Interviews de M. Philippe Séguin, président du RPR, dans "Le Parisien" du 8 décembre 1998, "Le Progrès" du 12, à TF1 le 13 et RTL le 16, sur le RPR, le Front national, la modernisation de la vie publique et sur le bilan du gouvernement Jospin.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Election au suffrage universel du président du RPR les 12 et 13 décembre : Philippe Seguin obtient 95% des voix des militants-déplacement à Saint-Etienne (Rhône-Alpes) le 12

Média : Emission L'Invité de RTL - La Tribune Le Progrès - Le Parisien - Le Progrès - RTL - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

LE PARISIEN : 8 décembre 1998

Le Parisien : – Faites-vous une différence entre le Jospin de juin 1997 et celui de décembre 1998 ?

Philippe Séguin : – Aucune. Mais l'opinion, elle, le perçoit différemment. En juin 1997, c'était « tout beau, tout nouveau ». On vantait une méthode prometteuse. Dix-huit mois plus tard, la méthode est à nu. Le Premier ministre a deux objectifs, deux seulement : gérer sa candidature à la présidence de la République ; maintenir, pour cela un semblant de cohésion dans sa majorité hétéroclite. Du coup, alternativement, on élude les problèmes (sachant que la fracture sera présentée aux Français après 2002), ou bien on apporte aux questions posées des réponses ambiguës et susceptibles de satisfaire contradictoirement plusieurs publics à la fois. Éluder les problèmes ? Je pense aux retraites, aux emplois jeunes ou aux 35 heures, entre autres. Vouloir séduire tout le monde, et son contraire ? Voyez la politique concernant les sans-papiers : rigueur affichée (« Je ne régularise pas ») ; laxisme pratiqué (« Je ne renvoie pas »). On est au royaume de l'équivoque.

Le Parisien : – Les conflits sociaux ne sont-ils pas limités par la présence au gouvernement de ministres communistes, tel Jean-Claude Gayssot ?

– Je connais la chanson : un gouvernement de gauche serait une garantie de paix sociale. En fait, nous vivons une sorte de mini-chienlit permanente. Soit une journée ordinaire en France : la SNCF entre dans son douzième jour de conflit ; certains centres de tri postal ont cessé le travail : les usagers de l'Assédic ne peuvent entrer dans certaines agences fermées sous la pression des chômeurs ; etc. En fait de paix sociale, on fait mieux.

Le Parisien : – Votre nom est cité pour conduire la liste de l'Alliance aux européennes, mais l'UDF vous récuse…

– Mon nom est effectivement cité, mais je n'ai jamais fait acte de candidature. J'ai parlé de l'opportunité d'une liste d'union, de celle d'un projet européen commun à l'opposition. Mais ce sont surtout quelques personnalités de l'UDF qui parlent de moi. Je n'en suis évidemment flatté…

Le Parisien : – Comment comptez-vous convaincre vos partenaires de l'UDF que vous êtes devenu franchement européen ?

– Je ne cherche à convaincre personne. Je ne demande rien à personne. Je n'ai pas à me justifier. J'ai toujours eu une conception ambitieuse de l'Europe…

Le Parisien : – Ces européennes auront-elles, d'abord, pour enjeu la politique intérieure ?

– Ces élections doivent être évidemment centrées sur l'Europe. Aussi faudra-t-il, d'abord, déployer un grand effort de pédagogie. Bref, refaire le b.a.-ba, car personne n'y comprend plus rien. Nous devrons expliquer ensuite les principes auxquels nous croyons.

Le Parisien : – Jusqu'où le RPR est-il prêt à aller ?

– Nous sommes prêt à déléguer des éléments de notre souveraineté dans tous les domaines où cela peut se traduire par une valeur ajoutée pour les citoyens français. Exemple : l'immigration. Nous ne faiblirons pas dans notre combat pour que progresse une Europe fondée sur les nations, dont le président de la République a si bien parlé à Rennes.

Le Parisien : – Croyez-vous possible de faire revenir dans l'Alliance les adhérents de la Droite de Charles Millon ?

– Nous nous adressons à tous les électeurs sans exception. Cela dit, je ne peux approuver l'expérience Millon. On ne peut pas théoriser une politique à partir d'un acte individuel, au demeurant erroné.

Le Parisien : – Quel est le sens de l'affrontement Le Pen-Mégret au FN ?

– Il y a, entre Le Pen et Mégret, une large convergence idéologique. Pour ma part, je ne fais aucune différence entre eux. Leur affrontement est, avant tout, une querelle d'hommes, qui implique forcément une différence de stratégie.

