Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à RTL le 26 novembre 1998, sur sa personnalité et sa carrière politique.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Calme, retenue, sang-froid, discrétion, modération, ce n'est pas un hasard si J. Chirac l'apprécie autant que L. Jospin. Mais voila, l'homme n'aime pas être résumé, mais n'aime pas non plus se découvrir. Compliqué !

– "Peut-être de la pudeur. Je ne crois pas qu'il y ait un intérêt particulier pour un ministre des Affaires étrangères, à faire dans l'exhibitionnisme people, vous voyez !"

Q - Ce n'est pas votre genre, visiblement.

– "Ça ne m'horrifie pas, mais ce n'est pas mon genre spontanément. Je suis un peu à contre-courant de l'esprit de l'époque par rapport à ça."

Q - Vous donnez l'impression parfois de quelqu'un d'un peu raide ou lisse.

– "Lisse, c'est différent. Ça je peux comprendre, c'est que je suis plutôt d'humeur égale, d'après ce qu'on me dit."

Q - Pas de coups de gueule, jamais ?

– "Non. Quand je suis mécontent ou déçu, ça ne s'exprime pas comme ça."

Q - Comment ? Un peu à l'anglaise ?

– "Oui, plutôt. Plutôt par de la froideur. Mais raide, c'est autre chose. Je ne cherche pas à être raide. Je suis très ouvert à toute question, aussi transparent qu'on peut l'être."

Q - Pendant 14 ans de Mitterrand, vous avez été plutôt à l'ombre. Qu'est-ce qui vous est agréable l'ombre ou la lumière ?

– "Les métiers ne sont pas du tout les mêmes. C'est très contrasté. Dans la vie d'un ministre, ce qui est frappant – en tout cas dans ce poste ; mais c'est vrai de beaucoup d'autres – c'est que c'est extraordinairement théâtralisé. Ce que je veux dire par là, c'est que c'est un type de vie. Et le soir, vous pouvez être aussi vanné que quelqu'un qui aurait été sur les planches d'un théâtre toutes la journée. Vous voyez dans quel état il serait !"

Q - En langage pas diplomatique du tout, on dit, au Quai d'Orsay : il est aussi bien que Juppé, moins voyou que Dumas, et plus intelligent que Charrette. Vous continuez la phrase ?

– "C'est une jolie phrase."

Q - On dit que vous êtes très sur de vous. Vous êtes d'accord avec ça ?

– "Non, c'est un peu simpliste de dire ça."

Q - Chaque fois qu'on vous propose une image, vous dites non !

– "C'est l'idée qu'un être humain a le droit d'être complexe malgré tout. Et puis, ça dépend des sujets."

Q - Justement, qu'est-ce qui est le plus complexe chez vous ?

– "Je ne pense pas que je sois complexe, je pense que je suis éclectique. Chaque fois qu'on prend les choses par une lamelle de personnalité, je dis : oui, d'accord. Mais, il y a d'autres choses qui peuvent contrebalancer, équilibrer."

Q - Votre éclectisme peut aller de SAS à un voyage dans le Groenland pendant vos vacances ?

– "Oui, je me sens vraiment comme ça. Et je peux me trouver heureux dans une petite soirée à l'opéra, et puis en train de manger du cochon en Auvergne."

Q - On vous imagine plus à l'opéra qu'avec le cochon d'Auvergne.

– "Eh bien, justement, voila ! Un exemple de vision parcellaire."

Q - Il vous arrive d'être aveuglé par la passion ?

– "Sur quel plan ?"

Q - Dans la vie.

– "Oui, je suis un homme de passions, mais avec un "s"."

Q - Vous paraissez dans une maîtrise complète de vous-même, tout le temps.

– "C'est faux. Si vous arrivez à cette conclusion, c'est que vous n'avez pas mis en évidence l'inverse. Je connais mes tempêtes moi."

Q - En langage non diplomatique, est-ce qu'il vous arrive de péter les plombs ?

– "Non. Je peux être inquiet, je peux être déçu, très heureux, euphorique de joie devant telle ou telle situation ou réussite, mais ça n'affecte pas mon comportement en fait."

Q - Mais, quand vous êtes euphorique, vous êtes extraverti, vous le manifestez, ou là encore, c'est de l'intérieur ?

– " Je ne suis pas très extraverti, ça ne se manifeste pas beaucoup. Mais ce n'est pas une façon de se cadenasser. Je suis comme ça, je n'en ai pas spécialement besoin."

Q - Mais on a l'impression que les gens qui ne "sortent pas", ont des ulcères à l'intérieur, tellement ils retiennent.

– "Non, je pense qu'il y a des jubilations tranquilles."

Q - C'est votre cas ?

–"Sûrement."