Texte intégral
Q - Trois partielles perdues. Ça patine un peu pour la majorité plurielle ?
– « Nous n'avons pas perdu les partielles puisque, de toutes les façons, c'était des circonscriptions détenues déjà par la droite, par trois députés, qui avaient préféré aller vers le Sénat – le confort douillet du Sénat plutôt que de continuer à siéger, au nom de l'opposition, à l'Assemblée nationale. Donc résultat sans surprise, abstention forte. Mais on ne peut pas dire qu'il y ait là, un signe politique, puisque ces trois circonscriptions étaient de droite ; elles restent de droite. Et nous en déplorons peut-être le résultat, mais en même temps il était totalement attendu. »
Q - Il y a des bisbilles au sein de l'opposition, autour de P. Séguin. Néanmoins il y a un danger pour vous, parce que dans les sondages, une liste Séguin, et unique de l'opposition, serait largement devant celle du Parti socialiste.
– « Mais c'est un résultat, là encore, qui serait normal, attendu. Je ne veux pas dire qu'il nous satisferait, mais imaginez si le Parti socialiste, dont je suis le premier responsable, donc je voudrais qu'il fasse le meilleur score possible, arrivait à faire, à lui tout seul, plus que toute l'opposition réunie – c'est-à-dire : RPR-UDF-Démocratie Libérale ! Alors, ça serait véritablement un choc dans la vie politique française, puisque nous n'avons réussi à gagner les élections législatives, en 1997, qu'avec l'ensemble de la gauche plurielle. C'est-à-dire les communistes, les Verts, les Radicaux, le Mouvement des citoyens et les socialistes. Alors si, tout seul, maintenant, nous dépassions la liste dite de l'Alliance, de l'union de toute l'opposition, alors là, vraiment, ce serait une innovation en politique ! Donc, M. Séguin se fixe un objectif qu'il sait déjà pouvoir atteindre, parce que ce serait, j'allais dire, le score normal du RPR, de l'UDF et de Démocratie Libérale. Alors c'est bien de se faire des pronostics qu'on est sûr de gagner. Mais en même temps, ça n'amène pas grand-chose pour le lendemain du scrutin. »
Q - Vous redoutez le charisme Séguin ?
– « Pas du tout ; moi je ne redoute rien. L'impression plutôt que P. Séguin est un loup qui fait peur aux cabris, si j'ai bien compris, puisque lorsqu'il s'est exprimé, hier, P. Séguin, il s'en est pris violemment à ses amis de l'UDF. Nous, on n'y est pour rien. On n'est pas dans ce rôle… »
Q - Il s'en prend violemment à vous aussi, de temps en temps…
– « Oui, vous avez raison. C'est son tempérament ; il ne peut pas s'empêcher de faire dans la douceur. Mais on est comme ça ; on est loup ou on est cabri. J'ai le sentiment, aussi, que, malgré tout, les cabris ne veulent pas du loup. Donc, on verra très bien comment ils s'y prendront au bout du compte. Mais ce qui nous intéresse, c'est quand même le discours européen. Or, ce qui est curieux, pour l'opposition et même pour le RPR, c'est de choisir, ou de sembler choisir, une tête de liste – puisque j'ai le sentiment que P. Séguin veut la panoplie – qui n'a pas complètement une conviction acharnée à l'égard de l'idée européenne. »
Q - À propos de tête de liste. Du côté PS, ce sera vous ?
– « Écoutez, on prendra ce choix le moment venu. »
Q - Mais tous les socialistes disent : F. Hollande serait formidable comme tête de liste. Et puis, on a la sensation, vraiment, que ça ne vous tente pas !
– « Non, parce que moi, j'ai défini un calendrier. Nous choisirons notre tête de liste au mois de mars. Parce que, je pense, que pour les Français comme pour les Européens, ce qui compte c'est le contenu. Alors nous sommes en train de bâtir un programme commun, avec tous les socialistes en Europe. »
Q - Strasbourg ça serait un exil pour vous ?
– « Non, mais je crois qu'il y a aussi un discours que l'on tient, nous, les socialistes, sur la limitation du cumul des mandats. Donc il y a un moment ou il faut aussi être cohérent avec soi-même. »
Q - Attendez, vous êtes le responsable du Parti socialiste. Ne serait-il pas légitime que le responsable du parti mouille la chemise ?
– « "Mouille la chemise", toujours ! »
Q - Et soit en tête ?
– « "Mouille la chemise toujours", et donc ne vous en faites pas là-dessus, ma chemise est au sec pour l'instant, et elle sera mouillée après la campagne. »
Q - Bon, en tout cas, vous n'avez pas l'air très chaud…
– « Mais vous voulez "mouiller la chemise", mais je ne sais pas s'il fera beau ou pas beau. On verra. »
Q - D. Cohn-Bendit est un danger pour la majorité plurielle, comme le dit R. Hue ?