Le Parisien : – Le RPR paraît presque soutenir Roland Dumas…

– Nous ne soutenons personne. Je sais, moi, ce que je ferais si j'étais à la place de Roland Dumas. Mais c'est un problème entre lui et sa conscience. Personne ne peut s'y immiscer. Cela dit, renvoyer chez eux des hommes et des femmes sous le simple prétexte qu'ils sont suspectés ou même mis en examen, ça promet des joies…

Le Parisien : – Jacques Chirac semble avoir pris, ou repris, la tête de l'opposition ?

– Le président de la République est celui de tous les Français. Il n'est pas le leader de l'opposition, il est sa référence constante. Il entend d'ailleurs ses fonctions d'une manière assez différente de celle dont François Mitterrand les envisageait. Lui a le souci de donner du sens, d'ouvrir des perspectives, de mettre en garde, de mobiliser. Pas de faire des niches contre le gouvernement. Ça, ce serait plutôt mon rôle (éclats de rires)…

Le Parisien : – Où en sont vos relations avec Jacques Chirac ?

– Elles sont ce qu'elles ont toujours été. Simplement, il y a des périodes où l'on dit qu'elles sont au plus bas, et d'autres où l'on suppute qu'elles sont au mieux. De toute façon, je ne raconte jamais ce qui se passe entre moi et Jacques Chirac. Mais une chose est sûre : nous rions beaucoup de ce que l'on écrit et dit de nous.

Le Parisien : - Vous n'avez pas toujours été tendre à son égard…

– Je ne suis ni un béni-oui-oui ni un inconditionnel. Mais après tout, les grognards étaient-ils les moins bons soldats de Napoléon ?

Le Parisien : – Vous êtes en campagne pour la présidence du RPR. Pourquoi souhaitez-vous qu'au moins 70 % des militants du RPR y participent ?

– Pour une raison interne, d'abord : éviter que cette élection soit vécue comme un non-évènement par les adhérents. Pour une raison externe, ensuite : de quoi aurions-nous l'air si le président du RPR devait être élu par 15 %, 20 %, 25 % du corps électoral ? Et quelle serait, dans ces conditions, son autorité face à nos adversaires mais aussi devant nos partenaires ?

Le Parisien : – François Hollande suggère que Chirac est votre « prisonnier », et que vous le poussez à une opposition systématique …

– Je croyais l'avoir entendu dire que j'étais rentré dans le rang !... Bon. Laissons-lui la politique politicienne : il y excelle. À sa décharge, le métier de louangeur en chef du gouvernement est de moins en moins facile.


LE PROGRÈS : samedi 12 décembre 1998

Le Progrès : – À quelques heures de votre élection à la présidence du RPR, où en est aujourd'hui le Mouvement gaulliste ?

Philippe Séguin : – En l'espace de dix-sept mois, je crois qu'il a d'abord conjuré des risques auxquels on le disait exposé en juillet 1997. D'aucun prévoyait son implosion ou son explosion. Nous y avons échappé parce que nous nous sommes résolument placés dans une perspective de réconciliation et de rénovation. Tout n'a pas été facile, mais enfin, aujourd'hui, les appréciations qui sont formulées sur le RPR, contraste singulièrement avec celles de l'an dernier.

Il faut bien comprendre que la modernisation que nous avons entreprise n'est pas de la poudre aux yeux. Nous cherchons à devenir une formation politique moderne organisée sur le libre débat. Nous n'avons pas en effet d'à priori idéologique, mais nous nous référons à un certain nombre de principes et de valeurs. Chacun peut s'exprimer au sein de notre mouvement, quelle que soit sa position.

Un parti politique ne peut plus se référer à un corps cohérent de solutions, clé en mains, sur tous les problèmes de la société. Nous sommes dans un monde qui change : il faut des solutions nouvelles et pour les trouver, faire preuve d'imagination, de lucidité et de courage.

Le rôle premier d'un mouvement politique est donc de gérer la diversité, voire les contradictions de la société afin de trouver, à partir d'elles, les voies de l'intérêt général et de la synthèse. Étant entendu que ce rôle s'accompagne de pédagogie vis-à-vis de l'opinion publique, dont la distanciation par rapport à la chose publique s'explique par l'incompréhension d'un monde de plus en plus complexe. Il revient aux partis politiques d'expliquer les situations et les enjeux. C'est là leur devoir, d'autant plus que les partis sont désormais financés sur fonds publics.


Le Progrès : –  Quels faits nouveaux permettent de penser que le RPR et ses alliés redeviennent force de gouvernement ?

