. »
Q - Donc, réformer le marché du porc. Il y a 20 000 éleveurs en France. Est-ce que cela veut dire qu'il faut diminuer le nombre d'éleveurs, ou qu'il faut diminuer le nombre de cochons ?
« Cela veut dire qu'il faut maîtriser la production. C'est cela qui est très nouveau dans cette crise. Pour la première fois, cette idée de maîtrise de production vient dans la conversation et dans les propos, y compris des éleveurs eux-mêmes et de leurs fédérations, de leurs responsables professionnels. Cela se dit en France. Cela se dit aussi au niveau européen – j'en ai parlé aussi, hier, avec M. Fischer, le Commissaire européen. Surtout, nous devons avoir la responsabilité de dire : puisque nous sommes dans la crise, traitons cette crise. Mais pensons à éviter une autre crise dans quelques années. Donc, maîtriser la production, cela veut dire effectivement prendre des mesures de façon à ce qu'on ne fasse pas un peu n'importe quoi, n'importe où, n'importe comment, mais qu'on aille vers une maîtrise quantitative et aussi qualitative. Parce qu'il y a besoin d'une maîtrise qualitative et environnementale. Bref, il y a tout un plan de mesures que l'on va discuter le 23 et 24 novembre. »
Q - Qu'est-ce que cela peut-être ? Des mesures d'abattage avec des primes, des choses comme cela ?
« Des mesures d'abattage, ce sera des mesures conjoncturelles – c'est ce qu'on appelle la réduction de l'offre. Cela va permettre de traiter la crise d'une manière conjoncturelle – comme celle que nous vivons en ce moment. Les mesures de maîtrise c'est permettre de regarder plus loin pour savoir comment ne pas repartir dans cette course folle à la production et à la productivité pour que nous ne retrouvions pas une crise dans quatre ans. »
Q - C'est contrôler l'installation des nouveaux éleveurs et éviter que les élevages ne… ?
« Oui, mais le faire de manière plus draconienne et des plus rigoureuses, de façon à ce qu'on soit bien cadré, et que l'on ne fasse pas n'importe quoi. »
Q - Le Conseil des ministres de l'Agriculture, au niveau européen, doit aussi décider, si oui ou non on lève l'embargo sur les exportations de viande de boeuf britannique. Le comité vétérinaire, la semaine dernière, n'avais pas pu se prononcer véritablement là-dessus. Qu'en pensez-vous : il faut en terminer avec cet embargo ou pas ?
« Je pense à la fois qu'il ne faut pas fermer la porte brutalement au nez de nos amis britanniques qui sont membre à part entière de l'Union, mais en même temps – et, bien qu'on ne peut pas dire : non, jamais, on ne lèvera l'embargo sur la viande bovine britannique ! – cette crise de la vache folle a été tellement douloureuse et a créé une telle angoisse, à la fois dans la population, chez les consommateurs et une grande partie des éleveurs, qu'on ne peut pas faire n'importe quoi. Moi, je suis toujours avec le Gouvernement français attaché au principe de précaution maximum. »
Q - Cela veut dire que, le 23 et 24, on ne lèvera pas forcément l'embargo comme on avait pu le penser ?
« Est-ce que nous avons toutes les garanties ? La commission dit que oui, c'est débattu parce que tout le monde n'est pas forcément d'accord avec ces garanties. Nous, Français, nous avons proposé que l'on fasse cette levée en deux temps. C'est-à-dire qu'on se mette d'accord, le 23 et 24, sur les conditions de levée de l'embargo et, ensuite, dans une étape ultérieure sur cette levée elle-même. Mais les Anglais font pression. Evidemment, les commissaires à la Commission européenne sont sensibles à cette pression. Donc, la décision n'est pas prise. Je suis, moi, avec le Gouvernement, attaché au principe de précaution. »
Q - Vous êtes ministre de l'Agriculture, mais aussi de la Pêche. Votre prédécesseur avait sur vous – si je puis dire – l'avantage d'être Breton. Cela plaît beaucoup aux pêcheurs. Vous allez les voir les pêcheurs, leur parler, eux qui, parfois, sont un peu abandonnés par les ministres de l'Agriculture ?
« Je ne m'appelle pas Le Pensec, donc évidemment mon nom ne résonne pas comme le sien dans le coeur de marins bretons. Mais, même si je suis élu du sud-ouest de la France et des Hautes-Pyrénées, en même temps mon coeur et mes origines sont bretonnes, et je suis marin moi-même. Donc, je connais ce monde pour l'avoir moi-même fréquenté. Je pense que je n'aurai pas de mal à lui parler. Je sais que les pêcheurs en Bretagne commencent à savoir – même s'ils ont perdu Le Pensec qui était un très grand ministre de la Mer, c'était leur ministre – n'auront pas affaire à un ingrat. »
Q - Question plus politique : que pensez-vous de la polémique sur le Chemin des Dames qui s'est développée avec les déclarations de Jospin, et la réponse du président de la République ?
« Je suis comme tout le monde, je pense que tous les Français sont un peu ahuris de cette polémique parce que le Premier ministre a dit des choses qui étaient des choses sages, de bon sens et des choses humaines. Il a parlé avec son coeur. On essaye de réintroduire dans la mémoire collective, ces personnes qui en étaient exclues depuis tant d'années. Et puis, là-dessus, s'annonce une polémique qui, à bien des égards, est déconcertante quand elle prend les excès de M. Séguin, hier. Parce que là, une fois de plus, je dirais que M. Séguin a pété les plombs. Il nous fait cette grosse colère comme il en fait régulièrement. Cela n'a pas de sens. Je pense que l'on doit traiter l'histoire de France avec plus de sagesse et de mesure. Je regrette beaucoup cette polémique. Mais bon ! Elle fait surtout du mal à M. Séguin et à ses amis. »
Q - La démission du président du Conseil constitutionnel ?
« Je suis de ceux qui ont toujours plaidé pour le respect des principes du droit. Donc j'aime le droit, et donc je considère que, les principes, ça s'appelle le secret de l'instruction, ça s'appelle la présomption d'innocence… et donc, ce n'est pas parce que ces principes sont violés, que moi, je dois les abandonner. Donc, je respecte le secret de l'instruction, je respecte la présomption d'innocence, et j'accepte et j'applique ces principes aussi bien à mes adversaires qu'à mes amis. Je n'ai pas de raison d'y déroger. »
Q - Donc Roland Dumas ne doit pas démissionner ?
« Il fait ce qu'il veut. Mais personne ne peut l'exiger. »