– « Non, je pense qu'il y a une diversité. C'est quand même normal que des forces politiques se dotent de têtes de liste. »
Q - Il ne prend pas de l'avance là ? Il n'est pas en train de vous prendre des électeurs potentiels ?
– « Ce qui compte, c'est les électeurs qui s'exprimeront le jour des élections. Ce n'est pas neuf mois avant. Je ne suis pas pour qu'on ajoute un peu de vinaigre sur toutes les déclarations des uns et des autres. Je pense que c'est bien : il y a une diversité de la gauche plurielle. Ne commençons pas néanmoins la campagne des européennes, neuf mois avant son dénouement. »
Q - Le PS est-il toujours en phase avec le Gouvernement ? On l'a entendu, il y a une huitaine de jours, tenir une Convention sur les entreprises, et il a réclamé un certain nombre de choses que le Gouvernement refuse – le rétablissement de l'autorisation administrative de licenciement, le renchérissement systématique des CDD. Le Gouvernement veut une négociation entre patronat et syndicat sur les abus exclusivement.
– « Nous, nous avons deux priorités dans les semaines qui viennent, compte tenu de la situation économique et sociale. La première, c'est d'assurer à chacun un droit à la santé, meilleur qu'aujourd'hui. Et ça va être la grande réforme de la couverture maladie universelle. Le fait que chaque citoyen, dans ce pays, puisse accéder aux soins, quel que soit son niveau de revenu. Et puis la deuxième grande réforme que nous voulons mettre en chantier – et donc deuxième priorité – c'est la lutte contre la précarité de l'emploi. C'est normal qu'il y ait un recours aux CDD, à l'Intérim, dans une phase de reprise économique, mais quand on a une croissance qui est durablement autour de 2 %, 2,5 %, 3 %, il est à ce moment-là, légitime qu'il y ait des embauches plus durables. Donc nous allons mettre en chantier… »
Q - Donc il y a un décalage entre vous et le Gouvernement ?
– « Non, parce que je pense que M. Aubry en a parfaitement pris conscience. Elle va, et elle a raison, demander aux partenaires sociaux de négocier sur ce point. Et s'il n'y a pas un résultat satisfaisant de la négociation, nous, nous considérons qu'il faudra, à ce moment-là – ou il faudrait, le conditionnel –, légiférer. »
Q - Autre demande qui sonne comme un avertissement : le PS demande pour la deuxième loi sur les 35 heures, un renchérissement des heures supplémentaires. Au-delà des 25 % prévus par le Gouvernement ?
– « Nous, nous considérons que la réduction sur le temps de travail se passe dans de très bonnes conditions. Il y a beaucoup de négociations, il y a beaucoup de discussions, il y a beaucoup d'accords. Certains néanmoins de ces accords contournent l'esprit de la loi – voire même la lettre –, en recourant, de façon excessive, aux heures supplémentaires. Nous, nous faisons notre travail politique qui est de dire : attention, certains patrons vont dans un sens qui n'est pas le bon. À partir de là, la meilleure dissuasion, c'est de laisser entendre qu'effectivement, les heures supplémentaires pourraient être renchéries ou bien on en limiterait l'amplitude parce que ce qui compte… »
Q - Au-delà des 25 % ?
– « Oui. Parce que ce qui compte… »
Q - Oui ?
– « Oui, mais bien sûr ! Si on ne renchérit pas les heures supplémentaires, si les accords continuent à être signés dans le seul esprit de contourner l'esprit de la loi – heureusement, beaucoup de ces accords sont conformes à la loi, et vont dans le sens de la création d'emplois mais s'il y avait – ça peut être une tentation pour le Medef – d'aller rechercher des heures supplémentaires plutôt que de l'emploi, il faudrait corriger ce point. »
Q - Tout à l'heure, vous avez dit une chose, comme ça, subrepticement tant qu'il y a une croissance 3 %, 2,5 % ou 2 %. Ça veut dire que ça y est ! Vous prenez en compte les prévisions pessimistes ? Et la croissance pourrait être beaucoup plus faible que celle annoncée par D. Strauss-Kahn ?
– « L'essentiel, c'est de savoir si cette croissance – celle que l'on connaît depuis maintenant un an et demi, deux ans – va se prolonger durablement. Je ne suis pas de ceux qui disent : ça va être de sept ou ça va être de six années. Ce qui compte, c'est la tendance. Et pour que cette tendance soit la plus favorable possible, c'est-à-dire autour de 2,5 %, et si on peut faire 3 % c'est mieux, si on fait un peu moins ça n'est pas grave… la tendance c'est de garder cette croissance sur cinq, sept, huit ans. Ce qui compte, c'est le cycle économique. Ce que je peux dire, c'est qu'aujourd'hui, pour conforter ce cycle, il faut, à la fois, renforcer la consommation et à l'évidence – même si nous n'en sommes pas, aujourd'hui, décideurs – baisser les taux d'intérêt. II faut conforter une croissance durable. Et le débat sur les chiffres après la virgule, me parait secondaire. »