– Y a-t-il vraiment faits nouveaux ? Plutôt une prise en compte progressive de la réalité. Il y a d'abord que la France n'adhère pas aux valeurs de gauche, qu'elle ne se reconnaît pas dans une idéologie qui est très largement inadaptée aux réalités de la mondialisation et de ses enjeux. D'autant que notre parti socialiste est probablement le plus archaïque d'Europe. Il y a en outre que la méthode du Premier ministre n'est pas bonne pour la France. Car pour gérer les contradictions de la majorité et ménager sa candidature présidentielle, le Premier ministre est conduit, trop souvent, à éluder ou reporter les dossiers, ou encore à trouver des solutions en forme d'usine à gaz, destinés à mécontenter le moins de monde possible et à apporter des satisfactions à des attentes rigoureusement contradictoires.

Dans les dossiers étudiés, je range les emplois-jeunes, les retraites, les 35 heures. Jusqu'au budget pour lequel le ministre de l'Économie et des Finances a été le dernier à reconnaître ce que tout le monde savait, à savoir qu'il a été établi sur des bases irréalistes. Dans les usines à gaz, il y a le dossier de l'immigration. On essaie de faire plaisir à ceux qui sont favorables à une gestion rigoureuse des entrées, en annonçant qu'on ne régularisera pas tous les sans-papiers, mais d'un autre côté, pour apaiser les pétitionnaires, on dit de la même voix qu'on ne les renverra pas dans leur pays d'origine.

Alors, au fil du temps, un certain nombre de contradictions et leurs conséquences apparaissent progressivement au grand jour, en même temps que l'opposition sort de sa période de deuil et redevient audible. Voilà qui explique que le gouvernement se trouve dans une position moins avantageuse qu'il y a quelques mois. Et cela pourrait ne guère s'arranger dans les temps qui viennent.

Le Progrès : – Comment observez-vous les affrontements qui déchirent le Front national ? Est-ce une bonne nouvelle irréversible ?

– Nous restons dans le domaine de l'imprévisible. Je me garderai bien de formuler un quelconque pronostic ! Mais à voir certaines mines déconfites dans les rangs du PS, je pense effectivement que cela ne doit pas être une mauvaise chose pour l'opposition. On craint à gauche de voir disparaître un allié objectif bien utile. N'oublions pas que sans les triangulaires, plusieurs dizaines de députés socialistes n'auraient pas été élus et que l'ancienne majorité serait toujours la majorité.

Le Progrès : –  Est-ce vous faites une différence entre Bruno Mégret et Jean-Marie Le Pen ?

– Oui, mais pas celle qu'on croit trop souvent. Ainsi, sur le plan idéologique je ne fais pas de différence. Monsieur Le Pen prétend que Monsieur Mégret est raciste et extrémiste, s'il le dit je veux bien le croire, il est mieux placé que moi pour apprécier. Mais pour ma part, même sur ce point, je n'ai jamais vu de différence forte. Or je discerne ce que chacun peut discerner, c'est-à-dire une différence culturelle, une différence d'âge, un choc d'ambitions, une rivalité pour le contrôle d'un parti. Dire qu'il y en a un qui serait plus acceptable que l'autre ne me paraît pas recevable.

Le Progrès : –  Aujourd'hui vous êtes à Saint-Étienne, en Rhône-Alpes, région où l'élection de son président Charles Millon a été annulée. Quelle stratégie proposez-vous pour le RPR ?

– La stratégie du RPR est inchangée. Compte tenu du résultat des élections de mars, nous pensons que cette région a vocation à être gérée par l'opposition républicaine. En conséquence, nous souhaitons une solution qui permettra d'éviter que cette région passe à gauche sans pour autant faire se prolonger la situation de confusion, de crise permanente qui a prévalu.

C'est dire que nous récusons toute solution impliquant un accord, fut-il tacite avec le FN et toute solution impliquant un accord avec la gauche.

Le Progrès : –  Thierry Cornillet, président de Parti radical, est pourtant prêt à accepter un front républicain…

– Ce n'est pas notre position. Les partis sont là pour concourir à l'expression du suffrage donc pour assurer la clarté, la lisibilité des choix. Or il serait dangereux de substituer une ambiguïté à une autre. J'ajoute qu'à l'heure où nous cherchons les uns et les autres à convaincre les électeurs égarés dans le vote protestataire à rejoindre les rangs de l'opposition républicaine, c'est un mauvais service à rendre à cet objectif que d'accréditer la théorie selon laquelle seul le FN est une opposition réelle.

Le Progrès : – Lundi vous allez recevoir les élus régionaux du RPR. Est-ce que cela signifie que vous êtes prêt à prendre des sanctions, si oui, pouvez-vous préciser lesquelles ?

