Texte intégral
P. Lapousterle : Que faire face au terrorisme ?
P. Mauroy : Il faut exprimer sa compassion pour toutes les victimes. Ensuite, il n'y a pas de mot suffisamment fort pour dénoncer ces attentats. C'est de l'horreur, de la lâcheté. Ce qu'il y a de terrible, c'est que ça devient systématique. Finalement, c'est le huitième attentat, le sixième à Paris et le deuxième pratiquement au même endroit. Dans cette situation, il est indispensable de garder son sang-froid. Les Français gardent leur sang-froid. Il faut ensuite exprimer un sentiment de cohésion nationale. Les socialistes tiennent à le faire et le font partout. Mais on est en devoir aussi et en droit de demander au gouvernement de donner des explications et d'informer sur l'existence ou non de pistes. S'il ne sait rien, il doit se taire. S'il a des informations, il doit l'expliquer.
P. Lapousterle : Le renforcement de Vigipirate, est-ce une bonne réponse ?
P. Mauroy : C'est une réponse. Il est indispensable de sécuriser les Français et de prendre des précautions. À côté de ça, il est absolument indispensable de traquer les terroristes. Ça c'est l'affaire des services spéciaux, de la police.
P. Lapousterle : C'est bien fait ?
P. Mauroy : Je ne porte pas de jugement. De toute façon, je ne suis pas suffisamment informé pour porter un jugement. J'espère que le gouvernement fait tout et que de temps en temps, il informe davantage les Français. Ce serait souhaitable. Mais l'essentiel, c'est qu'il fasse du bon travail et qu'il puisse démanteler ce réseau de terrorisme.
P. Lapousterle : Faut-il que Jacques Chirac rencontre malgré tout le président Zéroual ?
P. Mauroy : Absolument pas. C'est incompréhensible, cette rencontre, pour bien des raisons. Je dois noter que les socialistes ont pris cette position bien avant l'attentat, ne faisant pas de liaison avec l'attentat. Pourquoi est-ce vraiment incompréhensible ? D'abord, parce que le gouvernement Zéroual, c'est un gouvernement qui fait des actions qui prennent des libertés avec les droits de l'homme. La deuxième raison, c'est qu'on est en campagne électorale. Il y a des élections. Zéroual est un candidat. Mais sont aussi candidats des démocrates. Les démocrates, je pense, sont les amis presque naturels des Français. Il y a ceux qui ne veulent pas participer aux élections. C'est le cas d'Ait-Ahmed avec le FFS. D'autres participent aux élections. C'est le cas du Rassemblement démocratique. Pourquoi privilégier ainsi l'un des candidats par rapport aux autres ? La période n'est absolument pas la bonne pour rencontrer le président algérien. Qu'il y ait une rencontre un jour entre le président français et le prédisent algérien une fois qu'il aura été élu, certes, mais certainement pas pendant la campagne électorale ! C'est véritablement incompréhensible.
P. Lapousterle : Le président français ne peut rencontrer aucun chef d'État étranger ?
P. Mauroy : Lorsque l'ambassadeur soviétique est venu rencontrer Giscard d'Estaing pour lui indiquer que l'orientation, c'était qu'il soit élu président de la République, je me souviens du tollé qui a été général, et pas seulement de la part de l'opposition ! C'est une ingérence tout à fait inadmissible. Je vous répondrai la même chose en ce qui concerne cette rencontre entre le chef de l'État français et le chef d'État algérien.
P. Lapousterle : On peut quand même imaginer qu'ils aient des choses à se dire.
P. Mauroy : Qu'ils aient des choses à se dire, j'imagine qu'ils en avaient avant. Ils auraient pu se voir avant, ou qu'ils se voient vraiment avant. Mais pourquoi se voir pendant la campagne ? Ou on n'y croit pas, et c'est un plébiscite, donc ce n'est pas la peine. J'attache une certaine importance à ces élections. Il y a des démocrates qui sont en lice. Cette rencontre est tout à fait inopportune.