– On va parler avec eux de la situation, rappeler quels sont les principes du RPR. Depuis la première élection qui s'est passée dans l'improvisation, la confusion, nous avons pris un certain nombre de mesures, à l'encontre de ceux qui avaient accepté de participer à l'exécutif constitué par Charles Millon et qui ont ainsi officiellement participé à sa démarche. Nous nous en sommes tenus là. Maintenant nous avons un peu de temps devant nous, pour un choix réfléchi, débattu. Une ligne sera définie dans la mesure où l'affaire Rhône-Alpes devient un enjeu national en termes de stratégie et de choix politiques.

Lorsque cette stratégie aura été débattue et arrêtée, il m'étonnerait fort que ceux qui s'en écarteraient aient encore leur place dans notre mouvement.


TF1 : 13 décembre 1998

Claire Chazal : Alors, autre évènement, la réélection de Philippe Séguin à la tête du RPR. Pour la première fois, dans le mouvement gaulliste, tous les militants ont été appelés à désigner leur Président. Depuis hier, 85 000 personnes votent pour les fédérations. Philippe Séguin qui était le seul candidat souhaitait au moins 70 % de participation et il a obtenu finalement plus de 80 % et d'ailleurs plus de 80 % de suffrages. Toute la direction du RPR et de nombreux élus étaient venus, vous le voyez, rue de Lille, assister à l'annonce des résultats. Un témoignage, Charles Pasqua affirme : « Philippe Séguin est un bon Président du RPR ». Il a pourtant quitté les instances dirigeantes de votre mouvement.

Philippe Séguin : Mais il a voté pour moi.

Claire Chazal : Vous regrettez son départ ?

Philippe Séguin : Bien sûr que je regrette son départ des instances dirigeantes, cela dit ce départ a été logique, mais son maintien au RPR est non moins logique, parce que nous sommes un mouvement qui pratique la liberté d'expression en son sein, c'est le libre débat qui est la règle. Nous n'avons pas d'a priori idéologique, nous avons quelques principes et surtout une méthode. Nous essayons de représenter l'ensemble de la société française dans toute sa diversité, voire dans ses contradictions. Donc, il y a des gens qui expriment forcément des vues très différentes. On essaie de dégager une synthèse dans le sens de l'intérêt général, et ensuite on demande à chacun de se conformer à la ligne ainsi définie.

Claire Chazal : Alors, une élection au suffrage universel des militants, pourquoi faire, pourquoi cette réélection ?

Philippe Séguin : Parce que je crois qu'aujourd'hui tout mouvement politique doit être démocratique. Je crois comprendre d'ailleurs que la revendication…

Claire Chazal : Elle est forte au Front national…

Philippe Séguin : …atteint des mouvements où elle est la plus inattendue. Parce que les partis politiques ne peuvent plus fonctionner comme ils fonctionnaient au XIXème siècle, au XIXème siècle les choses étaient relativement simples, on avait un corps de doctrines, on avait des solutions clé en main pour tous les problèmes. Aujourd'hui, on n'a plus de solutions clé en main pour tous les problèmes, il faut les chercher, il faut les trouver, il faut débattre, il faut discuter, il faut faire des compromis et c'est à cela que doit servir un parti politique et parti politique doit, d'autre part, jouer un rôle pédagogique vis-à-vis de l'opinion publique parce que les problèmes sont de plus en plus compliqués. Alors si on veut qu'il y ait encore demain une démocratie et que ce ne soit pas la technocratie qui régente tout, il faut expliquer les choses aux gens, même si c'est difficile dans tous les domaines.

Claire Chazal : Et quelles devront être les premières missions je dirai de Philippe Séguin élu par tous les militants, est-ce que c'est, par exemple, aller chercher des déçus du Front national qui, sans doute, vont partir de ce parti ?

Philippe Séguin : Il va chercher personne, d'abord on ne cherche pas à fonder notre avenir politique sur les problèmes des autres.

Claire Chazal : Bien que, sans doute, cela vous serve forcément à vous, Droite Républicaine.

Philippe Séguin : Effectivement, effectivement, quand je vois les mines déconfites ou anxieuses de ceux qui à Gauche attendaient que le Front national leur serve encore d'allié objectif pour des succès électoraux à bon compte, je me dis effectivement que ce ne doit pas être une mauvaise chose pour nous. Mais nous, ce qui nous intéresse ce sont les électeurs, tous les électeurs, y compris les électeurs du Front national, pour ce qui concerne les autres, c'est à eux de se déterminer.

Claire Chazal : Vous ne récusez pas en tout cas les amis de Jean-Marie Le Pen…

Philippe Séguin : Non, non, je ne récuse aucune voix d'où qu'elle vienne, mais je dis des voix dans les urnes. D'ailleurs, comment pourrais-je récuser les voix, dans la mesure où par définition, le vote étant secret, je ne sais pas d'où elles viennent, mais je ne connais pas d'autre manière de faire baisser le Front national, ce qui je crois est un objectif que doivent se donner tous les Républicains, que de convaincre ses électeurs de voter autrement. Je ne connais pas d'autre manière. J'ai eu beau lire la presse de Gauche en long et en large, je n'ai pas trouvé la recette.

Claire Chazal : Et vous pensez que c'est la stratégie du RPR et de l'UDF, et c'est le résultat de cette stratégie finalement, l'implosion ou l'explosion de ce Front national ?

Philippe Séguin : Le fait que nous ayons sévèrement condamné toutes les compromissions avec le Front national, parce qu'elles sont moralement inacceptables, politiquement inadmissibles, inenvisageables d'ailleurs, et surtout électoralement stupides, parce que ce qu'on peut éventuellement, ce qu'on pourrait éventuellement gagner du côté du Front national, on le perdrait au-delà de l'autre côté, le fait que nous ayons eu cette stratégie dis-je, a peut-être joué. Mais enfin, je pense qu'il y a beaucoup d'autres problèmes dont…

Claire Chazal : Un problème de personnes. Dans les missions que vous fixez, bien sûr, il y a les élections européennes, ça sera l'année prochaine, est-ce que vous serez tête de liste pour cette liste unique ?

Philippe Séguin : Eh bien, on verra bien, ce qui est certain c'est que nous, a priori, nous n'en avons pas encore officiellement débattu. Mais nous, a priori, il semble que nous soyons, je peux même vous le confirmer plus fortement, favorables à une liste du nom d'opposition, je crois qu'elle paraît s'imposer, d'abord parce que c'est dans la logique de la création de l'alliance pour la France, d'autre part parce que c'est la meilleure façon de battre les Socialistes que d'aller au scrutin uni, parce qu'il est nécessaire et urgent que nos positions aient un corps de doctrine commun sur l'essentiel en matière européenne. On ne peut pas être d'accord sur tout, et ne pas être d'accord sur l'Europe parce que l'Europe est dans tout. Alors, je crois qu'il faut en débattre très sereinement, et puis débattre du fond d'abord et puis après, la composition de la liste, on verra bien. Ce que je souhaite c'est qu'on trouve les solutions les plus efficaces, et qu'on se garde bien dans ce domaine de lancer des exclusives ou des excommunications…

Claire Chazal : François Bayrou, effectivement, le nouveau Président de l'UDF est un peu réticent à l'annonce de votre nom.

Philippe Séguin : On ne parle que des gens d'UDF qui sont réticents…

Claire Chazal : C'est le Président de l'UDF.

Philippe Séguin : Oui, mais enfin, les hommes comme Raymond Barre, Jacques Barrot, ont dit des choses qui étaient beaucoup plus encourageantes à cet égard. Mais moi je n'en fais pas un problème personnel. Tout le problème est de savoir si nous continuons à entretenir des querelles franco-françaises sur des problèmes qui sont largement dépassés et si nous laissions les autres faire l'Europe, sans nous, ou si nous essayons de la faire ensemble avec les autres en essayant au maximum de faire en sorte que cette Europe ressemble à l'idée que nous nous en faisons.

Claire Chazal : Merci beaucoup Philippe Séguin d'avoir été notre invité. Je rappelle que vous avez été réélu aujourd'hui Président du RPR avec un vote au suffrage universel de tous les militants du mouvement gaulliste.


RTL : 16 décembre 1998

M. Cotta : La rupture du Front national naturellement à la Une. Chacun se réjouit à gauche et à droite. Mais pensez-vous que c'est votre stratégie du maintien d'une ligne dure au RPR contre le Front national qui a contribué à désagréger le Front national, ou est-ce qu'il se serait finalement désagrégé tout seul ?

Philippe Séguin :
« Ne me demandez pas de singer le Premier ministre. Le Premier ministre, hier, nous a expliqué, à ma plus profonde stupéfaction, nous a expliqué à peu de choses près, que c'était grâce à lui, grâce aux socialistes que le Front national connaissait les difficultés qu'il connaît. Il a dit qu'il observait que tout ça s'est passé sous la gauche. Je pourrais lui renvoyer l'argument et lui dire que le Front national a prospéré, s'est développé sous la gauche et qu'il y a toujours eu, c'est un fait, une alliance objective entre le Front national et la gauche. S'il n'y avait pas eu plusieurs dizaines de triangulaires organisées par le Front national, la majorité aujourd'hui ne serait pas majoritaire. Cela étant, je n'ai ni à me réjouir, ni à me désoler. J'observe ce qui se passe. Je ne vois rien dans ce qui se passe qui soit de nature à infirmer l'analyse que nous faisions du phénomène Front national. Un certain nombre d'idées vont demeurer quel que soit le sort de la structure partisane. Ce sont ces idées qu'il faut combattre. Et pour ce qui nous concerne, nous souhaitons attirer les électeurs sur ce que nous sommes, ce que nous proposons, et non pas fonder notre fortune politique sur les difficultés des autres ».