P. Lapousterle : Un service public de l'insertion des jeunes, est-ce une bonne idée, comme l'a proposé hier Jacques Chirac ?
P. Mauroy : Il s'est fait chahuter lorsqu'il l'a dit. C'est compréhensible : déjà, il y a eu un candidat Chirac. Ce candidat a tout promis, tout dit. Sur certains points, l'orientation qu'il a prise n'était pas si mauvaise. Malheureusement, son gouvernement fait le contraire. Alors, maintenant que son gouvernement cumule toutes les preuves pour montrer qu'il fait le contraire, voilà que le président de la République reprend tranquillement les propos qu'il tenait pendant la campagne électorale ! C'est incompréhensible ! On ne sait absolument pas lire la politique de ce gouvernement et de ce président. On ne peut pas à la fois dire ce que dit le président de la République qui va dans le bon sens finalement et prendre les positions du gouvernement, sur le forfait hospitalier, par exemple, ou encore sur l'allocation du logement des étudiants, et la ruée cette nuit de toute la majorité contre tous les déficits en prenant des décisions qui mettent en cause la cohésion et la justice sociale. On ne peut pas faire quelque chose et son contraire. C'est vrai dans la vie de tous les jours, et c'est vrai pour n'importe qui. Mais vraiment, pour un gouvernement et ceux qui gouvernent, c'est terrible, faire une chose et son contraire, dire une chose et faire le contraire.
P. Lapousterle : À un moment de votre carrière, vous avez bien distribué de l'argent et vous avez repris un peu ?
P. Mauroy : Oui, mais j'ai fait des réformes, moi. N'oubliez jamais que sur les 110 propositions qui ont été présentées au peuple par François Mitterrand, j'en ai réalisées 94. Ensuite, la conjoncture internationale était telle qu'il a fallu une politique qui soit resserrée, une politique de rigueur. Le gouvernement traverse ainsi des périodes où il est nécessaire d'avoir une politique de rigueur. Mais quand on a une politique de rigueur, il faut avoir le discours qui accompagne cette politique. En plus, il faut savoir, quand on fait de la rigueur, savoir faire davantage de justice sociale. C'est absolument indispensable.
P. Lapousterle : M. Juppé a-t-il une très mauvaise note comme chef de gouvernement ou bien a-t-il fait ce qu'il a pu ?
P. Mauroy : Je ne vais pas m'amuser à distribuer des notes ! Les appréciations ne servent pas à grand-chose. Il n'y en a qu'une qui compte : l'appréciation des Français. Sur ce plan, il y a une chute dans les sondages de la cote du président de la République et du Premier ministre qui est spectaculaire. C'est du jamais vu.
P. Lapousterle : Votre regard sur le budget 96 ?
P. Mauroy : Ça commence très mal : à ce stade, c'est la bataille entre le gouvernement et la majorité. Il a en plus une majorité d'une très grande instabilité, qui manifeste sa mauvaise humeur. Lorsqu'il propose déjà une mesure injuste en ce qui concerne l'assurance-vie, voilà qu'une partie de sa majorité veut encore aggraver l'injustice ! Non, quand même pas ! Lorsque ce gouvernement dit qu'il faut lutter contre les déficits, en une nuit, la commission des finances accumule toutes les propositions possibles et imaginables pour réduire les déficits sans tenir compte d'un minimum de justice sociale. Très franchement, c'est tout à fait incompréhensible.
P. Lapousterle : Faut-il un remaniement ?
P. Mauroy : C'est l'affaire du président de la République. Il y a le ministre des Finances qui a rappelé cette nuit que, dans la situation actuelle, il fallait utiliser la médecine, que la médecine avait fait des progrès, qu'il ne fallait pas des purges et des saignées. Cette majorité, elle est aux purges et aux saignées, c'est-à-dire avec les médecins du XVIIIe siècle. Il faudrait moderniser tout cela !