M. Cotta : Pensez-vous qu'avec l'éclatement du Front national, la droite peut être durablement majoritaire en France ?

« Ce que je crois c'est que la droite est majoritairement en France et qu'en tout cas, que la gauche ne l'est pas. Il y a là un malentendu dont le Gouvernement, par ses difficultés, apporte l'illustration ».

O. Mazerolle : Mais vous avez un cas, je dirais, presque d'illustration pratique, un cas d'école, avec la région Rhône-Alpes.

« Absolument ».

O. Mazerolle : Est-ce que Madame Camparini, d'abord présentée par l'UDF, est la candidate de l'Alliance ?

« Mais nous prenons acte de la présentation par l'UDF de la candidature de madame Camparini qui est une personne tout à fait estimable. Nous, ce que nous recherchons, c'est l'efficacité. On verra si c'est cette solution qui garantit la plus grande efficacité. L'efficacité, pour quoi faire ? Pour, d'une part, éviter que cette région ne passe pas à gauche alors que les urnes nous paraissent démontrer qu'elle avait choisi l'autre camp. Et nous voulons par ailleurs éviter de la même manière la reproduction de ce qui s'est passé il y a quelques mois. C'est-à-dire une compromission avec le Front national, tout autant qu'une ambiguïté que constituerait un accord avec la gauche ».

O. Mazerolle : Justement, est-ce que les élus régionaux du RPR, qui voteraient, le cas échéant, pour C. Millon, seraient exclu du RPR ?

« Écoutez, chacun sait bien qu'aujourd'hui, Rhône-Alpes, est un problème national. Ce qui est en cause, ça n'est plus l'ordre de priorité de la réflexion des lycées, des départements, de Rhône-Alpes. Ce qui est cause ce n'est plus le contenu du schéma régional de formation professionnelle. Il y a un problème de clarté politique et de lisibilité politique, de morale politique qui est posé. Et nous nous efforcerons d'être, de répondre, à l'attente de lisibilité et de morale ».

M. Cotta : J. Chirac a prononcé à Rennes, la semaine dernière, un discours sur la modernisation de la vie publique – c'est très bien, mais à chaque fois c'est l'opposition qui freine – et il mettait en cause la réforme de la justice, le cumul des mandats, la réforme du scrutin régional.

« Commençons par la réforme de la justice. Je crains que M. Jospin n'ait pas très bien compris où se situait le problème. Je me réjouis de vous retrouver aujourd'hui, parce que je vais l'aider à comprendre, et je pense qu'on va ainsi dissiper un malentendu. Le président de la République est l'initiateur, quoi qu'en dise M. Jospin, de la réforme de la justice. Parce que la commission Truche a été convoquée, si je ne m'abuse, avant que M. Jospin ne soit aux affaires. Le président de la République a une responsabilité particulière dans le domaine de la justice. Il est le président du Conseil supérieur de la magistrature, et il est d'ailleurs, celui qui, par son arbitrage, assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Bien. Le président de la République souhaite que la réforme de la justice soit conduite globalement, qu'on ne la saucissonne pas. Ce qui est visiblement l'intention, ce qui était visiblement l'intention du Premier ministre, dans la mesure où le Premier ministre, incapable de maîtriser le calendrier parlementaire, a laissé s'organiser au Parlement la plus grande pagaille qu'on y ait vu depuis des décennies en matière de calendrier ! En conséquence, le président de la République dit : nous irons à Versailles pour mettre un terme à la réforme du CSM, quand deux autres textes, qui sont les rapports Chancellerie-parquet, et d'autres part, la présomption d'innocence, auront fait l'objet, au moins d'une lecture, dans chacune des deux assemblées. Alors, que M. Jospin ne dise pas que le président de la République freine. Le président de la République… »

M. Cotta : Il n'a pas …

« Si ! Il l'a fait dire, il l'a fait dire par ses amis ».

M. Cotta : Il a pensé que sur le CSM c'était le RPR…

O. Mazerolle : Hier matin, il ne l'a pas dit…

« Mais enfin il l'a fait dire par un certain nombre de ses amis, notamment à l'Assemblée nationale. Et quand j'ai écouté le député socialiste qui accusait le président de la République de freiner, j'ai eu l'impression qu'il lisait un texte qui avait été préparé à cette intention par Matignon. Bon ! Le Premier ministre maintenant est informé du souci du président de la République. C'est le président de la République qui est maître du calendrier, s'agissant des réformes constitutionnelles. Que M. Jospin fasse venir à l'ordre du jour les deux autres textes et la situation sera débloquée. J'espère qu'il aura compris aujourd'hui ».

O. Mazerolle : Vous êtes en opposition au Gouvernement, ça c'est votre rôle. Mais quand le Gouvernement propose des réformes – sur le mode de scrutin aux élections régionales, sur la parité, sur le cumul des mandats, et sur d'autres textes encore – quand il prend des décisions, est-ce qu'on peut dire qu'il n'agit pas ? Comme on l'entends dire souvent par l'opposition qui dit : ah ! le Gouvernement est inerte, il ne fait rien !

« D'abord j'ai écouté RTL ce matin, comme d'habitude. J'ai entendu qu'il y avait unanimité, hier, sur le problème de la parité. Ce qui est une façon pour moi de mettre un terme à ces accusations stupides, selon lesquelles nous participerions à une opposition systématique. Bien. Il nous arrive, lorsque les textes nous paraissent bons, de ne pas nous cantonner dans l'opposition, ce qui est normalement notre vocation. Bon. Pour autant, qu'est-ce qu'on observe depuis quelques semaines ? Quelle est l'origine des difficultés dont chacun se fait l'écho et auxquelles, hier, devant vous, le Premier ministre devait mettre un terme, puisqu'il était annoncé qu'il allait se ressaisir ? Cela dit, je ne l'ai pas entendu se ressaisir, mais enfin, passons ! Ce sont les limites de sa méthode. À quoi se résume sa méthode ? Le Premier ministre est confronté à deux contraintes : il doit, d'une part, maintenir un semblant de cohésion dans une majorité hétéroclite. Et il doit, d'autre part, gérer sa candidature présidentielle. Alors, à quoi est-il conduit compte tenu de ces deux contraintes ? »

M. Cotta : Apparemment tout le monde la gère…

« Il est conduit, il est conduit, soit à éluder les problèmes, à les reporter à plus tard, soit, quand il est contraint de les traiter, à monter de véritables usines à gaz pour tenter de ne déplaire à personne. J'ai des exemples à l'appui de ce que j'avance. Problèmes éludés : bon, je passe sur la mondialisation dont il ne parle jamais alors qu'il faudrait mobiliser les Français sur ce thème. Prenez les retraites : c'est renvoyé à plus tard, alors que chacun sait que ça va exploser ».

O. Mazerolle : Ça va venir au mois de mars.

« Enfin soyons sérieux ! Les retraites, qu'est-ce qu'on nous a sorti ? On nous a sorti un fonds de financement des retraites. Financé par quoi ? Par les excédents de l'assurance maladie ! C'est de l'humour. Bon. Prenez les retraites, prenez les 35 heures : les vrais problèmes seront réglés plus tard. Prenez les emplois-jeunes, c'est après 2002 qu'on saura ce qu'on fait des jeunes qui auront été ainsi embauchés. Je pourrais encore allonger la liste. Et quand aux problèmes sur lesquels il essaye d'avoir une réponse qui ne fasse de déplaisir à personne, vous pouvez prendre ce qu'il dit sur l'autorisation administrative de licenciement. Ah, c'est une bonne idée le contrôle administratif de licenciement ! Mais est-ce bien nécessaire ? Ou alors, les sans-papiers, tiens ! Au fait, il a été bizarrement muet sur les sans-papiers. Or, c'est un problème essentiel le problème des sans-papiers. Le problème de la lutte contre l'immigration clandestine est le problème numéro un de notre pays aujourd'hui. Sans lutte efficace contre l'immigration clandestine, il n'y a pas de politique de l'intégration possible. Sans politique d'intégration, vous aurez des Toulouse tous les soirs ».

M. Cotta :Vous êtes d'accord là-dessus alors ?

O. Mazerolle : C'est ce qu'il dit, c'est ce qu'il dit ailleurs…

« Oui, mais alors je lui renvoie le complément – qu'il n'a pas formulé en ces termes, mais c'est ce que ça voulait dire – qu'il a adressé au président de la République : il parle, il parle, c'est tout ce qu'il sait faire ».

M. Cotta : Parlons des chômeurs par exemple L. Jospin a quand même augmenté, hier, les minima sociaux, J.-L. Debré dit : il n'a pas l'argent pour le faire. Mais au fond, quel est le plan du RPR sur les chômeurs. Qu'est-ce que vous feriez, vous ? Vous avez des objectifs, une stratégie ?

« Nous souhaitons, nous, prendre à bras-le-corps, madame, le problème de la mondialisation, pour apporter des réponses réelles en matière de chômage. Parce que… »

M. Cotta : Tout le monde veut apporter des réponses réelles.

« Mais oui, mais pardonnez-moi de vous dire, que nous continuerons à estimer que ça n'est pas la bonne politique que conduit aujourd'hui le Gouvernement ».

O. Mazerolle : Il dit : 150 000 chômeurs de moins.

« Eh bien, écoutez parlons des 150 000 chômeurs de moins, et ayons le courage de dire que cette baisse du chômage qu'affiche le Gouvernement, ne correspond pas à la réalité ».

O. Mazerolle : Ah bon ?

« Absolument ! 150 000, c'est le chiffre qu'il a donné depuis le 1er janvier, nous sommes bien d'accord ? »

M. Cotta : Oui.

« Il lui a même mis en regard les 100 000 emplois-jeunes, qui sont des emplois semi-publics, subventionnés, dont chacun sait, chacun ignore plutôt, ce qu'ils deviendront après 2002. Rajoutez à cela, les radiations administratives effectuées par l'ANPE – 36 000 radiations de plus, en 1998, qu'en 1997 ! 80 000 radiations de plus qu'en 1998 qu'en 1995 ! Vous tombez, à peu près, à peu près sur le chiffre. Et vous pouvez comparer ces chiffres avec les chiffres de l'Allemagne. L'Allemagne a fait, depuis le 1er janvier, plus de 400 000 chômeurs de moins. C'est-à-dire que le bilan de l'action du Gouvernement, en termes de chômage, en termes de croissance quel est-il ? Nous avons moins profité que les autres, compte tenu de la politique du Gouvernement, des effets d'une croissance provisoirement retrouvée ».

M. Cotta : Sécurité, changeons de terrain. À Toulouse, le brigadier qui a tiré sur le jeune homme qui volait une voiture, est mis en examen. Les syndicats de police soutiennent le brigadier. Est-ce que le ministre de l'Intérieur par intérim, a eu raison de suspendre le brigadier ?

« Sur ce point, je crois, et vous verrez que je ne fais montre d'aucun sectarisme, que le Premier ministre, sur ce point du moins, a eu les mots qui convenaient. Et j'y adhère, comme j'adhère, d'ailleurs, à l'attitude responsable de la famille du jeune Habib. Le Premier ministre a dit l'émotion que chacun ressentait ; il a dit, aussi, la difficulté, les mérites de la police ; et il a appelé chacun à faire confiance à la justice. Eh bien je crois, que chacun doit s'en tenir à cette triple affirmation ».

O. Mazerolle : Vous avez été élu avec 95 % des voix des militants, président du RPR. Est-ce que ça veut dire que, désormais, le principe de la liste unique, de l'Alliance, suite à cette élection qui a été importante, avance ?

« Nous ne sommes pas les seuls à décider d'une liste d'union ».

O. Mazerolle : Oui, mais enfin, maintenant vous avez une légitimité plus forte.

« Nous ne sommes pas les seuls à décider d'une liste d'union. Nous, a priori, et sous réserve de confirmation par nos instances – parce que nous fonctionnons de manière démocratique – nous sommes favorable à une liste d'union de l'opposition pour des raisons évidentes. D'abord, parce que ça nous paraît la conséquence logique, de la création de l'Alliance pour la France. Parce que, d'autre part, ça nous paraît la meilleure façon débattre les socialistes – ce qui est, je ne vous le dissimulerai pas, notre objectif. Et enfin, parce que dès lors que nous nous disons capables de nous entendre sur tout, il serait bien curieux que nous ne nous entendions pas sur les objectifs européens, alors qu'aujourd'hui l'Europe est dans tout ».

O. Mazerolle : Sur quels thèmes allez-vous faire campagne ? Parce que quand même, on voit le président de la République, qui est votre référence, manifester son bonheur de participer aux réunions et aux conseils européens, avec des Premiers ministres sociaux-démocrates, parce que ceux-ci mettent l'Europe sociale à la une de leurs priorités.

M. Cotta : Ça devrait vous plaire…

O. Mazerolle : Alors pour vous, vous êtes un peu en porte-à-faux là, non ?

« En porte-à-faux ? Comment, pourquoi, serais-je en porte-à-faux ? »

M. Cotta : C'est le chef de l'opposition.

« Le président de la République conduit la délégation de la France dans les sommets européens, il n'y a rien que de très normal. Alors vous m'avez demandé quels étaient les objectifs que nous allions défendre ? Nous, nous voulons une Europe européenne ; nous voulons une Europe qui mette effectivement l'emploi au coeur de tout ; nous voulons une Europe qui se démocratise, parce que nous sommes très inquiets du déficit démocratique qu'elle a accumulé au cours de ces dernières années. Nous sommes très sereins. Et nous pensons que, sur la base de notre approche, il y a de quoi réunir l'ensemble de l'opposition ».